Zoom rapide sur la FOLIE ……
Après avoir lu les documents qui constituent ce dossier , essayez de répondre à la question suivante Essai = peut on dire du personnage du fou dans la littérature qu’il subit une altération du Moi ?
Pour débuter .. un peu de vocabulaire
Examinons les expressions suivantes
a) Tu es fou … tu aurais pu te tuer … folie s’oppose ici à raisonnable et désigne , de manière critique, une incapacité à utiliser correctement la raison / on désigne par ce mot les écarts par rapport aux normes sociales , à ce qui est admis par le plus grand nombre
b) Il a un grain de folie : c’est une expression plutôt flatteuse qui souligne la qualité d’un individu , son originalité , ce qui le rend unique et lui permet de se détacher de la masse
c) Il est fou amoureux : on aborde ici le thème de l’amour fou, la passion ; Il désigne un amour d’une intensité remarquable pour lequel l’individu semble prêt à tous les sacrifices ; la qualité du sentiment est jugée hors norme ; On retrouve encore cette idée d’exclusion des normes ( valeurs admises par la société / a donné le mot normal .
Du côté du dictionnaire , il faut distinguer la maladie mentale et les emplois dérivés : voilà un extrait du trésor de la langue française ..A. Trouble du comportement et/ou de l’esprit, considéré comme l’effet d’une maladie altérant les facultés mentales du sujet. Handicap mental, maladie mentale ; On évoque soit une cause physiologique ou un « dérangement » un dérèglement des fonctions nerveuses pouvant mener à des accès de violence : hystérie, paranoïa, schizophrénie, folie furieuse, démence , délire . Les psychiatres décrivent de nombreux symptômes ; Il existe des traitements chimiques pour atténuer l’effet des troubles comportementaux.
Le problème de la folie est inséparable de la question posée par l’homme sur son identité
B. État psychologique passager de trouble intense ou d’exaltation, causé par une forte émotion ou un sentiment violent et qui peut (dans certains contextes) être assimilé à un accès de folie ). .
P. ext., loc. adv. À la folie. Beaucoup, excessivement.
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Répondre à la question de l’essai suppose de définir la notion d’altération : dégradation d’un état, changement en mal , transformation des perceptions..
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Le point de vue des psychiatres
La maladie mentale est une maladie à part, pour la raison qu’elle atteint le psychisme, c’est-à-dire le chef d’orchestre de la personnalité dont l’ensemble des fonctions est ainsi altéré.
Oeuvre support pour réfléchir ensemble : Le bal des folles , un roman de Victoria Mas
L’idée de ce roman est double : d’abord montrer les progrès de la médecine à la fin du dix-neuvième siècle et le travail du professeur Charcot et montrer quel regard la société bien-pensante de cette époque, porte sur la maladie mentale, qu’elle considère comme une menace pour l’orde social.La manière dont nous traitons nos « fous » , le regard que nous portons sur les déviants, en dit en effet beaucoup sur notre conception de l’humanité. Pourquoi la folie nous effraie-t-elle ? en quoi est-ce une menace pour la société ? pourquoi enferme-t-on les fous ?
L’action se situe en 1885 , à Paris dans le cadre de l’hôpital de la Salpêtrière, où on regroupait alors les aliénées, souvent des jeunes femmes en marge de la société, condamnées pour leurs mœurs ou qui souffraient d’épilepsie . Le professeur Charcot tente de soigner les crises dont elles souffrent : c’est un neurologue qui pratique l’hypnose sur ses patientes afin de leur faire revivre les traumatismes qui sont à l’origine de leurs lésions . A l’extérieur, toutes sortes de rumeurs planent sur le service des hystériques comme on le nomme ” On imagine des femmes nues qui courent dans les couloirs, se cognent le front contre le carrelage, écartent les jambes pour accueillir un amant imaginaire, hurlent à gorge déployée de l’aube au coucher. On décrit des corps de folles entrant en convulsion sous des draps blancs, des mines grimaçantes sous des cheveux hirsutes”. ” Cette citation illustre un certain nombre de clichés ou d’idées préconçues sur la folie, associée à la violence et à la sexualité débridée.La réalité est tout autre : à mi -chemin entre l’hôpital , le lieu où on soigne , et la prison, le lieu où on enferme, l’asile de la Salpêtrière devient un endroit où sont regroupés les cas que personne ne savait gérer. En effet, la folie fascine et fait horreur en même temps. Qui étaient ses patientes et étaient-elles toutes folles ? Les femmes internées souffrent parfois de tics nerveux et de troubles du comportement : lorsqu’elles font une crise , un interne leur presse les ovaires ou dans les cas les plus sérieux, les endort avec de l’éther. On se contente d’agir sur les manifestations du corps sans soigner l’esprit qui est à la racine du mal .
