Sujet : Dans les fables , aucune créature, en dépit de ses manigances ou de sa ruse , ne parvient à échapper à son destin ? Partagez-vous cet avis après la lecture des fables ?
Esquisse de la dissertation : plan détaillé …complété par des illustrations et des citations
I Un monde sans pitié
Les fables , en effet , se présentent comme un monde injuste où les Puissants l’emportent sur les « petits , sans autre forme de procès » : le fabuliste , observateur sans concession des travers (défauts ) de ses contemporains, nous livre un tableau sans fard et souvent cruel des injustices du monde .
a) des victimes désignées à l’avance
Dans Les Animaux malades de la Peste , parce qu’ils sont touchés par un Mal terrible venu des Dieux, la société de animaux cherche à désigner “le plus coupable” ; le lion a mangé des moutons et dse bergers alors que l’âne a simplement brouté de l’herbe mais il est sacrifié parce qu’il n’appartient pas aux Puissants ; les faibles sont des boucs émissaires ; Il n’y a pas de justice pour eux . Leur destin semble tout tracé.
Le monde est réparti en deux catégories selon une décision de Jupiter , le roi des Dieux; Les forts l’emportent sur les faibles : c’est la loi de l’univers rappelée dans L’Araignée et l’Hirondelle . Cette dernière finit par dévorer l’araignée qui se plaignait qu’elle lui vole les proies de sa toile. Les plaintes de l’araignée n’ont pas eu d’effet et le fabuliste semble même condamner les récriminations de certains de ses personnages … il ne servirait en effet à rien de protester contre le Sort.
b) des plaintes sans effet
La lionne, dans La lionne et l’ourse , se plaint du sort cruel qui lui a ôté son fils, tué par un chasseur et se considère comme une “pauvre infortunée ” mais le mal est fait et rien ne lui rendra son enfant.L’ourse lui fait alors remarquer, à juste titre , qu’elle même a infligé une peine semblable à tous les parents dont elle a égorgé les enfants. Le fabuliste montre qu’il est inutile ici d’accuser le Destin car il y a toujours des gens plus malheureux que soi . Le cochon, lui aussi , alors qu’on l’emmène au marché pour le tuer , hurle au secours et cherche à attirer l’attention sur son sort funeste; Le paysan lui demande de se tenir coi car il effraye inutilement les autres animaux . La morale de la fable le cochon, la chèvre et le mouton précise que ” quand le mal est certain, la plainte ni la peur ne changent le destin . ” On retrouve ici une partie de la philosophie stoïcienne qui tend à démontrer qu ‘on ne peut pas lutter contre le destin et qu ‘il faut s’y soumettre.
c) un destin écrasant
C’est pourquoi la Fortune paraît toute -puissante et capricieuse, frappant là où l’homme s’y attend le moins . Le père qui cherche à protéger son fils d’une terrible prédiction reliant sa mort prochaine à un lion, l’enferme dans son palais mais ne peut empêcher qu’il se blesse mortellement en frappant, de colère, un tableau représentant un lion. Et le conteur de nous avertir au début de L’horoscope : “ On rencontre sa destinée, souvent par des chemins qu’on prend pour l’éviter ” Le destin semble ici se jouer des hommes ; Les grecs nommaient cette force la transcendance et les tragédies illustraient les malheurs des mortels, victimes de la Fortune, déesse aveugle, aux yeux bandés .Mais La Fontaine ne fait pas toujours triompher la fatalité car ils sont quelques uns à lui résister , à la défier
TR : Ainsi, certaines créatures semblent déjouer « la loi du plus fort « et contre toute attente, échappent au destin tragique qui leur est promis ; Ces animaux réussissent à déjouer les pronostics grâce à leur éloquence ou à leur imagination .
