La première apparition du personnage révèle une partie de son passé et un présent qui s’annonce difficile : arrivé depuis six mois à Paris dans le but de faire fortune, Georges n’est pour le moment qu’un modeste employé aux chemins de fer et a bien du mal à joindre les deux bouts ; Souvent il doit choisir entre manger à sa faim ou s’offrir un plaisir : boire une bière . En ce mois de juin, une rencontre providentielle va changer son destin: il croise un ancien soldat avec lequel il a combattu en Algérie quelques années plus tôt et ce dernier va lui donner sa chance; Grâce à Jacques Forestier, Georges fait ses débuts dans le monde :on nomme ce personnage un adjuvant car il est celui qui aide le héros à atteindre ses objectifs. Timide mal à l ‘aise , il se sent ridicule dans son habit de location mais au fur et à mesure, il prend de l’assurance car il constate qu’il plait aux femmes . Le lecteur est témoin de ses transformations physiques et même psychologiques . “ En s’apercevant dans la glace , il ne s’était même pas reconnu; il s’était pris pour un autre, pour un homme du monde, qu’il avait trouvé fort chic, fort bien, au premier coup d’oeil. ” Ce portrait du héros sera suivi de nombreux autres qui mettent en évidence son charme et l’effet qu’il produit sur son entourage . “Une confiance immodérée en lui -même emplit son âme ” : dès le début du roman, il se sent déjà prêt à réussir .
Les événements mondais vont rythmer les étapes de l’ascension du héros : diners intimes et soirées se succèdent et constituent des pauses dans le récit . Le soir du premier dîner chez les Forestier , il rencontre trois femmes qui vont , chacune à leur manière, jouer un rôle important dans son évolution; Clotilde de Marelle va lui faire découvrir le Paris des divertissements : elle l’entretient , paye pour leurs sorties afin que l’argent cesse d’être un problème car elle a bien compris qu’il était pauvre ; Madeleine Forestier va tout d’abord l’aider à devenir journaliste , en écrivant ses articles et va ensuite, grâce à leur mariage, lui offrir un titre et une place dans la bourgeoisie d’affaires . Il remplace Forestier et trouve d’ailleurs humiliant qu’on le nomme “Forestier” comme pour lui rappeler qu’il occupe la place de quelqu’un d’autre. C’est le syndrome de l’usurpateur : il ne parvient pas encore à trouver sa place . Avec Madame Walter, Georges découvrira comment se venger de M Walter: il fait souffrir les femmes parce que les hommes ne veulent pas le considérer comme l’un des leurs. Son mariage, enfin, lui assure fortune et respectabilité en apparence car pour parvenir à cette consécration, il a du intriguer, se montrer conspirateur et déloyal. Il avoue à Suzanne qu’il est amoureux d’elle alors qu’il est marié et organise son divorce et l’enlèvement de Suzanne.
Avec les hommes , il a du se montrer rusé pour pouvoir les contrôler : il gardera rancune à Forestier de l’avoir renvoyé du journal et humilié et développera une jalousie posthume que Madeleine remarque très vite ; Dès qu’un homme a du succès, il enrage ” et cherche à lui nuire; Sa colère envieuse augmentait chaque jour : il en voulait à tout le monde et particulièrement à M Walter et au ministre Laroche, devenu l’amant de sa femme : “ il se sentait des envies folles d’étrangler ce bellâtre triomphant ” ; Il se montre dur et brutal avec ceux qui ne lui sont plus d’aucune utilité ; ainsi, il traite Madame Walter avec mépris et brûle ses lettres d’amour; il éprouve de l’envie pour tout ce qu’il n’a pas “l’envie amère lui tombait dans l’âme goutte à goutte, comme un fiel qui corrompait toutes ses joies, rendait odieuse son existence. “ Lorsque Madeleine lui montre la croix de la légion d’honneur que le ministre lui remettra au premier janvier , il se montre presque dédaigneux. Il ne cesse de se répéter comme pour mieux s’en convaincre : “ La victoire est aux audacieux. Tout n’est que de l’égoïsme. L’égoïsme pour l’ambition et la fortune vaut mieux que l’égoïsme pour la femme et l’amour. ”
