16. mai 2020 · Commentaires fermés sur Un face à face et une controverse: retour à Valladolid · Catégories: Spécialité : HLP Première · Tags:

1 Le rappel des faits

Le roman se fonde sur une dispute historique, c’est à dire un affrontement philosophique, entre Las  Casas et Sepulveda vers 1550. Le romancier s’est inspiré de documents officiels mais il a resserré l’intrigue et a inventé le personnage du légat du pape qui joue, en quelque sorte, le rôle d’un arbitre entre les deux contradicteurs. La première question qui sert de point de départ aux discussions concerne la nature des Indiens ” Qui sont-ils ? une espèce nouvelle ? les gardiens redoutables des pommes d’or des Hespérides ? sont -ils des créatures infernales , puisque la plupart du temps , ils vont tout nus, sans aucune  pudeur? ou des habitants du Paradis ? des petits cousins d’Adam et d’Eve ? Et surtout sont- ils des hommes ou des sous-hommes , des infra humains, des types d’humains inférieurs aux Espagnols ” 

Ces interrogations peuvent vous paraître aujourd’hui bien naïves mais elles reflètent les préoccupations des hommes de la Renaissance, confrontés, grâce aux progrès des explorations, notamment maritimes,  à des  catégories de populations différentes de ceux qu’ils ont connus jusque là . Humains sans aucun doute car la naissance des premiers enfants issus des unions ( des viols surtout ) entre les conquistadors et les femmes indigènes en fut la preuve incontestable. Il s’agit plutôt de préciser si tous les humains sont égaux… en humanité; Dieu a -t-il créé différentes espèces d’hommes dont certains seraient faits pour être les maîtres et d’autres les esclaves, par sa volonté, ou simplement tous les hommes ont ils les mêmes droits et notamment celui d’être libre ?

2.Aristote et l’esclavage

 Comment justifier qu’un peuple puisse en asservir un autre ? La théorie d’Aristote sur l’existence d’une hiérarchie des espèces humaines est dominante à cette époque.  Le philosophe grec  établit des catégories d’êtres supérieurs ( à l’origine les Grecs ) et d’êtres inférieurs , sauvages  et barbares (  les habitants de leurs colonies ) . Selon les principes d’Aristote  “les uns sont nés pour commander et les autres pour obéir ” ” une ancienne tradition d’esclavage  , largement nourrie, tout au long de l’Antiquité, par d’interminables cortèges de captifs – vraie monnaie d’échange internationale- préparait la plupart des esprits à ce nouvel épisode de l’exploitation, quelquefois forcené, de l’homme par l’homme ;” Les blancs chrétiens ont ainsi , peu à peu, remplacé peu à peu les Grecs dans cette hiérarchie des catégories humaines pour se placer tout en haut de l’échelle et beaucoup considéraient les indigènes et les hérétiques ( ceux qui ne croient pas en Dieu)  comme des sous-hommes .

3. Un  vif débat d’opinions

En Espagne,  des voix s’élèvent  pourtant contre les brutalités infligées aux Indiens . La reine Isabelle décide d‘organiser la défense des Indigènes et d’interdire leur esclavage mais elle mourut en 1504. En 1511 un dominicain nommé Cordoba adresse, à Hispaniola, un sermon accusateur contre les colons : il affirme qu’ils maltraitent injustement ces hommes, leurs frères et qu’ils les dépouillent de leurs biens. le roi d’Espagne est touché par ce jeune théologien et il propose des lois qui réglementent les agissements des espagnols et donnent des droits à la main d’œuvre indigène. Pourtant l’institution du requerimiento donne le droit aux espagnols de se proclamer les propriétaires des terres nouvelles : une spoliation “officielle ”  . Les choses se compliquent lorsque Cortès découvre l’empire mexicain; Une civilisation en affronte alors une autre. On peut parler ici de choc culturel.

