Le réalisme est un courant littéraire du dix-neuvième siècle qui cherche à peindre les réalités de la vie, sans embellissement et tente de donner de son époque une image la plus complète possible; Les auteurs réalistes reprochent à leurs prédécesseurs de limiter les romans à quelques personnages types , héros souvent vainqueurs, ambitieux et désireux de s’élever socialement . Ils reprochent également aux romans de ne pas montrer certaines catégories sociales marginales comme les prostituées, les SDF, les criminels. Bref de limiter le champ du roman . De plus, les auteurs réalistes privilégient, dans leurs descriptions du monde, le point de vue interne , celui du personnage plutôt qu’un point de vue omniscient, celui d’un narrateur anonyme. Sous couvert de montrer le monde tel qu’il est, sans le voir tel qu’on le rêverait, ils introduisent néanmoins, à l’intérieur de leurs récits et au sein de leurs descriptions, des opinions et des émotions.
Quelques mots sur l’auteur et sa biographie : Il s’agit du second roman de Guy de Maupassant et pour les lecteurs de l’époque, il fait écho à de nombreux scandales financiers et politiques qui ont secoué la vie parisienne; En effet, devenu journaliste comme son personnage après avoir été fonctionnaire au ministère de la Marine, , Maupassant a été pendant plusieurs années, de 1880 à 1884 , envoyé spécial de son journal , Le gaulois, en Afrique du Nord. Lors de la parution du roman, il est accusé comme Flaubert et Zola, ses modèles, d’avoir montré la noirceur et la bassesse de la nature humaine. On lui reproche, notamment , avec son héros Gerorges Duroy, d’avoir choisi une “âme trop vile “ et d’avoir transformé, la littérature romanesque , en “une brasserie de bas étage ” .
Au début du récit , Maupassant dresse un portrait détaillé de son personnage principal : ce protagoniste est montré en train de sortir d’un restaurant où il a déjeuné ; Il a vraiment belle allure et toutes les femmes le regardent passer . Il prend des airs de conquérant et semble défier toute la ville. Voyons un exemple de travail de préparation de commentaire littéraire à partir de l’incipit du roman. Les citations sont notées en rouge: on les appelle des observations ; C’est le stade 1 du commentaire ; Elles permettent de donner des interprétations : c’est le stade 2. Première règle : Chaque observation doit être reliée à une interprétation
Cette « apparition » du personnage central du roman peut se lire selon trois axes
— un portrait en mouvement avec des notations mélioratives ( les qualités du héros ), des notations critiques ( les défauts du héros ) et des notations réalistes ( les petits détails donnés par l’auteur )
— le début d’une histoire,
— la mise en place de réseaux thématiques majeurs.
Développons le premier axe du portrait :
En romancier réaliste attentif à l’entrée en scène de son héros, Maupassant, à travers le regard du narrateur omniscient du récit, nous offre un portrait très précis de Georges Duroy:
Il s’agit d’abord d’établir son portrait physique : voyons les observations mélioratives .
C’est un «joli garçon », car le romancier portraitiste va d’abord décrire l’effet qu’il produit sur les autres .
— Il a une belle allure : c’est quelqu’un qui bouge, qui avance comme l’indiquent les verbes de mouvement . Il est en train de marcher et son style reflète sa nature d’ancien -sous officier, encore fier d’avoir porté l’uniforme .
Il a une belle allure comme «prestance » surtout, car c’est aussi quelqu’un qui «pose » et impose son corps : « il cambra sa taille », « la poitrine bombée ». La vivacité de « son regard rapide et circulaire » comme les boucles de sa moustache frisée sont les deux symboles de cette dynamique corporelle. Il est naturellement beau ” par nature ” et aime aussi à se mettre en valeur physiquement ; il aime prendre la pose. C’est déjà un aspect calculateur du personnage .
