Introduction : le fonctionnement de la dystopie
Depuis la fin du dix-neuvième siècle, la dystopie ou fiction qui prend comme base la création d’un nouveau monde, le plus souvent dans le futur , s’est imposée comme un moyen de mettre l’homme d’aujourd’hui face à certaines réalités .Elle se révèle un instrument pour la pensée car elle nous délocalise; elle figure un ailleurs imaginaire , différent dans l’espace et dans le temps et où la situation sociale et politique de l’humanité est présentée comme précaire , fragile, dégradée par rapport à celle que nous connaissons.La dystopie devient alors une arme pour notre esprit critique car elle nous tend un miroir déformant dans lequel nous pouvons saisir les dangers qui menacent l’humanité . Comme l’écrit Jorge Semprun dans la préface de la réédition de “Nous autres “ d’Eugène Zamiatine, “elle nie le présent, le dissout même , en projetant sur lui la lumière d’un avenir lointain et redoutable ‘ ; Souvent opposée à l’utopie, en tant que lieu idéal, la dystopie n’offre pas une voie d’imitation mais une voie de réflexion.
I Utopie/ dystopie
Alors que l’utopie promettait des lois parfaites, une égalité totale et une abolition de la propriété privée pour assurer le bonheur de chaque citoyen, la dystopie présente des mondes où la privation de liberté est l’un des ingrédients essentiels ; Elle s’inspire de nombreuses idéologies et les pousse à leurs extrêmes . Ainsi le communisme va produire des dystopies dans lesquelles l’Etat sera présenté comme omnipotent, écrasant les individus, en leur imposant une pensée unique. Toute divergence est alors sévèrement réprimée . Ces mondes sont souvent contrôlés par une conscience centrale, dictateur humain ou machine qui lit les pensées .La dystopie fonctionne alors comme un signal d’alarme, une sorte d’alerte en anticipant des dérives possibles des maux de notre monde contemporain .
II La mort de l’individu
Trois récits majeurs écrits dans la première moitié du vingtième siècle forment une première base commune de réflexion autour des systèmes politiques totalitaires et des choix de société ; Nous autres de Zamiatine, roman écrit en 1922 montre un Etat unique au sein duquel les moindres changements sont contrôlés; Ainsi le ciel est toujours bleu ; Pourtant le héros D -503 , un mathématicien , va refuser de vivre dans ce monde et il construit un engin l’intégral pour publier ses notes dans l’espace; Depuis 100 ans, la sphère terrestre est sous les ordres de l’Etat Unique. Un Mur vert borde l’univers connu. Les individus sont pris en charge par des substituts maternels et ont droit à une heure de temps personnel après le déjeuner; Chaque journée est rythmée par des activités identiques. Une Usine musicale impose à tous les mêmes airs . Dans le Meilleur des Mondes , écrit en 1932 par Aldoux Huxley , ce titre ironique exprime de fortes inquiétudes face à la mécanisation du monde dans les années 30. L’auteur imagine alors une société où chaque individu est préformaté et programmé pour jouer un rôle au service de la collectivité : les alpha, les bétas sont des dominants alors que les epsilons sont leurs esclaves. Le renversement dystopique opéra à partir des inquiétudes face à des progrès technologiques ou à des mutations de nos modes de vie. Les héros de ces romans se révoltent contre le pouvoir en place et paient souvent de leur vie , cet acte insurrectionnel . Le troisième ouvrage fondateur est celui de George Orwell qui invente le concept de Big Brother dans le roman : 1984;
Dans un univers cauchemardesque, le monde est divisé en trois blocs antagonistes : Eurasia , Estasia et Oceania; dans ce dernier royaume, aucune pensée n’échappe à l’oeil de Big Brother ; Winston Smith, qui cherche à échapper à ce contrôle permanent , écrit son journal intime. IL travaille au ministère de la Vérité et il falsifie l’histoire pour la rendre conforme aux visées du Parti; Dans cette société règnent la délation, la manipulation des masses et la négation du sexe ; Tous les délinquants qui ont de mauvaises pensées sont alors rééduqués par la torture ou le lavage de cerveau; Les écrans sont partout et la technique est vue comme symbole de la domination politique, notamment au service de la manipulation psychologique..
Les enfants sont élevés pour espionner et dénoncer leurs parents et la sexualité est réprimée car le désir est vu comme un témoignage de l’individualité. En sus de la manipulation mentale, le Parti exerce un contrôle physique de la population : même un tic facial peut provoquer une arrestation. Les individus effectuent tous un travail harassant pour maintenir la population dans un état de fatigue extrême, ce qui accroît leur niveau d’obéissance. 1984 est donc un roman dont la teneur philosophique est évidente : ses thèmes sont traités de manière à faire réfléchir l’Américain de 1949 sur les dangers et les potentialités de régimes aux dérives totalitaires. L’URSS de l’époque est clairement visée.
