10. juin 2020 · Commentaires fermés sur Les bonnes, histoire d’une pièce et scène d’exposition · Catégories: Seconde · Tags: ,

 

Jean Genet a choisi de mettre en scène une histoire tragique de domination et d’humiliation. Avez-vous été  attentifs à la mise en scène ? Deux domestiques, Claire et Solange s’accusent mutuellement d’être responsables de l’échec de leur tentative . Le coup de fil apprend au public que Monsieur est sorti de prison : ce qui provoque la colère de Solange contre la justice corrompue; En effet, pour éloigner son patron, elle  a écrit une lettre de dénonciation qui a conduit à son arrestation et à son emprisonnement. Genet rappelle ainsi les accusations anonymes et les nombreuse délations auxquelles se livrèrent certains français durant la seconde guerre mondiale ; L’absence de Monsieur devait leur permettre d’organiser le crime de Madame mais Solange n’a pas réussi à empoisonner sa patronne; Elle a préparé du tilleul mais Madame n’a pas voulu le boire comme on peut le voir dans l’extrait précédent.  Le texte de la pièce contient des allusions au jeu théâtral avec par exemple la phrase .. reprendre le jeu ” Les deux bonnes pensent que leur forfait va être découvert car elles ont laissé des traces  ; elles avaient pris l’habitude de mettre les robes de Madame, de se déguiser en enfilant les belles tenues de leur patronne et en l’imitant ; En effet, la pièce commence par un numéro des deux soeurs : l’une est déguisée en Madame et l’imite  . Ce dispositif permet au dramaturge de nous faire réfléchir sur l’identité et sur la relation ambivalente qui unit les trois personnages .

