17. mars 2020 · Commentaires fermés sur Un drôle de capitaine: Salavtore Piracci dans Eldorado · Catégories: Seconde

Un personnage de roman est un drôle d’individu qui a une existence uniquement virtuelle mais auquel on parvient toutefois à s’identifier, plus ou moins . Si à l’origine, le héros de roman est souvent un demi-dieu , dans les romans de l’Antiquité par exemple, ou un être exceptionnel, valeureux , il va subir, au fil des siècles, plusieurs transformations. De nos jours, les héros incarnent  différentes facettes de l’homme et souvent, comme dans les romans de Laurent Gaudé, on trouve des héros qui ne sont ni tout à fait admirables, ni tout à fait courageux . Dans Eldorado, Salvatore PIracci et Soleiman se partagent les premiers rôles . Examinons ensemble comment est construit ce personnage de Piracci .

Un personnage c’est d’abord un portrait : physique ou moral ; Il joue également un rôle dans une intrigue et possède des fonctions , Enfin, il a souvent une dimension symbolique ; C’est pourquoi nous nous demanderons qui est Piracci, quel rôle joue-t-il et quel type de héros représente-t-il ?

Le premier chapitre du récit s’ouvre avec son apparition : il déambule dans le marché aux poissons de la ville de Catane située en Sicile , près de Lampedusa.Il aime profondément la mer et la considère un peu comme une déesse nourricière . “ il respirait avec bonheur l’odeur de la mer ” ; C’est un homme solitaire ” séparé de sa femme quatre ans plus tôt ” “Il était seul; Le fils de plus personne; Ni père ni mari.Un homme de quarante ans qui mène sa vie sans personne pour  poser un regard dessus” Ce matin là, il sent comme une étrange présence derrière lui : c’est une femme qui le suit .

Piracci a un ami nommé Angelo qui vend des journaux sur le port . Lorsqu’il rentre chez lui, une femme l’accoste et son visage , sans lui être familier, lui rappelle un vieux souvenir . C’est une passagère du Vittoria, un bateau rempli d’émigrants qu’il a intercepté en 2004 , deux ans plus tôt. Son métier : marin, garde-côtes passionné de mer, fier de la rutilance de son uniforme et qui aurait avalé tous les océans avec un appétit féroce; ” Cependant c’est un homme usé par le spectacle de la misère . “ Vingt ans de ces nuits lui avaient usé le visage et cerné les yeux ” ( p 22 ) Il écoute la passagère lui raconter , en détails , l’horreur de la traversée et il se sent prêt à lui donner tout l’argent qu’elle possède mais elle lui demande une arme . Elle lui  explique qu’elle veut se venger et tuer Hussein Marouk, l’armateur libanais du bateau ; A sa place , Piracci songeait qu’il aurait voulu se venger des membres de l’équipage . Il finit par donner à cette femme une arme et “ loin d’en être terrifié, il éprouvait un étrange et inquiétant soulagement “

Le personnage de Piracci ne réapparaît qu’au début du chapitre III, intitulé Tempêtes . Plusieurs mois après sa rencontre avec la femme du Vittoria, il reçoit une lettre où elle lui indique qu’elle s’est embarquée à bord du Sakala pour rallier Beyrouth et ensuite Damas . En discutant avec Angelo, Piracci comprend que cette femme a fait de lui le témoin de son voyage et il commence à émettre l’idée de partir à son tour ” j’aurais du parti avec elle et le tuer moi-même. après tout cela entre dans la cadre de  mes fonctions . Ce serait un prolongement naturel de la lutte contre l’immigration clandestine.” ( p 58 ) Piracci commence alors à réfléchir à ce qu’on lui a appris à l’école de commandement “ Ils nous disaient que nous étions là pour garder les portes de la citadelle ” Pendant longtemps, Piracci s’est d’ailleurs senti un gardien mais il se déclare fatigué et se considère davantage comme “le mauvais oeil des désespérés” Lorsque le commandant décide de quitter son ami, ce dernier pense qu’il est en train de prendre une grande décision , peut être de songer  à un grand départ; A ce moment là , son second vient le chercher pour venir en aide à un nouveau navire . Il s’agit d’un navire qui transportait des clandestins : ce dernier a eu une panne et l’équipage s’est débarrassé des immigrants en les jetant à la mer dans des canots de sauvetage, en pleine tempête . Il retrouve quelques hommes en vie mais il sait qu’ensuite “ il va redevenir le commandant italien d’un navire d’interception” (72 ) Malheureusement il ne retrouvera plus aucun survivant dans la mer en furie et s’en voudra de ne pas avoir réussi à sauver d’autres vies.

