De l’importance de savoir bien parler … prolongement autour du film d’Yvan Attal
Synopsis et déroulement du film
Qui est Arthur Schopenhauer ?
Figure du pessimisme et du romantisme allemand, Arthur Schopenhauer est surtout connu pour son ouvrage principal, le Monde comme volonté et représentation.
La notion de volonté, ou de vouloir-vivre, occupe dans sa pensée une place fondamentale : il s’agit du fond de l’être, ce qui constitue toute chose, idée qui exercera une influence profonde sur Nietzsche. Qu’explique -t-il dans L’ art d’avoir toujours raison ?
L’art de la dialectique consisterait , selon Platon, à utiliser un raisonnement logique afin de gagner , par la méthode de la raison, dans une controverse, un débat intellectuel qui nous oppose à notre adversaire . Lorsque je suis impliqué dans une discussion commune, une dispute au sens philosophique, ma raison cherche à l’emporte sur celle de l’adversaire en partant du principe que ma pensée est plus légitime, meilleure que celle de mon opposant. Je dois donc être sûre de moi .
La dialectique éristique est l’art de la controverse : notre vanité nous incite à penser que notre opinion es correcte et celle de l’adversaire fausse si elle est contraire à la nôtre. La plupart des hommes sont persuadés que leurs propos sont valides mais même s’ils doutent , ils continuent à tenir leur position initiale en espérant convaincre leur public.
Aristote utilise la dialectique comme outil de recherche de la vérité mais pour Schopenhauer, il faut plutôt considérer la dialectique comme l’art d’avoir raison , au mépris de la vérité objective . C’est un art de l’escrime mental dans l’unique but d’avoir raison et de triompher de l’adversaire
Pour réfuter une thèse, il existe deux modes : le mode ad rem ou ad hominen et deux moyens : la réfutation directe ou indirecte.
Il existe de nombreux stratagèmes pour l’emporter verbalement : l’extension consiste à : reprendre la thèse adverse en l’élargissant L’homonymie et la généralisation des arguments adverses sont également efficaces.
On peut aussi cacher son jeu , postuler comme vrai ce qui n’a pas été prouvé, provoquer la colère de son adversaire pour le déstabiliser , clamer victoire malgré la défaite, utiliser des arguments absurdes .
On peut aussi retourner un argument contre l’adversaire (retorsio argumenti ) , faire diversion , recourir à l’argument d’autorité , prétendre qu’on ne comprend pas ce que dit l’adversaire , l’attaquer en étant insultant et malpoli . Tous les coups semblent donc permis.
Dans le Brio , Neïla se retrouve face à un adversaire qui prétend que l’habit ne fait pas le moine .
Donnons la parole au philosophe ..Le vêtement a été historiquement condamné. Pour Platon, le vêtement – et le luxe d’ailleurs c’est l’expression d’une certaine vanité. Ce qui est important, c’est la pensée. Sur le vêtement, il y a donc un contexte moral au départ. Quant à cette expression que “l’habit ne fait pas le moine”, elle est à rapprocher de la pensée de Saint-Thomas d’Aquin. Selon lui, on peut se cacher derrière le vêtement, on peut dissimuler son identité : le vêtement est un outil de mensonge, mais il peut aussi en dire long sur une personnalité individuelle. Ceux qui choisissent de belles étoffes et des bijoux voyants sont dans la projection d’un certain statut social – ce qui nous porte à conclure sur les priorités de l’individu en question. Lui, conclut que l’homme de religion, le moine, doit se détourner du vêtement car c’est frivole et cela dénote surtout un manque de force morale.L’être ne doit pas se dissimuler derrière la parure .Cette idée est présente dans les milieux intellectuels que la mode comme parure n’est qu’artifice et donc ne peut rien avoir à dire d’important.
Questions associées
Doit on juger quelqu’un sur son apparence ? Qui est-on réellement ? Comment notre identité sociale construit-elle ? Ce qu’on porte indique -t-il ce que nous sommes ?
Doit on adopter les codes dominants dans certains milieux pour s’y faire accepter ? Doit on suivre la mode ou s’en détacher ? Que cherche-t-on à montrer de soi ?