Quelques personnages : Thérèse est une prostituée qui passe ses journées à tricoter et à veiller sur les jeunes femmes , parfaitement saine d’esprit , elle a été enfermée, 20 ans plus tôt, pour le meurtre de son proxénète;
Louise elle , souffre des conséquences de plusieurs traumatismes : violentée par son oncle et abusée par un gardien sans scrupule , la jeune fille finira paralysée suite à une séance d’hypnose .
Eugénie Cléry est internée à la demande de sa famille car ils la considèrent comme dérangée mentalement : elle leur a avoué pouvoir s’entretenir avec les esprits notamment celui de son grand-père mort lorsqu’elle avait 12 ans et qui vient souvent lui rendre visite ; pour écrater certaines femmes jugées gênantes , on les déclarait folles afin de les faire enfermer comme cette jeune femme internée de force par son mari car elle prétendait diriger avec lui la brasserie familiale. On mentionne d’autres internement abusifs comme une épouse autre qui aurait osé menacer de mort son mari infidèle , et une quadragénaire enfermée pour avoir aimé un homme de 20 ans son cadet ; L’asile fait fonction de “dépotoir pour toutes celles nuisant à l’ordre public” ( p 34 ).
Le vocabulaire es fait parfois plus précis pour une nouvelle catégorie d’internées: hystériques, épileptiques, mélancoliques, maniaques ou démentielles. Les expérimentations sur leurs corps malades se succèdent: compresseurs ovariens pour calmer les crises d’hystérie, introduction d’un fer chaud dans le vagin et l’utérus pour réduire là encore les symptômes cliniques des crises ; les psychotropes – nitrite d’amyle, éther, chloroforme, calmaient les nerfs des filles ; l’application de métaux divers – zinc et aimants- sur les membres paralysés avait de réels effets bénéfiques . ” p 97 ; Zola, Maupassant , et Sigmund Freud assistent aux séances publiques de Charcot assisté par Babinski et Gilles de la Tourette. Ces trois médecins axèrent leurs recherches sur le système nerveux central ; On leur doit la découverte de la maladie de Charcot, du test de Babinski et du syndrome de La Tourette.
Beaucoup de jeunes internées ont, en fait , été victimes de violences sexuelles ou de traumatismes: Aglaé a effectué une tentative de suicide après la mort d’un enfant, Rose-Henriette, une femme de chambre a subi le harcèlement de son patron et elle est désormais victime d’attaques de panique.
A travers les révélations d’Eugénie qui prétend être en contact avec la soeur morte à 18 ans, de l’infirmière en chef se pose sérieusement la question de l’existence du spiritisme ou ésotérisme ; Est-ce possible de parler avec les esprits des disparus ? Ou est-ce une forme de folie de penser qu’on peut communiquer avec les morts ? Le soir du bal, on décrit la foule des parisiens qui vient observer les pensionnaires comme s’il s’agissait de bêtes sauvages “on cherche un défaut, une tare,on remarque un bras paralysé sur une poitrine, des paupières qui se referment un peu trop fréquemment. On se bouscule pour voir de plus près ces animaux exotiques comme si l’on était dans une cage du Jardin des Plantes , en contact direct avec ces bêtes curieuses. ”
Le roman montre à la fois la cruauté des médecins qui , tout en oeuvrant pour les progrès de la médecine, torturent des patientes chez lesquelles ils provoquent des crises spectaculaires et les préjugés fort répandus chez les honnêtes gens . La plupart des internées souffrent de mélancolie profonde , certaines deviennent dépendantes de l‘éther ou du chloroforme . Même si le regard des soignants change, celui du public peine à évoluer : « elles n’étaient plus des pestiférées ….mais des sujets de divertissement »
https://blogpeda.ac-poitiers.fr/motamot/2021/06/29/le-bal-des-folles-un-roman-de-victoria-mas/
Tentatives de classification de la folie
- le trouble du comportement et/ou de l’esprit, considéré comme l’effet d’une maladie altérant les facultés mentales (la folie, maladie mentale)
- l’état psychologique passager de trouble intense ou d’exaltation causé par une forte émotion ou un sentiment violent, qui peut, dans certains contextes, être assimilé à un accès de folie au sens précédent(la folie, exaltation passagère) ;
- le comportement qui s’écarte de ce qui serait raisonnable au regard des normes sociales dominantes, qui est considéré comme l’expression d’un trouble de l’esprit au sens précédent et/ou un manque de sens moral, de bons sens ou de prudence (la folie, écart à la norme).
