Dans le cadre de notre parcours consacré aux combat pour l’égalités des droits, nous avons rencontré des textes argumentatifs . Ils se caractérisent par leur caractère non fictionnel et leur appartenance, pour les deux extraits que nous comparons , au genre de l’essai. En 1949, Simone de Beauvoir fait paraître son ouvrage Le deuxième sexe dont la thèse centrale démontre d’abord l’infériorité des femmes en matière de droits , pour pouvoir dénoncer cette injustice. Beauvoir fonde son argumentation sur des affirmations prétendument historiques et compare la position des femmes dans la société de son époque, à celles des vassaux dans la société médiévale; Elle emploie, à dessein, le vocabulaire spécialisé : esclave, vassale et femme-lige alors que l’homme est qualifié de suzerain ( l 17 ) en sa qualité de protecteur naturel . Elle fera également référence au système de castes qui maintiennent les individus dans des rôles prédéfinis et qui n’évoluent pas.
Elle se base donc, pour raisonner , sur une état de fait sans pour autant le démontrer avec précision : les deux sexes ne se sont jamais partagé le monde à égalité. Il s’agit d’une affirmation à valeur générale qui ne repose sur rien de concret avec une formulation péremptoire liée à l’emploi de l’emploi de la tournure négative . Pour nous convaincre de l’infériorité du statut de la femme , elle le compare à un lourd handicap ce qui est très dévalorisant pour l’image de la femme qui apparait ainsi privée d’une partie de ses droits naturels comme si on lui avait retranché un membre : l’homme est accusé ainsi de la priver injustement d’une partie de ses “droits ” ( l 5 ) . Elle montre ensuite que les mentalités évoluent lentement et que beaucoup continuent à agir , par habitude , en dépit des nouvelles lois.
L’adverbe économiquement sert de connecteur logique pour aborder une seconde idée : celle du statut économique des femmes qui sont décrites comme de nouvelles venues sur le marché du travail ; Ainsi elles apparaissent comme des “concurrentes de fraîche date ” et se heurtent à plusieurs obstacles de taille : à la fois le nombre plus important des hommes et les postes qu’ils occupent souvent haut placés dans la hiérarchie de l’entreprise. Cette situation, pour Simone de Beauvoir , constitue une forme d’injustice: Encore une fois, elle fait reposer son argumentation sur un état de fait et se transforme en historienne des mentalités avec une phrase comme : ils sont revêtus d’un prestige dont toute l’éducation de l’enfant maintient la tradition” Elle souligne ici une forme de supériorité innée concédée aux hommes par l’éducation que reçoivent les enfants . Bien avant les études sociologiques qui mettront en évidence le sexisme de l’éducation , Beauvoir accuse l’éducation donnée de transmettre l’idée du “prestige ” de l’homme donc, d’une forme de dévalorisation de la femme . Il est vrai qu’on va apprendre davantage aux filles l’obéissance, la patience et la résignation car on les prépare au rôle traditionnel dans les sociétés patriarcales de mère et d’épouse dévouée ; les garçons seront davantage encouragés à la compétition et on cherche à les “endurcir ” en inhibant parfois l’expression de leurs sentiments . C’est à cause de ces préjugés que les représentations stéréotypées perdurent : les hommes seraient forts, nés pour dominer et les femmes fragiles ,nées pour être protégées . Beauvoir démontre le poids des clichés dans la constitution de nos identités d’homme ou de femme au sein de la société . Elle constate également que “dans le passé toute l’histoire a été faite par des mâles ” . Cette affirmation à portée générale est quelque peu exagérée car s’il est vrai que les hommes occupent souvent les premières places à la tête d’un Etat ou sur un champ de bataille, quelles femmes ont elles aussi marqué l’histoire comme Cléopâtre, Diane de Poitiers, Jeanne d’Arc, Catherine de Médicis , Catherine II de Russie, Simone Weil, et plus près de nous Angela Merkel , la reine d’Angleterre.
Passé, tradition, habitude ,sont considérés comme des freins au développement et à la libération de la femme de ces clichés qui l’emprisonnent dans un rôle secondaire . Le changement est en cours mais les femmes “commencent ” seulement à prendre part à l’élaboration du monde ,” ce monde qui appartient encore aux hommes .” Beauvoir semble indiquer , au moyen de cet adverbe “encore ” qu’il ne sont pas prêts à céder leur place . Le conflit parait donc inévitable sur ce point . Le parallélisme de construction ” Ils n’en doutent pas; elles en doutent à peine ” traduit l’idée d’un long cheminement avant que l’égalité des statuts soit entièrement reconnue : non seulement les hommes ne leur feront pas de place mais beaucoup de femmes , qui plus est, ne viendront pas réclamer qu’on la leur donne. Le conflit pourrait tourner à leur désavantage si elles renoncent à demeurer les complices de l’Homme dans une relation où c’est lui qui dirige et leur assure sa protection de dominant. Elle appelle de ses voeux une forme de révolte des femmes contre leur statut d’éternelle seconde ; Elle nous invite ainsi à repenser la relation homme / femme non pas en terme de complémentarité mais en terme d’égalité , de ressemblance , d’identité de statut et de droits. La femme n’est pas l’Autre de l’homme : elle doit se revendiquer, à part entière , comme un sujet indépendant et pas se définir dans une relation à l’Autre , c’est à dire ne fonction de l’Homme. La fin du texte est , à la fois un appel à l’action et une critique de la passivité de certaines femmes qui , selon elle, se complaisent ” dans cette forme de dépendance. On reconnait ici le vocabulaire de la philosophe qui se bat pour une nouvelle définition de la Femme en tant qu’entité indépendante , sujet pensant et autonome.
Les arguments de Beauvoir peuvent paraître convaincants car ils se basent sur des réalités éprouvées, suffisamment globales pour nous toucher mais qui peuvent être sujettes à caution. Certains arguments, en effet, sans être invalides peuvent être aisément réfutés ou nuancés . Si aucun ne semble fallacieux, certains sont discutables et elle n’évite pas toujours l’amalgame.
La stratégie de Benoite Groult est quelque peu différente comme nous allons le démontrer.