Dans quelle mesure l’invention de mondes imaginaires peut- elle enrichir notre savoir et notre réflexion sur l’homme et le monde ? C’est à la lumière de cette question que nous allons aborder la découverte de certaines oeuvres de science-fiction ; Du côté des lectures, le roman de Vincent Message, Défaite des maîtres et possesseurs constituera une première approche expérimentale de cette interrogation ? que nous apprend ce roman sur l’homme en général ? Cette dystopie pose un cadre étrange et quelque peu déroutant : une espèce “supérieure” a colonisé la planète terre et entreprend de légiférer ; L’espèce humaine est alors classée en trois catégories: les humains à viande qui servent de nourriture aux extra-terrestres, les humains de compagnie et les humains travailleurs . Quelles questions nous posons- nous lorsque nous découvrons cet ouvrage de science fiction ?
Commençons par un peu d’histoire littéraire : En 1657 , l’écrivain Savinien Cyrano de Bergerac imagine un étrange monde sur la Lune. Il découvre un curieux personnage , un philosophe qui refuse de manger de la viande et des végétaux sauf si les herbes sont mortes d’elles-même; Il craint , en effet de faire souffrir ce qu’il considère comme des êtres vivants . Près de 400 ans avant l’apparition du mot vegan, cette fiction lunaire remet en cause certaines pratiques justifiées au nom du principe d’une espèce dominante ou d’une volonté divine. On définit l’antispécisme comme le refus de la discrimination d’individus fondée sur le critère de l’espèce. En effet, ce critère ne peut justifier que l’on attribue un statut supérieur exceptionnel à l’humain, tandis que l’on néglige les intérêts des autres espèces notamment animales. Une éthique antispéciste accorde une considération égale aux intérêts de tous les êtres qui éprouvent des sensations, qui sont sensibles à la douleur et au plaisir.
Dès le VIe siècle avant notre ère, le philosophe grec Pythagore défiait la société de son temps, au nom de ces principes éthiques, en refusant de manger de la viande et du poisson et de prendre part aux sacrifices sanglants qui rythmaient la vie de la cité. L’exploitation des animaux et la consommation de leur chair aujourd’hui , ne vont plus nécessairement de soi. Des acteurs de la société civile, fédérés en associations , se mobilisent pour défendre la cause animale et faire évoluer les mentalités. Le questionnement moral sur ces pratiques prend de l’ampleur, en France et dans le monde. On parle alors de remise en question du spécisme . C’est ce que fait le personnage dans cette fiction intitulée l’Autre Monde ou les Etats et Empires de la lune .
Pour beaucoup, la science- fiction est ,en réalité, un moyen de poser des hypothèses et d’apporter une réflexion à la pensée politique; C’est , du moins, la thèse que soutient Yannick Rumpala dans son dernier ouvrage . Selon lui, les récits de science fiction ont une force heuristique qui permet de dévoiler certaines vérités. L’humanité doit-elle se préparer à vivre sur une planète de moins en moins habitable ? Sous l’effet de l’intervention humaine, les transformations de la planète ont été profondes et, pour les sociétés qui les ont produites, il est devenu de plus en plus difficile de faire comme si elles étaient négligeables. Le développement d’une pensée écologique a des implications , à la fois, ,sur nos modes de vie et sur nos manières de penser notre rapport au monde et nous sommes tous conscients que la possibilité pour les humains de continuer à disposer d’environnements « vivables » devient plus incertaine.
S’il devient nécessaire, compte tenu de l’ampleur des perturbations que nous infligeons à notre environnement ( pollution, destruction des espaces naturels, dérèglements climatiques , catastrophes naturelles , de penser les conséquences de nos activités industrielles par exemple, encore faut -il pouvoir agir concrètement.De ce point de vue la science-fiction a peut-être l’avantage d’avoir anticipé le mouvement en nous montrant ce qui pourrait advenir de pire . Ces enjeux écologiques sont en effet présents , depuis longtemps, dans de nombreux récits d’ anticipation .Les auteurs font ainsi des rappels à notre présent en nous dévoilant justement des situations dégradées qui pourraient se produire si nous ne changeons pas notre mode de vie
Avec ses récits qui sont autant d’expériences de pensée, la science-fiction peut fournir un support utile pour élargir ou compléter des réflexions déjà plus ou moins engagées, voire pour en amorcer de nouvelles. La science fiction permet ainsi de penser une « éthique du futur » : comment construire un avenir meilleur ? Les questionnements mis en œuvre dans les récits de SF nosu permettent de projeter nos interrogations logiques et d’imaginer des réponses ou des solutions à des problèmes posés.