Nous retrouvons le capitaine au chapitre V : il songe un instant à se jeter dans la mer ; Il sent alors comme l’impression de sortir de sa vie  “la foi en la nécessité de sa tâche l’avait définitivement quitté” . Il a alors l’idée de fuir cette vie qui lui donne la nausée. Lorsqu’un migrant vient lui demander de le cacher afin qu’il échappe au contrôle des policiers, il refuse sans vraiment savoir pourquoi . Au dernier moment, il est prêt à changer d’avis mais il est trop tard et l’homme crache à ses pieds : il cracha sur cet homme qui laissait les choses aller leur cours puis, l’instant d’après, le regrettait. A bout du quai, il agresse avec violence le capitaine libyen du bateau qui a mis les migrants à la mer avant d’ obéir aux ordres d’un colonel qui lui enjoint de s’en aller. “Tout se détraque” pensa-t-il alors ; “ Il se sentait épuisé d’une vieille fatigue qui le rongeait minutieusement.” ( p 109 ) Il se rend alors dans le cimetière de Lampedusa où il découvre que peu  à peu , les corps des migrants ne sont plus enterrés avec les familles locales comme au début . Un inconnu s’approche alors et lui parle de l’Eldorado : Piracci sut ” à cet instant que ce nom lointain allait régner sur chacune de ses nuits” ( p 114 )

En discutant , quelques semaines plus trad, avec son ami Angelo, Piracci réalise qu’il ne veut plus de cette vie et se justifie ainsi : “je ne peux plus supporter ces regards  de demande infinie puis de déception. Ces regards de peur et de dévastation. Je ne veux plus ” Il décide donc de ne plus retourner travailler  “il enterrait le commandant qu’il avait été. ”  Il explique alors qu’il a vidé son compte bancaire et qu’il va partir en barque .Il fait un dernier tour dans les ruelles de la vile de Catane endormie et symboliquement, il brûle sa carte d’identité ; Désormais , il n’était  plus personne: son nom, sa date et son lieu de naissance venaient de disparaitre .  Il a très peur mais en même temps il se sent vivant et ressent une drôle de sensation comme s’il commençait une nouvelle vie .  A la rame, il met le cap sur la Libye;  “il se sentait heureux. comme il était doux de n’être rien; Rien d’autre qu’un homme de plus, un pauvre homme de plus sur la route de l’Eldorado ” p 137

Arrivé à Al Zuwarah, il est emmené par un policier auprès d’une femme qui dirige un réseau de passeurs de migrants : elle cherche des capitaines pour conduire les bateaux sur lesquels elle entasse des pauvres gens après leur avoir demandé beaucoup d’argent . Piracci monte alors, au hasard,dans un bus pour lui échapper et tend l’argent au chauffeur; En chemin, les passagers lui demandent de parler de l’Europe et pour les dissuader de partir, il évoque l’absence de travail, la misère, le règne de l’argent  et le froid ; peu à peu , les visages deviennent hostiles et le chauffeur finit par le chasser du bus en pleine nuit , au milieu de nulle part ” ( p 187 ) On avait vu en lui un mauvais esprit et on avait préféré le laisser sur le bord de la route pour qu’il ne nuise pas davantage au sort des voyageurs” ( p 191)  Dans ce petit hameau, il entend un ivoirien raconter la légende des ombres du Dieu Massambalo; ce dieu veillerait sur les hommes qui quittent leur pays et enverrait des ombres , aux quatre coins du monde pour les aider; Il suffit, quand on en croies une , de prononcer le nom du Dieu et si l’ombre acquiesce , de lui offrir un cadeau; Alors on sera protégé jusqu’à la fin du voyage; Piracci aimerait croire à ces histoires qui font briller les yeux des hommes dans la nuit mais il sait lui “ qu’à l’heure des tempêtes, il n’y a pas d’esprit pour veiller sur les malheureux; ( p194)

Un peu à l’écart des hommes , il songe à mourir car sa vie n’a plus de sens , à ses yeux “il était sec. Usé. Plus rien ne pouvait ranimer son regard. ” ( 195 )  Me voilà arrivé au bout de ma course” .  Il pense alors à se fondre dans l’ombre pour y poser ses fatigues et songe à la femme du Vittoria qui est venue lui donner ce mystérieux signal de départ . Il décide alors de s’asperger d’essence et se dirige vers un des camions garés dans le village; Un homme s’approche alors du capitaine qui s’évanouit.On lui donne à manger et il reprend sa route vers Ghardaïa ; L’odeur de l’essence lui colle à la peau “il avait beaucoup maigri. ses traits s’étaient creusés. Une longue barbe lui mangeait le visage. Une peur était née dans ses yeux. “ (212 )  Un jeune homme le regarde depuis un long moment et finit par s’approcher de lui: c’est Soleiman qui prononce le nom Massambalo; Comment Piracci va-t-il réagir ? ” allait-il consentir ou renoncer ” Il finit par baisser la tête en signe d’assentiment et voit alors le visage du jeune homme s’illuminer ; Soleiman lui offre le collier de perles vertes que son frère lui avait donné lorsxqu’ils se sont quittés.

Le personnage est prêt à nous quitter . Mais de quelle manière ? Il choisit une route qui s’enfonce dans la nuit et s’apprête à devenir une ombre du dieu Massambalo, “une ombre qui donne du courage aux hommes ” . En traversant la route,  perdu dans ses pensées il se fait écraser par un camion et distingue des bruits autour de lui ; Sans doute des migrants ; Son corps fracassé lance ses dernières forces pour délivrer un ultime message à ces hommes en quête d’Eldorado : il leur dit de partir ,” sans attendre, à l’assaut des frontières ” ; Puis il mourut : il ne laissait rien derrière lui.Les perles du collier de Soleiman roulent à terre pour dessiner l’emplacement d’un tombeau ouvert. ( 220)

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