1. La folie ludique : la figure du fou du roi , le bouffon
Ce thème de la folie est un thème qui revient souvent dans l’œuvre de Shakespeare, Pour Shakespeare, la folie artificielle du bouffon n’est rien d’autre que le masque de la sagesse. Celui-ci n’est pas là que pour faire rire, mais aussi pour faire prendre conscience de la folie du monde
Shakespeare, Le Roi Lear, Acte 1, scène 4,
. Donne-moi un œuf, m’n oncle, et je te donnerai deux couronnes.
LEAR : Deux couronnes ! De quelle sorte ?
LE FOU : Eh bien ! les deux couronnes de la coquille, après que j’aurai cassé l’œuf par le milieu et mangé le contenu. Le jour où tu as fendu ta couronne par le milieu pour en donner les deux moitiés, tu as porté ton âne sur ton dos pour passer le bourbier. Tu avais peu d’esprit sous ta couronne de cheveux blancs, quand tu t’es défait de ta couronne d’or. Ai-je parlé en fou que je suis ? Que le premier qui dira que oui reçoive le fouet ! (Il chante.)
Les fous n’ont jamais eu de moins heureuse année,
Car les sages sont devenus sots
Et ne savent plus comment porter leur esprit,
Tant leurs mœurs sont extravagantes.
Le Fou apparaît bien ici comme un être double ; c’est l’autre face du Roi Lear. Il tutoie le roi, lui parle familièrement et est insolent : il le traite de fou. Son langage est à double entente. Il incarne le bon sens, la sagesse populaire et l’enfance. Il donne à voir un monde à l’envers (renversement carnavalesque) : le Fou est sensé et dit la vérité, alors que le Roi a perdu la raison et le sens commun. La Folie est donc la sagesse et le Fou est le miroir de la Folie collective.
2. Le fou sympathique , au grand coeur : Quasimodo
Victor Hugo ouvre son roman, Notre-Dame de Paris, sur La Fête des fous et plonge son lecteur dans une atmosphère de liesse populaire, dont la folie est le thème central. Devenue un événement public attendu par tous, celle-ci est l’occasion de réjouissances populaires ; on y boit, on y danse, on y donne des spectacles de mime, de magie, des tours, des momeries de théâtre, on y fait des farces.Quasimodo gagne le concours de grimaces organisé ce jour là : il est proclamé roi des fous ; Personnage difforme, bossu , il va devenir un héros en protégeant celle qu’il aime d’un amour pur : la belle bohémienne Esméralda.
3. La folie dépensière de la mode vue par Zola
La folie en tant que comportement excessif peut être individuel mais il peut également s’emparer d’une foule et la rendre hystérique, dangereuse. Dans son roman, Au Bonheur des Dames Zola décrit la fièvre acheteuse qui s’empare des femmes avec la création des grands magasins.: Nous sommes au début du XIX°. et les parisiennes se pâment devant les vitrines qui fleurissent dans Paris. Un magasin notamment a beaucoup de succès : il se nomme justement Au Bonheur des Dames, et il est dirigé de main de maître par Octave Mouret. Ce temple élevé à la mode, fait perdre la tête aux maîtresses de maison. On assiste à un vrai délire : l’envie d’assouvir une soif débordante d’acheter.
