Décor et personnages : l’homme influencé par le milieu
La présentation du cadre et des personnages
Le roman s’ouvre sur une longue description du passage du Pont Neuf, qui va devenir le cadre principal des événements .Ce quartier de paris est vétuste et les détails de la description de Zola mentionnent des caractères tristes et lugubres : ” dalles jaunâtres, usés, humidité âcre, vitrage noir de crasse ” . En été comme un hiver , les sensations sont désagréables : dalles gluantes, nuit salie et ignoble, boutiques obscures, basses , écrasées ” Les connotations morbides sont très nombreuses : “souffles froids de caveaux ” On pressent déjà que les personnages vont subir l’influence de ce cadre étouffant et désespérant. Les couleurs sont , pour la plupart , froides et caractérisés par le suffixe péjoratif “âtre” comme verdâtre , bleuâtre ou noirâtre . Le champ lexical de la maladie est également employé pour décrire les façades avec cette comparaison qui s’applique à la muraille ” comme couverte d’une lèpre et toute couturée de cicatrices “ A la nuit tombée , le passage devient un endroit sinistre et dangereux “ un véritable coupe-gorge” . Autrefois ,explique le narrateur, parmi les boutiques de ce passage se trouvait une mercerie au nom de Thérèse Raquin . Aujourd’hui, c’est un endroit fermé : l’auteur nous annonce ainsi le drame qui s’y est déroulé. Thérèse est alors présentée comme l’un des éléments de ce décor dans lequel elle semble se fondre ” ce profil sortait vaguement des ténèbres ..un menton court et nerveux, une épaisse chevelure sombre, un oeil noir largement ouvert. Derrière ce premier personnage, toujours dans ce même décor apparaît le fils de la propriétaire, une vieille dame ; ce personnage est d’emblée présenté sous un jour négatif “ petit, chétif, allure languissante; cheveux d’un blond fade , barbe rare .. il ressemblait à un enfant malade et gâté. ”
Après avoir décrit le magasin, le narrateur nous détaille le logement des marchands : lui aussi est sombre, étouffant comme cerné par des murailles noires . Le second chapitre complète ; cette fois le portrait des personnages ; Camille est souffrant depuis sa naissance : fragile, frêle, faible sont les adjectifs qui le caractérisent le plus fréquemment . Il représente ce que Zola nomme le tempérament lymphatique ; Choyé par une mère qui craint de le perdre, il grandit avec sa cousine Thérèse la fille de son oncle , un capitaine qui vivait en Algérie. La petite âgée de deux ans à la mort de sa mère “une femme indigène d’une grande beauté” est laissée en nourrice à sa tante. La gamine est élevée avec cet enfant malade mais on sent en elle “des souplesses félines, des muscles courts et puissants, toute une énergie, toute une passion qui dormaient dans sa chair assoupie” . A la campagne, dans le jardin il lui prenait “une envie sauvage de courir et de crier” elle se couchait dans l’herbe comme une bête le corps tordu, près de bondir “ . Le projet de mariage est accepté par les deux enfants et ils grandissent avec cette idée mais alors que Camille n’éprouve pas de désir et reste, sur ce plan, un petit garçon, Thérèse , elle se sent parfois “une sauvagerie de bête ” . Le couple est évidemment très mal assorti et le visage de Thérèse semble alors “ effrayant de calme ”
Le chapitre 3 présente le déménagement à Paris. Thérèse a l’impression désagréable , quand elle découvre la boutique du passage Guénégaud et l’appartement , de descendre dans une fosse et s’ennuie fortement durant trois ans . Elle ne montre que très peu d’attrait pour aménager la maison et recevoir les clientes; Camille, lui , a trouvé un poste d’ employé et passe ses journées à son bureau. Tous les jeudi soirs , les Raquin reçoivent des collègues et jouent aux dominos; Thérèse commence à avoir des hallucinations ” elle se croyait enfouie au fond d’un caveau en compagnie de cadavres mécaniques. Elle étouffait dans l’air épais et ressentait une angoisse inexprimable . Un soir, Camille vient avec un collègue de bureau : Laurent ; Aussitôt Thérèse est fascinée par ” ses joues pleines, ses lèvres rouges, ses grosses mains.; sa beauté sanguine, sa chair épiasse et ferme . Au fond, c’était un paresseux ayant des appétits sanguins, des désirs très arrêtés de jouissances faciles et durables . Entre à ses heures , il abandonne l’art qui ne lui rapporte pas de quoi satisfaire son solide appétit . Dès le premier soir, Thèrèse éprouve “une sorte d’angoisse nerveuse ” face à cet homme dont les senteurs âcres et puissantes la troublent; l’intrigue paraît alors lancée : une idylle va se nouer entre Thérèse et Laurent .
