Écrivain voyageur , Sylvain tesson arpente le vaste monde en observateur silencieux et admiratif. Il nous emmène dans le sillage d’un couple de photographes animaliers et nous fait partager cette attente de la panthère des neiges. Un photographe animalier comme Vincent Munier est quelqu’un qui cultive l’art de la patience et qui accepte l’incertitude . “Le plus difficile consistait à se taire .” pense l’auteur qui jusque là avoue avoir considéré l’immobilité “pour une répétition générale de la mort “. Ces affûts vont donc modifier sa façon de voir le monde qui l’entoure ;
Sa première rencontre est celle d’une famille de blaireaux dans la forêt vosgienne . L’artiste l’invite alors à le suivre dans sa quête de la panthère des neiges au Tibet. Les découvertes commencent avec les yacks appelés drungs par les tibétains , sorte de créatures immémoriales, totems de la vie sauvage . Chaque soir dans la cabane, Marie, la fiancée de Munier, et Léo ancien étudiant en philosophie, refont le monde ; La première photo de Munier , celle qui lui révéla sa vocation fut un chevreuil dans ses Vosges natales : dès lors , il “célébrait la grâce du loup, l’élégance de la grue, la perfection de l’ours ” .” L’amour des bêtes a aboli toute vanité en Munier ” il ne s’intéressait pas trop à lui-même , il ne se plaignait jamais..” le soleil transmutait la poussière en sillage d’or qui retombait en filet rouge. Les pelages vibraient dans la lumière donnant l’illusion d’une vapeur.. un paysage de désert minéral “ . L’auteur apprend à sentir la présence du sauvage et à le saisir du regard avant qu’il disparaisse Le Tibet semble alors le cadre rêvé pour la métaphysique et le narrateur s’interroge sur sa propre sensibilité : “pourquoi voyais-je toujours dans un paysage les coulisses de l’horreur ? ” se demande-t-il ( p54 ) Il médite alors sur les origines du Monde et des premières formes de Vie sur terre. La présence de Dieu fait également l’objet de réflexions ainsi que l’évolution des espèces . (extrait 1 )
Après 10 jours de bivouac au pied du Chang Tang et du lac Yaniugol , l’équipe observe des troupeaux de chirou, antilopes des neiges à la robe tâchetée . Ces steppes sont un haut lieu du Tao , une branche du bouddhisme qui honore le Vénérable monté sur un buffle et pose la question de savoir si l’âme est capable de percevoir l’unité du monde . Sylvain Tesson avoue se sentir parfaitement chez lui dans ces paysages du bout du monde et il cherche à comprendre pourquoi , quel est le lien qui l’unit à ces terres désertiques . ” ces aplatissements géographiques reflétaient mon état d’âme ” et ma neurasthénie , pense-t-il . Il y voit une sorte de théorie- géo-psychologique qui fait s’associer les goûts géographiques et les humeurs des hommes . Après avoir longuement observé les rapaces, les ânes sauvages et écouté le chant des loups, les hommes aperçoivent enfin la panthère “cet esprit des neiges” . Durant les 8 années de sa vie, la panthère peut passer 20 heures par jour à dormir : elle chasse par fulgurance et se tient dissimulée le plus longtemps possible pour surprendre ses proies. C’est l’occasion de réfléchir à ce qui sépare l’homme de l’animal . Aristote borne le destin animal aux fonctions vitales et à la perfection formelle, en dehors de toute considération morale. Nietzche reprendra cette même idée que les bêtes vivent par delà le bien et le mal . La mort pour les animaux n’est qu’un repas “Leur violence n’était pas la rage, leurs chasses n’étaient pas des rafles . ” ( p 131 )
En attendant de recroiser la route et le regard de la panthère, Sylvain tesson médite sur l’évolution de l’humanité et se désespère que beaucoup ne songent qu’à asservir la Nature au lieu de tenter de la préserver . ( extrait 2 p 143 ) “Nous lessivions les sols, acidifiions les eaux , asphyxiions les airs . Le monde reculait, la vie se retirait, les dieux se cachaient. la race humaine se portait bien. elle bâtissait les conditions de son enfer…” . L’idée de la circulation des âmes à travers l’immense stock planétaire de chair vivante fait voir au narrateur l’esprit de sa mère dans les yeux de la panthère . Buddha et Pythagore s’accordent sur la réincarnation . Le voyage se termine par la découverte des sources du Mékong, ce fleuve qui traverse le Tibet, la Chine et l’Indochine et les 4 amis se plongent , avec délectation dans les sources chaudes , par moins 20 degrés extérieur, mimant ainsi, avec humour, l’histoire des origines de la vie ” sortir de la soupe, ramper dans la nuit, trouver un abri “ . Le retour à la civilisation est rude : ” en Occident , la pensée régnante de ce début de siècle 21 instituait en vertu le mouvement des hommes, la circulation des marchandises , la fluctuation des capitaux, la fluidité des idées ” . Les philosophies en Asie lui apparaissent alors comme une “pharmacopée morale ” : elles enseignent soit de ne pas désirer , soit de considérer l’absence comme la présence de la panthère comme deux faces d’un même tout et de s’en réjouir également . De ce voyage, il retiendra l’idée de l’affût comme d’un apprentissage de la patience . L’antique pacte des bêtes et des hommes ressurgit alors par instant, dans la contemplation de ces animaux souvent invisibles , qui nous ramènent à des temps immémoriaux car “regarder une bête ; c’était coller l’oeil à un judas magique . Derrière la porte, les arrière-mondes ”
Un périple qui ne vous laissera pas indifférent et qui milite pour que l’homme sache se faire tout petit et s’emploie à préserver la beauté du monde dans lequel il évolue , beaucoup moins gracieusement toutefois , qu’une panthère des neiges .