Lorsqu’on découvre les recueils de fable écrits par Jean de La Fontaine à la fin du dix-septième siècle, on constate que de nombreuses fables mettent en scène une parole codifiée , parfois empêchée: celle des courtisans, qui semble centrale et imite les usages de la Cour dont elle se veut un miroir critique . On y rencontre aussi, au fil des anecdotes, l’éloquence des beaux parleurs: la parole trompeuse de ceux qui cherchent à se concilier les grâces des puissants ou à échapper à leur vindicte. Réussit-on, dans les fables, à se sortir des situations périlleuses grâce à son éloquence ? Le langage est-il uniquement l’arme des puissants ? Quels types de discours entend-t-on dans les Fables ? Nous verrons tout d’abord que la flatterie occupe une place centrale dans les Fables ; Nous montrerons ensuite qu’on entend aussi souvent le discours du fabuliste ; Dans un dernier temps, nous tenterons de prouver que la voix de la raison ne triomphe pas nécessairement .
Voici un exemple de plan détaillé ; vous trouverez ensuite , un exemple de dissertation partiellement rédigée…
I Un discours dominant et central … (premier axe : le plus évident )
1) la flatterie est centrale : c’est le discours des courtisans
2) elle agit comme une arme contre les puissants
3 ) c’est un puissant subterfuge pour déjouer un rapport de forces : elle est l’alliée par excellence des « faibles »
Transition P I vers PII : Mais le flatteur prend des risques : il peut être traité d’hypocrite et on peut le soupçonner de mentir pour duper son ennemi : le mensonge semble , en effet, omniprésent dans l’oeuvre ; Toutefois la fable , par son articulation entre récit et morale , fait entendre la voix de la Vérité et celle du fabuliste qui intervient à de nombreuses reprises, pour s’adresser directement aux lecteurs.
II La voix du fabuliste
1) la voix du fabuliste : il observe et commente
2) des accents de sincérité : on entend parfois des voix sincères
3) les morales : des leçons de vérité
Transition P II vers P III : Par sa construction, la fable donne à entendre plusieurs voix et organise , entre elles, une forme d’équilibre . Le lecteur est ainsi témoin de ces affrontements dialogués et le fabuliste indique clairement à quel parti la victoire est accordée au final. Ce n‘est pas toujours celui qui parle le mieux ou celui qui parle le plus qui finit par l’emporter. Les fables montrent les limites de l’éloquence et certains beaux parleurs n’ont pas le dernier mot.
III La voix de la Raison
a) le triomphe de la force sur le droit : des voix éloquentes et sincères sont parfois défaites par le plus fort .
b) la parole qui séduit pour tromper et manger : la flatterie n’est pas le seul piège ; certains prédateurs habiles utilisent des discours trompeurs pour vaincre
c) la voix du plus fort : les méchants donnent de la voix et parlent souvent haut et fort ; même les morales semblent parfois leur donner raison .
En conclusion, Les fables font entendre une polyphonie de voix parmi lesquelles celles, souvent flatteuses, des courtisans sont centrales ; En effet, le recueil de La Fontaine prend principalement comme cible les paroles mielleuses ou haineuses des courtisans qui se disputent les faveurs des Puissants ; mais on y entend également les plaintes et parfois l’éloquence des faibles qui tentent de plaider leur cause et qui donnent de la voix ; derrière les paroles des personnages, on y décèle aussi la voix du fabuliste à travers ses commentaires amusés et ses morales qui , peuvent paraître rendre justice aux voix des plus forts. Dans cet univers régi par des rapports de force il est préférable de parler à voix basse et à l’oreille de son confident plutôt que de parler trop fort au risque de se faire remarquer. Le coq qui claironne , fier de sa victoire , est emporté par un oiseau de proie ; Le cochon qui hurle parce qu’il va mourir ne changera pas son destin .
Exemple de dissertation rédigée :
Commençons par évoquer le discours des courtisans perceptible notamment à travers les nombreuses satires de la Cour. La Fontaine , en effet, montre à quel point les courtisans cherchent à plaire au roi ; dans Les Animaux malades de la peste, le renard se fait l’avocat des crimes du lion, en défendant l’indéfendable ; Le loup prend le parti des puissants et contribue à faire condamner l’âne, ce baudet qui s’est exprimé pourtant avec sincérité, sans chercher à masquer son forfait. Dans ce combat à armes inégales, des puissants contre les misérables, la parole est parfois une alliée , parfois une ennemie. Dans Le lion, le loup et le renard, le loup tente de faire punir son rival en mettant en évidence son absence à la cour et donc, son incapacité à soigner la maladie du roi lion qui rêve de demeurer éternellement jeune. L’habile discours du renard est un chef -d’oeuvre d’hypocrisie mais il plaît au roi “ le roi goûte cet avis là ” ; Ce dernier s’empresse d’appliquer les conseils du renard et fait tuer le loup pour revêtir sa peau.