La mise en place du drame : la passion mène au meurtre
Le chapitre 6 montre les pensées du jeune homme : il a compris qu’il plaisait à la femme de son collègue mais la trouve laide; Il pèse, en fait le pour et le contre et ne se décide que parce qu’il y trouve un intérêt : elle se donnerait à lui gratuitement ce qui lui ferait économiser l’argent qu’il dépensait à payer des prostituées. Zola place ainsi d’emblée cette relation sous le signe de l’intérêt mercantile . Lorsque Laurent propose à Camille de peindre son portrait, le tableau donne à voir la figure d’un noyé, signe prémonitoire du meurtre. Sa liaison avec Laurent métamorphose la jeune femme ( chap 7 ) qui embellit et devient fougueuse et explique à Laurent combien elle a souffert car elle rêvait de grand air et de liberté . Elle se sent esclave de sa passion ; ” a eux deux,la femme nerveuse et hypocrite, l’homme sanguin et vivant en brute, ils faisaient un couple puissamment lié ” ; Mais le patron de Laurent refuse de lui accorder des congés et les amants ne peuvent plus se voir alors Laurent se met à penser que la mort accidentelle du mari , leur permettrait de vivre leur passion librement. Dès lors, le projet de meurtre fait son chemin dans son esprit. ( chap 9 ) ” il ne voulait ni du poignard, ni du poison. Il lui fallait un crime sournois, accompli sans danger,une sorte d’étouffement sinistre, sans cri, sans terreur., une simple disparition. La passion avait beau le secouer et le pousser en avant, tout son être réclamait impérieusement la prudence. Il était trop lâche, trop voluptueux pour troubler sa tranquillité. Il tuait afin de vivre calme et heureux.” Un dimanche, le trio part se promener à la campagne et Laurent décide de noyer Camille lors d’une balade en barque sur la Seine. La victime réussit à lui mordre le cou avant de sombrer dans l’eau et le meurtrier a alors l’idée de simuler un naufrage . Thérèse fait une crise de nerfs .
Les conséquences du meurtre
Après la mort de Camille , les amants doivent attendre un certain temps avant de s’installer ensemble . Ils ont réussi à faire taire les soupçons Au bout de 15 jours , le corps de Camille remonte à la surface et Laurent va l’identifier à la morgue ; cette vision cauchemardesque demeure dans son esprit : ” cette tête comme tannée et étirée en gardant une apparence humaine, était restée plus effrayante de douleur et d’épouvante.”
Le meurtre semble avoir eu des conséquences sur le décor : “la boutique parut plus sombre et plus humide. L’étalage jauni par la poussière semblait porter le deuil de la maison .” ( chap 14 ). Au bout de 15 mois, Thérèse et Laurent décident de se marier; Ils commencent chacun de leur côté, à avoir des hallucinations: le spectre du noyé vient les visiter durant la nuit et ils font des cauchemars “une sorte de détraquement nerveux qui les rendait pantelants et terrifiés ” (chap 18 ) “Une parenté de sang et de volupté s’était établie entre eux “ Laurent se met à repenser aux avantages que va lui procurer son mariage ” il quitterait son bureau, vivrait dans une paresse délicieuse.; il aurait sans cesse sous la main une femme ardente qui rétablirait l’équilibre de son sang et de ses nerfs ” ; néanmoins, il ressent toujours une “anxiété qui étouffait la joie dans sa gorge” Une fois mariés, les anciens amants réalisent que “dans l’attente, leurs désirs s’étaient usés.” Laurent force , avec brutalité sa femme à embrasser la blessure de son cou laissée par les dents de la victime et tous deux réalisent , au même moment que “leur passion était morte; qu’ils avaient tué leurs désirs en tuant Camille ” (chap 21 )
Commentaire littéraire : chapitre 22 De .. “la nature sèche et nerveuse de Thérèse avait agi …. avoir tué Camille .