C’était la tentation aiguë, le coup de folie du désir, qui détraquait toutes les femmes. » on s’écrasait devant la mercerie, le blanc et les lainages eux-mêmes étaient envahis, le défilé des acheteuses se serrait, presque toutes en chapeau à présent, avec quelques bonnets de ménagères attardées. Dans le hall des soieries, sous la blonde lumière, des dames s’étaient dégantées, pour palper doucement des pièces de Paris-Bonheur, en causant à demi-voix. Et il ne se trompait plus aux bruits qui lui arrivaient du dehors, roulements de fiacres, claquement de portières, brouhaha grandissant de foule. Il sentait, à ses pieds, la machine se mettre en branle, s’échauffer et revivre, depuis les caisses où l’or sonnait, depuis les tables où les garçons de magasin se hâtaient d’empaqueter les marchandises, jusqu’aux profondeurs du sous-sol, au service du départ, qui s’emplissait de paquets descendus, et dont le grondement souterrain faisait vibrer la maison.(…)
« À la soie, la foule était aussi venue. On s’écrasait surtout devant l’étalage intérieur, dressé par Hutin, et où Mouret avait donné les touches du maître. C’était, au fond du hall, autour d’une des colonnettes de fonte qui soutenaient le vitrage, comme un ruissellement d’étoffe, une nappe bouillonnée tombant de haut et s’élargissant jusqu’au parquet. Des satins clairs et des soies tendres jaillissaient d’abord : les satins à la reine, les satins renaissance, aux tons nacrés d’eau de source ; les soies légères aux transparences de cristal, vert Nil, ciel indien, rose de mai, bleu Danube. Puis, venaient des tissus plus forts, les satins merveilleux, les soies duchesse, teintes chaudes, roulant à flots grossis. Et, en bas, ainsi que dans une vasque, dormaient les étoffes lourdes, les armures façonnées, les damas, les brocarts, les soies perlées et lamées ; au milieu d’un lit profond de velours, tous les velours, noirs, blancs, de couleur, frappés à fond de soie ou de satin, creusant avec leurs taches mouvantes un lac immobile où semblaient danser des reflets de ciel et de paysage. Des femmes, pâles de désirs, se penchaient comme pour se voir. Toutes, en face de cette cataracte lâchée, restaient debout, avec la peur sourde d’être prises dans le débordement d’un pareil luxe et avec l’irrésistible envie de s’y jeter et de s’y perdre. (…)
4 La folie amoureuse dans la tragédie
Dans ce type de folie, le fou est celui qui s’égare dans la passion amoureuse. Les expressions populaires « aimer comme un fou », « aimer à en perdre la raison », « être fou d’amour », « aimer à la folie », ont toujours établi un lien entre amour et folie. La folie amoureuse est le trouble de l’esprit frappant l’amoureux transi qui aime avec démesure. Aux yeux des psychiatres, elle est proche du trouble obsessionnel. Le fou est obsédé par une personne, ou plutôt par l’idée de la posséder. Ses pensées sont sans cesse tournées vers elle et il n’a pas de repos tant que son désir n’est pas assouvi. Ce peut être le cas lorsque deux êtres s’aiment d’un amour fou (comme Tristan et Yseut), mais c’est plus souvent le cas lorsque l’amour n’est pas partagé.
Racine, Phèdre, Acte II, Scène 5
J’aime. Ne pense pas qu’au moment que je t’aime,
Innocente à mes yeux, je m’approuve moi-même ;
Ni que du fol amour qui trouble ma raison
Ma lâche complaisance ait nourri le poison ;
Objet infortuné des vengeances célestes,
Je m’abhorre encor plus que tu ne me détestes.
Les dieux m’en sont témoins, ces dieux qui dans mon flanc
Ont allumé le feu fatal à tout mon sang ;
Ces dieux qui se sont fait une gloire cruelle
De séduire le cœur d’une faible mortelle.
Toi-même en ton esprit rappelle le passé :
C’est peu de t’avoir fui, cruel, je t’ai chassé ;
J’ai voulu te paraître odieuse, inhumaine ;
Pour mieux te résister, j’ai recherché ta haine.
De quoi m’ont profité mes inutiles soins ?
Tu me haïssais plus, je ne t’aimais pas moins ;
Tes malheurs te prêtaient encor de nouveaux charmes.
5. Folie et alcoolisme : les personnages du roman naturaliste
Dans ce type de folie, le fou est celui chez qui l’abus d’alcool altère les facultés mentales. Comme l’abus de drogues, celui de l’alcool peut conduire à la folie. En effet, la dégénérescence liée à l’alcool a , d’abord à cette époque,une explication sociale et non une explication médicale. Mais, il faut noter que, dès 1860, l’alcoolisme est devenu l’affaire de la psychiatrie : 8% de la population des asiles est constituée d’alcooliques selon un rapport médical paru en 1874. Zola, étudie le problème de l’hérédité alcoolique dans son œuvre. Les Rougon- Macquart, livre, en effet, plusieurs études de ce motif de folie l. Dans L’Assommoir Coupeau, puis son épouse Gervaise, sont atteints de ce mal. A travers la descente aux Enfers de Coupeau, Zola décrit les étapes de la maladie, conduisant au stade ultime qu’est le delirium tremens . Coupeau est un bon ouvrier zingueur. Mais, après être tombé d’un toit, il ressent son accident comme une injustice , commence alors à boire , devient rapidement un alcoolique chronique et finit par ne plus pouvoir travailler. Atteint de délire passager, puis de cauchemars et d’hallucinations, il effectue plusieurs séjours, en asile à Saint-Anne et finit par y mourir.
