24. août 2019 · Commentaires fermés sur Débat d’idées au dix-septième siècle · Catégories: Première

Le dix-septième siècle voit le plus souvent  l’amour sous un jour dangereux ; Les trois oeuvres au programme de première cette année: La Princesse de Clèves roman de Madame de La Fayette, Phèdre, tragédie de Jean Racine et Les Fables de La Fontaine délivrent le même avertissement aux lecteurs : il faut savoir raison garder et se méfier de ce que nous dicte notre coeur sous l’emprise des sentiments  car l’homme est une faible créature .On qualifie souvent le dix-septième siècle de siècle des moralistes classiques. Essayons d’en savoir plus sur cette époque et les idées dont s’inspirent les écrivains . 

Examinons d’un peu plus près le contexte : au dix-septième siècle, période qualifiée de classique dans l’histoire littéraire, les échanges d’idées se multiplient et certaines oeuvres deviennent des témoignages des pensées de leurs auteurs. La morale  classique possède une double origine : chrétienne et philosophique . Les vices sont condamnés par la religion  mais encore faut-il s’entendre sur ce qu’on appelle un vice . L’amour , par exemple, va être un sujet de débat important.  L’opposition qui remonte à l’Antiquité entre les épicuriens et les stoïciens est reprise, sous des angles variés.

En résumé, les  partisans de l’épicurisme vont donner naissance au courant libertin qui sera farouchement combattu par les religieux car il va à l’encontre des vérités enseignées par l’Eglise. Les libertins ne sont pas tous athées mais ils entrent en opposition avec les dogmes de la religion . Concentrés dans les cercles mondains, ils comptent dans leurs rangs des auteurs comme La Fontaine, Boileau et Molière. Les libertins accordent une place importante au libre-arbitre des hommes (capacité de se former un jugement soi-même ) , à la liberté des idées et à un certain goût pour les plaisirs de l’esprit et de la chair . En face d’eux, certains intellectuels comme Pascal ou Bossuet se méfient davantage des hommes et s’en remettent à Dieu et aux principes hérités de la religion chrétienne: ils condamnent la folie des passions, défendent un idéal de vie plutôt austère comme leurs modèles antiques les stoïciens ; Ils prennent appui, à la fois sur les idées philosophiques des stoïciens de l’Antiquité et du courant  religieux janséniste qui se développe à la Cour et que Racine soutiendra longtemps. Cependant, à la différence des grecs qui ne pensaient pas l’homme corrompu par le péché originel et donc condamné à se racheter, les jansénistes pensent que le bonheur ne peut être atteint que grâce à Dieu et que l’homme n’est jamais libre de ses choix. 

Cependant, des divergences sont également perceptibles à l’intérieur même des groupes qui partagent des idées proches. Les religieux , divisés entre jésuites et jansénistes, ne sont pas d’accord sur la notion de salut et les écrivains vont s’inspirer  de certaines conceptions du jansénisme , notamment dans l’analyse des passions qui , à leurs yeux, révèlent la  faiblesse de la volonté humaine . Madame de La Fayette développe ce thème dans son roman et elle montre également les illusions du libre-arbitre. D’autres divergences apparaissent sur le plan esthétique avec les choix des formes littéraires et des sujets. La Fontaine adapte une forme héritée de l’Antiquité: la fable  et Racine s’inspire fortement des tragédies grecques alors que Madame de La Fayette choisi le roman pour sa modernité et place son intrigue à une époque proche de la sienne . L’Histoire littéraire va nommer ces oppositions : la querelle des Anciens (partisans d’une imitation de l’Antiquité ) et des Modernes . 

Pour conclure : les oeuvres littéraires témoignent de la diversité des idées de cette époque. Les auteurs tels que La Fontaine, Madame de Lafayette et Racine ont eu de nombreuses sources d’inspiration communes . Approfondissez ce cours en complétant la fiche : étudier un mouvement littéraire

18. juin 2019 · Commentaires fermés sur Etudier une oeuvre intégrale : pour mieux comprendre la pièce et la démarche de Beckett · Catégories: Première · Tags: ,

