On n’est pas sérieux quand on a 17 ans . et pourtant …. le récit commence un dimanche de décembre par une scène familiale et une plongée dans le passé du narrateur qui se définit comme “ Eternel gamin inquiet d’être oublié à la sortie de l’école ” A la fin du repas , la mère, âgée de 75 ans, avoue un secret à ses trois fils réunis : elle a abandonné une petite fille à la naissance ; Retour sur le parcours douloureux de cette fille-mère comme on disait à l’époque; Amoureuse d’un jeune étudiant juif , elle doit d’abord partir seule à Nice chez une cousine, dans un village isolé, afin de mettre au monde son premier fils . Lorsqu’elle est à nouveau enceinte, sa famille la force à abandonner l’enfant, une petite fille cette fois, à la naissance et elle se souvient du regard de sa mère ” un bloc de glace n’aurait pas été plus froid ni un couteau plus coupant ” p 22 . Bouleversé par cette révélation,le narrateur décide alors de partir à Nice sur les traces de cette jeune adolescente venue le mettre au monde ;
Il revient, en même temps, sur son enfance et en retrace les épisodes les plus marquants : notamment son adoption officielle ,à 10 ans, par le père de ses deux jeunes frères . “J’essayais de recoller nos vies , Jusqu’ici à ce jeu là, je m’étais toujours blessé ou découragé. Comme dans un puzzle où il aurait sans cesse manqué une pièce majeure permettant de lire l’image complète et de la comprendre .” Force est de constater que le narrateur ressent les chose “de façon assourdie et lointaine ” et semble souffrir d’une forme d’anesthésie des émotions ;” J’avais en moi une statue de pierre qu’il faudrait déboulonner “ Comme si une force mystérieuse avait dissous son amour pur sa mère .. Le lecteur, du coup, se sent lui aussi étrangement mal à l’aise avec cet autre étranger qui comme le personnage inventé par Camus 20 ans avant sa naissance , n’exprime aucune émotion.
Sur place , sur les lieux de sa naissance, il espère rencontrer la figure de sa mère adolescente et retrouver cet amour : “je voulais exhumer cette gamine de 17 ans ” “rembobiner le temps ” . Le projet narratif est clairement posé et la suite du récit présente une alternance entre passé et présent ; le second père,Michel de Tunis remplace Moshé ; Le narrateur tourne autour de sa naissance ” comme une bête en cage “ p 62 . Les jugements du personnage se portent alors sur les mentalités de cette France des années 60 dans laquelle des jeunes filles , traitées de pécheresses , accouchent en secret , dans des couvents et l’Eglise se charge alors de placer les enfants de ces mères “fautives ” dans des familles d’accueil où d’autres jeunes filles font semblant d’être enceintes afin que personne ne se doute du mensonge ;
Le portrait de la grand- mère est l’un des plus cruels : elle est présentée comme un dragon religieux qui traite sa fille de “ Marie couche toi là” . “Le virus de l’amour est une sale maladie quand on n’a pas la bague au doigt “, note le narrateur pour nous plonger dans l’ambiance de l’époque. A Nice ,il trouve asile dans une drôle de pension de famille et rencontre des gens qui ont bien connu sa mère ou qui connaissent bien les malheurs des hommes ; Un pédopsychiatre qui soigne les maux des enfants va l’aider à voir plus clair en lui et à comprendre sa douleur muette “je sui né avec un chagrin d’enfant . Un gros sanglot coincé au fond de la gorge “ Il entend au fond de lui un cri vieux de plus de 50 ans ; D’où vient ce cri déchirant ? L’autobiographie prend des allures d’enquête intime et préfigure une seconde naissance, une renaissance. Ce cri est -il en lui ou l’a t-il entendu pousser par sa mère ? A son tour , il fait souffrir et il repense à son silence quand il l’a traitée de ” sale pute ” à 13 ans .. Il avait écrit ses mots accusateurs de sa plus belle écriture . Elle a juste quitté sa chambre en baissant les yeux.
Peu à peu des lambeaux de leur vie sont dévoilés au fil des rencontres avec Betty, l’amie antiquaire , et une nouvelle histoire s’écrit : ce cri devient celui d’une jeune mère à qui on arrache son fils nouveau-né pour le placer , contre son gré chez une nourrice où il restera durant de longs mois, seul , dans une détresse infinie., les bras entravés pour ne pas se lacérer le visage avec ses petits ongles. Elle décidera alors de venir le voler et imposera sa présence au domicile maternel avant d’aller s’installer dans une cité ouvrière , non loin de là “des morceaux de cauchemar se mettent en place; ma crainte que tu me rendes quand je ne suis pas sage ; ” Tu me manques depuis toute la vie ” ( p 184 ) : aveu terrible d’un enfant abandonné !
A la lumière de ce qui lui est révélé, le narrateur relit son enfance et se souvient de certains épisodes qui lui font honte : à 17 ans, il a lui aussi ..fait souffrir ses parents. Commence alors pour la mère et le fils un dernier voyage sur les traces de leur histoire commune , vers la maison du grand-père maternel, celui qui a abandonné sa famille. ” Tu ne trouves aucun signe que tu as existé dans sa vie “ . C’est l’histoire et la parole de la mère qui prennent alors le relais .Le couple reformé, mère-fils part ensuite à Nice, là où pour eux , tout a commencé . Et il faut bien finir l’histoire “notre fin était inscrite ici depuis toujours , puisque tout avait commencé dans ce décor , dans un jour bleu. Je pense à nous petite maman.Notre amour s’est cassé comme une ampoule. Tout s’est éteint brusquement. Tu ne m’aimais jamais assez puisque je t’aimais toujours trop.”
Ce que j’ai aimé :l’intelligence du propos et le travail de réflexion autour du dit et du non- dit notamment dans la conservation des souvenirs et des perceptions chez les nouveaux-nés , les allers et retours entre le passé de la mère et la construction des souvenirs du fils , les propos autour de l’abandon
Ce qui m’a moins plu : la formulation souvent recherchée des idées ne laisse pas toujours l’émotion se former ; le sujet a été fréquemment abordé ces dernières années et il est difficile de ne pas établir de comparaisons avec d’autres oeuvres autobiographiques dans lesquelles l’écrivain part à la recherche des souvenirs de sa naissance;