4. La découverte du Mexique

En 1521 la capitale aztèque, rebaptisée Mexico, tombe aux mains des soldats espagnols, les conquistadores, et Cortès, leur chef, se fait nommer vice-roi . L’or attire les convoitises et semble justifier toute souffrance; En Espagne, on rase des forêts pour construire des navires qui apporteront à la couronne de Charles Quint toujours plus de puissance car le royaume catholique se fissure en Europe sous la pression du protestantisme ; les divisions intérieures fragilisent les monarchies catholiques.  Au Mexique et dans le royaume Inca, en Amazonie, les soldats espagnols détruisent les pyramides pour bâtir des églises et cassent les traces des anciennes civilisations; Seule une minorité de curieux et de savants , s’intéresseront aux civilisations précolombiennes et tenteront de conserver les témoignages de l’histoire de ces peuples et de leurs cultes solaires. En 1546 s’achève la conquête du Mexique avec la défaite des Mayas. ” Les légendes continuent de s’effacer, les monstres s’éloignent”; 23 évêchés ont été construits et les premiers métis ont des cheveux blancs” . En 1550 Charles Quint décide alors de mettre un terme aux expéditions espagnoles et réunit , à la demande du pape , un concile à Valladolid pour déterminer de la conduite à tenir face aux Indiens. En Europe, on commence à s’émouvoir du sort réservé aux civilisations précolombiennes .

5.Le défenseur des Indiens : Bartolomé de Las Casas

A 27 ans, ce jeune prêtre , entend le sermon  humaniste de Cordoba et assiste à un premier massacre d’indiens à Cuba . Il décide  de consacrer le reste de sa vie à défendre la cause des Indiens .  Voilà une série d’arguments tirés de sa plaidoirie 

1. Les Indien sont libres par nature et les Espagnols n’ont aucun droit sur eux.

2. La bonne conquête est celle des âmes : tout emploi de la force est par définition mauvais.

3. Notre Seigneur a dit ” je suis la Vérité et la Vie ” : je vais m’efforcer de dire la Vérité sur  ceux à qui nous sommes en train d’enlever la vie “

4. Les malheureux indien sont traités depuis le début comme des animaux privés de raison .

5. C’est par millions qu’ils ont été assassinés

6. Ces peuples ne nous faisaient pas la guerre : ils venaient à nous souriants, le visage gai, curieux de nous connaître , chargés de fruits et de présents; Ils ne savaient même pas ce qu’est la guerre. ! Et nous leur avons apporté la mort .

7. J’ai vu des cruautés si grandes qu’on n’oserait pas les imaginer.  Aucune langue, aucun récit ne peut dire ce que j’ai vu.

8; Quelle image leur donnons nous de notre foi ? Que peuvent-ils penser d’un Dieu que les chrétiens qui les exterminent , tiennent pour juste et bon ?

9. “Le pain des pauvres c’est leur vie, celui qui les en prive est un meurtrier .”

10. On voit tout un peuple immense qui agonise au nom du Christ.

Pour soutenir ses arguments, Las Casas cite souvent les textes sacrés, la Bible et le Nouveau Testament et emploie l’image d’un Dieu, à l’image de son fils Jésus, bon et altruiste qui considère chaque créature humaine comme son propre fils et lui accorde une importance égale dans son cœur.

6. La stratégie de Sépulveda, un adversaire redoutable

Le philosophe commence à attaquer Las Casas avec des arguments ad hominem : il rappelle , tout d’abord , pour le discréditer qu’il a possédé lui-même des esclaves et que ses tentatives de conquête pacifique ont été des échecs sanglants .  Il conteste l’idée même de “conquête pacifique ” Il l’accuse ensuite de prêcher contre les Espagnols  et de ne voir que ce qu’ils font de mal donc d’avoir un avis subjectif et un point de vue partial ; Las Casas , qui se sent attaqué, rectifie aussitôt : il prêche “contre la brutalité et l’injustice ” de certains  espagnols , non pas contre la nation espagnole toute entière. En nuançant son propos, il tente d’éviter l’accusation d’amalgame . Sépuleva adopte une démarche “sinueuse” : il ne formule pas d’accusations directes mais procède par allusions et tente d’utiliser la personnalité de son adversaire , notamment la fougue avec laquelle il se défend et qu’il nomme “excès” .

Lorsque Las Casas traite les colons de menteurs, il reprend les paroles accusatrices de son vis à vis , pour le traitre à son tour de menteur . Il le fait passer pour fou en affirmant qu’il est incapable de voir les Indiens tels qu’ils sont vraiment : il se serait aveuglé sur leur véritable nature . Lorsque Las  Casas essaie de prendre un argument d’autorité en citant l’Evangile ” Soyez des hommes doux” , son adversaire reprend la même source avec une  autre citation du Christ  : ” je ne suis pas venu apporter la paix mais l’épée ” . C’est l’argument de la guerre juste car voulue par Dieu.