Zola, L’Assommoir
Dans l’extrait suivant, Gervaise assiste à une première crise de delirium tremens, qui se manifeste par une perte des repères, une confusion entre onirisme et réalité, des hallucinations, et une perte du contrôle de soi.
« Là-dedans, Coupeau dansait et gueulait. Un vrai chienlit de la Courtille, avec sa blouse en lambeaux et ses membres qui battaient l’air ; mais un chienlit pas drôle, oh ! non, un chienlit dont le chahut effrayant vous faisait dresser tout le poil du corps. Il était déguisé en un-qui-va-mourir. Crénom ! quel cavalier seul ! Il butait contre la fenêtre, s’en retournait à reculons, les bras marquant la mesure, secouant les mains, comme s’il avait voulu se les casser et les envoyer à la figure du monde. (…) Coupeau, lui, avait le cri d’une bête dont on a écrasé la patte. Et, en avant l’orchestre, balancez vos dames ! (…) Elle l’avait mal vu en entrant, tant il se disloquait. Quand elle le regarda sous le nez, les bras lui tombèrent. Était-ce Dieu possible qu’il eût une figure pareille, avec du sang dans les yeux et des croûtes plein les lèvres ?
Elle ne l’aurait bien sûr pas reconnu. D’abord, il faisait trop de grimaces, sans dire pourquoi, la margoulette tout d’un coup à l’envers, le nez froncé, les joues tirées, un vrai museau d’animal. Il avait la peau si chaude, que l’air fumait autour de lui ; et son cuir était comme verni, ruisselant d’une sueur lourde qui dégoulinait. Dans sa danse de chicard enragé, on comprenait tout de même qu’il n’était pas à son aise, la tête lourde, avec des douleurs dans les membres.
(…) Coupeau parlait d’une voix saccadée. Pourtant, une flamme de rigolade lui éclairait les yeux. Il regardait par terre, à droite, à gauche, et tournait, comme s’il avait flâné au bois de Vincennes, en causant tout seul.(…) Mais, peu à peu, sa face reprit une expression d’angoisse. Alors, il se courba, il fila plus vite le long des murs de la cellule, avec de sourdes menaces.
Gervaise assiste, dans ce nouvel extrait , à la dernière crise de délirium tremens de Coupeau, suivie de sa mort.
« (…) Ils avaient découvert l’homme des cuisses aux épaules, Gervaise voyait, en se haussant, ce torse nu étalé. Eh bien ! c’était complet, le tremblement était descendu des bras et monté des jambes, le tronc lui-même entrait en gaieté, à cette heure ! Positivement, le polichinelle rigolait aussi du ventre. C’étaient des risettes le long des côtes, un essoufflement de la berdouille, qui semblait crever de rire. Et tout marchait, il n’y avait pas à dire ! les muscles se faisaient vis-à-vis, la peau vibrait comme un tambour, les poils valsaient en se saluant. Enfin, ça devait être le grand branle-bas, comme qui dirait le galop de la fin, quand le jour paraît et que tous les danseurs se tiennent par la patte en tapant du talon. . Coupeau, les paupières closes, avait de petites secousses nerveuses qui lui tiraient toute la face. Il était plus affreux encore, ainsi écrasé, la mâchoire saillante, avec le masque déformé d’un mort qui aurait eu des cauchemars. Mais les médecins, ayant aperçu les pieds, vinrent mettre leurs nez dessus, d’un air de profond intérêt. Les pieds dansaient toujours. Coupeau avait beau dormir, les pieds dansaient ! Oh ! leur patron pouvait ronfler, ça ne les regardait pas, ils continuaient leur train-train, sans se presser ni se ralentir. De vrais pieds mécaniques, des pieds qui prenaient leur plaisir où ils le trouvaient. Pourtant, Gervaise, ayant vu les médecins poser leurs mains sur le torse de son homme, voulut le tâter elle aussi. Elle s’approcha doucement, lui appliqua sa main sur une épaule. Et elle la laissa une minute. Mon Dieu ! qu’est-ce qui se passait donc là-dedans ? Ça dansait jusqu’au fond de la viande ; les os eux- mêmes devaient sauter. Des frémissements, des ondulations arrivaient de loin, coulaient pareils à une rivière, sous la peau. Quand elle appuyait un peu, elle sentait les cris de souffrance de la moelle. À l’œil nu, on voyait seulement les petites ondes creusant des fossettes, comme à la surface d’un tourbillon ; mais, dans l’intérieur, il devait y avoir un joli ravage. Quel sacré travail ! un travail de taupe ! C’était le vitriol de l’Assommoir qui donnait là-bas des coups de pioche. Le corps entier en était saucé, et dame ! il fallait que ce travail s’achevât, émiettant, emportant Coupeau, dans le tremblement général et continu de toute la carcasse. »