Le renard a utilisé son éloquence comme une arme et elle a été efficace; Le mensonge agréable du chien dans Le loup et le chien maigre a le même effet : il permet à la victime désignée d’échapper à son sort. Le chien promet au loup qu’il va engraisser et qu’il sera ainsi plus savoureux à manger; Le loup se fait piéger par son désir et le chien peut se mettre à l’abri . Parfois c’est le prédateur qui l’emporte avec son mensonge: Ainsi dans Les poissons et le cormoran le vieil oiseau réussit , grâce à l’annonce mensongère d’un grand danger , à tromper les petits poissons. Son stratagème, tient à préciser le conteur, lui a été dicté par le besoin.
Contre toute attente, certaines créatures pourtant vouées à périr sous les griffes des puissants, parviennent à l’emporter en les flattant par d’agréables mensonges. C’est le cas du cerf, accusé à tort de s’être réjoui de la mort de la lionne. Dans Les obsèques de la Lionne , le mensonge du cerf lui vaut un cadeau et La Fontaine de conclure : “Amusez les Rois par des songes, flattez-les, payez-les d’agréables mensonges… vous serez leur ami. “Il n’est pas facile de distinguer al flatterie du mensonge : disons que le flatteur cherche à obtenir une récompense et que ses paroles paraissent peu sincères. Suffirait -il alors d’utiliser la flatterie pour obtenir les faveurs des Puissants ? Ce n’est pas aussi simple pour le fabuliste car l’art de la flatterie est complexe.
Dans La Cour du lion, en effet, le singe est présenté comme un “flatteur excessif “ : ses compliments outrés ne plaisent pas au roi et lui valent le même sort funeste que celui de son rival trop sincère , l’ours balourd et maladroit qui a exprimé son dégoût . Seul le renard qui refuse de parler et de donner son avis, s’en tire et La Fontaine nous donne , ainsi, une leçon de prudence ” Ne soyez à la Cour, si vous voulez y plaire, ni fade adulateur, ni parleur trop sincère. ” Il montre , avec cette morale, les limites de la flatterie et suggère qu’en certaines occasions, ne rien dire est préférable .
Les paroles flatteuses ont donc un certain pouvoir et peuvent réussir à déjouer des rapports de force pour donner une victoire provisoire aux plus faibles . Cependant le discours flatteur cède parfois la place à la voix du fabuliste qui donne alors son avis sur les situations qu’il présente.
Dans Les poissons et le Cormoran, après avoir mis en évidence la ruse de l’oiseau qui piège les poissons pour les manger, il ajoute dans la morale que leur sort était de toute façon d’être condamnés à périr : ” “Ils y perdirent peu puisque l’humaine engeance en aurait aussi bien croqué sa bonne part ” C’est donc une forme de fatalité que souligne ici La Fontaine : les petits sont condamnés à être mangés par les gros et aucune voix, si habile soit-elle ne peut changer cette loi.
Pour autant , certains personnages dans les Fables s’expriment avec sincérité, sans chercher à déguiser leur pensée ou sans arrière-pensée justement ; Nous avons déjà évoqué la confession de l’âne dans Les Animaux malades de la peste, nous pourrions également penser aux paroles du Milan dans Le Milan et le Rossignol : ce dernier , après avoir capturé l’oiseau, refuse sa proposition d’écouter sa chanson et préfère le manger ; “ventre affamé n’ a point d’oreilles ” nous dit La Fontaine et c’est peut être ici l’une des explications de l’impuissance de la parole dans certains cas . Dans la morale de la fable Les poissons et le Berger qui joue de la flûte, on fait le même constat. Les poissons demeurent insensibles au charme de la mélodie du berger et de ses paroles flatteuses ; Il leur promet, en effet ” un vivier plus clair que fin cristal ” et leur assure qu’on “n’en veut point à votre vie ” . Il cherche pourtant à les attraper mais “son discours éloquent ne fit pas grand effet ” ..Ceux-ci se méfient et le berger est contraint d’employer un filet . Le narrateur ajoute alors que “paroles miellées s’en étant aux vents envolée ” , la force paraît nécessaire. Nous pouvons donc en conclure que les paroles ici n’ont pas suffi et que la force demeure le dernier recours face à l’échec du discours.
Bien souvent, les morales des fables sont porteuses de vérités essentielles. à suivre ….