Lorsqu’il rédige son Journal, Gide a bien conscience que penser le système de ses personnages dans le roman qu’il est en train d’écrire Les faux-Monnayeurs, lui pose un certain nombre de problèmes . S’il envisage leurs rapports en terme de symétrie ou d’oppositions, le procédé de composition lui paraît artificiel et renvoie alors au romantisme , un courant qu’il juge dépassé et qu’il entend bien ne pas reproduire. Mais il av pourtant présent à l’esprit en permanence l’idée de devoir justifier (motiver ) l’évolution de ses personnages (le réalisme est passé par là ) et il est prisonnier de certains principes hérité des romanciers réalistes comme par exemple de caractériser chaque personnage par une voix qui lui serait propre te qui reflèterait sa “personnalité” qui le rendrait reconnaissable pour le lecteur . Avec le couple, Gide peut saisir à la fois le personnage dans son unicité et dans sa relation à l’autre ce qui lui offre deux points de vue qui se complètent ou qui, dans certains cas, s’opposent.
. Le couple, en effet, commence devenir dans cette première moitié du XX sème siècle, la cellule de base autour de laquelle la famille va peu à peu se créer, s’agglomérer. L’exode rural a exilé les jeunes loin de leurs groupes familiaux et dans les villes, les liens vont se reformer autour des couples à une époque où le divorce est extrêmement marginal. Que représente le couple dans Les faux -Monnayeurs et comment expliquer les formes qu’il prend, ses nombreuse variations ?
Pour pouvoir répondre à cette question, il fait tout d’abord faire l’inventaire de tous les couples du roman (étape des recherches) et chercher à dessiner leurs transformations ainsi que leur évolution. Le premier couple est formé de Bernard et Olivier ; ce sont des amis ; Les parents de Bernard forment un couple désuni et peu aimant,gangrené par les regrets et corseté par la morale: Marguerite a eu un enfant hors mariage et le juge Albéric Profitendieu a élevé cet enfant comme le sien. Les parents d’Olivier ne forment pas non plus un couple très uni:Pauline est au courant des liaisons de son mari et finira par le quitter. L’arrivée d’ Edouard va faire apparaître de nouveaux couples : Ce dernier a formé un couple amoureux platonique avec Laura qui , par dépit a épousé Félix; ce dernier souffre du désamour de sa femme qui se retrouve amoureuse de Vincent Molinier; enceinte de lui , elle inspirera pourtant à Bernard, lors de leur séjour à Saas-Fée un amour dévorant mais qui n’aura pas de concrétisation charnelle. On constate dans le roman que certains couples n’ont pas de relations charnelles et on peut penser que Gide fait revivre en quelque sorte, son couple avec sa cousine Madeleine teinté de platonisme. Laura finira par revivre avec son mari. Est-ce le signe d’un échec ou d’une victoire du couple? Félix paraît un mari aimant et supplie sa femme de revenir mais l’ombre de l’adultère pèse sur leur avenir de couple et le destin de cet enfant ressemble fort à celui de Bernard, comme une sorte d’écho dans le roman.
Quant à Bernard justement , après avoir hésité sur la nature de sa relation avec Olivier , il aura finalement une aventure sensuelle avec Sarah, la soeur de Laura . On retrouve une fois de plus cette dissociation entre les plaisirs de la chair et l’assouvissement du désir d’une part et l’affection, les affinités intellectuelles d’autre part Le roman est-il le reflet de cette dissociation que Gide a opéré entre ses relations avec ses compagnons homme et son affection pour son épouse?
Vincent Molinier quant à lui représente l’homme qui se perd par amour pour une femme; son idylle avec Laura a failli lui coûter sa carrière de médecin car il a perdu beaucoup d’argent au jeu pour en donner à Laura; ensuite il a abandonné Laura pour partir à l’aventure avec lady Lilian Griffith et ils formeront un couple d’amant maudits qui s’entredéchireront jusqu’à la folie et la mort . L’échec de leur couple marque le caractère tragique de l’évolution de leur relation basée au départ sur une entente charnelle; Lilian et Robert forment un couple bine particulier dans le roman; ils ne sont pas amants mais représentent plutôt les deux versants de la tentation qui mène à la perdition : le versant masculin avec un personnage séducteur et manipulateur, cynique qui est un peu le reflet inversé d’ Edouard ; l’un est romancier à succès alors que l’autre a un cercle de lecteurs plus restreint parce qu’il a aussi une conception plus exigeante du roman: tous deux aiment les hommes et sont amoureux d’Olivier et forment un couple non amoureux avec Laura pour Edouard et Lilian pour Robert ; Nouvel effet de symétrie dans la composition du roman.