Finalement, Gervaise suit le chemin de Coupeau : de plus en plus alcoolique, elle sombre, à son tour , dans la folie et sa mort n’a absolument rien à envier à celle de son ancien compagnon. :
« Depuis ce jour, comme Gervaise perdait la tête souvent, une des curiosités de la maison était de lui voir faire Coupeau. On n’avait plus besoin de la prier, elle donnait le tableau gratis, tremblement des pieds et des mains, lâchant de petits cris involontaires. Sans doute elle avait pris ce tic-là à Sainte-Anne, en regardant trop longtemps son homme. Mais elle n’était pas chanceuse, elle n’en crevait pas comme lui. Ça se bornait à des grimaces de singe échappé, qui lui faisaient jeter des trognons de choux par les gamins, dans les rues. »
6. La folie des grandeurs ou mégalomanie
Dans ce type de folie, le fou est celui qui surestime ses capacités et qui a un désir immodéré de puissance ou un amour exclusif de soi. De nos jours, la mégalomanie est classée dans les maladies mentales. Un exemple de mégalomanie est celle de Lorenzo dans Lorenzaccio, drame romantique, de Musset.
7 Le fou : malade mental
Il s’agit ici d’une véritable pathologie, qui retranche le fou du reste de l’Humanité . Dans la littérature, on rencontre plusieurs types d’aliénation mentale : le délire drôle et ridicule , le délire bizarre et le délire violent qui peut conduire au suicide ou au meurtre .
Le premier type de folie était appelée autrefois « innocence »:on le confond parfois avec un handicap mental et on évoquait l’idiot du village, qui ne possédait pas toutes ses facultés mentales ou se comportait comme un enfant. Ce motif est souvent très proche de celui de l’excentrique ou de l’original qui ne voit pas tout à fait la vie de la même façon que les autres comme Alice au pays des Merveilles ou le personnage du prince Mychkine , figure centrale du roman de Dostoïevski L’Idiot
8. Folie et littérature fantastique
Le fantastique se caractérise par l’intrusion d’un phénomène dans la réalité de la fiction, phénomène qui y demeure étranger, voire impossible . Le personnage se pose alors la question : est-il fou ? D’autre part, l’atmosphère du fantastique convient bien à la folie, dont la gravité est minimisée par la perte de repères du personnage et/ou du lecteur.
Chez Maupassant, les fous gardent toutes leurs facultés et révèlent de remarquables dons pour le raisonnement. Ils restent même assez lucides pour juger leur situation aberrante et se déclarer eux-mêmes comme fous. En effet, ce qui est frappant dans ce genre de récit, c’est que l’on ne voit aucun symptôme montrant la folie du personnage. Il est le seul à pouvoir la diagnostiquer. Le fou est ici un homme raisonnant qui, de manière très cohérente, explique, l’existence, connue de lui seul, d’un être, d’une chose ou d’un phénomène irrationnel. Mais, le fait d’être sûr d’avoir vu est la preuve de sa folie.
Au départ, le personnage est très rationnel et ne montre aucun signe de folie. Puis, il relate dans son journal, qui s’étale du 8 mai au 10 septembre, les phénomènes surnaturels qui se succèdent et l’amènent progressivement à la folie.
Le Horla, Maupassant
«5 juillet. – Ai-je perdu la raison ? Ce qui s’est passé, ce que j’ai vu la nuit dernière est tellement étrange, que ma tête s’égare quand j’y songe !
Comme je le fais maintenant chaque soir, j’avais fermé ma porte à clef ; puis, ayant soif, je bus un demi-verre d’eau, et je remarquai par hasard que ma carafe était pleine jusqu’au bouchon de cristal.
Je me couchai ensuite et je tombai dans un de mes sommeils épouvantables, dont je fus tiré au bout de deux heures environ par une secousse plus affreuse encore.
Figurez-vous un homme qui dort, qu’on assassine, et qui se réveille, avec un couteau dans le poumon, et qui râle, couvert de sang, et qui ne peut plus respirer, et qui va mourir, et qui ne comprend pas – voilà.
