Au milieu du dix-neuvième siècle, alors que le romantisme a encore beaucoup de succès ,certains auteurs se démarquent des thèmes de ce courant littéraire qui exalte le lyrisme personnel. Ils partagent l’idée selon laquelle le roman doit plutôt être un miroir qu’on promène le long d’une route et qu’il doit refléter la totalité du monde : l’azur parfois mais également la boue du chemin. Les auteurs qui adoptèrent cette position et qui se revendiquaient réalistes furent, parfois, en butte à de violentes critiques: on leur reprochait souvent de montrer la noirceur du monde, de s’attacher à des peintures ignobles de la saleté et de la misère . Chacun d’entre eux tenta de justifier son projet d’écriture et ses choix narratifs et , pour défendre leurs projets d’écriture, ils écrivirent des préfaces à leurs romans; Une préface est avant tout un texte argumentatif qui défend la thèse de l’écrivain: le plus souvent, l’auteur s’y adresse à ses futurs lecteurs afin de prévenir leurs éventuelles critiques; Il explicite ses choix narratifs et réaffirme , selon lui, la nécessité d’un parti-pris réaliste. Examinons tout d’abord la Préface de Thérèse Raquin : Zola s’y adresse directement à ceux qui ont vivement critiqué le roman à sa parution.
Certains journalistes en effet, spécialisés dans la critique littéraire , ont eu des mots très durs contre le livre : ils ont évoqué l’ordure et la puanteur et Zola commence par se moquer de leurs grimaces de dégoût mais il leur reproche surtout de ne pas avoir compris la nature de son projet; Il entend donc, au moyen de cette préface, présenter lui -même son œuvre : “j’ai voulu, écrit -il, étudier des tempéraments et non des caractères .. j’ai choisi des personnages souverainement dominés par leurs nerfs et leur sang, dépourvus de libre arbitre, entraînés à chaque acte de leur vie par les fatalités de leur chair.. des brutes humaines , ajoute-t-il. Son but a donc été avant tout , un but scientifique et il prétend avoir effectué “ sur deux corps vivants le travail analytique que les chirurgiens font sur un cadavre” . Il répond ainsi à ceux qui l’accusent d’avoir effectué , avec complaisance, c’est à dire ne y prenant du plaisir, des tableaux obscènes. Il compare sa démarche à celle d’un peintre qui représente une jeune femme nue : il oublie le modèle qu’il a sous les yeux pour ne plus penser qu’à son œuvre et non à la vraie femme qui pose devant lui, en chair et en os; Zola tente de convaincre son public et ses lecteurs qu’il n’est ni pornographe ni attiré par l’obscénité mais simplement désireux de montrer la vérité du mécanisme humain et de reproduire des “détraquements nerveux” sur des bases scientifiques. “le reproche d’immoralité, écrit -il, en matière de science “ne prouve absolument rien. On pourrait toutefois répondre à Zola qu’il s’agit d’art , de roman et pas tout à fait de science même si l’auteur adopte des méthodes proches de celles des analyses scientifiques. Zola termine par de violentes attaques contre les critiques littéraires , traitant les journalistes de ” sots et d’imbéciles . Il semble faire confiance à la postérité pour reconnaître les qualités de son œuvre et rappelle son point de départ : “l’étude du tempérament et des modifications profondes de l’organisme sous la pression des milieux et des circonstances .” La préface selon Zola joue le rôle d’une lanterne qui permet d’éclairer le roman et il l’a écrite ” par amour de la clarté”
Maupassant lui aussi , sera tenté par l’écriture d’une préface pour son roman Pierre et Jean . Il y définit sa conception du réalisme ;
Le réaliste, s’il est un artiste, cherchera, non pas à nous donner la photographie banale de la vie, mais à nous en donner la vision plus complète, plus saisissante, plus probante que la réalité même.Raconter tout serait impossible, car il faudrait alors un volume au moins par journée, pour énumérer les multitudes d’incidents insignifiants qui emplissent notre existence.Un choix s’impose donc — ce qui est une première atteinte à la théorie de toute la vérité.La vie, en outre, est composée des choses les plus différentes, les plus imprévues, les plus contraires, les plus disparates ; elle est brutale, sans suite, sans chaîne, pleine de catastrophes inexplicables, illogiques et contradictoires qui doivent être classées au chapitre des faits divers.Voilà pourquoi l’artiste, ayant choisi son thème, ne prendra dans cette vie encombrée de hasards et de futilités que les détails caractéristiques utiles à son sujet, et il rejettera tout le reste, tout l’à côté.Un exemple entre mille :Le nombre des gens qui meurent chaque jour par accident est considérable sur la terre. Mais pouvons-nous faire tomber une tuile sur la tête d’un personnage principal, ou le jeter sous les roues d’une voiture, au milieu d’un récit, sous prétexte qu’il faut faire la part de l’accident ?La vie encore laisse tout au même plan, précipite les faits, ou les traîne indéfiniment. L’art, au contraire, consiste à user de précautions ou de préparations, à ménager des transitions savantes et dissimulées, à mettre en pleine lumière, par la seule adresse de la composition, les événements essentiels et à donner à tous les autres le degré de relief qui leur convient, suivant leur importance, pour produire la sensation profonde de la vérité spéciale qu’on veut montrer.Faire vrai consiste donc à donner l’illusion complète du vrai, suivant la logique ordinaire des faits, et non à les transcrire servilement dans le pêle-mêle de leur succession.J’en conclus que les réalistes de talent devraient s’appeler plutôt des illusionnistes.
Maupassant, Préface de Pierre et Jean, 1888.