Au dix-septième siècle; la littérature tend à appliquer le précepte d’Horace “dicereplacereque” et cherche à plaire tout en instruisant ses contemporains et en leur faisant prendre conscience de leurs défauts. La Fontaine avec ses Fables, Madame de Lafayette avec son roman d’analyse psychologique, Molière avec ses comédies , chacun, à sa manière , tente de révéler la vérité de la nature humaine ; Nicolas Boileau Despréaux emploie , lui un genre littéraire hérité d’auteurs latins comme Junéval: celui du poème satirique . Boileau compose un recueil formé de 12 satires en alexandrins aux rimes suivies: celle que nous étudions est dédiée à M de Valincourt, qui deviendra secrétaire du roi et elle s’intitule l’Honneur: le poète s’y attaque plus précisément aux mensonges des courtisans; Dans une première partie, nous verrons qu’il compare le monde à un théâtre où chacun joue un rôle ; Nous montrerons ensuite que la vérité finit toujours par triompher .
La métaphore du theatrum mundi apparait en Europe vers 1650, tout d’abord en Espagne avec une pièce de Calderon intitulée “le grand théâtre du monde ” ; Ce thème va ensuite se diffuser durant toute la période baroque pour s’illustrer dans tous les genres. A la faveur de cette métaphore, les hommes se transforment en acteurs et se travestissent . Comme les acteurs des tragédies grecques, ils portent des masques sur scène : on peut lire au vers 3 “orné d’un faux visage ” cette expression fait à la fois allusion au masque du comédien et montre que le courtisan dissimule ses véritables sentiments En effet, les acteurs portaient des masques qui figeaient leurs émotions car ils correspondaient aux différents moments de l’action dramatique . Cette métaphore symbolise la duplicité des courtisans . Au vers 3 , il est fait mention de quelqu’un qui joue un “rôle opposé ” à “ce qu’il est “ ; l’inversion des groupes syntaxiques ici met en évidence le contraste entre les apparences et la réalité. La métaphore du théâtre du monde est donc directement liée à celle de la satire de la Cour . Mais le ” public ” finit par découvrir la vérité car il est qualifié de “malin ” et sa clairvoyance est illustrée au moyen de l’expression ” oeil inévitable ” au vers 12 , relayée par le groupe nominal du vers suivant ” regard formidable “ Les deux adjectifs sont employés dans un sens précis : inévitable signifie ici un regard perçant qui ne s’arrête pas à la surface des choses mais scrute les profondeurs et nul ne peut lui échapper ; Quant à formidable , il désigne dans ce sens ancien , un regard effrayant , comparable à celui de la divinité, doué de pouvoirs extraordinaires . Les faussaires sont donc démasqués et repérés par un instrument puissant et redouté à cette époque : la censure . Boileau, en effet, a milité durant toute sa carrière , pour qu’on censure certaines œuvres jugées inconvenantes et ses satires ont également pris souvent pour cible, des auteurs qu’il n’appréciait pas et dont il jugeait le style ” enflé ” ; La satire présente le monde comme une sorte de carnaval où chacun s’emploie à tenter d’abuser l’autre. On retrouve bien cette idée des dangers de la Cour telle que l’ont illustrée d’autres moralistes classiques comme La Bruyère et La Fontaine , que nous avons déjà évoqué.
En effet , la satire, le plus souvent, donne à voir un monde troublé dont il faut rétablir l’ordre: ici les tromperies semblent importantes et nombreuses car on y voit, au vers 5 à 7 toute une série d’inversions : ” le fou tente de “représenter le sage ” ; Folie et sagesse étant ici deux attitudes opposées; Le plus vil faquin trancher du vertueux; le verbe trancher est employé ici dans le sens très spécial de “prendre l’air de quelqu’un en adoptant des manières prétentieuses;” Boileau dénonce les tentatives d’imitation de ceux qui sont corrompus et qui veulent passer pour des gens vertueux; Le superlatif “le plus vil “ainsi que l’adjectif “fastueux ” au vers 6 , représentent des degrés extrêmes d’une qualité; le contraste n’en est ainsi que plus frappant entre la véritable nature des courtisans et ce qu’ils prétendent être : le fou, l’ignorant et le faquin sont trois types de courtisans trompeurs qui s’efforcent de tenir le rôle de ” sage , savant fastueux, et homme vertueux ; Ces trois qualités forment l’idéal de l’honnête homme à la cour de Louis XIV: un savant , homme d’esprit et qui suit la voix de la raison. On retrouve l’éloge du savant avec La Fontaine, par exemple qui présente le savoir comme un bien inestimable. Les moralistes du siècle classique célèbrent les vertus de la connaissance . La littérature doit , à leurs yeux, poursuit un but herméneutique : elle doit dévoiler la vérité qui se cache sous les faux -semblants; l’homme doit apprendre à se méfier des apparences et Boileau s’emploie à le démontrer.
