Le passage de la découverte du massacre perpétré dans les camps palestiniens de Sabra et Chatila est sans doute l’un des plus difficiles à lire à l’intérieur de ce roman ; le romancier nous dépeint une réalité sans fard et nous entraîne à la suite de son héros dans une véritable plongée au sien de l’horreur; Il déploie un registre réaliste et pathétique et nous nous sentons véritablement touchés par cette description sans concession de la guerre et de la souffrance;
Rappelons tout d’abord les faits historiques tels qu’ils se sont déroulés en 1982…
Le 6 juin 1982, l’armée israélienne a envahi le Liban dans ce qu’elle a décrit comme étant des “représailles” pour la tentative d’assassinat sur l’Ambassadeur israélien à Londres.Le 18 juin 1982, Israel avait cerné les forces armées de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) dans la partie occidentale de la capitale libanaise. Un cessez-le-feu a eu comme conséquence l’évacuation de l’OLP de Beyrouth le 1er septembre 1982.Le 11 septembre 1982, le ministre de la défense israélien, Ariel Sharon, a annoncé que “2.000 terroristes” étaient restés à l’intérieur des camps de réfugiés palestiniens .Le mercredi 15 septembre, le lendemain de l’assassinat du chef de la milice phalangiste alliée des Israéliens et président élu libanais, Bashir Gemayel, l’armée israélienne a occupé Beyrouth-Ouest, “encerclant et bouclant” les camps de Sabra et Chatila.
L’armée israélienne a alors désarmé, dans la mesure où elle le pouvait, les milices anti-israéliennes à Beyrouth-Ouest, alors qu’elle a laissé ses armes aux milices phalangistes chrétiennes de Beyrouth.Le jeudi 16 septembre 1982 vers midi, une unité d’environ 150 Phalangistes armés (c’est ce que prétend Israël) est entrée dans le premier camp.Pendant les 40 heures suivantes, les membres de la milice phalangiste ont violé, tué et blessé un grand nombre de civils non-armés, dont la plupart étaient des enfants, des femmes et des personnes âgées à l’intérieur des camps encerclés et bouclés. L’estimation des victimes varie entre 700 (chiffre officiel des Israéliens) et 3.500.
Les journalistes qui ont couvert les reportages dans cette région du monde ont pu alors découvrir lorsqu’ils sont entrés dans les camps, des visions d’horreur et ce sont ces visions que s’efforce de reconstruire le romancier dans ce passage. Comment le romancier décrit-il cette scène d’horreur ? comment cette description est-elle organisée ?
Le romancier utilise différents procédés pour dépeindre cette vison : tout d’abord , il nous entraine dans le sillage d’un personnage et nous voyons à travers ses yeux; Ce procédé appelé focalisation interne facilite grandement l’identification par le lecteur au personnage et grandit l’illusion réaliste.
Georges se déplace : c’est ce qu’on appelle une description en mouvement ou ambulatoire et nous le suivons pas à pas . Le texte est construit selon une organisation spatiale facilement repérable ; Nous avançons ainsi “plus loin” : nous pénétrons “à l’intérieur” ( 5) de cet univers cauchemardesque ; J’ai vu , j’ai marché (1) ; Les verbes de vision sont nombreux ainsi que les connecteurs spatio-temporels : dans un angle ( 15), là-bas (11) , partout des morts (19) .
Le registre pathétique est particulièrement marqué dans cet extrait avec tout d’abord la mention des victimes : ce sont des vieux, des jeunes et même des enfants ; Nous avons ici une sorte de gradation de l’horreur . Le lecteur ne peut s’empêcher de prendre parti contre les miliciens et les exactions commises; Le romancier dénonce ici les massacres perpétrés par les combattants contre des civils sans défense.
La multitude des petits détails réalistes contribue à renforcer cette dénonciation: la position des corps, les souffrances subies augmentent notre émotion; les cadavres sont présentés dans des positions humiliantes : sur le dos, bras ouverts, ” un bébé torse nu, en couches déchiquetées ( 29) “un corps coupé en deux ” (10) ; les victimes sont montrées comme cueillies par la mort et aucun détail trivial ne nous est épargné : “la merde séchée , (18 ) les plaies béantes, les trainées de cervelle (21)
De plus, la description est dramatisée par les réactions du personnage -témoin : Georges qui a bien du mal à ne pas se laisser déborder par l’émotion : “ je le redoutais, je le craignais ” ; ces deux verbes montrent son appréhension ; Profondément troublé par la scène, il semble marquer, malgré lui, un temps d’arrêt : “je me suis arrêté; j’étais sec” ; ( 32) Aucune larme ne parvient à sortir de son corps : " le visage sans rien ” Tout es passe comme si Georges ne ressentait plus rien, comme si son coeur s’était vidé ; Il ose à peine respirer car selon lui “inspirer, c’était bouffer de la mort “ . Le lexique est ici imagé et le romancier recourt à la crudité de certaines expressions pour mieux peindre fidèlement ce qu’il voit : ” chairs et vêtements arrachés” (l 50) ; le narrateur peu à peu perd pied et semble se perdre au fond de la guerre ; il est guidé par des anges et échappe de peu à la mort mais cette dernière est déjà annoncée.
Un texte poignant qui révèle une description organisée visuellement autour du personnage de Georges et de la découverte de ces massacres qui , à l’époque, ont ému considérablement l’opinion publique; C’est cette émotion que tente de restituer le romancier en utilisant diner moyens lexicaux et stylistiques.