09. novembre 2020 · Commentaires fermés sur Thérèse Desqueyroux de François Mauriac : une héroïne tourmentée · Catégories: Seconde · Tags: ,

Le personnage central de Thérèse Desqueyroux a été inspiré à l’auteur après la lecture de plusieurs faits divers qui relataient des affaires d’empoisonnement; le poison est , en effet, souvent  considéré comme une arme féminine et de nombreuses histoires d’empoisonneuses célèbres , ont pu également lui servir de sources d’inspiration. L’objectif de l’écrivain est de montrer à quel point la bourgeoisie provinciale des années 20 est un milieu étouffant dans lequel les désirs individuels peuvent rarement s’épanouir. Thérèse devient ainsi une sorte de symbole de l’emprisonnement de  la liberté individuelle : une femme soumise aux intérêts de sa famille et prisonnière de la morale et de la société; Elle étouffe derrière les barreaux invisibles de sa maison et va tenter de se libérer.

Le récit s’ouvre sur une déclaration de Mauriac adressée à son héroïne : ” Thérèse beaucoup diront que tu n’existes pas. mais je sais que tu existes, moi qui depuis des années , t’épie et souvent t’arrête au passage , te démasque. “  A la fin de sa déclaration liminaire, l’écrivain se désole de devoir abandonner sa créature imaginaire ; Il espère qu’elle ne restera pas seule .. Le roman retrace le parcours de cette jeune femme : de son enfance, en passant par son mariage avec Bernard, la naissance de sa fille et son départ pour Paris . Commençons la lecture par le premier chapitre .  Elle sort du tribunal où un non lieu vient d’être prononcé : elle va pouvoir rentrer chez elle , retrouver son mari qu’elle vient pourtant  de tenter d’empoisonner . La jeune femme aurait préférerait demeurer chez son père, qui ne se montre pourtant pas très tendre avec elle, mais il le lui interdit; Pour étouffer le scandale et les rumeurs qui vont bon train dans cette petite ville ,il faut que rien ne change ; ( chap 1 )

Au cours du trajet qui la ramène à Argelouse, en voiture, en train et ensuite en carriole, Thérèse se remémore les principaux événements de son enfance à son mariage; Elle cherche à comprendre les raisons qui l’ont poussée à agir ainsi et à tenter d’empoisonner un homme qu’elle a pourtant souhaité épouser; le narrateur nous plonge donc dans le passé de l’héroïne : son amitié avec Anne de La Trave, les étés brûlants, les préparatifs du mariage et le jour des noces ( chap 4 ) .Entrons plus en détails dans les méandres des pensées du personnage .


Le premier chapitre raconte la sortie du tribunal : l’écrivain a choisi en commencer son histoire par le milieu et ensuite de nous plonger dans le passé de l’héroine ; Nous savons qu’elle est accusée d’avoir voulu empoisonner son époux et nous allons tenter de comprendre pourquoi. d’emblée Thérèse apparaît comme mal à l’aise ; Son visage est blême . Avec son père les rapport sont difficiles: Il ne lui adresse pas la parole et semble beaucoup lui en vouloir.Il s’inquiète que cette accusation salisse la réputation de la famille. Il semble davantage préoccupé par son honneur que par sa fille ;  Son portrait physique met en évidence sa méchanceté  ” une voix de fausset ,  un visage sali de bile ” Le portrait de la jeune femme  la représente comme “un être menacé d’étouffement “ ; Son père es montre misogyne dans ses propos : toutes des hystériques quand elles ne sont pas des idiotes  “pense-t-il . Thèrèse appréhende fortement de se retrouver dans cette maison perdue d’Argelouse, seule , au milieu de la forêt avec ce mari qu’elle a presque laissé mourir. Sa seule joie c’est de retrouver sa petite fille Marie. 

Le second chapitre nous décrit les pensées du personnage pendant son  voyage jusqu’à la maison ; elle se sent condamnée à la solitude éternelle ( p 32 ) . Elle sait qu’elle a été démasquée même si Bernard a fait un faux témoignage pour la sauver ; Elle se prépare à tout lui révéler , à se confesser à lui pour obtenir le salut mais “que lui dirait-elle ? par quel aveu commencer ? elle ne sait pas comment expliquer ce qui l’a poussé à agir cette puissance forcenée en moi et hors de moi “  En fait , Thérèse ne parvient pas à rendre ce drame intelligible  “où est le commencement de nos actes ? notre destin quand nous voulons l’isoler ressemble à ces plantes qu’il est impossible d’arracher avec toutes leurs racines ” ( 37 ) Alors elle tente de remonter jusqu’à son enfance ” de la neige à la source du fleuve le plus sali ” Elle ne pense qu’à cette ” ineffaçable salissure des noces “et elle songe , avec nostalgie à son amitié avec Anne de la Trave. Aujourd’hui elle se sent une femme perdue alors qu’elle était autrefois un jeune être radieux .