De fait la littérature d’anticipation se construit à partir de nos peurs présentes : la peur de l’Autre est un thème fréquemment abordé par le biais des figures de l’extra-terrestre qui nous renvoient à la peur des monstres et à la peur de disparaître . Les créatures venues d’ailleurs sont souvent imaginées comme différentes des représentations humaines : monstres tentaculaires, difformes ou robots, cyborgs à la force surhumaine et indestructibles, ils nous séduisent tout autant qu’ils nous effraient et nous indiquent les limites de notre Humanité . La destruction de la terre et de l’espèce sont récurrents dans les récits post-apocalyptiques ; ravagée , la planète ne compte plus que quelques survivants ou vit sous la domination d’envahisseurs qui souhaitent l’extinction de l’espèce humaine ou tendent à la réduire en esclavage , avec toutes les luttes et les révoltes qui peuvent en découler. Dans ce genre de scénario, l’homme est parfois victime de ses propres inventions : il est dominé par les intelligences artificielles qu’il a contribué à créer et dont il perd le contrôle ; la menace peut prendre la forme d’une dernière guerre mondiale qui a détruit la plupart des formes de vies terrestres; On retrouve ici le spectre de l ‘exposition des premières bombes atomiques et des armes chimiques ou l’apparition de nouveaux virus qui feraient naitre des pandémies mortelles.
On envisage même un renversement de l’ordre du monde connu avec, par exemple, dans La Planète des singes de Pierre Boulle , l’idée qu’une espèce jusque là dominée, impose son hégémonie. Les Singes considèrent alors les humains comme de vulgaires créatures sauvages, incapables de penser et de raisonner. Vincent Message reprend une variante de ce modèle avec cette espèce alien qui, en apparence , ne possède aucun attribut terrifiant (à peine quelques signes distinctifs comme le fait de dormir dans l’eau ) mais exerce un contrôle absolu sur les hommes et en condamne certains à une mort atroce, après une courte vie horrible dans des fermes d’élevage.
Qu’est-ce qui va, au final , différencier l’homme de l’alien, ? L’un n’est il pas une sorte de miroir pour mieux se regarder en face ? Nous imaginons souvent les aliens soit comme des monstres repoussants , éloignés de notre apparence humaine ( batraciens, invertébrés, créatures mécaniques, hybrides , hydrocéphales , mélange d’animaux et d’humains ) soit comme des êtres qui nous ressemblent à tel point qu’on pourrait nous confondre avec eux; ils donnent à penser notre avenir en tant qu’espèce , et représentent des versions évoluées de l’humanité avec des capacités augmentées (homme bionique, longévité record, super-pouvoirs , indestructible, résistants à ce qui nous tue aujourd’hui ) . Comment alors définir l’Humain ?
