09. mars 2023 · Commentaires fermés sur Tirailleurs , un film qui montre la guerre à hauteur d’homme · Catégories: Terminale spécialité HLP · Tags: , ,
Si le film de guerre est un genre très particulier, dans Tirailleurs , la guerre reste à ” hauteur d’homme” selon les propos du réalisateur Benjamin Vadepied.  En janvier 2023 , la diffusion du film coïncide avec une annonce du gouvernement : les soldats des ex- colonies  , qui ont combattu pour la France , pourront désormais repartir vivre dans leur pays d’origine et continueront à toucher leur pension militaire et les aides auxquelles ils ont droit en tant que citoyens français. Jusqu’alors, ils étaient tenus de résider sur le territoire français pour pouvoir bénéficier de leur pension .     Comment la France métropolitaine considère-t-elle aujourd’hui les descendants de ces tirailleurs sénégalais et comment rendre compte des violences qu’ils ont endurées.Retour sur le synopsis du film : deux paysans Bakary Diallo et son fils Tierno se retrouvent enrôlés de force pour combattre les allemands dans le nord-est de la France en 1917. Le père s’est donné comme mission de ramener son fils sain et sauf mais ils vont tou deux affronter les violences de la guerre et se transformer . 200 000 soldats appelés tirailleurs sénégalais , originaires des pays d’Afrique de l’ouest sont venus grossir les rangs des combattants français: 30 000  sont morts pour cette patrie lointaine où la plupart n’avaient jamais mis les pieds, cette France dont une petite minorité seulement savait parler la langue comme Tierno qui est allé à l’école des blancs . Bakary lui, ne parle et ne comprend que le peul, une langue d’ Afrique de l’Ouest , parlée par 500 000  personnes au  du Sahel, au Mali,en passant par le Niger,  le Burkina Faso, jusqu’au Soudan. Qu’est-ce qui , dans ce film et dans ce rapport à l’histoire  peut nous sembler violent ? 
 L’homme pris dans la tourmente de la guerre 

1 Une violence particulière : la violence de l’enrôlement. Les deux hommes en effet, ne sont pas volontaires; Il sont raflés par les troupes coloniales car un décret intime l’ordre aux habitants des colonies  de venir prêter main forte aux français. Bakary tente de faire fuir son fils; En vain, ce dernier est rattrapé par les soldats recruteurs et emmené au camp d’où il partira , en bateau, pour la France, étape que le film a choisi de ne pas montrer . Son père le suit pour le protéger et  va jusqu’à mentir sur son âge lorsqu’il est interrogé par l’officier recruteur. Bakary s’est trouvé face à un dilemme : abandonner sa femme pour protéger leur enfant ou demeurer avec les siens pour protéger le village dont il est l’un des Anciens. Le réalisateur a expliqué qu’il ne souhaitait pas  construire  ces soldats “forcés ” uniquement dans une posture victimaire, mais au contraire, transfigurer des personnages ordinaires et les élever au statut de véritables héros. Il y a là l’ambition de redonner une forme de dignité à ces pères et plus largement aux générations des parents qui portent cette forme d’humiliation aux yeux de leurs enfants.2/ La violence du déracinement et le rapport à la France “Mère patrie ” ? Une fois en France , les soldats passaient par des camps d’entrainement et se retrouvaient rapidement en première ligne; On peut noter l’importance de ne pas comprendre le français et de ne pas toujours pouvoir communiquer entre eux . La fraternité pourtant  existait dans les faits comme veut le croire le jeune officier Chambeau qui déclare que la guerre les rend tous égaux . L’arrière est présenté comme une zone de non droit où règnent les combines (  un poste à  la cantine  pour ne pas aller au front ) ; Tierno va se faire dépouiller violemment de sa solde par des soldats qui cherchent à tout prix à réunir de l’argent pour s’enfuir. A la fin du film, on verra des fuyards , complices de Bakary, pendus à la sortie du village, sans doute dénoncés par leurs passeurs. On note également des scènes où les soldats africains sont humiliés par des français condescendants .  Le camp de regroupement africain, aux équipements sommaires,  est montré  comme  un espace de violence, d’infériorisation et de mépris, lieu où l’on brise les hommes par le tutoiement, le contrôle sanitaire, les injonctions faites dans un français incompréhensible pour un Bakary qui a besoin d’un traducteur, l’usage d’un français « petit nègre » railleur («  toi défendre maman patrie »), l’uniforme qui bride les corps et entrave les mouvements,  la brutalité des sanctions, la mise au pas sous toutes ses formes. ; Une forme de violence  morale est illustrée dans l’apprentissage des consignes et de la hiérarchie mais elle a été, historiquement,  justifiée par la nécessité de l’obéissance pour la survie du groupe.  l