En quoi consiste, au juste,  l’étude d’une oeuvre intégrale ? Les élèves confondent souvent l’étude des extraits d’une oeuvre avec l’étude d’une oeuvre complète ( ou intégrale ) . Ce dernier mode de lecture est moins précis mais plus exigeant car il n’est pas question de prétendre expliquer en détails chaque page du livre mais de pouvoir parler facilement de l’auteur, des thèmes abordés dans l’ouvrage , des personnages principaux et secondaires, de l’intrigue, du cadre, et du sens du roman ou de la pièce  (ou s’il s’agit d’un recueil de poèmes, d’être capable d’évoquer de nombreux poèmes ainsi que de connaître la construction du recueil (titre des livres ou des parties ); Bref vous l’aurez compris : il s’agit avant tout de rendre compte de sa lecture  en entier . On vous demandera le plus souvent de résumer l’intrigue, d’évoquer le dénouement ou l’évolution d’un personnage ou de montrer en quoi s’agit d’une ouvert morale/amorale /originale/ tragique/ pathétique/comique / d’avant-garde ou au contraire classique …voyons ensemble ce qu’il est possible d’évoquer à propos de la lecture intégrale de la pièce de Beckett : En attendant Godot 

Le sens de la pièce 

Deux clochards apparaissent sur scène dans un décor quasi vide et attendent quelqu’un dont l’existence même est problématique . Leurs paroles révèlent qu’ils n s’entendent pas et leur silence cache ce qui n’est pas dit. Beckett repose dans sa pièce la question du sujet humain et de son animalisation qui a pu conduire à une monstrueuse tentative d’extermination d’une partie de l’espèce humaine . Comment l’écriture théâtrale peut -elle donner à voir l’homme amaigri, affaibli , assujetti et  victime de ses semblables ? Beckett pose également, à travers les répétitions des gestes de ses personnages et le recommencement  des séquences de la pièce , le problème de l’homme confronté à la sensation de l’absurde. Ce mal de vivre prend , dans l’œuvre, l’image d’un fardeau que portent les personnages et dont ils voudraient se débarrasser par lassitude. Les hommes sur scène montrent la fragilité de notre condition humaine soumise au temps avec leurs corps souffrants et leur santé qui se dégrade visiblement. (Faiblesse physique, démarche cahotique, Lucky croule sous le poids de ses bagages, malnutrition, Pozzo devient aveugle ) . Le théâtre s’efforce alors de montrer la solitude, le désœuvrement , l’ennui et la souffrance de l’homme dans un monde vide de sens. L’absence de décor est un des moyens visuels de figurer ce vide existentiel. Cependant au delà de ce pessimisme profond, le dramaturge introduit dans le jeu théâtral , le rire de dérision . Il ne s’agit pas à proprement parler d’un comique qui aurait pour but de se moquer mais plutôt d’un rire qui dénonce cette absurdité et qui renvoie le spectateur à ses interrogations existentielles . Ce rire est le contrepoint de la dimension tragique de l’existence humaine.

Autour des thèmes principaux  

Avant de devenir dramaturge, Beckett a rassemblé dans des romans et des récits, les principaux thèmes de sa pièce et notamment les réflexions autour du couple; ils ont peur de se perdre et de se retrouver seuls mais ensemble ils ne se supportent pas et se font  en permanence des reproches . Le couple paraît menacé par un hors-scène où règne la violence et où ils risquent d’être agressés . Et leur attente qui est le motif central de la pièce, nous paraît vaine: seule la mort viendra mettre un terme à leurs gestes et à leurs échanges . Le premier acte s’ouvre sur les retrouvailles entre Vladimir et Estragon et l’arrivée d’un étrange couple Pozzo et Lucky qui figure une relation maître / esclave ; Ce dernier qui semble souffrir , fait d’abord pitié aux deux clochards mais ils finiront par le battre après son monologue délirant.  Lucky et Pozzo sortent.Arrive alors un messager qui annonce que l’arrivée de Godot est reportée au lendemain. Vladimir et Estragon décident de partir mais ne bougent pas.  Fin de l’acte I. Pourtant le rideau s’ouvre sur une scène vide ; On aperçoit des chaussures et le chapeau de Lucky ; arrive alors Vladimir qui se met à chanter , suivi par Estragon qui ne semble pas avoir très envie de lui parler. Arrivent ensuite Pozzo aveugle et Lucky muet  : tous les 4 finissent par se laisser tomber sur le plateau . Ils se battent : tous les deux frappent Pozzo  ; Estragon frappe également  Lucky . Le couple quitte la scène et  Estragon s’endort. Vladimir paraît angoissé par sa solitude ; Estragon se réveille, Le messager revient et annonce la prochaine arrivée de Godot et le rideau se ferme sur une situation et une conversation  qui rappellent celle du début de l’acte I .

