Pour un écrivain, inventer la vie de personnages imaginaires est souvent une occupation plaisante : ils sont alors libres de se laisser aller et d’imaginer chacun des événements qui compose la biographie des héros; Il n’en va pas de même lorsqu’ un auteur décide de raconter la vie d’un personnage réel. Il doit alors composer entre une nécessaire part d’invention , dans la reconstitution, par exemple, des pensées du personnage, et les données réalistes consignées par les biographies officielles. Plus le personnage est célèbre et moins la marge de liberté paraît possible. Catherine Cusset , en donnant comme titre à son roman : Vie de David Hockney, renseigne le lecteur sur le sujet principal du livre ; Il s’agit, dans ce roman , de reconstituer l’existence et la carrière artistique d’un peintre anglais; si vous voulez tout savoir sur le “vrai” David Hockney et comprendre à partir de quel modèle l’écrivaine a imaginé son personnage,vous pouvez aisément consulter l’adresse suivante : https://www.hockney.com/home
Mais quel est donc l’intérêt d’imaginer une histoire à partir de faits vrais : ” tous les faits sont vrais; J’ai inventé les sentiments, les pensées, les dialogues. Il s’agit plus d’intuition et de déduction que d’invention à proprement parler : j’ai cherché la cohérence et lié les morceaux du puzzle à partir des données que j’ai trouvées dans les nombreux essais, biographies, entretiens, catalogues, articles publiés sur et par David Hockney. je livre un portrait qui est ma vision de sa vie et de sa personne... ” : voilà comment l’écrivaine définit son projet romanesque : livrer sa vision de la vie d’un artiste . Elle complète ses propos en précisant ” j‘ai eu envie de transformer une matière documentaire qui laissait le lecteur à l’extérieur en un récit qui éclairerait son trajet de l’intérieur en s’en tenant aux questions essentielles , celles qui nouent l’amour, la création, la vie et la mort. “
Que raconte en fait le roman ? il tente de pénétrer les secrets de la création et d’expliquer à la fois la diversité des sources d’inspiration de l’artiste et l’évolution de son projet artistique. Ce qui peut, en effet, étonner un néophyte, qui découvre les toiles et les dessins de Hockney, c’est leur éclectisme. L’autrice emploie d’ailleurs le terme puzzle pour faire référence à cet art d’emboîter des morceaux afin de former une image complexe, lisible et identifiable, à partir de fragments épars. Tout commence , comme dans la vraie vie, par l’enfance et les portraits de famille : le père Ken, auquel il n’osera jamais avouer son homosexualité et qu’il considérait comme un véritable artiste ; son enfance à Bradford dans le Yorkshire, son départ au Collège royal de Londres à l’âge de 20 ans , ses premières rencontres artistiques :le pop art, Picasso et le départ pour New York à 24 ans avec 300 livres en poche. Le MOMA lui achète des toiles et il rentre à Londres transformé : teint en blond et vêtu d’un costume blanc , avec en prime la proposition d’un jeune marchand d’art de s’occuper de ses intérêts et de ses expositions.
Quelques années plus tard, il découvre la Californie et la peinture acrylique et ce sera une révélation : Los Angeles le fascine et il rencontre un jeune homme qui va beaucoup compter pour lui : Peter avec lequel il emménage rapidement et qui devient son modèle pour une série de tableaux et de portraits . Il suit le conseil de son ami du collège royal qui lui avait suggéré , au début de sa carrière : peins ce qui compte pour toi . Commence alors un série de rétrospectives de son oeuvre : célèbre , il vit de son art et vend des toiles dans le monde entier. Mais Peter le quitte et il se réfugie dans le travail en composant une toile en hommage à leur amour : il part alors vivre à Paris pour tenter d’échapper au chagrin qui le mine. Il a presque 40 ans.
David a beaucoup réfléchi à la nature de son talent : il pense avoir reçu un don , une manière de voir le monde qu’il symbolisera dans une toile intitulée L’autoportrait à la guitare bleue ” La guitare bleue symbolisait le talent de l’artiste , qui ne pouvait pas jouer les choses comme elles sont parce qu’elles n’existaient pas en soi mais simplement dans la représentation” ; L ‘artiste décide alors d’assumer son statut d’artiste figuratif ; Il déclare à la télévision “qu’un tableau devait avoir un sujet, représenter quelque chose et que;l’art doit s’adresser à tous; Il reproche ainsi à l’art abstrait de s’adresser uniquement à une élite intellectuelle. En 1976 il publie son autobiographie ” My early Years ” dans laquelle il montre comment sont nées certaines de ses oeuvres et quelles furent ses sources d’inspiration . Il décide alors de retourner vivre en Californie et fabrique une série de piscines en papier en expérimentant une nouvelle technique d’impression de la couleur directement dans la pulpe du papier. Ce fut un succès international mais la mort brutale de son père le rend amer et lui rappelle que tout peut s’arrêter du jour au lendemain; il retrouve une urgence de peindre et entend bien réaliser une oeuvre durable, passer à la postérité pour ses tableaux. Il a l’idée de peindre non plus d’après la réalité ou de simples photos mais de mémoire en inscrivant sur la toile différents angles de vue , en mélangeant les échelles et en utilisant le collage ; Sa peinture photographique comme il l’appelle , lui donne à nouveau le plaisir de créer ;
Cependant de nouvelles ombres passent sur sa vie: la mort de son neveu Byron, le SIDA qui touche bon nombre de ses amis et la nouvelle perte de son inspiration et de son énergie créatrice . “A 46 ans , il se sentait vieux pour la première fois “: il inspectait chaque jour son corps et même son dos dans le miroir , terrifié de voir apparaître la petite tache noire qui serait le premier signe du fléau;” Il découvre par hasard un livre sur les principes de la peinture chinoise et constate que dans la tradition orientale, les peintres s’affranchissent de la perspective et “pratiquent le principe du point focal changeant qui permet à l’oeil de se promener tandis que le spectateur flâne en imagination dans le paysage ” Il se lance alors dans de vastes tableaux notamment la visite à Mo et Lisa avec un point focal changeant . Et David vieillit , rentre en Angleterre et se met à peindre les arbres à l’aquarelle; Il se met aussi à filmer les transformations des paysages avec des caméras installées sur sa voiture et sort chaque jour peindre le long des vastes plages de la Mer du Nord. Après la mort de Dom, son dernier assistant , il se remet à peindre des portraits :
” les portraits après les paysages. Le printemps après l’hiver. La main après la technologie. L’huile après l’aquarelle. la couleur après le fusain. La Californie après l’Angleterre. La joie après la tragédie. L’aube après la nuit. La création après le vide. Et ainsi de suite; Tout fonctionnait en alternance. Il n’y avait pas de réponse aux questions inutiles. Juste des cycles. la vie n’était pas une route droite avec une perspective linéaire. Sinueuse, elle s’arrêtait, repartait, retournait en arrière puis bondissait en avant. le hasard, la tragédie faisaient partie du grand dessin . ” L’artiste était le prêtre de l’univers. L’enfant dès qu’il savait tenir un crayon , faisait une marque; depuis le début des temps, l’homme tentait d’exprimer en deux dimensions son émerveillement devant un monde en trois dimensions. Ce n’était pas près de s’arrêter ”
Ce que j’ai aimé : découvrir les tableaux au moment où je découvrais la vie du peintre , le portrait d’un artiste hors du commun mu par une énergie créatrice qui ne cesse de se renouveler ..