08. avril 2019 · Commentaires fermés sur Les Tragiques : la France en mère déchirée · Catégories: Première

aubi.jpg  Théodore Agrippa d’Aubigné vécut aux XVIème et XVIIème siècles. Né d’une famille protestante, il reçut une éducation humaniste, dans les principes de la Réforme. Voué à la défense de la cause protestante, il prit rapidement les armes et s’engagea au coté d’Henry de Navarre. Déçu par l’abjuration de ce dernier qui es convertit au catholicisme pour mettre un terme aux guerres de religion qui divisaient le pays,   c’est par l’écriture qu’il décida de poursuivre son combat : Les Tragiques, dont est extrait le texte qui suit, est une œuvre poétique engagée , liée aux persécutions  du parti protestant au cours des guerres de religion. 
    Le premier chant  intitulé Misères présente la tragédie de la France à travers une grande allégorie:pour peindre les misères du pays , le poète utilise une allégorie de la France en mère nourricière déchirée par la lutte fratricide de ses deux enfants. Examinons comment le poète rend compte de son attachement à sa patrie .   
 

Quelles questions peut -on vous poser à propos de ce poème ?  

a) Comment le poète dépeint-il les misères de son pays? 

b ) De quelle manière le poète décrit -il la violence des guerres qui déchirent la France ?

c) en quoi ce poème fait-il partie de la littérature engagée ? 

d) Comment ce poème traduit-il l’engagement de l’écrivain pour le camp protestant ? 

A partir des éléments suivants, composez des plans détaillé qui permettent de répondre aux questions posées . aubi2.jpg

L’utilisation de l’allégorie de la France sous la forme d’une  mère qui tente d’allaiter ses deux jumeaux  est le procédé d’écriture central du poème : cette allégorie  permet de traduire de manière imagée et saisissante les malheurs de la France en montrant d’une part les souffrances de la mère nourricière à travers le registre de la violence physique ; chaque camp est représenté sous l'image d'un bébé qui tente de tuer son rival en le privant de nourriture; en engageant ce combat , il blesse au passage sa mère et encourt sa malédiction. La mère est présentée comme la principale victime de ce combat mortel qui l’atteint et la menace durement. Le poète traduit ainsi l‘affaiblissement du pays à cause des guerres de religion qui divisent les Français et à terme provoqueront l’exil de milliers de protestants  Pour convaincre ses lecteurs , le poète va employer un certain nombre de procédés d’écriture comme l’hyperbole , les anaphores et les effets oratoires . L’engagement de l’écrivain se marque notamment par le recours aux figures bibliques .

 Dès le premier vers en alexandrin, le poète annonce clairement et solennellement son intention : “Je veux peindre la France une mère affligée” :
– Le terme “peindre” suppose bien une description  à la manière d’un tableau.- L’expression “mère affligée” met bien en valeur les deux axes d’étude : la France est à la fois “mère” avec la faillite notamment de son aspect protecteur et nourricier- et  également “affligée”  qui à cette époque signifie : qui est mortellement blessée , dont la peine est immense : Ce participe passé  annonce  le thème de la peine et de la violence avec le combat des enfants.
La mère est montrée dans le rôle d’une mère qui allaite ses deux enfants : ils sont entre ses bras ( v 2 ) et elle en porte la responsabilité, le poids comme le suggère le participe passé chargée; cette mère doit veiller sur ses petits et dans le poème , elle s’en montre incapable ;Les “tétins nourriciers” sont rejetés en début du vers 4 et sont ainsi mis en valeur par leur position en tête de vers .Le sein est ici une métonymie de la mère nourricière. La mère ne peut distribuer équitablement “le doux lait ” à ses enfants à cause du jumeau le plus querelleur qui est à l’origine du “dégât” ; ce terme a un sens plus fort à cette époque et désigne une action aux conséquences désastreuses ; la peine de la mère apparait notamment à travers les expressions du vers 15  et 16 ; “soupirs ardents, pitoyables cris et pleurs réchauffés ” ; l’énumération qui occupe deux vers peut être considérée comme une gradation ; la souffrance morale ici est doublée d'une véritable souffrance physique qui apparaît elle aussi grandissante avec notamment une augmentation marquée au vers 21  “en sa douleur plus forte ”  . La mort de la mère est envisagée avec le verbe “succombe ” au vers 22 et l’expression ” mi vivante à mi morte” semble marquer une étape décisive dans le conflit , une sorte d’état intermédiaire qui peut basculer d’un moment à l’autre vers la catastrophe; Le poète marque ainsi , par différents procédés d’amplification, un paroxysme qui transforme la France en une sorte de gibier dans une montée inexorable de la violence ; “Aux derniers abois de sa prochaine ruine ” marque l’approche de la défaite qui se solde par une mort douloureuse ; le terme ruine peut s’employer à cette époque au physique comme au moral ; On parle de la ruine d’un pays et la ruine peut désigner le fait qu’un individu soit dévasté par le chagrin ou le malheur.