Le troisième chapitre dessine la jeunesse de Thérèse : orpheline de mère, elle passait ces été dans la maison d’Argelouse, au milieu des pins . Elle est destinée d’emblée à épouser son voisin Bernard Desqueyroux afin que les intérêts de leurs deux familles convergent . Le portrait de Bernard le révèle comme un homme juste ” moins curieux des jeunes filles que du lièvre qu’il forçait dans la lande “ L’écrivain revient , toujours dans les pensées du personnage, sur les véritables raison de ce mariage : “les deux mille hectares ” de pins, ; Peut être cherchait -elle moins dans le mariage une domination, une possession qu’un refuge “. La jeune femme se sent alors en paix mais c’est en fait une période d'”engourdissement de ce reptile dans son sein ” 

Le quatrième chapitre raconte la noce : un jour étouffant  qui signe sa perte .Elle entre dans une cage et entend le fracas de la lourde porte se refermer. Elle cherche à   ne pas se trahir  et à ne pas montrer à son mari qu’il la dégoûte ” il était enfermé dans son plaisir comme ces jeunes porcs charmants qu’il est drôle de regarder à travers la grille lorsqu’ils reniflent de bonheur devant une auge ” Le désir transforme l’être qui nous approche en un monstre qui ne lui ressemble pas..moi je faisais la morte..les dents serrées, froide . Alors qu’ils sont à Paris, ils reçoivent des lettres où Anne , la demi- soeur de Bernard et l’amie de Thérèse, leur annonce qu’elle est amoureuse de Jean Azévédo et qu’elle n’épousera que lui ; Thérèse alors se sent trahie ; Pendant qu’ils déjeunent au restaurant sur le chemin du retour, elle songe pour la première fois qu’elle désire être seule pour  “penser à sa souffrance .. pour que son esprit se fixe librement sur ce désespoir mystérieux .” Elle rêve alors que Bernard disparaisse. Durant cette conversation au restaurant, elle considère leurs familles comme ” une cage aux barreaux innombrables et vivants, cette cage tapissée d’oreilles et d’yeux, où immobile, accroupie, le menton aux genoux, les bras entourant ses jambes, elle attendrait de mourir. ” ( p 60 ) Ce soir là elle repousse son mari et rêve de le “précipiter hors du lit, dans les ténèbres ” ( p 60 )

Les chapitres V et VI retracent le départ d’Anne et la rencontre entre Jean et Thérèse : ce dernier n’est pas du tout amoureux d’Anne ; Il l’a juste séduite pour le plaisir et apparaît comme un libre-penseur; Pendant ce temps, Bernard va consulter un médecin car il se sent malade du coeur, comme tous ceux de sa famille, et a peur de mourir . Thérèse continue à se pencher “sur cette route tortueuse” , sonde sa propre énigme et ressuscite son passé qu’elle scrute pour y trouver les germes de ses actes . Au fur et à mesure qu’il découvre l’enquête intérieure du personnage, le lecteur lui aussi, se fait sa propre idée . Thérèse fait semblant de consoler Anne et tente de lui faire accepter l’idée de partir en voyage avec se parents; Elle écoute la jeune femme lui parler de son amour pour Jean Azévédo et réalise alors qu’elle même ne connaîtra; sans doute, jamais  un tel amour. Anne es confie à elle et lui fait part de ses projets de s’échapper dès qu’elle reviendra de Biarritz, pour aller rejoindre Jean ; “je passerai à travers les murailles “ dit-elle . Thérèse , comparée à une “guêpe sombre ” sent pour la première fois son enfant bouger dans son ventre et elle réalise alors qu’elle a peur de “ce fardeau tressaillant “. Elle “aurait voulu connaître un Dieu pour obtenir de lui que cette créature inconnue, toute mêlée encore à ses entrailles , ne se manifestât jamais “ Bernard commence à se plaindre d’un mal dont il souffre , une sorte de fêlure qui lui ôte l’appétit et lui fait craindre la mort. Thérèse supporte de moins en moins cet homme “geignard “ à ses yeux et ne tente pas vraiment de le rassurer. Un jour, alors que Bernard est parti se faire examiner par un spécialiste à Bordeaux, Thérèse rencontre Jean dans une palombière où elle avait l’habitude de venir es réfugier avec Anne, pour échapper au feu du soleil. Immédiatement la jeune femme comprend à quel point cet homme est différent de ceux qu’elle connaît : il lui livre ses pensées intimes alors que dans la bourgeoisie provinciale, chacun garde le silence sur sa vie intérieure. Séduite par son esprit, elle lui propose de le revoir afin d’évoquer le plan de conduite à tenir pour Anne.