Le film nous fait réfléchir à la manière dont l’apparence du personnage principal renvoie à une partie de son identité de « jeune immigrée issue des banlieues » . Le port de certains vêtements peut être un indicateur d’appartenance à une classe sociale ou à une élite . Le coût de certains accessoires les rend inaccessibles à beaucoup mais la mode s’empare des codes, les détourne et les revisite. La rue influence les créateurs même si certains vêtements demeurent iconiques . Porter un blouson en cuir ou une mini- jupe ou un polo Lacoste ou une paire de converse n’a plus le même sens aujourd’hui que dans les années 60 ; Chaque époque réinvente de nouvelles manières de « porter l’habit »
Analysons maintenant un extrait du discours de Neïla à propos de l’amour qui rendrait heureux . La thèse peut sembler en partie paradoxale car on associe souvent l’amour aux peines de coeur, aux chagrins amoureux, à la douleur de la perte et de la séparation mais voilà comment l’oratrice soutient cette thèse .
“L ‘amour rend-il heureux ? L’amour ? Mais quel amour ? L’amour des autres ? L’amour de soi ? Et puis quel bonheur ?
Le dicton populaire ne nous dit-il pas que l’on peut vivre d’amour et d’eau fraiche ? Et puis c’est quoi être amoureux ? Roland Barthes disait que l’on pouvait mesurer son amour à son attente. Oui… Je suis amoureuse… Puisque j’attends. L’autre, lui, le corsaire l’aventurier, l’alpiniste, n’attend jamais. Il escalade le Kilimandjaro, il sillonne les mers du Sud. C’est insupportable.
Alors, parfois, quand on est amoureux, on s’essaie à l’impudence. Je vais arriver en retard ! Ça lui fera les pieds à mon con de navigateur des cinquantièmes hurlants! Mais hélas… À ce jeu, on perd toujours. On ne va jamais bien plus loin que le périph. Quoi qu’on fasse, on se retrouve désœuvré, exact, précis comme un vulgaire réveil matin. Et même, parfois pire, on arrive en avance ! En avance ! Mais quand on comprend qu’on est aimé en retour, et quand devant le débarcadère, on se met à accepter cette attente aux profondeurs insondables, on accepte le vertige de perdre pied dans les eaux superficielles du port. Alors ces flots mornes et immobiles deviennent un océan d’euphorie merveilleuse. Un giron tendre et doux, au sein duquel on attend, confiant, invincible, le retour de l’être aimé. Et cette attente devient la plus exquise et la plus bienheureuse des conditions. ”
Elle commence par poser des questions rhétoriques afin de proposer une définition et de différencier amour de soi ( narcissime ) et amour des autres ; Elle utilise ensuite un postulat issu d’une sagesse proverbiale et qu’il n’est donc pas facile de discréditer (argument d’autorité ) ; l’amour y est présenté comme un élément indispensable et essentiel à la vie; Elle cite ensuite un philosophe célèbre qui fait autorité dans les milieux intellectuels : Roland Barthes : elle se sert donc d’une figure d’autorité reconnue qui assimile le sentiment amoureux à l’attente de l’être aimé; dans ce cas alors la déception est inévitable car l’autre ne répond pas à notre désir : il s’enfuit et devient inaccessible ; Neïla illustre cette idée avec les figures de ceux qui partent sur les mers, escaladent les montagnes ou partent tout simplement à l’aventure ; Pour être heureux en amour, il suffirait donc de ne pas chercher à aimer mais accepter d’attendre de l’être et l’attente devient alors , par un subtil renversement, d’une douceur exquise. La poésie prend alors le relais de la logique afin d’achever de convaincre l’auditeur. L’image de l’aventure est reprise avec l’exemple du débarcadère : le port qui désigne le point d’arrivée d’un navire . La métaphore est ainsi filée Le monde se transforme sous l’effet de cette acceptation : l’antithèse flots mornes et immobiles et océan d’euphorie merveilleuse achève le changement de point de vue. L‘image du doux giron ( un endroit où on se réfugie comparable à la douceur et à la protection qu’offre le sien maternel ) renvoie à un sentiment de protection et d’invincibilité et les superlatifs traduisent ce bonheur présenté comme terriblement enviable.
Vue partiale, partielle, passablement mensongère ou artifice du discours ? Peut on faire dire aux mots tout ce que l’on veut ?