Une autre image frappante du couple en crise est formée par les disputes et les scènes entre Monsieur et Madame de La Pérouse : images terribles de ces reproches permanents et cette aigreur qui caractérise désormais la vie en commun ; Le lecteur soupçonne d’ailleurs chez le vieux professeur une forte attirance pour les hommes longtemps réprimée mais que l’écrivain et en scène à travers son affection pour Edouard. Quelques années avant Gide, Marcel Proust a défrayé la chronique avec son cycle romanesque A La recherche du temps perdu qui évoque, encore à demi-mots, les ambiguïtés de ce qu’on nomme à cette époque l’inversion c’est à dire le fait pour un homme de se sentir féminin et de n’envisager des relations sexuelles qu’avec des hommes. En effet, la thématique homosexuelle imprègne le roman de Gide et propose une perception du couple qui diffère sans doute de celle d’un écrivain hétérosexuel : le lecteur est marqué par ce principe de dissociation déjà évoqué et relayé dans le Journal des FM entre les exigences du corps et celles de l’esprit mais il peut également être sensible à l’échec massif des couples constitués. Il faut donc s’interroger sur ce que traduit cet échec ?
N’est-il que le reflet de la lassitude lié au quotidien partagé ? aux mauvais appariements de départ ? à l’impossibilité d’envisager un avenir
de couple heureux dans la version homosexuelle ? au rejet du mariage ? du conformisme ? Le couple apparaît au croisement de ces perspectives . Il permet d’étudier les relations hommes /femmes , la composition familiale, le sentiment amoureux , la vision morale avec l’adultère te l’homosexualité: il est donc au centre d’une réflexion sur la vision de l’homme et du monde portée par l’oeuvre romanesque .
Quelques idées de plans :
A / Pour un sujet qui porterait sur la présence de nombreux couples composés et recomposés
Omniprésence du couple justifiée par
a) une cellule familiale en crise : les disputes et les couples mal assortis ou les adultères démontrent que la famille n’est pas une valeur stable au sein de laquelle l’individu s’épanouit mais une valeur en crise ” famille je vous hais ” : une forme d’hypocrisie (fausse monnaie de l’harmonie familiale ) et la difficulté des relations parents/enfants
b) les normes sociales : la société rejette ou bannit l’homosexualté , les enfants hors mariage , les unions libres , la sexualité en dehors du mariage : l’individu étouffé par des principes moraux mais hypocrisie dénoncée par le roman car ceux qui condamnent ces turpitudes (les juges Profitendieu et Moilinier ) sont également les principaux pourvoyeurs (Georges impliqué , Vincent dévoyé )
c) un individu en quête de lui-même : les évolutions au sein des couples et les changements de partenaires reflètent l’évolution soit des préférences sexuelles , le passage à la sexualité ou la révélation de sentiments amoureux. L’individu formera différents couples dans sa vie car il n’est pas permanent mais en constante évolution. La fausse monnaie consisterait alors à se mentir à soi-même sur ses véritables inclinations
Autres plans possibles qui relient les deux notions :
Idée de départ : Faux couples et vrais couples ? on construit un plan progressif de type thèse , antithèse, synthèse
I Les Faux-Monnayeurs du couple
Sauver les apparences : respect des convenances
Masquer l’adultère
Mensonge du bonheur conjugal
II Prendre le risque de la vérité des sentiments
Le choix difficile de l’homosexualité
L’impasse de l’amour non partagé
Corps ou esprit : impossible conciliation ?
III La mise en échec programmée du couple
Echec de la cellule familiale
Dénonciation des contraintes morales
Quand l’amour devient de la haine…
A vous d’illustrer chacune de ces sous-parties au moyen d’exemples tirés du roman et de citations du Journal .
Pour conclure ,le roman consisterait en un dévoilement progressif de la vérité dans tous les domaines comme Gide l’annonce dans son journal; Ainsi Les Faux Monnayeurs du roman ne sont pas seulement ces jeunes désoeuvrés , assemblés autour de Strouvilhou et qui se livrent à des malversations , tentent d’écouler des faux -billets et ont des relations avec des prostituées alors qu’ils sont mineurs.Les véritables Faux-Monnayeurs , ce sont tous ceux qui font preuve de faux sentiments ; Et ils sont bien plus nombreux . La construction du roman vise à dévoiler l’ampleur de cette fausseté dans les échanges et le couple est le vecteur privilégié de cette quête de la vérité des sentiments. L’individu doit faire face à sa propre évolution et ne doit pas se laisser imposer sa conduite amoureuse au nom d’une morale qui condamne globalement la sexualité libre , hors mariage, l’épanouissement de l’individu et les orientations sexuelles jugées non conformes . La fausse monnaie consiste alors à donner le change, à faire semblant d’être heureux alors que tout en nous prétend le contraire et que nos aspirations profondes nécessitent de briser le couple formé . Quelque part, on peut penser que Gide n’envisage pas l’individu en dehors du couple quand bien même ce dernier ne serait que faux-semblant.