Le poète donne à voir le combat et ses conséquences à travers des verbes de vision  comme “elle voit ” au vers 23 et la mère finit par s’adresser directement à ses entants meurtriers ; ce passage au style direct introduit une sorte de solennité  dans le poème car les paroles de la mère meurtrie sont des imprécations, des malédictions ; elle traite ses entants de “félons “, terme injurieux aux connotations péjoratives qui peut peut- être faire référence aux nombreux traités de paix non respectés durant les 8 guerres de religions qui ensanglantèrent la France entre 1562 et 1598 ; les sièges de La Rchelle, ville où se réfugièrent de nombreux soldats protestants ainsi que le massacre de la Saint Barthélémy durant lequel fut assassiné l’amiral Coligny qui dirigeait l’armée protestante furent empreints d’une grande violence et marquèrent les esprits .  
Le registre de la violence physique est  donc omniprésent dans le poème et les sonorités contribuent  à en marquer les effets sur le lecteur par des phénomènes d’harmonie imitative –  Ainsi au vers 8 , l’allitération en d associée à la douceur crée un contraste saisissant : “Fait dégât ddoux lait qui doit nourrir les deux” ; Au moyen d'une opposition entre les dentales dures [d] et des voyelles douces [u]) ainsi que par le choix des mots opposés dans leurs connotations  doux et dégâts, l'auteur introduit une sorte de réflexion sur l'aberration de cette situation . Au vers 12 : "Ayant dompté longtemps en son cœur son ennui”, on retrouve une alternance  entre les d et les s , deux consonnes qui par leurs allitérations marquent la dureté et la sècheresse ; de même , le vers 18 : “si bien que leur courroux par leurs coups se redoublent”  nous fait quasiment entendre le bruit des coups échangés par  les assonances en [u] et les allitérations en c et en d . L’harmonie imitative est en effet un procédé poétique qui consiste à utiliser des sonorités qui traduisent des sentiments : d pour dureté ici et c pour coups, colère, combat.

 