Ainsi l’homme s’interroge sur son futur et la science-fiction peut se transformer en introspection et en projection , à la fois de nos espoirs et de nos craintes. . Le travail de Neil Blompkampf illustre cette idée . En 2005 , il réalise un long-métrage intitulé District 9 qui retrace l’histoire d’un vaisseau, en panne, peuplé d’extra terrestres qui demandent le droit d’asile et sont traités comme des “sous-hommes”
Synopsis : En 1982 des extraterrestres tombent en panne de carburant sur la Terre, leur vaisseau se stabilise au dessus de Johannesburg, en Afrique du Sud. 28 ans plus tard ce sont toujours un million d’aliens qui sont installés dans le District 9, un gigantesque bidonville. L’intrigue débute vingt ans après l’arrivée des extraterrestres sur Terre. À l’inverse de ce que l’on voit souvent dans ce genre de scénario, les aliens ne sont pas venus pour nous menacer mais ce sont des réfugiés. Ils ont donc été installés dans un ghetto où leurs conditions de vie sont lamentables . La MNU (Multi-National United) , une société privée qui fera d’énormes bénéfices si elle arrive à faire fonctionner leur extraordinaire armement, est chargée du démantèlement du camp. Wikus Van de Merwe, un fonctionnaire zélé, gendre du patron ,est en charge , à sa plus grande surprise ,de cette délicate opération. Il s’agit de se demander quoi faire de ces étrangers . Si les aliens ne sont pas considérés dignement, leur technologie, elle, suscite beaucoup de convoitises. Lorsqu’ils doivent être évacués du District pour être séparés des humains, Wikus va contracter un virus extraterrestre dont l’impact se fera sentir sur son ADN. Sa métamorphose est en cours et rein ne pourra la stopper. Les dirigeants, quant à eux , rêvent de mettre la main sur lui car il est désormais celui qui peut aider à comprendre la technologie des aliens. Ils sont d’ailleurs prêts à le couper en morceaux et à lui découper le coeur pour récupérer son ADN avec lequel ils vont pouvoir utiliser l’armement hautement perfectionné des aliens.
Un réquisitoire contre l’Apartheid
D’abord, District 9 est une véritable dénonciation de ce que furent les années d’Apartheid en Afrique du Sud. Sous couvert de faire un film de science-fiction, Blomkamp n’a de cesse de parler des violences de la ségrégation évoquées directement par des lieux symboliques : Johannesburg, la capitale économique et surtout l’ancien township de Sowetto en partie reconstitué pour le tournage. L’appellation District 9 fait pour sa part référence au District 6, évacué en 1966 à des fins de nettoyage ethnique. La réutilisation dans le scénario d’images d’archives montrant les grandes manifestations anti-Apartheid est une technique du réalisateur qui permet d’établir le parallèle avec cette réalité. La critique politique vise également le chef de la mafia qui sévit dans le camp et auquel le réalisateur attribue le nom de l’ex-dictateur nigérian Obasanjo. Le film sera d’ailleurs censuré au Nigeria.
Une thématique toujours d’actualité : être un migrant
Métaphoriquement, le film met en scène la question des flux migratoires. Le terme de « crevettes » qui désigne péjorativement les aliens, fait d’ailleurs écho aux « crevettes de Parktown », les criquets royaux dont les nombreuses invasions sont redoutées par les Sud Africains. Ainsi Blomkamp parle-t-il d’un Apartheid révolu mais également de la crainte de l’étranger : En effet, les arrivées en Afrique du Sud de travailleurs venus des pays limitrophes, Nigeria, Congo notamment, n’ont cessé d’alimenter les tensions dites « raciales » depuis la fin de l’Apartheid. On y assiste à des flambées de xénophobie .
Une réflexion sur l’image
Sur le plan technique et formel , le film de Neill Blomkamp utilise le principe du found footage. Alors que la deuxième partie du film rappelle le rythme et l’imagerie des jeux vidéo, la première partie du film imite les reportages journalistiques, fausses interviews, et les images de caméras de surveillance . District 9 interroge l’omniprésence des images dans nos sociétés et l’effacement des frontières entre fiction et réel. C’est aussi une réflexion éthique sur la monstruosité et l’orgueil de l’espèce humaine, prompte à juger sans savoir et à s’arroger une domination sur les êtres; Le spectateur éprouve , peu à peu , de la compassion pour ces monstres et il comprend qu’il éprouvent de véritables émotions ; Ainsi le père alien se montre protecteur avec son fils: il n’hésite pas à se sacrifier pour le sauver; Il éprouve de la colère à la mort de son ami, assassiné par des militaires et il ressent une grande tristesse à la vue des expériences barbares commises par les scientifiques sur les aliens;
Métissage et mélange d’identité
Un des aspects le plus intéressants du film, c’est le fait d’envisager la métamorphose du héros en alien; Vikus se transforme sous nos yeux : sa main est remplacée par une griffe, sa peau change et il finit par ressembler totalement à une “crevette ” mais il continue à éprouver des sentiments humains; La dernière image du film le montre en train de fabriquer délicatement , avec ses pinces coupantes, des fleurs en métal qu’il dépose devant son ancienne maison , comme autant de preuves d’amour envers sa femme . Le spectateur comprend alors que derrière les carapaces et les tentacules, battent des coeurs : l’alien apparait ainsi comme une créature dotée de sentiments et les maltraitances qu’il subit de la part des humains qui le considèrent comme un animal répugnant, semblent d’autant plus injustes. Tout le talent du réalisateur consiste justement , grâce aux images , à nous faire ressentir de l’empathie pour ces créatures ; En se transformant , le héros est rejeté par les humains et finalement accepté par sa nouvelle famille ; les aliens qui vont lui sauver la vie et le considèrer comme l’un des leurs .
