30. octobre 2020 · Commentaires fermés sur Un discours éloquent : guerre ou paix en Irak ? · Catégories: Spécialité : HLP Première · Tags:

Ce discours a été prononcé le 14 février 2003  par celui qui occupait alors le poste de ministre des Affaires Etrangères  du gouvernement français, Monsieur Dominique de Villepin.  Son allocution  se déroule au siège de l’ONU, à New-York, au coeur  de la crise irakienne. Rappelons les faits et le contexte . Les Etats-Unis soupçonnent l’IRAK de posséder des armes chimiques et d’avoir poursuivi, en secret, leurs recherches afin de mettre au point un arsenal nucléaire.La menace d’une guerre est imminente et la France tente de trouver une solution pacifique afin d’éviter une escalade dans les tensions internationales . Le plaidoyer du représentant français contre la guerre  est un modèle d’éloquence. Analysons -en quelques extraits .

L’orateur cherche à privilégier la voie diplomatique en adaptant, dans son discours, ses arguments , à son principal destinataire : les Etats-Unis . Tout d’abord, il affirme avec le “nous”  la solidarité des Européens contre le terrorisme . Les Américains utilisent essentiellement la peur du terrorisme afin de justifier une invasion de l’Irak . L’orateur rappelle d’ailleurs la tragédie du 11 septembre qui a endeuillé l’Amérique ; cette illustration des dangers du terrorisme vise à développer une forme d’empathie avec l’Amérique victime de ces attentats meurtriers . Il évoque ensuite les attentats perpétrés sur le sol français et dénonce avec l’image du “terrible fléau ” les attentats terroristes . Le fléau est une arme ancestrale qui, au sens figuré, met en évidence le caractère néfaste, nuisible d’une action . La solidarité avec le combat des Etats-Unis est rappelée à deux reprises, en fin de période, avec les adverbes tous et ensemble . Le second paragraphe marque , cependant, une prise de distance avec la position belliciste des Etats-Unis ; En effet, le tribun réfute l’existence d’un lien  avéré entre les organisations terroristes et le gouvernement irakien; Il utilise un argument rationnel: l’absence de preuve qui résulte de l’enquête internationale diligentée par l’ONU. il désavoue ainsi publiquement le secrétaire d’Etat américain qui a affirmé l’existence de tels liens .

L’orateur emploie le terme supposés pour bien montrer qu’il prend ses distances avec le caractère véridique d’une telle accusation. Il rappelle que l’action militaire envisagée par les Etats-Unis est “contestée” : elle ne fait donc pas l’unanimité parmi les membres des 193 nations qui siègent au conseil de sécurité des Nations -Unies. Le secrétaire général Ban Ki-Moon fera état des débats qui agitent l’ONU. Dominique de Villepin pose alors une question rhétorique afin de faire entendre ses craintes : ” une telle intervention ne risquerait-elle pas d’aggraver les fractures entre les sociétés, entre les cultures, entre les peuples, fractures dont se nourrit le terrorisme ? ” Le mode conditionnel a valeur ici d’un fait potentiel ( qui peut arriver dans le futur ) et redouté ; Il exprime ici la crainte, avec la forme interro-négative,  des conséquences d’une intervention militaire en Iran . La gradation finale :  sociétés,cultures, peuples, montre que les dommages concerneront un vaste public et que l’effet obtenu sera une aggravation des tensions entre Orient et Occident . Le terme fracture  connote la blessure mais également la rupture, la cassure .

L’avant-dernier paragraphe atténue le désaccord en évoquant, grâce au subjonctif, la possibilité d’une guerre future : ” nous n’excluons pas la possibilité qu’un jour il faille recourir à la force.” Le subjonctif présente l’action comme envisageable dans le futur mais non souhaitée. Les réserves de l’orateur apparaissent donc à travers l’emploi de ce mode; la guerre est comme tenue à distance, rejetée dans un espace lointain  et surtout soumise à une condition : celle de l’impossibilité de continuer les inspections . Le  conditionnel montre que les faits sont seulement envisagés mais non réels ; On nomme cette valeur modale un irréel car le fait est seulement envisagé par l’esprit : c’est une sorte de scénario imaginaire : le conseil devrait se prononcer, ses membres auraient à prendre leurs responsabilités .”