La vérité en effet “perce “ : le verbe souligne sa puissance et l’adverbe “bientôt ” qui à cette époque signifie “très vite ” accompagne ce triomphe de la vérité; C’est le public qui , grâce à son regard “ malin” permet à la vérité de remporter cette bataille contre le mensonge. Les moralistes faisaient confiance à la raison, à la faculté de discernement des hommes . L’idée d’un triomphe de la vérité est également marquée au vers 16 et la position de l’adverbe toujours , juste avant la césure à l’hémistiche, semble séparer le vrai du faux; L’expression “demeure maître ” souligne la suprématie de la vérité.
A plusieurs reprises, le poème mentionne une présence divine qui veillerait justement à assurer ce triomphe du vrai : les hommes qui obéissent à “leur orgueil” se mentent parfois à eux-mêmes et sont dupés par leur amour- propre; C’est un constat sévère qu’on retrouve notamment sous la plume de La Bruyère et de La Rochefoucauld; La dissimulation des vices ou simplement le désir d’amoindrir nos “endroits faux” est condamné par les moralistes et serait le propre de la nature humaine. L’homme doit se présenter face à son créateur dans sa nudité , sans chercher à s’envelopper du voile des apparences: la créature ne peut tricher avec Dieu et paraître ce qu’elle n’est pas . Boileau ne juge pas seulement le courtisan dans son désir de plaire et de paraître sous un jour qui l’avantage : son jugement moral se veut universel et dépasse le cadre des moeurs de la Cour pour s’étendre à notre condition de “mortel” . Les deux derniers vers contiennent une dimension universelle dont rend compte la tournure généralisante et catégorique ” et jamais quoiqu’il fasse , un mortel ici-bas/ ne peut aux yeux du monde être ce qu’il n’est pas. ” La sentence ici dépasse le simple paraître pour s’attaquer à l’être même, à l’essence de l’humanité. Le poète devient philosophe et nous donne sa vision de l’homme. Dans ce passage, il ne nomme personne en particulier pour mieux s’adresser à tous .
La satire est ici un instrument au service de la morale : Boileau utilise la métaphore baroque du théâtre du monde pour démontrer que l’homme est un comédien qui tend à se montrer autre que ce qu’il est et qui cherche souvent à tromper le public ; mais sa fausseté ne résiste pas à un examen minutieux et le moraliste démontre également que la vérité finit par triompher des apparences , que les menteurs qui se rendent coupables, sont démasqués et punis . Boileau rejoint le courant moraliste qui domine alors le classicisme . Son jugement est plus sévère que celui de son ami La Fontaine et , comme ce dernier , le mensonge occupe une place de premier plan dans son oeuvre.
Si vous voulez en savoir plus sur la satire, lisez cet article,
Boileau et l’art de la Satire
Au dix-septième siècle; la littérature tend à appliquer le précepte d’Horace “dicereplacereque” et cherche à plaire tout en instruisant ses contemporains et en leur faisant prendre conscience de leurs défauts. La Fontaine avec ses Fables, Madame de Lafayette avec son roman d’analyse psychologique, Molière avec ses comédies , chacun, à sa manière , tente de révéler la vérité de la nature humaine ; Nicolas Boileau Despréaux emploie , lui un genre littéraire hérité d’auteurs latins comme Junéval: celui du poème satirique . Boileau compose un recueil formé de 12 satires en alexandrins aux rimes suivies: celle que nous étudions est dédiée à M de Valincourt, qui deviendra secrétaire du roi et elle s’intitule l’Honneur: le poète s’y attaque plus précisément aux mensonges des courtisans; Dans une première partie, nous verrons qu’il compare le monde à un théâtre où chacun joue un rôle ; Nous montrerons ensuite que la vérité finit toujours par triompher .
La métaphore du theatrum mundi apparait en Europe vers 1650, tout d’abord en Espagne avec une pièce de Calderon intitulée “le grand théâtre du monde ” ; Ce thème va ensuite se diffuser durant toute la période baroque pour s’illustrer dans tous les genres. A la faveur de cette métaphore, les hommes se transforment en acteurs et se travestissent . Comme les acteurs des tragédies grecques, ils portent des masques sur scène : on peut lire au vers 3 “orné d’un faux visage ” cette expression fait à la fois allusion au masque du comédien et montre que le courtisan dissimule ses véritables sentiments En effet, les acteurs portaient des masques qui figeaient leurs émotions car ils correspondaient aux différents moments de l’action dramatique . Cette métaphore symbolise la duplicité des courtisans . Au vers 3 , il est fait mention de quelqu’un qui joue un “rôle opposé ” à “ce qu’il est “ ; l’inversion des groupes syntaxiques ici met en évidence le contraste entre les apparences et la réalité. La métaphore du théâtre du monde est donc directement liée à celle de la satire de la Cour . Mais le ” public ” finit par découvrir la vérité car il est qualifié de “malin ” et sa clairvoyance est illustrée au moyen de l’expression ” oeil inévitable ” au vers 12 , relayée par le groupe nominal du vers suivant ” regard formidable “ Les deux adjectifs sont employés dans un sens précis : inévitable signifie ici un regard perçant qui ne s’arrête pas à la surface des choses mais scrute les profondeurs et nul ne peut lui échapper ; Quant à formidable , il désigne dans ce sens ancien , un regard effrayant , comparable à celui de la divinité, doué de pouvoirs extraordinaires . Les faussaires sont donc démasqués et repérés par un instrument puissant et redouté à cette époque : la censure . Boileau, en effet, a milité durant toute sa carrière , pour qu’on censure certaines œuvres jugées inconvenantes et ses satires ont également pris souvent pour cible, des auteurs qu’il n’appréciait pas et dont il jugeait le style ” enflé ” ; La satire présente le monde comme une sorte de carnaval où chacun s’emploie à tenter d’abuser l’autre. On retrouve bien cette idée des dangers de la Cour telle que l’ont illustrée d’autres moralistes classiques comme La Bruyère et La Fontaine , que nous avons déjà évoqué.
