15. février 2021 · Commentaires fermés sur Neige ..le parcours de Yuko , un apprenti-poète · Catégories: Le livre du mois · Tags:

Ce récit retrace le parcours de Yuko, un jeune homme idéaliste qui rêve de devenir poète pour regarder passer le temps. Dans sa famille, on naît soldat ou prêtre mais il décide de choisir un autre destin et de devenir à 17 ans , un messager du Ciel . Rien que du blanc à songer .. c’est sur cette citation empruntée à Rimbaud que débute le roman; Nous sommes au Japon, en 1884 ; Yuko est alors âgé de 17 ans et il a deux passionx dans la vie : le haïku et la neige .

 Son héritage paternel lui a déjà appris « la puissance des forces cosmiques, l’importance de la foi et l’amour de la nature » Le romancier ajoute aussi «  l’art de composer des haikus » ; cette dernière précision  désigne le travail poétique sur la forme, la composition . Le poète est donc celui qui allie sources d’inspirations variées mais universelles  et technique de mise en forme . Souvent l’histoire de la poésie oppose un certain formalisme, celui du Parnasse par exemple à l’idée d’un jaillissement de la matière brute. Rimbaud, encore lui, souhaiter inventer une langue nouvelle qui serait de l’âme pour l’âme

. “La poésie n’est pas un métier.” affirme le père à son fils : «  c’est un passe-temps” .  La réponse de Yuko ne tarde pas : C’est ce que je veux faire. Je veux apprendre à regarder passer le temps. Et effectivement, Yuko est un poète de la neige parce qu’il ne prouve rien, ne construit rien. Et s’il écrit dans un premier temps, c’est par désir et par amour. Sa poésie est jeune, blanche, trop blanche, lui dit-on. Et c’est ainsi qu’il ira trouver le maître de l’art absolu.

Ses premières définitions de la poésie l’apparentent à « un mystère ineffable » ( 3 ) . Le jeune homme insiste sur le fait d’apprendre à se regarder vivre « se retirer du monde pour mieux s’en étonner » Cette conception est à rapprocher du modèle occidental du poète qui se retire dans sa tour d’ivoire, qui est un homme contemplatif plutôt qu’un homme d’actions , qui regarde le Monde au lieu d’agir ou plutôt dont le regard constitue l’action principale. Mais de nombreux poètes ont souhaité, à certains moments, s’engager dans les combats de leurs époques . Ronsard et d’Aubigné ont pris parti dans les guerres de religion qui opposaient catholiques et protestants et chacun a soutenu son camp ; Rimbaud a écrit un chant de guerre parisien pour soutenir le mouvement insurrectionnel de la commune de Paris en 1871 et les poètes résistants durant la seconde guerre mondiale : Aragon, Eluard, Desnos, Char, Soupault ont mis leur plume au service de la Liberté et de leur pays.

Au début , Yuko compose 77 poèmes en été et son père lui demande de gravir une montagne enneigée ; Il demeure alors 7 jours «  face à la splendeur du monde, aux portes du Ciel » et se prend de passion pour la Neige ; « il décida de n’écrire que pour célébrer la beauté de la neige »  Désormais ,il n’écrit plus qu’en hiver : chaque jour, au même endroit, un poème qui évoque la neige . Il se donne uniquement  ce temps et cet espace pour écrire. Une nuit de pleine lune, il passe la nuit à contempler les flocons et à l’aube, il croise l’Amour . La nature de la Neige le passionne car sa blancheur est sa pureté et  elle fige la nature et la protège comme une peinture ; en même temps, elle se transforme continuellement et demeure insaisissable ; c’est une surface glissante donc une danse et l’homme y devient un funambule ; elle se transforme en eau et devient alors musique .

Hors de l’hiver, il oublie la poésie mais tous les hivers, il composera 77 haikus de 17 syllabes entouré de ses 7 chats .  L’écriture poétique obéit alors à une sorte de rituel et s’accompagne d’une préparation Le premier jour du printemps ,un célèbre poète de la Cour demande à le voir et en découvrant son atelier, prédit à son père que Yuko peut envisager une brillante carrière  de poète officiel ; Cependant il constate la blancheur de son écriture et suggère qu’il apprenne à y mettre de la couleur ; Lorsque le jeune homme redescend de la montagne, il se met en colère et déclare qu’il n’ira à la Cour que dans 7 ans quand il sera prêt.

Ce printemps, Yuko tint promesse et n’écrivit aucun vers. 

