En vous promenant dans les jardins du château de Chenonceau, vous pouvez vous dire que vous suivez les pas de Diane de Poitiers et de la reine Catherine de Médicis. A la mort de son royal mari, Catherine a confisqué à la maîtresse de ce dernier Madame de Valentinois, son château de Chenonceau dans lequel , du fond de son bureau à trois fenêtres, qui surplombe la rivière, elle a tenu à régner et à diriger la France; Aujourd’hui on peut encore admirer ce magnifique bureau et imaginer quelles décisions politiques importantes ont été prises par la souveraine dans cette cette pièce. S’il y a bien un domaine qui pouvait sembler politiquement sensible à cette époque, ce sont les mariages à la Cour; En effet, tout un jeu d’alliances et de complots se forment pour que les familles allient leur puissance ou se neutralisent. Lorsque la Princesse de Clèves fait son apparition à la Cour, elle demeure avant tout une fille à marier dont la famille cherche un très beau parti. Elle va alors devoir affronter les dangers de la Cour et c’est un milieu dont elle ignore tout…
Ce ne sont pas les candidats qui manquent : le Duc de Guise, le Prince de Clèves et le Duc de Nemours vont soupirer après la belle.Mademoiselle de Chartres qui n’est alors âgée que de 16 ans. Heureusement qu’elle pourra compter sur les conseils avisés de sa mère, la très sage Madame de Chartres. Un premier extrait se situe au début du roman et de l’intrigue : il s’agit avant tout pour l’auteure, Madame de Lafayette, de dépeindre la Cour comme un milieu dangereux et souvent hostile.
Voyons comment le personnage de la mère est ici construit par Madame de Lafayette . Le passage présente avant tout les dangers de la cour et le rôle d’une mère auprès de sa fille , novice, qui découvre un milieu qu’elle ne connait pas. Etudions tout d’abord la peinture de la Cour. La Cour est tout d’abord personnifiée à la ligne 397 ” l’ambition et la galanterie ” étaient l’âme de cette cour ; Ces deux caractéristiques mêlent inexorablement politique et amour et subordonnent les liaisons amoureuses à des intérêts politiques qui dépassent l'individu. Ce dernier est perçu,en effet, comme membre d'un lignage auquel il appartient et dont il se doit de servir les intérêts. Cette idée d'un lien entre amour et politique est reprise sous la forme d'un parallélisme de construction aux lignes 401: "l‘amour était toujours mêlé aux affaires et les affaires à l’amour. La narratrice souligne ici à quel point la sincérité des sentiments peut être mise en doute; Les intrigues amoureuses apparaissent alors comme des manoeuvres destinées à fortifier son camp ou sa famille . Cette situation est voulue par les hommes aussi bien que les femmes et qui sont ainsi mis à égalité comme le traduit l’adverbe également dans l’expression ligne 398 “occupaient également les hommes les femmes “
Les dangers de la Cour sont liés à la fois à cette duplicité des nobles qui s’y côtoient mais aussi à la multiplicité des affaires comme le traduit l’expression “il y avait tant d’intérêts et tant de cabales différentes “; ( 399) Ainsi le danger semble vraiment réel et Mademoiselle de Chartres fait figure de jeune innocente au milieu de tous ces nobles ; Aucun, en effet ne semble trouver grâce aux yeux de la narratrice : “personne n’était tranquille ni indifférent ” Il faut donc se méfier de tout le monde à la Cour même de ceux qui se prétendent vos amis . A la ligne 403, l’énumération des verbes à l’infinitif : “s’élever, plaire, servir ou nuire ” rend bien compte du mélange des ambitions de ces courtisans et du caractère changeant de leurs inclinations. L’un des traits des moralistes du dix-septième siècle consiste , en effet, à décrire l’homme comme un être changeant , victime de ses passions et régi par des forces qui lui dictent sa conduite; Madame de Lafayette se montre très proche des conceptions de Monsieur de La Rochefoucauld , conceptions vulgarisées dans son recueil : Maximes où il écrit par exemple: L’esprit est toujours la dupe du coeur ou La plus subtile de toutes les finesses est de savoir bien feindre de tomber dans les pièges que l’on nous tend, et on n’est jamais si aisément trompé que quand on songe à tromper les autres. Ces écrivains s’efforcent de peindre les vices des hommes pour les corriger et la peinture de la société qu’ils élaborent dans leurs ouvrages est assez noire.