En effet , la satire, le plus souvent, donne à voir un monde troublé dont il faut rétablir l’ordre: ici les tromperies semblent importantes et nombreuses car on y voit, au vers 5 à 7 toute une série d’inversions : ” le fou tente de “représenter le sage ” ; Folie et sagesse étant ici deux attitudes opposées; Le plus vil faquin trancher du vertueux; le verbe trancher est employé ici dans le sens très spécial de “prendre l’air de quelqu’un en adoptant des manières prétentieuses;” Boileau dénonce les tentatives d’imitation de ceux qui sont corrompus et qui veulent passer pour des gens vertueux; Le superlatif “le plus vil “ainsi que l’adjectif “fastueux ” au vers 6 , représentent des degrés extrêmes d’une qualité; le contraste n’en est ainsi que plus frappant entre la véritable nature des courtisans et ce qu’ils prétendent être : le fou, l’ignorant et le faquin sont trois types de courtisans trompeurs qui s’efforcent de tenir le rôle de ” sage , savant fastueux, et homme vertueux ; Ces trois qualités forment l’idéal de l’honnête homme à la cour de Louis XIV: un savant , homme d’esprit et qui suit la voix de la raison. On retrouve l’éloge du savant avec La Fontaine, par exemple qui présente le savoir comme un bien inestimable. Les moralistes du siècle classique célèbrent les vertus de la connaissance . La littérature doit , à leurs yeux, poursuit un but herméneutique : elle doit dévoiler la vérité qui se cache sous les faux -semblants; l’homme doit apprendre à se méfier des apparences et Boileau s’emploie à le démontrer.
La vérité en effet “perce “ : le verbe souligne sa puissance et l’adverbe “bientôt ” qui à cette époque signifie “très vite ” accompagne ce triomphe de la vérité; C’est le public qui , grâce à son regard “ malin” permet à la vérité de remporter cette bataille contre le mensonge. Les moralistes faisaient confiance à la raison, à la faculté de discernement des hommes . L’idée d’un triomphe de la vérité est également marquée au vers 16 et la position de l’adverbe toujours , juste avant la césure à l’hémistiche, semble séparer le vrai du faux; L’expression “demeure maître ” souligne la suprématie de la vérité.
A plusieurs reprises, le poème mentionne une présence divine qui veillerait justement à assurer ce triomphe du vrai : les hommes qui obéissent à “leur orgueil” se mentent parfois à eux-mêmes et sont dupés par leur amour- propre; C’est un constat sévère qu’on retrouve notamment sous la plume de La Bruyère et de La Rochefoucauld; La dissimulation des vices ou simplement le désir d’amoindrir nos “endroits faux” est condamné par les moralistes et serait le propre de la nature humaine. L’homme doit se présenter face à son créateur dans sa nudité , sans chercher à s’envelopper du voile des apparences: la créature ne peut tricher avec Dieu et paraître ce qu’elle n’est pas . Boileau ne juge pas seulement le courtisan dans son désir de plaire et de paraître sous un jour qui l’avantage : son jugement moral se veut universel et dépasse le cadre des moeurs de la Cour pour s’étendre à notre condition de “mortel” . Les deux derniers vers contiennent une dimension universelle dont rend compte la tournure généralisante et catégorique ” et jamais quoiqu’il fasse , un mortel ici-bas/ ne peut aux yeux du monde être ce qu’il n’est pas. ” La sentence ici dépasse le simple paraître pour s’attaquer à l’être même, à l’essence de l’humanité. Le poète devient philosophe et nous donne sa vision de l’homme. Dans ce passage, il ne nomme personne en particulier pour mieux s’adresser à tous .
La satire est ici un instrument au service de la morale : Boileau utilise la métaphore baroque du théâtre du monde pour démontrer que l’homme est un comédien qui tend à se montrer autre que ce qu’il est et qui cherche souvent à tromper le public ; mais sa fausseté ne résiste pas à un examen minutieux et le moraliste démontre également que la vérité finit par triompher des apparences , que les menteurs qui se rendent coupables, sont démasqués et punis . Boileau rejoint le courant moraliste qui domine alors le classicisme . Son jugement est plus sévère que celui de son ami La Fontaine et , comme ce dernier , le mensonge occupe une place de premier plan dans son oeuvre.
Si vous voulez en savoir plus sur la satire, lisez cet article,