Avec Elysium, son nouveau film de science-fiction, Blomkamp met en scène une terre ravagée et devenue inhabitable où les humains vivent dans la plus grande précarité tandis que, quelques privilégiés ont bâti, en orbite de la terre, une cité radieuse , sorte de paradis dans lequel ils vivent au milieu d’une Nature luxuriante, dans un climat apaisé et où des caissons guérissent de toutes les maladies possibles. Blomkamp montre la fracture entre ces deux mondes, utopie et dystopie, et ces deux catégories d’humains : il nous fait ainsi comprendre que les écarts des conditions de vie entre les habitants les plus pauvres de la planète et les plus riches ne cessent de croître . Les terriens les plus riches s’apprêtent- ils à laisser mourir tous les Autres ?
Dans son roman Blade Runner qui a fait l’objet d’ une adaptation cinématographique , Philipp K Dick a imaginé un test fiable qui permet de reconnaître et de démasquer les cyborgs qui tentent de se faire passer pour des humains. Le synopsis du film évoque la ville de Los Angeles en 2019 : le climat est pluvieux et la faune a quasiment disparu ce qui pousse les humains à coloniser d’autres planètes ;Mais,dans le passé,les hommes ont fabriqué de nombreux androïdes à l’apparence humaine appelés réplicants qu’ils utilisent , comme des esclaves pour effectuer de nombreuses tâches . Certains sont soldats, d’autres objets sexuels ou esclaves domestiques . Sur quoi repose ce test ? Il vise à mesurer l’ empathie de la créature interrogée, au moyen d’un questionnaire ; le héros du roman est un policier chargé de traquer les androïdes qui enfreignent les lois et de les éliminer.Pour repérer les réplicants, le blade runner soumet les créatures qu’il soupçonne à un interrogatoire qui se concentre sur les trois principales différences avec les humains :ils ne sont pas sensibles à la vie animale et ne ressentent rien lorsqu’un animal est mis à mort alors que les humains y sont très attachés, d’autant plus que les vrais animaux sont très rares, remplacés par des animaux artificiels ;ils n’ont généralement aucune forme d’empathie entre eux et envers les autres .Souvent ils ne font rien pour aider l’un des leurs et semblent résignés lorsqu’un blade runner les découvre. Cette absence d’empathie est néanmoins parfois remise en question, comme on le constate dans certaines scènes du film ; le réalisateur tend à prouver qu’ils imitent le comportement humain et seraient capables d’éprouver des sentiments .Une vérification post-mortem de leur moelle osseuse constitue l’ultime test ; elle confirme leur origine mécanique. Dans l’extrait du texte proposé, Rick Deckard démasque Rachael car elle éprouve plus de dégoût pour quelqu’un qui mange une huitre que pour quelqu’un qui fait bouillir un chien pour le manger. Son intelligence artificielle ne lui permet pas de différencier le degré d’affection de l’espèce humaine envers certains animaux qui leur étaient plus proches que d’autres.
Que ce soit au cinéma, sur grand écran ou au moyen de récits, la Science-Fiction nous tend un miroir déformant qui nous permet de mieux saisir notre image et le reflet de notre monde : qu’allons nous en faire ?
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