3/ La violence des visions de la prise de contact avec l’univers du front 

 Lorsqu’il croisent le regard des hommes de retour des combats, les nouvelles recrues  font face à la violence de leurs corps brisés. C’est un long traveling qui dans le film montre le cortège de gueules cassées et d’invalides ; La funeste charrette des morts que découvrent Bakary, Thierno et leurs camarades est sans doute un choc violent . La marche en direction des premières lignes est   ainsi l’occasion d’une rencontre terrifiante avec « l’ensauvagement » de la guerre, la perte du rapport sacré aux morts, les effets de la « brutalisation » , phénomène décrit par de nombreux historiens qui étudient les conséquences de la guerre sur les comportements des hommes.   Mais cette arrivée en France  est aussi l’occasion d’une rencontre avec l’Autre, qu’il s’agisse de l’enfant blonde croisée à deux reprises par Bakary et Thierno, de femmes seules , de paysans qui doivent fuir avec leurs maigres ressources et parfois, en abandonnant  leurs fermes et leurs bêtes.  On sent à l’écran une forme de compassion pour ceux qui souffrent .Peu à peu, les hommes vont se transformer en soldats avant de devenir des guerriers ou des cadavres comme le jeune Adama, fauché en pleine jeunesse pour sa première montée au front.4/La violence des combats : les assauts 

Pour être dans la forme la plus réaliste et la plus émotive, la plus proche de la sensation du tirailleur qui se trouve au milieu des bombardements, des tirs et des cris,le réalisateur affirme s’être documenté en lisant des récits de soldats. Dans leurs témoignages, il  tente de comprendre  ce que cela représente physiologiquement pour un être humain de se trouver dans une situation de combat à la guerre.  Il restitue notamment cet effet « tunnel » : la mobilisation du corps au combat en termes d’adrénaline est telle que le champ visuel et sonore se resserre devant soi. On n’entend plus et on ne voit plus ce qu’il y a sur les côtés. Ce qui permet d’être tendu vers l’objectif mais accentue le danger puisqu’on perd conscience de ce qui se passe autour de soi. Ainsi , les images tentent de montrer la violence de cette expérience humaine. II Au delà de l’expérience partagée de la guerre , la violence du rapport à l’Autre 
1/ L’effet désintégrateur : la tuerie de masse Cette guerre industrielle désintègre les hommes, fragmente les corps, annule toute possibilité de retrouver une trace des disparus. Sitôt montés au front en septembre 1917, Bakary, son fils et leur bataillon sont envoyés en première ligne. C’est à une violence terrible qu’ils sont d’emblée confrontés : peur, bruits assourdissants de l’artillerie, perte momentanée des sens et des repères , râles des blessés et agonisants abandonnés dans le no man’s land, cadavres laissés sans sépulture comme Adama , rations froides, nuits sans sommeil. Mais le fils et son père vont lutter contre cette déshumanisation qui les menace en continuant à penser aux autres : ils risqueront leur vie pour ramener le corps de leur frère d’armes et Bakary sauvera un renard prisonnier des barbelés. Ce renard le suivra juste sous l’Arc de triomphe où ses restes reposent ainsi que le laisse entendre le film, mélangés avec ceux d’autres soldats  dont on honore symboliquement  la mémoire  sous la tombe du Soldat inconnu. 2/ Violences intra-  et inter -communautaires C’est donc un large éventail de  souffrances et de traumatismes pour les corps mais pour les tirailleurs africains, cette guerre  les a également amenés à une  confrontation avec une civilisation européenne qui leur était présentée comme supérieure et qui se signale avant tout par sa barbarie. Dès le premier engagement, la mort d’Adama place Bakary et Thierno dans la perte . Cette violence n’est pas seulement subie. Elle est aussi administrée. Comme son fils Thierno, le pacifique Bakary finit par céder à la violence. Il est ainsi victime de la brutalisation  inhérente au temps de guerre.  Il tue pour ne pas mourir, et finit par tuer pour obtenir de l’argent afin de s’enfuir, acheter sa liberté. Les hommes peuvent parfois se comporter comme des bêtes sauvages . Comment se souvenir de ces violences lorsqu’on a été arraché à son pays, à sa famille ? On peut toutefois penser, en regardant le film, que le sort  de ces hommes noirs ne diffère pas vraiment de celui  des fantassins « européens ” car les jeunes recrues étaient elles aussi mobilisées et toute tentative de désertion était punie de mort .  .