II Le renversement des rôles naturels : le refus d’un sort tragique
a) le rôle déterminant de l’imagination
Quelques animaux , qu’on donnait perdus d’avance, ont pu se sortir de situations périlleuses; C’est le cas, par exemple, du cerf, dans Les obsèques de la Lionne,; Il a réussi, grâce à un “agréable mensonge ” à échapper aux griffes des loups. Condamné par la médisance des courtisans, son imagination lui a permis de sauver sa vie et même d’être récompensé; De la même manière, le renard est passé maître dans l’art de se sortir de situations délicates; Dans La Cour du lion,il sait se taire en prétextant un rhume qui le prive de l’odorat. Il ne peut donc répondre à la question du roi et échappe au sort de l’ours, trop sincère, et du singe “flatteur excessif ” Une fois de plus dans Le lion, le loup et le renard, il déploie des trésors d’éloquence pour faire condamner son ennemi et y parvient .
b) les pouvoirs ( limités ) de l’éloquence
Les animaux ont donc recours aux belles paroles pour rester en vie : cette stratégie fonctionne pour certains mais pas pour tous; Dans Le milan et le Rossignol, par exemple, le petit oiseau tente de séduire son prédateur au moyen de son chant mais ce dernier affamé, le mange car ” ventre affamé n’a point d’oreilles “ ; Alors que dans une situation identique, le chien, dans Le loup et le chien maigre , avait réussi à se sortir indemne des pattes du loup. Il lui a promis d’engraisser pour être meilleur à manger et le loup l’a cru ; Il a donc pu s’en sortir. C’est impossible pour les petits poissons cernés de toutes parts. Ils sont condamnés à servir de nourriture aux autres.
c) les aléas du sort
Dans Les poissons et le cormoran, par exemple, les poissons sont dupés par les paroles mensongères de l’oiseau affamé; Dans ces circonstances , précise le fabuliste, le besoin est devenu ‘docteur en stratagème” ; Certes les poissons ont été dévorés par l’oiseau mais ils l’auraient été ” un jour plus tôt, un jour plus tard” par les hommes; Leur sort était de périr mangés comme on le voit d’ailleurs dans une autre fable : Les poissons et le berger qui joue de la flûte. Le berger promet aux poissons que leur vie n’est point en danger et comme ces derniers restent sourds à “ses paroles miellées ” il jette finalement un filet dans l’eau pour les attraper; Lorsque la ruse échoue, il ne reste plus que la force en dernier recours. Les poissons étaient vraiment condamnés à finir mangés. rien ne peut les sauver car ce sont du menu fretin ; Il ne comptent presque pas .
TR : La Fontaine observe donc que l’ordre des choses est souvent respecté et que les rôles ont été , au départ, répartis par la Providence entre les faibles qui tentent parfois de se défendre et les forts qui l’emportent dans la plupart des cas : il peut donc paraître préférable et sage d’accepter l’ordre des choses et l’ordre du monde.
III Le destin, un allié de la Providence
a) la Sagesse = accepter son Sort ?
Finalement, pour être heureux, et vivre le mieux possible, il faudrait accepter son sort, sa condition; C’est ce que nous rappelle La Fontaine dans La mort et le mourant ; L’homme se sait mortel et il doit accueillir la mort sans protestation; Il s’agit d’accepter la volonté de Dieu même si cela peut paraître injuste car ” la mort ne surprend point le sage/ il est toujours prêt à partir” . La mort est ainsi le “fatal tribut ” à payer au destin . Les fables sont, à ce titre, le témoignage d’une sagesse antique teintée de morale chrétienne; En effet, dans Le gland et la Citrouille, le fabuliste montre qu’il ne faut pas douter de la Providence ” Dieu fait bien ce qu’il fait ” nous prévient -il et il en donne la preuve avec ce gland qui tombe sur le nez du dormeur qui aurait préféré que le chêne porte des citrouilles . Il aurait donc péri la tête écrasée. Ainsi, l’homme doit s’efforcer d’accepter ce que le sort lui réserve . Parfois d’agréables surprise d’ailleurs.
