Une dissertation réussie se base sur une analyse complète du sujet donné :
Etape 1 : définir le sujet
Les mots importants sont « expérience vécue » et « force d’une argumentation »
« expérience vécue » renvoie à des récits de vie ou de tranches de vie, donc à des passages narratifs ; cela peut donc faire référence à l’autobiographie (s’il s’agit de la vie vécue par l’auteur), mais aussi aux apologues qui exposent une situation qui va servir de base à une morale et à tout genre qui comporte une histoire . Il peut donc s’agir de « l’expérience vécue » par l’auteur, par des personnes ayant réellement existé ou par des personnages fictifs ;
L’expression « force d’une argumentation » renvoie à l’efficacité pour argumenter. Cela revient à se demander ce qui pour un lecteur a le plus d’efficacité . La question que vous devez vous poser et qui est une reformulation du sujet est la suivante : Le recours à l’expérience est-il un moyen efficace pour soutenir une thèse/des idées ?
Lorsque vous la trouvez dans l’énoncé d’un sujet : l’expression « Dans quelle mesure » suggère de chercher pourquoi l’expérience vécue est efficace, donc d’analyser ses atouts et avantages. Mais vous devez aussi vous demander si elle ne présente pas des limites, des inconvénients, ou si elle est suffisante pour appuyer une thèse.
Etape 2 : Chercher des idées
Mettez la question posée par le sujet en relation avec les grands thèmes de la question de l’homme dans la littérature argumentative : s’interroger sur l’homme, c’est prendre en compte ses divers aspects en tant qu’individu (corps, sensibilité, esprit, conscience), mais aussi en tant que membre d’un groupe social (famille, milieu et mœurs, travail, nation, et aborder les questions d’ordre social, politique, scientifique, éthique, religieux (valeurs qui doivent guider la vie : bonheur, pouvoir, liberté…).
Pour trouver des idées et construire le plan, répertoriez les types d’expériences vécues rapportées dans les textes argumentatifs que vous connaissez. Vous partez alors d’illustrations concrètes qui seront développées dans la rédaction de votre dissertation. Ce type de plan est appelé raisonnement par induction.
Les exemples : en partant du corpus, faites la liste des textes que vous connaissez qui comportent le récit d’expériences vécues, réelles (biographie, autobiographie) ou fictives présentées comme réelles, dans les apologues (fables, contes, notamment contes philosophiques), mais aussi dans les romans (Hugo, Les Misérables ; Zola, Germinal ; Camus, La Peste…). Rangez ensuite ces illustrations selon leur efficacité argumentative ( du plus convaincant au moins convaincant par exemple)
Au moment de rédiger, pour éviter la répétition de l’expression « expérience vécue » mais aussi pour trouver des idées, faites-vous un « stock » de mots du champ lexical qui s’y rapporte : exemples personnels, tranche de vie, parcours, (le) vécu, (l’)histoire, expérimentations…
Soyez attentif à la bonne construction de vos paragraphes. Un paragraphe de dissertation n’est complet que s’il comporte trois composantes indispensables : l’argument avancé, l’exemple qui l’illustre et le commentaire de cet exemple. La longueur moyenne d’un paragraphe est d’une dizaine de lignes.
Vous devez développer l’exemple en mettant en valeur les détails concrets qui appuient l’argument. Attention ! Il ne faut pas raconter toute l’œuvre, mais faire des commentaires directement reliés à l’argument à démontrer.
Etape 3 : rédiger
Introduire le sujet (la citation est souvent un moyen élégant d’entrée en matière ..pensez-y
La pensée naît d’événements de l’expérience vécue et elle doit leur demeurer liée comme aux seuls guides propres à l’orienter », écrit la philosophe Hannah Arendt. Une telle affirmation confère à l’expérimentation un rôle primordial dans la formation de notre pensée et suggère que le récit d’expériences – réelles ou fictives – est un moyen argumentatif infaillible pour forcer l’adhésion d’autrui. Mais n’est-ce pas une position un peu extrême ? Certes, il faut accorder dans sa réflexion une place à l’expérience vécue . Cependant son efficacité présente des limites – voire des dangers – et requiert des précautions ; il convient d’en user avec discernement et de lui garder sa juste place dans l’argumentation .