en vert: les citations utilisées
en bleu: les analyses ou procédés d’écriture
en orange: les interprétations proposées
Les tempéraments des personnages de Laurent et Thérèse, lorsqu’il devient amants , se mêlent et provoquent un changement dans leurs façons d’être qui va avoir des conséquences dramatiques sur leur vie de couple. Le souvenir du meurtre ne les lâche pas et le romancier montre à la fois, les causes de leurs transformations en analysant l’influence de Thérèse sur son amant avant de montrer les transformations de Laurent et les conséquences funestes de ces changements . La nature sèche et nerveuse de Thérèse avait agi d’une façon bizarre sur la nature épaisse et sanguine de Laurent. Un détraquement, venait de se produire; les nerfs surexcités de Thérèse avaient dominé; sous l’influence ardente de la jeune femme, son tempérament était devenu peu à peu celui d’une fille secouée par une névrose aiguë.” Alors que leur couple , dans un premier temps, leur a permis d’atteindre une forme d’équilibre, en réunissant leurs deux tempéraments opposés, le narrateur révèle ensuite une sorte de détraquement . Il emploie un vocabulaire médical et mécanique . Les caractères des personnages apparaissent comme des pièces qui s’emboîtent pour construire un assemblage. Mais si l’un des deux es met à exercer un ascendant sur l’autre, alors il le déséquilibre . C’est ce qui se passe au chapitre 22 lorsque la nature “sèche et nerveuse ‘ de la jeune femme se met à transformer “ la nature épaisse et sanguine” de son amant. On constate une opposition entre les adjectifs secs et épais et Zola qualifie le résultat de “bizarre” . Cet adjectif connote donc une forme d’inquiétude . Les nerfs du jeune homme l’emportèrent sur l’élément sanguin et il tomba dans des angoisses. Le dérèglement de Laurent est ainsi expliqué , par cette influence du tempérament de Thérèse.Cela entraine des changements visibles dans son comportement. Laurent, sous l’emprise de son amante, es trouve “jeté en plein érotisme nerveux. Cette évolution détaillée au moyen ici d’un lexique scientifique , sera néfaste au personnage. Thérèse est présentée comme une panthère avec ses caresses “fauves ” qui renvoient justement à son origine africaine, son hérédité maternelle . L’adjectif ardent qui est employé pour caractériser l’influence de son amante a ici le sens de brûlant . La douleur est ainsi présentée comme la conséquence de ce dérèglement : Laurent souffre et ses nerfs semblent frappés par des “coups brusques et répétés ” : le champ lexical de la maladie est associé à celui de la folie avec cette “fièvre du meurtre” .
L’état de Laurent se dégrade nettement à la ligne 20 et ce dernier sombre dans “l’effroi éternel où il se débattait ” : cette hyperbole fait penser à l’Enfer et à ses tourments éternels qu’on représente souvent sous la forme de flammes qui dévorent les damnés prisonniers de leurs souffrances ; Or, l’adjectif ardent , étymologiquement, signifie brûlant ; On a bien ici des allusions à l’Enfer .
En conclusion, ce passage du roman permet de mieux comprendre les objectifs scientifiques que se fixe Zola ; Il prétend, en effet, que le roman est une sorte de laboratoire d’analyses et que les personnages lui servent de sujets d’expérimentation pour démontrer l’importance du tempérament sur les actions. Associé au principe du déterminisme, cette théorie caractérise le roman naturaliste . Même s’il n’est pas médecin, Zola est fasciné par les articles scientifiques et se tient au courant de l’actualité médicale en lisant des ouvrages qui vulgarisent les découvertes scientifiques de premier plan.
Dans leurs étreintes, les amants voient le noyé à côté d’eux, entre eux et finissent par ne plus pouvoir dormir ni se toucher . Laurent sort pour aller travailler le matin avec plaisir et se sent revigoré par l’air frais. Le soir il songe avec épouvante qu’il lui faut rentrer chez lui ; Dès que son mari est part, Thérèse se sent mieux et se met à nettoyer la maison ; Les après-midi, elle rêvasse derrière le comptoir “elle cachait sa lassitude au fond de l’ombre ” ” le passage humide, ignoble..lui semblait l’allée d’un mauvais lieu, une sorte de corridor sinistre et sale où personne ne viendrait la chercher.. elle croyait se trouver dans la terre au fond d’une fosse commune où grouillaient des morts.” Ils paraissent mener un double existence et” il y avait en chacun d’eux comme deux êtres bien distincts: un être nerveux et épouvanté qui frissonnait dès que tombait le crépuscule, et un être engourdi et oublieux qui respirait à l’aise dès que se levait le soleil. ” ( chap 25 )
Laurent décide alors de quitter son emploi et de louer un atelier de peintre mais très vite , il constate avec terreur qu’il ne peut peindre que le visage de Camille ; Au même moment Madame Raquin mère devient paralysée et un soir , les amants évoquent leur crime; La pauvre vieille comprend qu’elle a été dupée et les considère comme des monstres. Un jeudi , lors de la partie hebdomadaire de dominos, elle tente sans succès de tracer avec ses doigts engourdis sur la nappe, un message qui dénonce le meurtre des amants . Ces derniers ne cessent de se disputer et leurs querelles deviennent de plus en plus violentes .