Les questions rhétoriques ont pour but de soulever les problèmes engendrés par une politique belliciste : “comment faire en sorte que les risques puissent être réellement maîtrisés ?  Le mode subjonctif exprime ici le doute sur la réalisation de l’action : Villepin insinue  fortement qu’il sera impossible de le faire et que les risques  encourus par le déclenchement  d’une guerre sont très importants. Il réaffirme ensuite le rôle crucial de l’ONU ” au coeur de la paix à construire “  et qui ne doit pas se laisser tenter par le recours  ” à de la précipitation , de l’incompréhension,  de la suspicion ou de la peur ” Cette nouvelle  énumération vise à convaincre les membres de l’ONU, avant le vote, de prendre la bonne décision et d’attendre donc, les conclusions de l’enquête internationale  qui n’a pas réussi , pour le moment, à prouver l’existence d’armes interdites . Il s’agit avant tout de gagner du temps, de se montrer convaincant en avançant des arguments rationnels et logiques . A noter que le gouvernement agira contre les résolutions de l’ONU et lancera une attaque contre l’Irak en mars 2003 qui aboutira à la destitution de Saddam Hussein  à la mort de ses fils et à l’occupation du pays par l’armée américaine. L’Irak sera ensuite placé sous l’autorité d’une coalition et d’un administrateur américain  jusqu’en 2005. et le dictateur , au terme d’un procès retransmis dans le monde entier, sera  condamné à mort par pendaison.

La péroraison du discours du ministre des Affaires étrangères donne de la France, l’image d’une nation expérimentée “ gardiens d’un idéal , gardiens d’une conscience ” ; Ces deux périphrases qui font image sont laudatives . L’orateur recourt à des arguments éthiques ; Il se veut le représentant d’une forme de sagesse ; L’adjectif “vieux” employé dans l’expression ” vieux pays ” possède des connotations laudatives; Les Etats-Unis devraient, selon, lui, se fier à l’expérience d’une Nation qui a connu “les guerres, l’occupation, la barbarie” . Cette référence historique ,plus particulièrement à la seconde guerre Mondiale dont les principaux champs de bataille se sont situés sur le sol européen, a pour but de prouver que l’orateur sait de quoi il parle et sans doute aussi, de réveiller les images encore présentes , des horreurs de cette guerre qui fit six millions de victimes. La prosopopée finale transforme le tribun en orateur sacré; il parle au nom d’un Pays tout entier dont il est le représentant officiel.  Ce réseau métaphorique prolonge la périphrase du paragraphe précédent qui assimilait , par métonymie, le siège de l’ONU à un “temple”. Cette référence antique donne un caractère solennel à la parole publique et politique . Il en profite également pour rappeler que les Américains furent les libérateurs de l’Europe et  que nous leur devons donc beaucoup mais que ce n’est pas une raison suffisante pour accepter de les soutenir dans cette croisade contre le dictateur irakien .

Les dernières paroles de l’orateur mentionnent les “combattants de la liberté ” venus d’Amérique et d’ailleurs ” ; Cette précision semble indiquer que les Etats-Unis ne sont pas seuls au monde et ne peuvent donc pas imposer unilatéralement leur volonté ; Dans cette guerre victorieuse contre l’Irak, ils furent aidés militairement par l’Angleterre, l’Espagne et le Canada mais la France refusa une collaboration militaire et n’envoya pas de troupes en Irak. Dominique de Villepin réaffirme , ici, avec force et conviction la position française et défend  les valeurs d’un pays ” qui n’a cessé de se tenir debout face à l’Histoire et devant les hommes “ Cette personnification qu’on nomme également une allégorie , est un moyen de faire entendre publiquement qu’il ne cède pas à la pression américaine mais que son pays entend lutter à sa manière contre la menace terroriste . La touche finale fait apparaître une note d’espoir en projetant un avenir radieux qui peut sembler utopiqueconstruire ensemble un monde meilleur “ . Contre une vision  à court terme , l’orateur montre ici une véritable hauteur de vues et défend le maintien de la paix au Moyen-Orient. L’image de la France, Nation sage et combattante quand il le faut , est utilisée comme argument d’autorité par le ministre.

Travaux pratiques : organiser un débat sur le hème existe-t-il des guerres plus justes que d’autres ? 

Faire la guerre est représenté ici comme une tentation en représailles contre les attentats du 11 septembre mais  dont les conséquences seraient funestes pour l’ensemble du monde occidental. Ce discours  nous amène à réfléchir sur ce qui peut justifier une guerre dans la sphère politique . Certaines guerres paraissent-elles plus justes que d’autres et au nom de quelles valeurs ? Quels sont les principaux  arguments des défenseurs de la Paix ? Au nom de quoi fait-on la guerre ? Prenez des exemples concrets et préparez une intervention orale sur le sujet en classe . Quelques idées d’organisation pour votre exposé qui durera environ 5 minutes . 

a) présenter le contexte,  les causes du  conflit , les forces en présence, les enjeux 

b) expliquez les arguments des deux camps ( les partisans de la guerre et les opposants )

c) montrez rapidement les conséquences de la guerre en termes humains et politiques

 A vous d’argumenter : A votre avis, cette guerre aurait-elle pu être évitée et comment ?