Que sait-on de Godot ?

Il effraie tout le monde et Vladimir lui a adressé une sorte de prière , une vague supplique ; Il a répondu qu’ il ne pouvait rien promettre . Il a une belle demeure  ( on couchera peut être chez lui au chaud au sec et le ventre plein, sur la paille ) et au moins deux serviteurs : l’un qu’il traite bien et l’autre qu’il bat . Il possède des chèvres et des chevaux et une barbe blanche.

Les personnages de Vladimir et Estragon en scène

A retenir : corps souffrants, clowns , vêtus de haillons pour suggérer la misère , se plaignent beaucoup de leurs maux (mal aux pieds, aux jambes, mal partout ) ; ensemble depuis plus de 50 ans , veulent sans cesse se séparer et se rejoindre; Leur lien est à l’image d’un élastique .

Le couple Pozzo / Lucky : la corde est ce qui les relie. Leur entrée en scène est terrifiante et surprenante. Lucky est enchaîné, bave, semble infrahumain ; Il obéit aux ordres  de Pozzo sans broncher mais est capable de violence car il décoche des coups de pied à Estragon qui s’approche. Le rire du spectateur est ici celui de la cruauté car il rit de la souffrance de la figure d’autrui dégradée.Pozzo lui représente la figure du tyran  détestable, prétentieux, et il veut vendre son compagnon. Mais ils restent ensemble car ils ont besoin l’un de l’autre.

Les deux messagers : ils représentent les émissaires de Godot et imitent le rôle du messager dans le théâtre antique . Ils sont bergers et gardent les chèvres de Godot .

Un théâtre en crise ?

Action appauvrie, propos qui traduisent les difficultés de la communication, hors-scène terrifiant, espace vide du plateau : la notion même de spectacle et de spectaculaire pose problème dans le théâtre de Beckett. Que nous donne-t-il à voir et à entendre ? La frontière entre le pathétique et le tragique est souvent très mince dans les stichomythies échangées par les acteurs . Le corps de l’autre est montré souvent  comme désagréable dans sa proximité mais la présence du compagnon semble nécessaire pour subsister . La question du suicide traitée de manière dérisoire (la corde trop courte ) ouvre et ferme le spectacle. Néanmoins, Beckett a développé des aspects clownesques dans le choix des duos comiques avec les accessoires (comique de geste ) , les incohérences dans les propos( comique de langage ), les brusques changements d’humeur (comique de caractère ) , et la frustration du spectateur qui lui aussi, attend quelques chose qui n’arrive jamais. Le registre grotesque ou burlesque est mis en place avec les propos scatologiques ( pipi, puer, braguette ouverte , les bruits ) et les jeux de scène (tomber, ôter sa chaussure , marcher en claudicant ). Le spectateur est surtout sensible aux conversations décousues et aux changements de sujets : la conversation s’enlise,  entrecoupée de nombreux temps de silence, dérive et finit par déboucher sur un autre sujet .  La dynamique des échanges est marquée par une absence  ostensible d’écoute et parfois même de compréhension lorsque Lucky se met à débiter son monologue insensé.

Réception de la pièce et mises en scène

Dès la première représentation en janvier 1953 à Paris, la pièce trouve son public; Roger Blin met en scène la pièce en accentuant la souffrance corporelle des acteurs : Estragon est quasi immobile, Lucky pris de tremblements ; Blin s’ efforce d’équilibrer le comique et le tragique sans qu’une dimension l’emporte sur l’autre.