 Jouée pour la première fois au théâtre de l’Athénée en 1947, par la troupe du metteur en scène et comédien Louis Jouvet  la pièce ne fut pas un succès immédiat mais provoqua de nombreuses réactions Deux bonnes aiment et haïssent à la fois leur patronne. Elles ont dénoncé le mari de celle-ci par des lettres anonymes. Apprenant qu’on va le relâcher, faute de preuves, et que leur trahison sera découverte, elles tentent une fois de plus d’assassiner Madame, échouent, veulent s’entre-tuer ; finalement, l’une d’elles se donne la mort, et l’autre, seule, ivre de gloire, tente de s’égaler par la pompe de ses attitudes et de ses paroles au destin magnifique qui l’attend.». C’est ainsi que Jean-Paul Sartre résume, dans  son livre  Saint-Genet, comédien et martyr, l’intrigue de la pièce, toute entière orientée par la symbolique du fait divers (l’affaire des sœurs Papin, référence très lointaine et entièrement transformée) érigé en sacrifice rituel..Dialectique avortée du maître et de l’esclave, la pièce dit l’impossible retournement du rapport de force entre dominants et dominés, ou si l’on veut, reprenant, pour la détourner, la structure canonique de comédie, entre « maître et serviteur”
Quelques mises en scène qui sont de nouvelles lectures de la pièce
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1974: Le Théâtre des Amandiers, CDN de Nanterre, présente  une reprise de la seconde mise en scène des Bonnes. Le programme, très complet, fait le lien entre la pièce et le fait divers, notamment dans un texte  dont voici un extrait: « Plus de 20 ans de domesticité à elles deux, d’humiliation, de fruits, de sucres comptés, de gants blancs passés pour vérifier les poussières, de chaussons de feutre glissant en silence pour surprendre l’épaisseur du beurre sur les tartines. (…) La supériorité de la naissance dans l’aisance, l’ordre établi, reconnu de la grosse bourgeoisie, baignant dans le confort matériel où les seuls endroits non chauffés sont la cuisine et la chambre des domestiques. Porter les vêtements usagés de Madame!  – Ma bonne doit être heureuse, je lui donne mes robes! s’exclamait une spectatrice de l’Athénée.
2001: Mise en scène d’Alfredo Arias, qui a rencontré Genet, au Théâtre de l’Athénée. Le metteur en scène renoue avec la dimension cérémoniale de la pièce, en la plaçant dans un climat de rituel lyrique et fantasmagorique. Exacerbant les névroses des personnages, il fait atteindre la pièce au paroxysme de la folie, sans pour autant occulter le rire Voici le texte écrit par Alfredo Arias pour définir son interprétation de l’œuvre, et publié dans le Programme du spectacle: « Claire et Solange se parlent à travers un miroir, ou plutôt de part et d’autre d’un miroir à double face. Peu à peu, les tâches auxquelles elles sont condamnées par leur condition de bonnes effacent cette mince séparation.Les deux femmes vont fusionner dans le dégoût qu’elles éprouvent mutuellement. C’est dans la représentation même de leur destinée de servante qu’elles vont trouver une issue à cette répulsion: en érotisant Madame et Monsieur et en faisant de cette érotisation même une face persécutoire, elles mettent en place un subtil mécanisme théâtral et passionnel qui conduit à la mort.Le tilleul au Gardénal, poison destiné à Madame, est, à leur insu, réservé à l’une d’elles, Claire. Ainsi, celle qui incarne visuellement Madame va subir son sort dans la réalité représenté et dans une poétique et fatale substitution de rôle.Le personnage de Madame échappe aux deux bonnes, et, dans le même mouvement, les ramène au niveau de la représentation, leur permettant ainsi, d’accéder à la mort, dans un acte suicidaire. Car la mort de Claire autorise la fusion à laquelle les bonnes aspirent: lorsque l’une d’elles meurt, c’est leur couple qui se fond dans ce geste ultime.
Examinons maintenant la scène d’exposition
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Scène d’ouverture
Situation: Nous sommes au tout début de la pièce. Solange et Claire, dont on apprend qu’elles sont sœurs et domestiques de leur état, se livrent à leur jeu favori.
La chambre de Madame. Meubles Louis XV. Au fond, une fenêtre ouverte sur la façade de l’immeuble en face. A droite, le lit.A gauche, une porte et une commode. Des fleurs à profusion. C’est le soir. L’actrice qui joue Solange est vêtue d’une petite robe noire de domestique. Sur une chaise, une autre petite robe noire, des bas de fil noirs, une paire de souliers noirs à talons plats.
CLAIRE, debout, en combinaison, tournant le dos à la coiffeuse. Son geste -le bras tendu -et le ton seront d’un tragique exaspéré: Et ces gants! Ces éternels gants! Je t’ai dit souvent de les laisser à la cuisine. C’est avec ça, sans doute, que tu espères séduire le laitier. Non, non, ne mens pas, c’est inutile. Pends-les au-dessus de l’évier. Quand comprendras-tu que cette chambre ne doit pas être souillée? Tout, mais tout! ce qui vient de la cuisine est crachat. Sors. Et remporte tes crachats! Mais cesse!
Pendant cette tirade, Solange jouait avec une paire de gants de caoutchouc, observant ses mains gantées, tantôt en bouquet, tantôt en éventail
.Ne te gêne pas, fais ta biche. Et surtout ne te presse pas, nous avons le temps. Sors!Solange change soudain d’attitude et sort humblement, tenant du bout des doigts les gants de caoutchouc. Claire s’assied à la coiffeuse. Elle respire les fleurs, caresse les objets de toilette, brosse ses cheveux, arrange son visage.Préparez ma robe. Vite le temps presse. Vous n’êtes pas là? (Elle se retourne.) Claire! Claire!Entre Solange.SOLANGE: Que Madame m’excuse, je préparais le tilleul (elle prononce tillol) de Madame.
CLAIRE: Disposez mes toilettes. La robe blanche pailletée. L’éventail, les émeraudes.
SOLANGE: Tous les bijoux de Madame?
CLAIRE: Sortez-les. Je veux choisir. (Avec beaucoup d’hypocrisie.) Et naturellement les souliers vernis. Ceux que vous convoitez depuis des années….   (Solange prend dans l’armoire quelques écrins qu’elle ouvre et dispose sur le lit. )….Pour votre noce sans doute. Avouez qu’il vous a séduite! Que vous êtes grosse! Avouez-le!  (Solange s’accroupit sur le tapis et, crachant dessus, cire des escarpins vernis. )
Je vous ai dit, Claire, d’éviter les crachats. Qu’ils dorment en vous, ma fille, qu’ils y croupissent. Ah! ah! vous êtes hideuse, ma belle. Penchez-vous davantage et vous regardez dans mes souliers. (Elle tend son pied que Solange examine.)
Pensez-vous qu’il me soit agréable de me savoir le pied enveloppé par les voiles de votre salive? Par la brume de vos marécages ?
SOLANGE, à genoux et très humble: Je désire que Madame soit belle.
CLAIRE, elle s’arrange dans la glace : Vous me détestez, n’est-ce pas ? Vous m’écrasez sous vos prévenances, sous votre humilité, sous les glaïeuls et le réséda. (Elle se lève et d’un ton plus bas.)
On s’encombre inutilement. Il y a trop de fleurs. C’est mortel. (Elle se mire encore.) Je serai belle. Plus que vous ne le serez jamais. Car ce n’est pas avec ce corps et cette face que vous séduirez Mario. Ce jeune laitier ridicule vous méprise, et s’il vous a fait un gosse…
SOLANGE: Oh! mais, jamais je n’ai…
CLAIRE: Taisez-vous, idiote! Ma robe!
SOLANGE, elle cherche dans l’armoire, écartant quelques robes: La robe rouge. Madame mettra la robe rouge.
CLAIRE: J’ai dit la blanche, à paillettes.
SOLANGE, dure: Madame portera ce soir la robe de velours écarlate.
CLAIRE, naïvement: Ah? Pourquoi?
QUESTIONS
1.En quoi Genet joue-t-il ici, très largement, sur les conventions théâtrales?
2.S’agit-il d’une scène d’ouverture classique? Pourquoi?
3.Sur quels ressorts repose la relation entre les deux sœurs?
4.Quelle est la portée symbolique du passage?
5.Quels sont les éléments caractéristiques du décor.
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