La démonstration de Sépulveda s’organise alors de la manière suivante : les Indiens méritent leur sort car ils ont offensé Dieu ; Ce sont des Idolâtres et les Espagnols sont le bras armé de Dieu . Pour contrer cet argument Las Casas remet en question leurs supposés crimes mais le philosophe lance une nouvelle offensive en interrogeant le dominicain sur ce qu’il a fait lorsqu’il fut témoin de tortures ; Ce dernier répond qu’il essayait de sauver l’âme des Indiens qui expiraient et l’envoyé du Pape intervient alors dans la discussion pour demander à Sépulvéda s’il pense que les Indiens ont une âme ; Ce point imprévu gêne le philosophe qui diffère la réponse à cette question épineuse. Le cardinal comprend alors l’embarras de Sépulvéda.

Ce dernier enchaîne avec une stratégie qui repose sur une question générale ” N’est il pas établi que tous les peuples de la terre ont été créés pour être chrétiens un jour ?  ” L’assistance est unanime pour valider la réponse affirmative à cette question. Le philosophe fait alors intervenir son témoin: un franciscain nommé Frère Pablo; Il veut montrer que la mission évangélique des Espagnols est divine mais Las Casas souligne que “quelque chose de démoniaque s’est emparé des conquérants”  “à cause du sang qui nous accompagne, précise Las Casas, nous contrecarrons le dessein de Dieu .” Sepulveda prétend alors que les indiens ne sont pas des créatures divines car Dieu ne leur a pas donné la foi, les a oubliées et elles sont donc étrangères au Salut. Dieu les aurait même condamnés à mourir : il y voit les signes évidents de la main de Dieu; Las Casas s’insurge violemment contre cet argument. ” tout votre discours semble n’avoir qu’un but, c’est de mettre Dieu de votre côté , à n’importe quel prix ”  Pour lui, c’est  un argument fallacieux : son adversaire  utilise  l’idée même de  Dieu pour justifier les crimes commis par les conquérants. Le légat le fait taire et une pensée secrète jaillit dans l’ esprit  du défenseur des Indiens : si le choix de Dieu est  vraiment fait alors pourquoi l’a t-il fait naître pour en douter ? Dans les jours qui suivent, Sépulveda reprend les arguments de son adversaire pour les dénoncer : il revient sur le caractère démoniaque des espagnols, rappelle la barbarie des sacrifices humains indigènes , des sauvages féroces sodomites et cannibales ;

Le légat souhaite infléchir le débat et somme Sépulveda de se prononcer sur la “nature exacte des Indiens ” : ce dernier se repose sur Aristote qui a déclaré : certaines espèces humaines sont faites pour régir et dominer les autres ” : il en déduit donc que les Indiens sont esclaves par nature .  L’esclave , selon Aristote n’est qu’un instrument animé, une sorte de machine vivante faite pour exécuter les ordres du maître .  L’envoyé du Pape lui demande alors de prouver ce qu’il avance et il évoque leur tendance à imiter les gestes des espagnols ce qui serait une caractéristique de l’âme esclave.  Il serait , selon les témoignages, stupides  se peindraient le corps, ne possèderaient pas d’outils élaborés, portent leurs fardeaux sur leur dos, mangent de la nourriture grossière qui conviendrait à des animaux et adorent des idoles affreuses, ils changent fréquemment de femmes , sont lâches à la guerre et échangent du verre contre de l’or. A plusieurs reprises, l’envoyé du Pape intervient dans le débat pour poser des questions ou faire traire les protestations du dominicain. Un de ses arguments paraît gêner Sépulveda: “on ne peut leur reprocher des sacrifices humains que s’ils sont humains . Qu’en pensez-vous ? Le débat va se poursuivre sous la forme d’une comparaison des deux mondes et des moeurs des Indiens .

On va ensuite appeler des Indiens qui ont effectué le voyage d’Amérique du Sud jusque en Espagne afin de mieux les examiner et de déterminer si oui ou non, ils sont humains au même titre que les Espagnols.