Ayant enfin reconquis ma raison, j’eus soif de nouveau ; j’allumai une bougie et j’allai vers la table où était posée ma carafe. Je la soulevai en la penchant sur mon verre ; rien ne coula. – Elle était vide ! Elle était vide complètement ! D’abord, je n’y compris rien ; puis, tout à coup, je ressentis une émotion si terrible, que je dus m’asseoir, ou plutôt, que je tombai sur une chaise ! puis, je me redressai d’un saut pour regarder autour de moi ! puis je me rassis, éperdu d’étonnement et de peur, devant le cristal transparent ! Je le contemplais avec des yeux fixes, cherchant à deviner. Mes mains tremblaient ! On avait donc bu cette eau ? Qui ? Moi ? moi, sans doute ? Ce ne pouvait être que moi ? Alors, j’étais somnambule, je vivais, sans le savoir, de cette double vie mystérieuse qui fait douter s’il y a deux êtres en nous, ou si un être étranger, inconnaissable et invisible, anime, par moments, quand notre âme est engourdie, notre corps captif qui obéit à cet autre, comme à nous-mêmes, plus qu’à nous-mêmes.
Ah ! qui comprendra mon angoisse abominable ? Qui comprendra l’émotion d’un homme, sain d’esprit, bien éveillé, plein de raison et qui regarde épouvanté, à travers le verre d’une carafe, un peu d’eau disparue pendant qu’il a dormi ! Et je restai là jusqu’au jour, sans oser regagner mon lit. ».
Le 5 juillet, c’est l’apparition du premier élément surnaturel et l’installation de la peur. Puis, l’apparition des évènements s’accélère : lait qui se vide la nuit, rose qui se brise devant lui, page d’un livre qui tourne toute seule . Le personnage finit par se poser des questions sur l’existence d’un autre être. Il se considère comme fou, mais le doute est toujours présent.
« 19 août. (…) – Qu’ai-je donc ? C’est lui, lui, le Horla, qui me hante, qui me fait penser ces folies ! Il est en moi, il devient mon âme ; je le tuerai ! Je l’ai vu ! je me suis assis hier soir, à ma table ; et je fis semblant d’écrire avec une grande attention. Je savais bien qu’il viendrait rôder autour de moi, tout près, si près que je pourrais peut-être le toucher, le saisir ! Et alors !… alors, j’aurais la force des désespérés ; j’aurais mes mains, mes genoux, ma poitrine, mon front, mes dents pour l’étrangler, l’écraser, le mordre, le déchirer.
Et je le guettais avec tous mes organes surexcités.J’avais allumé mes deux lampes et les huit bougies de ma cheminée, comme si j’eusse pu, dans cette clarté, le découvrir.
En face de moi, mon lit, un vieux lit de chêne à colonnes ; à droite, ma cheminée ; à gauche, ma porte fermée avec soin, après l’avoir laissée longtemps ouverte, afin de l’attirer ; derrière moi, une très haute armoire à glace, qui me servait chaque jour pour me raser, pour m’habiller, et où j’avais coutume de me regarder, de la tête aux pieds, chaque fois que je passais devant.
Donc, je faisais semblant d’écrire, pour le tromper, car il m’épiait lui aussi ; et soudain, je sentis, je fus certain qu’il lisait par-dessus mon épaule, qu’il était là, frôlant mon oreille.
Je me dressai, les mains tendues, en me tournant si vite que je faillis tomber. Eh bien ?… on y voyait comme en plein jour, et je ne me vis pas dans ma glace !… Elle était vide, claire, profonde, pleine de lumière ! Mon image n’était pas dedans… et j’étais en face, moi ! Je voyais le grand verre limpide du haut en bas. Et je regardais cela avec des yeux affolés ; et je n’osais plus avancer, je n’osais plus faire un mouvement, sentant bien pourtant qu’il était là, mais qu’il m’échapperait encore, lui dont le corps imperceptible avait dévoré mon reflet.L’obsession du narrateur domine maintenant toute la nouvelle : il veut tuer l’être invisible. Il va mettre le feu à sa propre maison, oubliant ses domestiques qui finissent carbonisés. A la fin, on ne sait s’il se tue ou non, car le récit s’achève par : « Non… non… sans aucun doute, sans aucun doute… il n’est pas mort… Alors… alors… il va donc falloir que je me tue, moi !…. » En abordant la question du double et en dépeignant l’angoisse, la paranoïa, le sentiment de persécution, les obsessions et les hallucinations du personnage, Maupassant nous offre un cas de schizophrénie, bien avant qu’on en invente la pathologie. De nos jours, la schizophrénie est considérée comme l’une des maladies mentales les plus fréquentes.