En 1991 au théâtre des Amandiers à Nanterre, Jouanneau introduit quelques innovations : l’arbre est remplacé par un transformateur électrique , Vladimir et Estragon n’ont pas du tout le même âge; Lucky représente un travailleur immigré et Pozzo un reporter indifférent à la violence du monde. D’autres mises en scène peuvent souligner les conflits et les tensions et la pièce pourrait faire l’objet d’une lecture politique ou désespérée de la condition humaine dans un décor de fin du monde : terrain vague, gravats, chantier en construction abandonné. La pièce montre, en effet, la fragilité de l’homme et le spectacle théâtral se fait le reflet de douloureuses questions philosophiques que Ionesco , Sartre et Camus mettront en scène à la même époque dans leurs pièces comme Le roi se meurt, Les Mouches  ou Huis-Clos et Caligula. Sartre le nomme théâtre de situations ou théâtre existentiel et on a baptisé ce courant littéraire ; théâtre de l’Absurde parce qu’il reflète l’absurdité de certains aspects de notre condition humaine. 

 

 

 

 

14. juin 2019 · Commentaires fermés sur Des écrits de Résistances aux poètes de la Résistance : quelques données historiques de l’Humanisme à la seconde guerre mondiale · Catégories: Première · Tags: ,

De nombreux artistes tentent, à travers leurs oeuvres, de dénoncer une forme d’oppression qu’ils trouvent injuste : dès l’Humanisme, on réfléchit avec la découverte de nouvelles civilisations comme les Indiens d’Amérique, à la manière de vivre  avec des étrangers qui ne nous ressemblent pas forcément . La pseudo-supériorioté de l’Homme blanc et de l’Européen sur la Sauvage , va alimenter des siècles de colonisation. Pourtant Montaigne avait déjà mis en évidence l’ethnocentrisme coupable des Européens dans les Essais où il relate l’arrivée à la cour du Roi d’une délégation de Sauvages venus du Brésil. Jean de Léry racontera dans ses Mémoires les années passées au Brésil et fera l’éloge des peuplades indigènes dont il souligne l’habileté et la connaissance de la Nature. Les Lumières dénonceront , un peu plus tard, la colonisation et ses massacres perpétrés au nom du racisme .

Montesquieu , dans un article polémique , dénoncera l’absurdité des arguments employés par les français pour justifier la traite des noirs et le commerce des esclaves. Voltaire , dans Candide, fera rencontrer à son héros un jeune esclave martyrisé et montrera ainsi, la cruauté des esclavagistes. Diderot, dans son récit : Supplément au Voyage de Bougainville , révélera les massacres et la violence  perpétrée par la colonisation française à Tahiti. Le siècle suivant poursuivra la dénonciation de l’oppression sous toutes ses formes ; Les écrits peuvent alors prendre une dimension politique comme les poèmes de Hugo dans les Châtiments  qui dénoncent l’iniquité du régime de Napoléon III qui l’obligera à vivre en exil durant 15 ans . Zola se fera journaliste pour condamner la position du gouvernement dans l’affaire Dreyfus qu’il accuse  de mensonge dans un article demeuré célèbre: J’accuse  .  Le vingtième siècle débute par une guerre sanglante qui est suivie d’un second conflit tout aussi marquant dans les esprits .Le déclenchement de seconde  Guerre Mondiale et l’occupation du territoire français par l’armée allemande après l’armistice de 40, vont donner lieu à de nombreux écrits de résistance . Mais quand on évoque la Résistance à cette époque, de quoi parle-t-on au juste ? 

  Qui sont les résistants en 1940 ?  

Les écrits des poètes de la Résistance s’inscrivent tous dans un contexte singulier, qu’ils soient datés de 1940 ou des années suivantes, à savoir celui des années de l’occupation allemande en France et du régime autoritaire de Vichy.

Dès le second semestre de 1940 de jeunes Français (isolés ou un peu plus organisés) manifestent leur refus de l’occupation et parfois rejoignent le général de Gaulle à Londres : peu à peu , face aux brimades de l’occupation et au durcissement du régime de Vichy .dse cercles de résistants s’organisent et se regroupent. La Résistance dans son ensemble a concerné une infime minorité de Français, et certains d’entre eux n’avaient même pas conscience qu’ils faisaient de la résistance ; le mot lui-même de « résistance » est popularisé seulement à partir de 1942.

Dans la mémoire collective, que les historiens ont pris pour objet d’histoire, la Résistance garde une place à part. Elle est devenue un mythe fondateurqui a permis aux Français de se donner des valeurs et d’élaborer un projet de société pour l’après-guerre. La Résistance, c’est avant tout des hommes et des femmes, très souvent désintéressés, héros anonymes pour beaucoup, animés par des convictions patriotiques et humanitaires.