Voyons les aspects critiques du portrait :
Maupassant dresse également un portrait psychologique : ce dernier semble alors se déduire, par suggestion, de cette première approche physique . A la fierté de l’allure militaire correspond en effet une forme de brutalité du caractère, connotée principalement par les verbes et adverbes du dernier paragraphe (« brutalement », « heurtant , « poussant », «battait ) et «Il avait l’air de toujours de défier quelqu’un…»qui traduit une forme de narcissisme et une haute opinion de lui-même
Le quatrième paragraphe, seul moment d’ immobilité» dans ce portrait en mouvement, révèle un esprit calculateur,. Maupassant détaille , de manière très réaliste , le coût des choses et les « dépenses” qu’envisage le personnage à qui il ne reste que “ trois francs quarante pour finir le mois ” . Dans ce début de roman, l’auteur établit le statut social du héros en nous révélant son identité d’ancien militaire : il a servi chez les hussards et il a gardé ” un chic de beau soldat “ . Mais de manière plus complexe, il suggère le caractère ambigu qui fait de Duroy un conquérant et un aigri, un « battant » et un « défraîchi » à l’image de la laideur de chapeau sale et usé. On le sent ambitieux .
En quoi ce portrait est -il réaliste ? L’écriture réaliste es caractérise à la fois par la multitude des petits détails qui font vrai, par la précision du cadre historique, spatial et temporel et par l’absence de jugement moral du narrateur .
L’ entrée en scène du héros est précise: nous sommes le “28 juin” à Paris , dans un quartier connu «rue Notre-Dame-de-Lorette , dans un populaire (avec ses « gargotes » qui est le nom donné à des petites brasseries bon marché où vont déjeuner les ouvriers ) mais à proximité des «boulevards”où se jouera plus tard la carrière de Duroy .
D’autres détails sont caractéristiques du roman réaliste de l’époque: ils servent à à nous installer dans la réalité matérielle de ces années 1880. Maupassant emploie des mots qui sont populaires comme : «bock», «collations », ou « pain» et « saucisson ».
Mais ces détails, comme les calculs de “francs” et de “sous” avec leur précision mathématique contribuent surtout, au- delà de leur justesse réaliste, à dessiner les axes majeurs que toute l’histoire du roman va décliner : cet appétit du corps , indissociable d’un appétit d’argent : ce n’est pas un hasard si Bel-Ami, grand roman des trafics, s’ouvre sur un « rendu de monnaie . et si l’essentiel des pensées qui habitent la conscience de Duroy s’apparentent à de simples calculs. A sa façon, cette « ouverture » est donc bien métaphorique des «grandes dépenses » qui attendent le héros dans ses aventures de parvenu.
Pareillement, un autre thème majeur du roman, celui qui en justifie le titre de « Bel-Ami », est très présent dans cette ouverture : les femmes. Pour elles , qui feront plus tard sa fortune, le regard de Duroy ne manque pas d’appétit… La comparaison (« un de ces regards... comme des coups d’épervier ») donne la dimension de la force de séduction du héros dont le regard est identifié au large mouvement d’un filet de pêche (« l’épervier ») qui ne lâchera pas ses proies. Il va donc constituer une menace pour ses femmes qu’il séduit
L’énumération nous montre toutes « les femmes » comme captivées, toutes classes sociales confondues, de 1« ouvrière » à la « bourgeoise », par son charme .
L’intrigue du roman :
Une rencontre providentielle : Le roman débute par une rencontre : celle de Georges Duroy un ancien soldat, employé aux bureau des chemins de fer du Nord à Paris , qui n’a plus beaucoup d’argent et qui rêve de rencontrer une femme . Il retrouve par hasard, un soir d’été en flânant sur les boulevards un ancien hussard de son régiment, Forestier , devenu journaliste politique à La Vie française . Après l’avoir invité à dîner chez lui le lendemain soir, les deux hommes entrent aux Folies-Bergères et sortent prendre l’air dans les jardins. Georges Duroy termine la soirée avec une prostituée à laquelle il ment en disant qu’il n’a qu’un louis : il garde l’argent pour se louer une tenue de soirée pour le diner du lendemain.
Le diner chez Forestier : d’abord peu à l’aise, Georges s’enhardit au fort et à mesure de la soirée et réussit à séduire les hommes, comme les femmes ; Il complimente sa voisine Clotilde de Marelle venue en compagnie de sa fille Laurine; poussée par l’épouse de Forestier, il fait la conversation à la femme de son futur patron Madame Walter et sent une pointe du méfiance et de jalousie dans la poignée de mains de Monsieur de Varenne dont il apprendra plus tard qu’il est l’amant de Madeleine Forestier.
Maupassant va peu à peu montrer l’ascension de ce personnage prêt à de nombreuses compromissions pour s’élever socialement et faire fortune.