Il se contenta de respirer le parfum des pétales de fleurs du cerisier dans le jardin vert.( 11 )

Au cours du second hiver, Yuko écrit 77 nouveaux poèmes et fait l’amour pour la première fois : ses haikus sont à la fois limpides, spontanés, familiers et d’une subtile ou prosaïque beauté «  comme une passerelle vers la lumière divine ” pour une âme poétique. Le maître de la Cour revient le visiter l’année suivante , accompagné d’une femme à la beauté ensorcelante ; Il lui suggère pour devenir un peintre, de se rendre dans le Sud du japon auprès de Soseki , son ancien maître . Il se met en route dès le lendemain « avec comme seul bagage   l’or de sa foi en l’amour et en la poésie » 14);Pris dans une terrible tempête de neige, il doit son salut à la beauté d’une image : une jeune femme nue blonde morte sous un mètre de glace »  15 ) ; Il en tombe immédiatement fou amoureux et rêve de la mystérieuse inconnue durant 7 nuits. Les étapes du parcours de Yuko évoquent à la fois celles de la vie d’un homme : peu à peu l’Amour et le désir deviennent des sources d’inspiration qui remplacent la Beauté du monde ou plutôt s’y mêlent et colorent notre vision du monde.

Yuko arrive auprès de Soseki ; Le maître de la couleur est aveugle ( 21 ) mais « son esprit sait ce que les yeux ne peuvent voir » le jeune poète doit apprendre à voir les couleurs en lui et comprend , que l’amour est le plus difficile des arts «  aimer c’est du funambulisme ; Le plus difficile, c’est d’avancer sans tomber. » Soseki lui apprend le bleu des grenouilles et le jaune du ciel et un jour, Horoshi lui raconte l’histoire de son maître ; C’est la seconde partie du roman.

II 25 Après avoir connu le temps de l’honneur et les joies de la guerre, le samouraï Soseki vit une image qui lui permet de survivre : une jeune femme funambule qui traverse la rivière argentée sur un fil avec la grâce d’un écureuil ( 26 ) ; Elle venait de Paris et se nommait Neige ;  Le lecteur comprend ainsi, grâce au prénom de la jeune funambule, que les deux parties du roman sont en fait liées . Devenue équilibriste , elle rêve ainsi les yeux ouverts et avançait dans l’air comme par magie ; Après avoir épousé Soseki ( 32 ) elle met au monde Flocon de printemps et renonce à sa carrière de fildefériste mais la vie dans les airs lui manque et elle demande à organiser une dernière parade : elle tend un fil entre deux montagnes et traverse le Ciel mais le fil, mal arrimé, casse et , tel un oiseau blond, elle disparaît dans la neige de la montagne. Soseki décide alors de devenir peintre pour dessiner le visage de la disparue mais il ne parvient qu’à s’en approcher ; A force de travail , il devient aveugle et ce jour là «  il peignit le plus blanc et le plus beau de tous ses portraits ». L’histoire de Soseki est à mettre en relation avec le parcours de Yuko : tous deux cherchent à atteindre l’inatteignable. On retrouve une partie de l’idéologie romantique qui associe, en poésie, la douleur à la pureté et à la beauté du chant poétique ; Mais dans le roman, Yuko et Soseki partagent le même idéal : retrouver la beauté de leur passion pour la « Neige » . mais l’histoire occidentale établit plutôt des analogies entre musique et composition poétique alors que dans la tradition japonaise, poésie et peinture, traces des mots et dessin sont intimement liées. En effet, le haiku est également une forme d’art visuel, de calligraphie : les syllabes qui forment les mots tracent une véritable architecture . 

Le mont Fuji sous la neige

. Soseki a découvert que la vraie lumière et les vraies couleurs demeurent liées intrinsèquement à la beauté de l’âme . C’est dans le noir le plus profond qu’il a découvert la blancheur et la pureté .On retrouve, sous une forme facilement accessible parce qu’imagée, l’idée de cette prise de distance nécessaire, de maturation intellectuelle, entre le poète et ce qu’il souhaite représenter.