Le poème est parcouru par cet affrontement violent dont il détaille l’évolution et les étapes : on retrouve notamment  le déclenchement du conflit au vers 3 : le plus fort empoigne ..d’Aubigné désigne ici le camp catholique majoritaire en France et dont l’existence est antérieure à l’émergence de la Réforme ; les Protestants sont en effet des catholiques qui veulent réformer l’Eglise en supprimant ce qu’ils considèrent comme des abus et en proposant une nouvelle lecture des Evangiles; le protestantisme nait en Allemagne avec Luther et Calvin et sera introduit en France au seizième siècle . Les protestants sont vus comme une  grave menace pour l’autorité du roi  dont ils contestent le rôle divin et surtout  contre le pouvoir  du pape qu’il ne considèrent pas comme le chef de l’Eglise.   En résumé, les conflits vont se succéder entre 1560 et 1598 date à laquelle Henri IV se convertit au catholicisme et impose l’Edit de Nantes qui accorde la liberté religieuse aux protestants français ainsi que la nomination de juges protestants garants de leurs droits civiques. Ce premier enfant qui représente le camp catholique  est traité de “voleur acharné” et il tente de tuer son frère en le frappant à “coups d’ongles de poings et de pieds ” La gradation ascendante marque ici une violence grandissante qui est présentée comme une véritable injustice dans la mesure où ses conséquences sont désastreuses ; en effet, ce combat “brise le partage ” c’est à dire rompt l’équilibre harmonieux entre les jumeaux qui devraient bénéficier d’un allaitement équivalent . Le combat redouble ensuite d’intensité avec les représailles du jumeau attaqué qui rend les coups ( vers 14 ) ; les deux camps sont décrits comme enragés, aveuglés par  leur colère au sen propre et au sens figuré ; ils deviennent furieux, terme qui désigne un homme emporté par la folie de sa colère et qui perd tout  contrôle sur lui-même , qui n’a plus sa raison ; au vers 20, ils finissent par se crever les yeux ; cette blessure symbolique peut rappeler les châtiments mythologiques ; Oedipe se crève les yeux pour ne pas voir littéralement son malheur et sa condamnation ; les deux combattants sont alors mis sur le même plan et leurs blessures sont présentées comm réciproques, d'une égale intensité . Le terme mutin désigne ceux qui se révoltent contre leurs maîtres, ceux qui prônent la rébellion et sèment ainsi le désordre dans le royaume; en effet, les guerres de religion menacent l’équilibre du pays en plus de le fragiliser par les pertes humaines et les destructions qu’elles engendrent. Le poème rappelle bien cet aspect du conflit à travers l’image des jumeaux qui s’entretuent et blessent leur mère; cette dernière cherche à protéger le plus faible, Jacob qui al droit pour lui mais elle s’en montre incapable et l’autre “viole l’asile de ses bras ” ; on voit ici qu’il s’agit bien d’une guerre civile et que les catholiques ne respectent pas les accords de paix en continuant à attaquer les protestants à cause de leur religion ; Au vers 29 , la nourriture devient un suc , qui rappelle les nourritures sacrées dans la mythologie et les textes antiques ; le suc est une sorte de subsistance vitale  et un présent qu’on offre aux Dieux avec le lait et le miel .
Les deux thèmes du poème ; le combat et la mère nourricière  se rejoignent dans une horrible union formulée dans les paroles de la France à la fin du poème (vers 31 à 34) : l’union du sang et du lait :- ce mélange est marqué  au vers  31 notamment avec “Vous avez (…) ensanglanté / le sein qui vous nourrit” :l’ association des deux éléments  est marquée  par l’enjambement. Et le vers final  traduit lui aussi les conséquences dévastatrices de cette guerre : – “Je n’ai plus que du sang pour votre nourriture” v. 34; la mère décrite comme une femme “éplorée ” au vers 21 ne parvient pas à faire cesser ces affrontement qui la tue en même temps qu’il tue ses deux enfants. En effet, le poète marque à plusieurs reprises l’impuissance de la mère face à  la folie meurtrière de ses enfants .
Comment le poème marque t-il l’engagement  de d’Aubigné en faveur d’un camp? 
On peut mesurer cet engagement dans l’ utilisation des figures bibliques : la mère a, en effet, deux enfants jumeaux (Esaü et Jacob). Ces deux enfants représentent respectivement les catholiques et les protestants. Jacob est persécuté par Esaü, comme le sont les protestants par les catholiques. Dans la Bible (Genèse, verset XXV), Jacob, le cadet, le préféré du père, a racheté le droit d’aînesse à Esaü (pour un plat de lentilles), ainsi dépossédé de son héritage. – “Esaü” est  présenté comme “le plus fort, orgueilleux” v. 3 : il symbolise l’Eglise catholique, l’aîné qui agit d’abord sans rencontrer la résistance. Le lexique  utilisé pour le dépeindre est dévalorisant : il est par exemple qualifié de  “ce voleur acharné…” v. 7. Au vers 11 le conflit s’aggrave avec la révolte de l’opprimé  qui refuse de se laisser “arracher la vie ” ; On peut peut être ici lire une allusion aux nombreuses persécutions des protestants  mais surtout ce parti pris permet de voir que ,dans le poème,  la cause  de Jacob est présentée comme légitime : victime des assauts meurtriers de son frère , le jumeau malmené a d’abord pris sur lui  comme le révèle ce vers  “ayant dompté longtemps en son cœur son ennui”; il a finalement cédé et a laissé éclater  “sa juste colère” v. 12-13; l’adjectif juste dans ce vers est synonyme de “légitime ” ; un peu plus loin, le jumeau protestant est présenté comme  “celui qui a le droit et la juste querelle” v. 26.D”Aubigné se situe donc clairement dans le camp des Protestants et demeure fidèle en cela à la cause qu’il défend. 
Mais, en réalité, la position du protestant d’Aubigné n’est pas aussi tranchée : si la balance penche en faveur du plus jeune présenté comme en état de légitime défense, le tableau final condamne, à part égale, les deux frères qui sont associés dans l’expression  : “sanglante géniture”  au vers. 33. C’est ainsi  une image de la France en mère blessée qui devient stérile et s’empoisonne de ce combat fratricide :-  Le mot ” venin” traduit de manière imagée cet empoisonnement dont le pays est victime.  Ravagé par les guerres, il ne peut plus assurer la subsistance de la population .  “Je n’ai plus que du sang pour votre nourriture” v. 34-35 sont les dernières paroles de la mère victime de la folie de ses enfants. 