Le chapitre VII retrace les entrevues entre Jean et Thérèse. Il lui parle de Paris comme d’un endroit merveilleux où chacun peut être lui-même alors qu’ici  “vous êtes condamnée au mensonge jusqu’à la mort ” explique-t-il à Thérèse. A son départ, elle se sent encore plus seule qu’auparavant.   Elle repense alors à ce soir d’octobre où Anne débarque en pleine nuit à Argelouse après avoir reçu la lettre de Jean. Son frère la rudoie et l’enferme dans une chambre . Thérèse, à cet instant,  se sent elle aussi prisonnière

Avant la naissance de sa fille Marie en janvier , le personnage se considère comme un réceptacle sacré: tout le monde est aux petits soins avec elle parce qu’elle va donner à la famille un nouveau membre ; Seul, à ses yeux, semble compter le fruit de ses entrailles . “la pluie ininterrompue multipliait autour de la  sombre maison ses millions de barreaux mouvants “. Après la naissance de  la petite Marie  , Thérèse sombre dans une sorte de mélancolie; elle ne semble pas attachée à son enfant ; “ elle apercevait les êtres et les choses et son propre corps et son esprit même, ainsi qu’un mirage, une vapeur suspendue en dehors d’elle. ”  Après un printemps particulièrement  sec, un incendie se déclare à Mano, pas très loin d’Argelouse et Bernard, sous le coup de la nouvelle,  sans s’en rendre compte , double sa dose de gouttes de Fowler .” Elle s’est tue par paresse, sans doute par fatigue” ; Cette nuit là Bernard est très malade et lorsque le médecin arrive à son chevet, elle ne dit rien de ce qu’elle avait vu ; Pourquoi ? cette question ne cesse de la hanter ! Un jour, pour en avoir le coeur net , elle verse à l’insu de son mari, des gouttes de Fowler dans son verre : elle est alors “aspirée par le crime ” selon le narrateur .

Elle continue à l’empoisonner et le médecin et le pharmacien réalisent alors qu’elle a falsifié les ordonnances et comprennent qu’elle est en train d’empoisonner son époux qu’ils éloignent d’elle rapidement. Bernard se remet et Thérèse demeurée seule dans la maison se sent traquée: “elle percevait autour d’elle une immense rumeur; bête tapie qui entend se rapprocher la meute; accablée comme après une coures forcenée”

Le chapitre IX montre l’arrivée de Thérèse et ses retrouvailles avec son mari :  elle le supplie  aussitôt de la laisser disparaître ; Elle est résolue à s’enfoncer dans la nuit, la forêt et les ténèbres . Bernard lit les ordres de la famille : elle est séquestrée dans sa chambre, devra prendre ses repas à part ; On lui retire sa fille qui part dans le midi avec se beaux-parents . Après le mariage d’Anne avec Deguilhem, Bernard la quittera et on la déclarera folle ; Elle restera alors seule pour le restant de ses jours . Bernard se sent fort et pense avoir écarté un monstre . Il garde dans un coffre secret la preuve de la culpabilité de sa femme au cas où elle chercherait à fuir. Elle devrait ainsi rendre des comptes à la justice.

Après la mort de tante Clara , Thérèse a l’impression d’être un taureau dans une arène . Elle dépérit très vite et fume cigarette sur cigarette, cesse de s’alimenter et de se laver. Elle rêve d’une vie à Paris où elle irait rejoindre Jean et ses amis écrivains . Elle ne parle plus, perd le sens des réalités et s’enferme dans ses pensées ; Elle se fait du mal et sa douleur devient ainsi son occupation et qui sait, ” sa raison d’être au monde ” . Lorsque Bernard revient afin de la présenter au fiancé d’Anne, il comprend qu’il a commis une erreur : Thérèse est méconnaissable : ” corps détruit, petite figure blanche et fardée, exsangue, décharnée  “ Alors que pour Thérèse , “les femmes de la famille aspirent à perdre toute existence individuelle “; elle au contraire ne cesse d’essayer de se trouver, de savoir qui elle est .  Elle se sent donc profondément différente. Bernard décide de lui rendre sa liberté après le mariage d’Anne avec Deguilhem : il l’emmènera à Paris et lui versera l’argent de sa propriété tous les ans . Thérèse se sent bien avec Bernard car désormais elle sait qu’elle va pouvoir partir : “Thérèse songeait que les êtres nous sont supportables dès  que nous sommes sûrs de  pouvoir les quitter .”

Le chapitre 13 constitue l’épilogue du roman. Bernard et Thérèse sont dans un célèbre  café parisien : le café de la Paix et se disent au revoir. Bernard se sent triste de la quitter même s’il ne veut pas se l’avouer et lui demande pourquoi elle l’ a empoisonné. La confession que  la jeune femme avait mis des heures à préparer, le soir de sa sortie du tribunal, lui semble alors totalement dérisoire ; Elle évoque le jour de l’incendie de Mano comme le moment  fatal où dans  ” son propre coeur ensommeillé  prenait forme lentement le crime “; Elle regrette alors de n’avoir pas eu le courage de se donner la mort, de partir une nuit dans la lande et de marcher jusqu’à l’épuisement, se coucher dans le sable et fermer les yeux . Elle lui demande une dernière fois pardon. une fois seule, elle déjeune et pense à sa nouvelle vie, à toutes les rencontres qu’elle va faire . Elle se lève et marche au hasard.