Bouleversé par le récit du serviteur, Yuko lui avoue qu’il a rencontré Neige sur l eversant de la montagne, au cour sde sa périlleuse traversée  mais ce dernier ne le croit pas. Yuko répète alors le récit de sa rencontre avec Neige à Soseki qui  lui,le croit et le prend pour un messager du Ciel ou de l’Amour. Il se désole alors de ne plus pouvoir voir son visage retrouvé et désormais, à portée de regard ( 39 ).  La poésie pourrait ainsi  ressusciter les ombres du passé et Soseki décide   de  se rendre sur la tombe de son amour retrouvé. Il donne un dernier conseil à Yuko «  le vrai poète possède l’art du funambule .Ecrire, c’est avancer mot à mot sur un fil de beauté . Écrire c’est avancer pas à pas, page après page, sur le chemin du livre ..tenir en équilibre sur le fil du langage..vivre chaque heure de sa vie à hauteur du rêve et de ne jamais redescendre de la corde de son imaginaire , devenir un funambule du verbe. ( 40)

Les deux hommes se mettent en route pour un long et difficile voyage au terme duquel ils retrouvent le corps de Neige . Soseki pleure sa jeunesse disparue et s’allonge à côté de celle qu’il aime pour y reposer en paix. A hauteur du coeur. Yuko s’en retourne seul vers le Nord, vers la neige sans jamais se retourner . ( 45 ) Il avança comme un funambule et de retour chez son père, s’enferme dans son atelier pour porter le deuil, de son ami et de son amour , tous deux disparus mais à jamais réunis. (46) Ensuite Yuko rêve à la femme de glace et repousse la jeune femme de la fontaine, celle qui avait pourtant fait naître son désir sigen que l’Amour ne s’incarne plus en lui de la même manière . Lorsque l’hiver arrive, en déroulant ses premiers mots sur le papier, son coeur s’allégea mais ce n’était qu’un leurre : seule la poésie rendait plus léger le poids de son chagrin. Au printemps , son écriture change et se colore pour devenir des fruits d’or, d’argent et de rêve . Sa poésie est désormais colorée mais son cœur reste empreint de blancheur ;  l’auteur suggère une forme de  transfert ; Les jeunes poètes épris d’absolu ont d’abord une écriture blanche, sans âme et sans couleur, qui ne se colore qu’au fur et et à mesure que la vie leur procure des expériences émotionnelles. C’est alors leur coeur qui se vide sur le papier et devient blanc  au fur et à mesure que leur écriture se colore. Un matin d’avril Flocon de printemps fait sa réapparition : c’était la mystérieuse accompagnatrice du maître impérial , venu le visiter deux ans auparavant. Il aime la fille du maître et de la femme des glaces. ( 52,53 et 54 )

Et c’est ainsi que l’on devient poète. En oubliant aussi le poème et en séparant le temps de l’écriture du temps de la vie, afin d’enregistrer des sensations , des expériences et de laisser ensuite la mémoire infuser les souvenirs , les transformer et les faire partager.
Au cours de son parcours initiatique, Yuko va entrer dans le monde dans ce qu’il a de dur, de triste. C’est l’entrée dans la tristesse et dans la peine avec la découverte de la mort, qui va colorer le monde du jeune homme.
Yuko a déjà compris l’importance du blanc, du vide, de l’effacement des concepts et des théories. Son amour fou pour la neige et pour le mot “neige” ne suffisent pourtant pas. La couleur qui manque à sa poésie, chacun peut le lire à sa manière.

C’est le corps, l’incarnation, le vécu qui donnerait ainsi une épaisseur à la vie  et une coloration à l’écriture grâce à  la rencontre avec la part d’ombre, la souffrance, les déceptions, les regrets.  C’est pourquoi le premier enseignement du maître Soseki semblera étrange à Yuko. Le maître lui demande de fermer les yeux et de lui dire ce qu’il voit. Au premier abord, le jeune homme pense qu’il ne voit aucune couleur. Puis il comprend que “voir”, signifie être attentif à  la réalité toute entière.

Fermer les yeux, c’est à la fois voir avec le cœur et voir depuis l’ombre.

La poésie telle qu’elle est évoquée dans ce livre est avant tout une création individuelle. Le jeune Yuko n’y défend aucun territoire. Et il n’ira jamais présenter ses poèmes à la cour de l’empereur. Yuko est ainsi un personnage magnifique, parce qu’il se conduit en être humain noble, gracieux, inspiré. L’inspiration ne viendra pas comme un nouveau ciel après une longue attente, elle n’est que la découverte d’un ciel qui est déjà là mais que l’on ne voyait pas. En ce sens, le personnage de Neige est une incarnation du poète : il agit par amour – amour de la poésie, amour pour une femme, amour du réel.

Un poète doit lais­ser des traces de son pas­sage, non des preuves. | Seules les traces font rêver. » (La parole en archipel) René Char