A la ligne 404 , on constate que les mot plaisirs et intrigues sont placés sur le même plan comme pour nous faire comprendre que c’est au moyen de ces différentes intrigues que les nobles trouvent du plaisir : comme si le fait de comploter faisait ,quelque part, partie de leur nature . La narratrice va ensuite peindre les différents réseaux d’influence qui se focalisent autour de cinq dames influentes : la reine Catherine de Médicis, la soeur du roi appelée Madame et les jeunes reines : la reine dauphine qui est l’épouse du fils aîné du roi Henri II ,Marie Stuart, la reine de Navarre qui est la fille de Henri II et la maîtresse du roi, Diane de Poitiers . Cette dernière déteste la jeune demoiselle de Chartres en raison de son lien avec le vidame de Chartres ; ce dernier , en effet, a refusé d’épouser l’une des filles de Diane de Poitier par amour pour la reine. On mesure donc à quel point la maîtresse du roi fait courir un danger à la jeune fille .
Chacune de ces femmes d’influence va attirer une sphère de courtisans qui vont se modeler aux qualités dont elles font preuve: ainsi la reine attire les femmes d’un certain âge et qui “faisaient profession d’une vertu plus austère ” ( 410 ) alors que les jeunes et jolies femmes éprises de galanterie se rassemblent plus volontiers autour de la reine dauphine; Seule Diane de Poitiers paraît peu entourée ou dédaigneuse de l’intérêt qu’on lui porte, par une sorte de fierté : “la Duchesse de Valentinois avait toutes celles qu’elle daignait regarder mais peu de femmes lui étaient agréables. ” (419)
Toutes ces intrigues font de la cour un milieu hostile et dangereux dans lequel il faut être initié si on souhaite échapper aux périls qui règnent dans cet endroit ; ” il y avait une sorte d’agitation sans désordre” ( l 429 ) est une expression pour le moins ambivalente , utilisée par l’auteure pour tenter de nous faire saisir ce curieux mélange entre dangers nombreux et recherche constante des plaisirs . Ce qui crée dans l’esprit du lecteur un lien entre plaisir et péril.
Voyons comment Madame de Chartres va pouvoir exercer une influence sur sa fille qui vient d’être introduite dans ce milieu périlleux.
L’éducation de la jeune fille est présentée pour sa mère comme une entreprise extrêmement sérieuse comme on peut le voir avec l’expression ” avait eu tant d’application ” et “ne discontinua pas de prendre les mêmes soins ” Cette entreprise difficile est rendue d’autant plus nécessaire au vu de la dangerosité du lieu das lequel la jeune fille va désormais évoluer.
Du coup, la peinture des dangers de la cour renforce le caractère ardu de l’éducation pour la mère préoccupée de l’avenir de sa fille. La Cour est vue par la mère comme une sorte d’enfer où se mêlent les séductions des plaisirs et les plus grands dangers pour les âmes innocentes . On comprend ainsi la valeur de ce qu’elle va inculquer à sa fille au moment où elle va se retrouver confrontée à “tant d’exemples si dangereux” ; D’emblée ; le destin de la future Princesse est présenté comme périlleux et le lecteur peut d’ores et déjà se demander si elle va succomber à toutes les tentations.
Madame de Chartes es caractérise par une lucidité hors du commun “elle voyait ce péril” et un désir de protection maternelle à son paroxysme: “elle ne songeait qu’aux moyens d’en garantir sa fille ” On peut toutefois souligner le paradoxe de la position de la mère qui, à la fois, offre sa fille à tous les regards afin de lui trouver le meilleur parti possible et en même temps, lui demande de se forger une carapace et de se méfier de tout le monde, en particulier des hommes.
La modernité de ce roman vient de la demande de la mère d’être considérée par sa fille comme une amie et surtout comme une confidente sur le plan amoureux ; Madame de Chartres compte sur son expérience pour protéger sa fille des mensonges que les hommes de la Cour seraient tentés de lui dire afin de s’assurer ses faveurs ou de lui arracher une promesse de mariage ; Il est donc logique que sa mort prématurée dans le roman plonge la jeune femme dans le plus grand désarroi car elle perd à la fois l’amour d’une mère mais également les précieux conseils d’une amie. La relation mère/fille ne se construit pas seulement sur le respect mais sur un attachement et une affection véritable. A cette époque, il était rare de constater une véritable complicité entre les parents et les enfants qui ne partageaient pas toujours le même toit, surtout durant leur enfance. Néanmoins, certaines auteures comme Madame De Sévigné ou ici , madame de La Fayette se font l’écho d’un nouveau mode de relations, plus intime , entre les mères et les filles.
Grâce à la correspondance de Madame de Sévigné, par exemple, nous savons qu’elle adorait sa fille et souffrait cruellement d’en être séparée après le mariage de cette dernière avec le Comte de Grignan.
Ce passage nous présente donc à la fois les dangers de la Cour et le rôle que Madame de Chartres entend jouer auprès de la future Princesse de Clèves : une mère attentive et protectrice qui se donne comme mission de la guider : “elle lui promit de lui aider à se conduire dans des choses où l’on était souvent embarrassée quand on était jeune.”