3/ Violence intra-familiale : le Père et le Fils   Olivier Demangel, le scénariste explique que la relation père- fils a constitué  le point de départ de son travail .  ” Cette relation est l’angle principal. L’idée générale – universelle – est que cette guerre-là a plongé tous les êtres dans une réalité tellement atroce qu’elle a tout redéfini. Y compris d’ailleurs le rapport entre Noirs et Blancs puisque certains historiens datent de la Première guerre la naissance des mouvements de décolonisation, notamment avec la création du premier mouvement panafricain. Dans TIRAILLEURS, c’est le rapport père-fils qui est bouleversé par le conflit parce que la guerre, par définition, invente un autre système d’autorité, et parce que la rivalité qui naît entre les deux personnages fait exploser leur relation, même s’ils finissent par se retrouver.” 4/ Violence et fraternité : le rôle de la mémoire 

 L’expérience de la guerre partagée a modifié durablement les liens entre colons et colonisés et a pu, pour certains, altérer l’image de la France . Les anciens combattants issu des régiments de tirailleurs sénégalais ont pu ensuite vivre douloureusement le racisme d’une partie des Français ; Pourtant n’avons nous pas une dette envers tous ces Africains qui sont tombés sur les champs de bataille ?; Ils ont fait don de leur vie pour un idéal et une devise ” liberté égalité fraternité ” qui n’est peut être pas toujours respectée . L’homme d’Etat, Georges  Clemenceau a tenté de leur rendre hommage .  En croisant une troupe harassée de tirailleurs qui rentraient des tranchées, il leur  aurait dit […] qu’ils étaient en train de se libérer eux-mêmes en venant se battre avec nous, que dans le sang nous devenions frères, fils de la même civilisation et de la même idée […] . Frères ou ennemis ?  Comment ces soldats ont -ils ensuite construit les souvenirs de cette guerre qui est devenue la leur ?  »Comment se souviendront  leurs enfants et leurs descendants  de ces violences lorsqu’ ils ont été arrachés à leurs pays, à leurs familles ? On peut toutefois penser, que quelque part , le film, montre aussi que le sort  de ces hommes noirs ne diffère pas vraiment de celui  des fantassins « européens ” car les jeunes recrues étaient elles aussi mobilisées, sans avoir le choix de refuser l’engagement ,  et toute tentative de désertion était punie de mort .  A l’image de ce qu’a tenté de faire le  lieutenant Chambeau dans son unité,   le film montre lui aussi une forme de fraternité , de rapports d’égalité entre ces soldats mêlés sur les champs de bataille  et dont le sang versé a lui, la même couleur ; Conservons leurs mémoires entrelacées .Pour conclure, il ne s’agit pas seulement dans ce film, de montrer les différentes facettes des violences subies par les soldats , en tant qu’individus doués de sensibilité et en tant que membres d’une communauté dont ils défendent les valeurs ; il s’agit de révéler les transformations opérées par ces plongées dans la violence physique, morale ou psychologique et de construire une histoire respectueuse des hommes et des femmes qui ont traversé ces épreuves et en sont sortis profondément bouleversés dans leur relation au Monde et à autrui ; En effet , les violences subies  ou rencontrées ou administrées ne se contentent pas de nous changer intérieurement, elles modifient durablement  notre vision du monde.