D’Aubigné montre en ces termes la condamnation de ces guerres auxquelles il a pourtant pris part, aux côtés des troupes protestantes ; fatigué de ces combats fratricides , il utilise la poésie pour en révéler l’horreur et faire ainsi prendre conscience à ses contemporains que ces guerres font courir un risque important  au pays ; Dans le camp opposé, le poète Pierre de Ronsard dénoncera lui aussi les misères de la guerre ; la poésie se fait à la fois l’instrument d’une critique , d’une protestation et retrace la réflexion d’un citoyen qui craint les conséquences de ces violents conflits . 
En conclusion , on peut voir que l’allégorie de la mère affligée frappe l’imagination par la violence des images du combat entre  les 2 frères. Si l’on ressent autant cette violence, c’est que l’auteur a multiplié les effets oratoires pour convaincre et persuader les lecteurs. On retrouvera à toutes les époques ces mêmes procédés dans les poèmes engagés qui dénoncent les tyrans et les oppressions comme les Châtiments de Victor Hugo écrits contre Napoléon III , les poèmes de la Résistance contre l’Allemagne en 39/45 et les poèmes qui dénoncent la violence de la colonisation notamment. 

En résumé, il faut adapter le contenu de vos rubriques  de plans détaillés à la question posée ;

Comment le poète décrit -il la violence de la guerre ? 

1. Par la peinture d’un combat sans merci avec une  allégorie des jumeaux bibliques 

a) les deux combattants représentent les deux camps 

b) le déclenchement du conflit : l’un agresse l’autre qui est alors obligé de se défendre 

c) la montée de la violence : les coups, la folie furieuse 

2. En montrant les conséquences désastreuses de ce combat par l’ allégorie de la France en Mère dépassée et blessée

a) le poète montre la grande souffrance de la mère 

b) le poète montre la mise à mort de la mère 

c) la géniture sanglante : d’Aubigné peint un spectacle de désolation 

ccl : le poète dépasse le simple point de vue partisan pour nous convaincre de la folie de tels affrontements qui sont un supplice pour le pays ; le système allégorique a une valeur saisissante pour le lecteur qui visualise de cette manière les dégâts causés par les guerres de religion   

En quoi ce poème est-il engagé ? 

 I Un engagement qui se lit par la présentation du combat fratricide 

a) le  jumeau qui représente les catholiques est décrit de manière négative

b) le bébé agressé est présenté comme une victime qui finit par es défendre pour ne pas mourir 

c) un poème qui rappelle les propres combats du poète et reflète la violence des affrontements 

Mais un point de vue “humaniste ” et une même condamnation des deux camps 

a) d’Aubigné prend la défense de la  Mère dont il montre la souffrance 

b) la Mère victime de la folie de ses enfants est menacée d’une mort imminente 

c)  on peut lire une condamnation des guerres de religion qui affaiblissent le pays avec la malédiction finale