I. L’efficacité argumentative de l’expérience vécue
Une argumentation est d’autant plus forte dans son expression, d’autant plus persuasive, d’autant plus vivante qu’elle se nourrit de l’expérience vécue par celui qui la conçoit et la compose, mais aussi vécue par d’autres auxquels il peut faire référence.
1. Une argumentation concrète, détaillée et incarnée
L’argumentation inspirée et illustrée par une expérience vécue, personnelle ou non, est concrète, souvent détaillée. Ainsi, Le Dernier Jour d’un condamné, de Hugo, qui retrace les derniers moments d’un homme qui va être guillotiné, permet au lecteur de partager, au fur et à mesure que les heures s’écoulent, les émotions, les sentiments et les réflexions du futur supplicié, prises sur le vif, bien plus qu’un traité ou un essai théoriques sur la peine de mort.
Les idées sont alors incarnées et prennent un relief saisissant. L’expérience vécue donne corps à des abstractions en les incarnant. Les idées « en action » – les allégories animales de La Fontaine, comme le Loup dans « Le Loup et le Chien » (qui représente le choix de la liberté face à la soumission, mais aussi l’acceptation de la pauvreté et de la précarité), oul’expérience de mineur de Lantier, symbole de la révolution – sont concrètement perçues et les arguments des personnages touchent le lecteur comme s’il s’agissait de véritables témoignages authentiques.
2. Force de l’authenticité, force de l’identification
L’efficacité de l’expérience vécue tient aussi à l’authenticité, à la véracité qu’elle confère à l’argumentation. Ainsi, dans les Mémoires de guerre, les idées politiques de De Gaulle s’enrichissent d’un vécu profondément enraciné dans la réalité : il parle en connaissance de cause de la Libération, des forces antagonistes, pour en avoir été non seulement un témoin, mais aussi un acteur de premier plan. Qui peut mieux connaître les rouages de la politique de ces années mouvementées ? De là vient aussi l’efficacité des romans d’apprentissage, tels que Le Rouge et le Noir, de Stendhal. Le lecteur s’identifie au héros at apprend à travers les expériences de ce dernier .
L’exemple – personnel ou fictif – peut aussi susciter la sympathie ou l’identification avec le locuteur ou avec le personnage(s) dont l’expérience est rapportée : le lecteur vibre avec émotion au gré de ce qui arrive aux êtres dont il suit l’itinéraire et auxquels il s’attache. ……… comme dans …..
Ainsi, le lecteur qui s’identifie à un personnage adhère à sa conception du monde ou au contraire la rejette ; il subit inconsciemment l’ influence de ce modèle.……
3. La variété apportée par l’expérience vécue
Le recours à l’expérience vécue permet aussi la variété, comme en témoigne la multitude des genres littéraires qui reposent sur un récit : apologues (qui se diversifient en fable, conte…) ou romans.
Parfois même, à l’intérieur de genres plus austères – l’essai, le traité… –, un auteur introduit des passages narratifs qui agrémentent une argumentation théorique qui serait trop abstraite. Ainsi, dans son article « Torture » du Dictionnaire philosophique,Voltaire introduit l’histoire véridique du jeune chevalier de La Barre, torturé pour avoir « chanté des chansons impies ».
Le recours à l’expérience vécue permet de varier les types de personnages : les bons et les méchants s’opposent (Jean Valjean et Javert dans Les Misérables), mais aussi les registres : lyrisme d’« Ultima verba », le poème de Hugo ; La Peste de Camus, tantôt lyrique, tantôt pathétique avec le récit de la mort de l’enfant.
4. Chacun porte en soi « la forme entière de l’humaine condition »
L’expérience vécue peut, en outre, inspirer des idées plus larges, voire universelles. Comme le dit Montaigne : « Qui se connaît, connaît aussi les autres, car chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition. » Ainsi, parler de soi, c’est aussi parler de l’ensemble des hommes dès lors qu’il est question de la condition humaine, de ses joies, de ses peines.