b) la Fortune sourit aux audacieux
Dans Les deux aventuriers et le talisman, la leçon est double . Deux chevaliers sont confrontés à une énigme ; L’un raisonne, trouve l’entreprise risquée et s’en va laissant l’autre exécuter les étranges consignes affichées sur le talisman. L’aventureux, après avoir traversé la rivière et porté un éléphant de pierre, est finalement proclamé roi à sa grande surprise. “Fortune aveugle suit aveugle hardiesse ” conclut la morale; Le sage ici, contre toute attente, est celui qui ne réfléchit pas mais qui prend des risques. En fait , l’homme ne parvient pas à se satisfaire de son sort et a tendance à accuser le destin de lui envoyer des malheurs sans penser qu’il est parfois le seul responsable de ce qui lui arrive. Dans Le trésor et les deux hommes , La Fontaine révèle les tours que nous joue la Fortune. La fable met en scène un homme prêt à se pendre pour ne pas mourir de faim qui découvre un trésor dans un vieux mur. Le propriétaire du trésor arrive et fou de désespoir de voir que l’argent a disparu, il se pend avec la corde que le voleur a laissée. Que doit-on en déduire ? Que le sort se rit des hommes et que c’est une déesse “inconstante” .
c) la Fortune : une puissance insaisissable
Prenons l’exemple du coq victorieux de son rival dans Les deux coqs; Il ne trouve rien de mieux que d’aller chantre ses hauts faits sur les toits; Un vautour, attiré par le bruit, l’emporte et le mange. Du coup, le coq vaincu récupère la poule “ la Fortune se plaît à faire de ces coups ” ajoute le fabuliste; ” défions -nous du Sort” La fortune apparaît bien ici totalement imprévisible : comme le pensaient les Grecs, elle frappe en priorité les hommes orgueilleux , ceux dont les têtes dépassent et qui se font remarquer du commun des mortels. C’est une même leçon qui nous est donnée à la lecture de plusieurs fables et notamment de “L’homme qui court après la Fortune et l’homme qui l’attend dans son lit ” La déesse Fortune est présentée comme une “fille du sort” un volage fantôme après lequel nous courons tous et que nous courtisons inlassablement mais qui nous fuit sans cesse; le seul moyen pour qu’elle nous approche , c’est de ne pas penser à elle. La fable Les deux perroquets , le roi et son fils nous enseigne qu’il est vain d’accuser le Destin et qu’il est sage de se méfier de ceux qui nous veulent du mal et de leurs paroles trompeuses; un Prince a fait tuer son perroquet car il s’est battu avec un moineau et ce dernier a perdu la vie; En guise de représailles, le père perroquet crève les yeux du Prince provoquant la douleur du roi son père ,qui l’appelle pour le faire revenir dans sa cage. Le père perroquet préfère se mettre à l’abri car il pense que le roi va chercher à se venger : ” mais que la providence ou bien le destin règle les affaires du monde” dit le perroquet , je resterai loin de toi.
Pour conclure , La Fontaine ne propose pas dans les Fables de renverser le cours du Destin mais il en montre les subtilités ; C’est en voulant lui échapper que souvent il nous rattrape ; Aucune créature n’est vouée d’emblée au malheur mais il est important de connaître ses atouts et ses défauts, ses amis et ses ennemis ; Demeurer sur ses gardes , se méfier des paroles trompeuses de la flatterie et conserver une forme de lucidité en toutes circonstances permet parfois d’échapper à un sort cruel . Accepter son destin est au final une forme de sagesse : l’homme reconnaît qu’il n’est pas tout puissant et qu’une forme de transcendance le dépasse. Mais rien n’est jamais joué d’avance et le plaisir des fables provient également du triomphe éphémère de ceux qui affrontent avec panache le Sort contraire et qui , parfois parviennent à de tirer , au mieux , leur épingle du jeu.