9. La folie furieuse
La folie furieuse est un trouble mental accompagné de manifestations de violence. Dans ce type de folie, il s’agit d’un délire tragiquement effrayant et qui tend à l’animalité. Les fous sont ici violents, incontrôlables et réfractaires aux soins des aliénistes. Ils sont coupés, de façon irrémédiable, de la réalité. Ils représentent le paroxysme de la folie qui les possède corps et âme. . Chez Zola, les névrosés basculent dans la folie furieuse à cause d’une passion malheureuse et à cause de l’influence néfaste de certaines personnes de leur entourage.C’est le cas de Tante Dide (Adélaïde). Celle-ci vit dans la dévotion de son amant Macquart, contrebandier tué par les gendarmes et elle subit le harcèlement de son fils Pierre Rougon qui veut son héritage,l va la réduire en esclavage et la reléguer dans la masure de Macquart.
La Fortune des Rougon, Zola,
C’est après l’arrestation de son petit-fils qu’Adélaïde sombre dans la folie furieuse.
« Les yeux de Pierre s’habituaient à l’obscurité. Alors, dans les dernières lueurs qui traînaient, il vit tante Dide, roide, morte, sur le lit. Ce pauvre corps, que des névroses détraquaient depuis le berceau, était vaincu par une crise suprême. Les nerfs avaient comme mangé le sang ; le sourd travail de cette chair ardente, s’épuisant, se dévorant elle-même dans une tardive chasteté, s’achevait, faisait de la malheureuse un cadavre que des secousses électriques seules galvanisaient encore. À cette heure, une douleur atroce semblait avoir hâté la lente décomposition de son être. Sa pâleur de nonne, de femme amollie par l’ombre et les renoncements du cloître, se tachaient de plaques rouges. Le visage convulsé, les yeux horriblement ouverts, les mains retournées et tordues, elle s’allongeait dans ses jupes, qui dessinaient en lignes sèches les maigreurs de ses membres. ….
Ses jupes dénouées traînaient, son corps tordu se redressait, demi-nu, affreusement creusé par la vieillesse.– C’est vous qui avez tiré ! Cria-t-elle.
Je n’ai fait que des loups… toute une famille, toute une portée de loups… Il n’y avait qu’un pauvre enfant, et ils l’ont mangé ; chacun a donné son coup de dent ; ils ont encore du sang plein les lèvres… Ah ! Les maudits ! Ils ont volé, ils ont tué. Et ils vivent comme des messieurs. Maudits ! Maudits ! Maudits ! Elle chantait, elle riait, elle criait et répétait : Maudits ! sur une étrange phrase musicale, pareille au bruit déchirant d’une fusillade. Pascal, les larmes aux yeux, la prit entre ses bras, la recoucha. Elle se laissa faire, comme une enfant. Elle continue sa chanson, accélérant le rythme, battant la mesure sur le drap, de ses mains sèches. »
C’est son autre petit-fils, le docteur Pascal, qui reconnait sa folie. Il la fait interner à la maison d’aliénés des Tuilettes, où elle mourra d’une congestion pulmonaire, à l’âge de 105 ans.
10. La folie criminelle
Dans Les Rougon-Macquart, La Conquête de Plassans est un roman important qui nous décrit la folie de Marthe (petite fille d’Adélaïde) et la folie furieuse de François Mouret (son mari) qui verse dans l’animalité et le conduit au crime. Dans ce roman, Zola dépeint l’asile de fous (les Tuilettes) et la crise de folie furieuse et destructrice de Mouret. On trouve de nombreux criminels qui passent à l’acte dans une crise de folie : citons les amants dans Thérèse Raquin, Laurent et Thérèse qui sont hantés par des hallucinations où ils voient le corps de la victime noyée, les poursuivre. On peut aussi mentionner la Bête Humaine . Les meurtriers sont rongés par les remords et poursuivis par la noirceur de leurs actes. Nous sommes bien loin de l’univers plus contemporain des serial killers ; De nombreux psychiatres et des criminologues étudient les tueurs en série afin de comprendre ce qui motive leur passage à l’acte. La figure du criminel , en littérature comme dans la vie, fascine et horrifie à la fois.
Conseil de lecture : A la folie de Joy Sorman, un regard sur l’hôpital psychiatrique ; Une journaliste note , pendant un an, ce qu’elle observe chaque semaine durant ses visites à l’hôpital. Elle parle de la vie des patients , décolle des soignants et de la relation qu’elle parvient à établir avec certains d’entre eux .