Lorsque Hugo affirme : « Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous […] Ah ! insensé qui crois que je ne suis pas toi » (préface des Contemplations), il donne à son cas particulier une portée universelle. De même, l’expérience personnelle de Primo Levi dans les camps de concentration racontée dans Si c’est un homme (1947) renvoie l’image de tous les déportés et prend une portée morale en présentant aux hommes l’image de leur propre cruauté.
5. L’efficacité du raisonnement inductif
Enfin, le récit de l’expérience vécue amène le lecteur – qui doit tirer ses propres conclusions de l’exemple proposé – à une démarche inductive. Le cheminement de la réflexion va de l’exemple à la généralisation, du concret à l’abstrait. L’auteur joue ainsi de la force et de la vertu de l’exemple. La fiction parle à l’imagination avant de parler à l’esprit.
Une telle démarche requiert un lecteur actif qui doit réfléchir pour tirer de l’expérience vécue des conclusions et en trouver les implications dans son propre monde. Ainsi, à partir du récit que fait Montaigne dans ses Essais de sa rencontre avec des « sauvages » venus à Rouen, le lecteur doit discerner la critique sociale et politique implicite des sociétés dites civilisées et l’image du roi idéal selon l’auteur.
II. Limites et conditions de l’efficacité de l’expérience vécue
Cependant, l’efficacité de l’expérience vécue présente des limites et doit obéir à certaines conditions.
1. Une seule expérience ne saurait amener à une loi
Au-delà de l’aspect affectif, le recours à l’expérience vécue peut pêcher par ses failles logiques. Ainsi, dans les sciences expérimentales, une expérience ne suffit pas à confirmer une loi ; pour cela, il faut que de multiples expériences dans des conditions identiques aboutissent au même résultat.
De la même façon, une histoire vécue n’est qu’un cas particulier qui dépend du contexte dans lequel elle se déroule et qui ne saurait aboutir immanquablement à une vérité générale.
2. La nécessité d’un regard objectif sur son expérience
Pour convaincre, l’argumentation, en tant que développement d’une pensée abstraite, d’idées qui atteignent un degré suffisant de généralité, doit dépasser tout point de vue étroitement partisan, souvent formé par une expérience de la vie nécessairement limitée et contingente. Pour mener une argumentation efficace, il faut savoir prendre le recul nécessaire et gommer toute subjectivité excessive, volontairement ou involontairement déformante.
3. Les dangers de la persuasion : un lecteur sous influence
Parce que l’expérience vécue s’adresse davantage à l’imagination et à l’affectivité qu’à la raison, elle est plus propre à persuader qu’à convaincre et de ce fait présente des dangers. Ainsi, la sympathie (au sens étymologique) du lecteur, son identification avec le personnage dont est rapportée l’expérience peut être si forte qu’elle l’investit complètement. Le lecteur qui s’identifie ainsi à un personnage adhère à sa conception du monde ; il subit inconsciemment l’influence de ce modèle, qui peut, par un raisonnement spécieux, présenter comme une vérité générale sa propre expérience.
Il faut savoir lutter contre les séductions du récit, lequel peut prendre des voies détournées pour abuser et influencer : combien de lecteurs se sont laissé séduire par Mein Kampf et ses raisonnements spécieux ?
La dernière partie de la dissertation (pour ceux qui souhaitent établir un plan en trois parties) propose alors une sorte de synthèse qui repose sur le mélange des récits avec des arguments fondés sur un raisonnement dans des genres hybrides comme le conte philosophique, qui allie la dimension séductrice de la narration avec le choix plus sérieux des thèmes abordés. On pourrait aussi évoquer la morale des fables qui illustre implicitement souvent les enseignements à tirer de l’apologue. On peut aussi envisager l’idée selon laquelle les expériences d’un homme sont assez limitées alors que l’imagination artistique permet de les multiplier et ainsi de les rendre plus enrichissantes .