On peut toutefois se montrer admiratif de la rapidité de son ascension car un peu plus de trois ans ans se sont écoulés entre cette soirée du 28 juin 1880 , la mort de Forestier au printemps suivant, son mariage avec Madeleine le 10 mai 1882 et son sacre le 20 octobre 1883 dans l’Eglise de la Madeleine où il épouse la jeune Suzanne Walter et sa dot de 30 millions. Néanmoins, le romancier montre également des aspects détestables de son personnage : manipulateur, menteur, égoïste, il brise les coeurs et les réputations de ceux qui se mettent en travers de son chemin. Sa brutalité qui apparaissait déjà avec sa manière de pousser les gens dans la rue atteint son paroxysme avec la scène où il frappe Clotilde . Cette scène se déroule alors qu’il lui annonce qu’il va épouser Suzanne : Clotilde est furieuse et indignée . ” Tu te conduis avec moi comme un gueux depuis que je te connais , lui dit -elle d’un ton accusateur ; “Tu trompes tout le monde, tu exploites tout le monde, tu prends du plaisir et de l’argent partout et tu veux que je te traite comme un honnête homme. ” Excédé, Georges lui lança par la figure un tel soufflet qu’elle alla tomber contre le mur. Il se rua sur elle et la tenant sous lui la frappa comme s’il tapait sur un homme. Elle se tut soudain et es mit à gémir sous les coups; Elle ne remuait plus.” Le narrateur montre ici la violence du personnage qui es retrouve alors ” un peu gêné et un peu honteux ”
L’épisode du duel avait auparavant révélé sa lâcheté et son angoisse de la mort; la veille du jour où il doit se battre au pistolet, il est pris par une crise de panique : tout son corps vibrait, parcouru de tressaillements saccadés: Il serrait les dents pour ne pas crier avec un besoin fou de se rouler par terre, de déchirer quelque chose, de mordre. ” Après le duel, il affirme qu’il a bien dormi et qu’il a su garder son sang-froid. Dans son métier, il est surtout connu pour ses articles venimeux, ses sous-entendus perfides ; M Walter le nommera rédacteur politique et les ministres le craindront “ il sentait grandir son influence à la pression des poignées de main et à l’allure des coups de chapeau. ” . La Vie française est désormais un journal réputé et Georges en prend la tête en devenant rédacteur en chef.
Obsédé par l’envie d’arriver , il est prêt à toutes les compromissions et ne se préoccupe pas de la morale ; “ l’amour n’est pas éternel ” dit -il à Madame Walter qui est désespérée car il ne vient plus lui rendre visite : “on se prend et on se quitte mais quand ça dure comme entre nous ça devient un boulet horrible ” . Il fait preuve ici de cynisme. Lorsqu’il organise le flagrant délit d’adultère afin de nuire au ministre Laroche, il dit ensuite de Madeleine que c’était une “gredine “ et qu’il a réussi à se débarrasser de cette “teigne “. Lorsqu’il enlève Suzanne, M Walter lui même doit reconnaître qu’il est fort ” C’est un homme d’avenir dit -il, Il sera député et ministre. Avec les êtres de cette trempe là , on ne sait jamais ce qui peut arriver “ ; On peut donc penser qu’on le craint autant qu’on l’admire . Le jour de son mariage, le 20 octobre , c’est l’apothéose : il est ivre d’orgueil, comparé à un empereur qu’on sacre , adulé par une foule immense venue pour assister à l’événement. Vedette de cette cérémonie, il “sentait sur sa peau courir de légers frissons, les frissons froids que donnent les immense bonheurs. Il ne voyait personne. Il ne pensait qu’à lui . ”
Maupassant abandonne alors son personnage au faîte de sa gloire et termine son récit sur ces images de triomphe. Il a peint le portrait d’un arriviste , jeune ambitieux venu faire fortune à Paris comme de nombreux jeunes hommes à cette époque mais à la différence des héros romantiques, ce personnage est d’emblée présenté comme d’une “rouerie native”; Son parcours obéit à des étapes : il se fixe un objectif, l’atteint , s’ennuie et se fixe alors un autre objet de désir , toujours poussé par une sorte de “colère envieuse”; Cynique et immoral dès les premières pages, il montre toutefois une capacité d’adaptation peu commune . Anti- héros, il l’est assurément et se faufile dans une société corrompue . Les autres personnages n’hésitent pas à l’insulter : il est tour à tour traité de gredin, crapule, cochon, vaurien et même gueux, injure qui n’est pas sans rappeler ses origines paysannes.