 

POINT GRAMMAIRE

Les valeurs du conditionnel

- Dans l’hypothèse ou la condition,

  • le conditionnel présent exprime le potentiel (l’hypothèse est envisagée comme encore réalisable) ou l’irréel du présent  (l’hypothèse est écartée ou douteuse ).
    Ces deux valeurs sont possibles après les subordonnées introduites par si + imparfait de l’indicatif, et la différence entre les deux dépend du contexte. Comparer :
    Si tu te pressais un peu, nous pourrions encore arriver à l’heure —> potentiel
    Si tu faisais des d’efforts, tu réussirais —> irréel du présent (le sous-entendu est justement que tu ne réussis pas)
  • le conditionnel passé exprime l’irréel du passé (l’hypothèse ne s’est pas réalisée dans le passé). C’est le cas en présence de la subordonnée si + plus-que-parfait de l’indicatif
    Si tu avais fait des d’efforts, tu aurais réussi (mais tu n’as pas fait d’effort et tu n’as pas réussi)
Retenir
si + imparfait conditionnel présent valeur : potentiel ou irréel du présent
si + plus-que-parfait conditionnel passé valeur : irréel du passé

- L’information non vérifiée, ou douteuse. C’est l’emploi qu’en font souvent les médias quand ils délivrent une information qui n’a pas encore été établie avec certitude. Selon nos informations, le prix du gaz devrait augmenter de 2% l’année prochaine.
- Le fait imaginaire. C’est la valeur par exemple qu’utilisent les enfants pour inventer des scénarios : Je serais le bandit et toi tu serais le shérif, et tu chercherais à m’attraper. Il peut aussi s’agir d’exprimer un souhait (J’aimerais vivre à Tahiti) ou un regret (J’aurais tant aimé apprendre le latin.)
- L’atténuation, en particulier de politesse. M’accorderiez-vous cette danse ?
- L’étonnement ou l’indignation : Moi, j’aurais volé dans la caisse ? Vous m’insultez !

Les valeurs du mode subjonctif

Contrairement à l’indicatif qui présente le fait rapporté par le verbe comme appartenant à la réalité (on dit qu’il est actuel), le subjonctif correspond généralement à des faits envisagés par l’imagination (on dit que le subjonctif est un mode virtuel).

Comparer :
- Je constate qu’il est là —> Indicatif : le fait appartient à la réalité.
- Je voudrais qu’il soit là —> Subjonctif : le fait est imaginaire, virtuel. Il n’est pas là

Pour exprimer dans une proposition indépendante dans une proposition subordonnée complétive
une volonté pour compléter l’impératif à la troisième personne :
- ordre ou défense : Qu’il sorte ! Qu’il n’y touche pas !
- souhait : Que l’année soit bonne pour vous et que tous vos vœux s’accomplissent.
de verbes (et expressions) qui expriment
- ce qu’on veut – volonté ou souhait : vouloir, souhaiter, désirer, attendre, exiger, demander, ordonner… que  : J’attends que vous soyez à l’heure
- ou ce qu’on ne veut pas – désir négatif : empêcher, prendre garde, interdire que…  : Prenez garde qu’il ne vous suive.
une obligation / interdiction après : il faut, il est nécessaire / obligatoire / exclu que.. : Il faut qu’il vienne tout de suite. C’est un cas particulier de volonté, où on ne précise pas qui ordonne ou interdit
une éventualité : ce qui a des chances d’arriver après : il se peut, il arrive, il est possible que…  : Il se peut qu’il pleuveAprès les verbes d’apparence (il semble, il paraît que…), l’indicatif est aussi possible : Il semble qu’il est/soit élu.
un doute : ce qui a peu de chances, ou pas de chance du tout d’arriver après douter que , il est impossible/improbable, peu vraisemblable.. que. Après les verbes de jugement (croire, penser, estimer, considérer…) à la forme négative ou interrogative, l’indicatif est aussi possible : : Je ne crois pas qu’il en est/soit capable. Crois-tu qu’il peut/puisse le faire ?
un sentiment une idée rejetée :
- exclamation : Moi Héron, que je fasse une si pauvre chère ! (La Fontaine)
- interrogation : Que je mette cette robe ? Tu veux rire ?
après : être heureux, déplorer, détester, se réjouir, aimer, préférer, s’étonner, craindre, redouter, avoir peur, il est dommage / regrettable / souhaitable / bénéfique que… : Je m’étonne qu’on lui fasse encore confiance. Je crains qu’il ne se soit fait mal.