Une véritable descente aux enfers : le calvaire des meurtriers et leur déchéance
La violence atteint son paroxysme entre les époux et 5 mois après leur mariage, Thérèse qui attend un enfant expose son ventre aux coups de Laurent ( chap 30 ) ; Ce dernier ressasse ses idées noires et même son atelier lui devient insupportable ” cette pièce aux murs gris, d’où l’on ne voyait qu’un carré désert de ciel , l’emplissait d’une tristesse morne.” Il passe ses journées à errer dans les rues de Paris, accablé; Il ne se sentait soulagé que lorsqu’il battait sa femme , le soir; Obsédé par la morsure au cou de Camille qui ne cicatrise pas , il a l’impression qu’il s’agit du “souvenir vivant et dévorant de son crime ” comme une bête qui le rongerait de l’intérieur. Un soir , il tue avec cruauté le chat François qu’il considère comme le témoin silencieux du meurtre . Il songe plusieurs fois à se suicider, en se taillant le cou avec son rasoir mais sans en avoir le courage . Un jour, en suivant Thérèse , il s’aperçoit qu’elle se rend dans un café pour boire de l’absinthe et retrouver son amant. Laurent ne se sent pas jaloux : il pense qu’elle tente d’oublier sa douleur en se jetant dans le vice et il décide de l’imiter. Mais aucun des deux ne parvient vraiment à oublier; Laurent réclame de l’argent à Thérèse qui d’abord, refuse et finit par accepter de peur que ce dernier aille les dénoncer : elle est sa complice et finirait sur l’échafaud avec lui .
Leur déchéance est inévitable : après la luxure, la crasse; La jeune femme traîne toute la journée en jupons, malpropre, dépeignée , le commerce est abandonné , la vieille Madame Raquin négligée . Ils ne pensent plus qu’à s’entretuer et ” la résolution bien arrêtée d’un assassinat les calma un peu ( chap 31 ) . Il vole un flacon d’acide prussique pour empoisonner sa femme et elle cache un grand couteau dans le buffet . Un jeudi soir, après le départ de leurs invités , ils se surprennent mutuellement en train de préparer la mort de l’autre; Thérèse boit le poison la première et tend le verre à Laurent qui le termine; Ils se donnent la mort ensemble , dans un dernier sanglot, sous les yeux de Madame Raquin ” les cadavres restèrent toute la nuit sur le carreau de la salle à manger, tordus, vautrés, éclairés de lueurs jaunâtres par les clartés de la lampe. Le remords les a tués : “ils se sentaient tellement las et écœurés d’eux-mêmes qu’ils éprouvèrent un besoin immense de repos , de néant.”
Le sens de l’oeuvre
Tout au long du roman, le cadre dans lequel évoluent les personnages est à l’image de leurs pensées ; Le passage est un endroit sinistre et glauque: Thérèse ne rêve que de grand air et au final, Laurent qui considérait l’appartement comme un endroit apaisant, est assailli de sombres pensées partout où il se trouve. Zola prépare le dénouement fatal en montrant que les comportements des personnages sont dictés par leur tempérament. L’idée du poison et du poignard a d’abord été refusée par Laurent lorsqu’il songeait à tuer Camille et Zola les fait se suicider , lors du dénouement tragique, en ayant recours à ce moyen . Le roman montre que ces deux personnages n’ont pu survivre à leur crime : ils ont tué par intérêt et ensuite n’ont pu accepter l’idée d’être des meurtriers. Leurs remords jamais exprimés font de leur existence un enfer, un calvaire auquel ils préfèrent mettre un terme. Le roman comporte donc une dimension morale : en anatomiste de l’âme; le romancier se livre à une analyse précise des actions des personnages et présente le crime comme un enchainement logique de circonstances . Il agrémente sa trame narrative de motifs symboliques qui rappellent le roman noir .