III Le danger des machines
De nombreuses oeuvres prennent également comme point de départ les progrès de la robotisation et envisagent des scenarios dans lesquels les machines tentent de conquérir le pouvoir ; Entre l’homme et le robot, purement mécanique vont se développer des mutants, des androïdes et d’autres intelligences artificielles à caractère plus ou moins humain. Les dystopies posent plus ou moins le modèle d’un individu en révolte contre une oppression ou un état de fait jugé oppressif et aliénant. Dans les combats qui les opposent aux créatures humaines, les machines l’emportent souvent mais peuvent également être détruites par leurs créateurs; C’est ainsi un moyen d’explorer les limites de la notion d’humanité et de comprendre ce qui distingue un humain d’une créature à son image ; Différents stratagèmes vont alors être mis en place pour reconnaître et détecter les cyborgs comme dans Terminator . Ces fictions nous aident à réfléchir aux dangers des totalitarismes et la plupart des tyrans de science-fiction ( Palpatine et ses seigneurs Scythes de Star Wars par exemple ) utilisent des armées de machines qui massacrent sans aucun état d’âme leurs opposants .Blade Runner est un bon exemple de la complexité des relations humains/machines
IV Les transformations de l’Histoire
Une autre source pour les dystopies du siècle précédent, ce sont les génocides perpétrés par des idéologies dans le but de détruire tous les humains non conformes aux standards édictés ; Hitler et le nazisme ainsi que les goulags staliniens ont marqué l’Europe et les camps de concentration sont recréés sur d’autres planètes. Parfois les Hommes sont menacés par des espèces extra-terrestres belliqueuses qui tentent de les détruire; Parfois, ils deviennent de redoutables chasseurs d’aliens comme dans le film District 9 qui s’inspire de la ségrégation aux Etats-Unis afin de montrer comment en Afrique du Sud des extra- terrestres sont parqués dans des camps de réfugiés et affamés, méprisés par les autorités blanches; Le réalisateur effectue ainsi un saisissant parallèle avec la politique d’apartheid qui a été menée dans cette partie du monde et qui a conduit à la révolte pour la majorité noire , entassée elle aussi, dans des ghettos et des bidonvilles .
Ray Bradury, en 1953, s’inspire lui aussi d’un événement historique , les autodafés nazis pour écrire Fahrenheit 451 : le titre indique la température à laquelle le papier brûle; La dictature veut effacer tous les souvenirs et détruire les livres; certains décident alors de les apprendre par coeur . Dans un genre différent mais pour illustrer un réel danger, Margaret Atwood publie en 1985 La Servante écarlate;
Defred l’héroïne se bat contre la toute puissance du pouvoir masculin : les femmes sont réduites à des rôles traditionnels et portent le nom de leurs maîtres ; Bouche cousue par des agrafes de fer, et reproductrices malgré elle lors de cérémonies barbares , les servantes ne sont que des instruments aux mains de leurs possesseurs; Atwood est l’héritière des combats féministes des années 60 et se révolte contre une part de l’Amérique traditionaliste qui enferme les femmes dans des cuisines ou dans des chambres et les évince du pouvoir politique.
V Vers l’Ailleurs : la filiation avec la Science-Fiction
La Science-fiction va intégrer la dystopie en lui offrant les moyens d’un ailleurs temporel . Le voyage dans l’espace ou dans le temps va constituer , le plus souvent, une porte d’entrée pour de nombreux romans ou films ; Ainsi La Planète des Singes de Pierre Boulle, un romancier français des années 60 , combine les deux motifs; le héros Ulysse Mérou est embarqué dans une navette spatiale et atterrit sur une étrange planète, dominée par des Singes; Orangs-Outangs, Chimpanzés et Gorilles se sont répartis les rôles et considèrent les humains comme des animaux sans intelligence; Ces derniers vivent nus dans les bois, ne savent pas parler et parfois, les Singes organisent des battues pour rapporter quelques spécimens “humains” . A la fin du livre, Ulysse réussit à s’échapper et découvre qu’il est en fait sur terre et qu’il a, simplement fait un saut sans le futur. Les Singes sont devenus les maîtres des hommes et les traitent comme des créatures inférieures . Le cinéma va exploiter cette piste avec plusieurs films qui montrent la richesse des relations entre l’homme et le singe.Dans le même ordre d’idées, l’Armée des 12 singes est une film d’anticipation tout à fait réussi qui livre une réflexion sur les dangers du futur. En 2037, un mystérieux virus a dévasté l’humanité: les animaux ont repris leurs droits sur la planète et les quelques survivants vivent dans des souterrains. Un homme est envoyé dans le passé pour comprendre les origines de l’épidémie. Que va-t-il trouver ?
V Du côté du cinéma
Voilà quelques références pour compléter notre premier tour d’horizon de la dystopie sur grand écran désormais.
Metropolis de Fritz Lang 1927, l’ancêtre
Soleil vert , 1973, un fondateur
Brazil de Terry Gillian, 1985