À l’origine, les premiers gestes de refus sont symboliques et minimes. Les premiers résistants sont issus de tous les milieux sociaux et agissent dans toutes les régions. Pour beaucoup, il s’agit avant tout de « faire quelque chose » pour ne pas subir le joug nazi. Ils réagissent en leur âme et conscience, sans suivre aucun ordre de mobilisation générale insurrectionnel. Leur combat est fou, car ils interviennent contre l’opinion commune et en dépit de la présence des occupants. .
Le point de départ des premières actions résistantes tient davantage du ressort du réflexe viscéral que de la réponse idéologique au nazisme. Écrasé par la peur et l’incertitude, dans une société décomposée, le résistant des premiers mois de l’occupation est très rare. Le sens du devoir semble l’emporter soit en distribuant des tracts, soit en coupant des lignes téléphoniques (l’ouvrier agricole Étienne Achavanne, sera le premier résistant français fusillé, le 20 juin 1940), ou encore en refusant d’amener le drapeau français aux Allemands (le maire de La Rochelle le 23 juin 1940). D’autres rejoignent de Gaulle qui a lancé son appel de Londres le 18 juin ; 
Progressivement, des groupes d’hommes et de femmes, pour la plupart jeunes et sans vie sociale et familiale encore bien assise, s’organisent, par exemple au musée de l’Homme à Paris, ou dans plusieurs lycées parisiens ; le 11 novembre 1940, des étudiants manifestent aux Champs-Élysées et déposent une gerbe de fleurs au pied de l’Arc de Triomphe, prenant des risques incroyables. La répression sera très dure. À Londres, avec l’appui de Churchill, de Gaulle avance à pas lents. Mais rien n’est facile. Il faut non seulement trouver des leaders plus âgés, mais accepter également de tout abandonner, le plus souvent une vie professionnelle – quand elle ne sert plus de couverture pour cacher ses activités résistantes – et parfois une épouse et des enfants.

En 1941–1942, de part et d’autre de la ligne de démarcation, les résistants cherchent de l’argent et des armes, mais organisent aussi des mouvements et des réseaux. Les premiers (Franc-TireurCombatLibération-SudDéfense de la France, entre autres) ont des visées politiqueset se préparent à prendre en mains les destinées politiques de la France de l’après-guerre. Les seconds effectuent des missions militaires et de renseignement. Par ailleurs, la France libre est en lutte contre les Américains pour faire reconnaître sa légitimité, tandis que les chefs de la résistance intérieure s’affrontent pour le pouvoir. 
Avec l’invasion de l’URSS par les nazis, en juin 1941, des communistes organisés en triades commettent plusieurs attentats contre l’armée allemande, occasionnant des mesures de rétorsion cruelles : exécutions d’otages, arrestations de centaines de résistants par les polices françaises . Lesecond semestre 1941 marque bien le passage à la Résistance arméeen métropole.
À l’automne 1942, les résistants ont enfin conscience qu’ils œuvrent pour la Résistance. Grâce à Jean Moulin – arrêté à Caluire en juin 1943, puis tué sous les coups de Klaus Barbie à Lyon – qui sait réunir les différentes obédiences de la Résistance intérieure, de Gaulle devient le chef de la France résistante. Pour nombre de résistants, non seulement il faut chasser désormais les Allemands, détruire le régime de Vichy, mais il faut également réfléchir aux méthodes de restauration de la République après la Libération.

Ils se nommaient Paul Eluard, Louis Aragon, Philippe Soupault, Robert Desnos , René Char , Jean Casson , Robert Seghers , René Guy Cadou ; vous en saurez plus en suivant ce lien … bonne lecture 

https://www.reseau-canope.fr/poetes-en-resistance/accueil/

Après la seconde guerre mondiale, partout dans le monde, des artistes et des écrivains continuent à prendre la plume ou le stylo pour résister à ce qu’ils   entendent dénoncer et notamment la colonisation et le racisme: poètes des Caraïbes et poètes africains s’unissent ainsi pour combattre l’hégémonie de l’homme blanc : ils fondent des concepts baptisés négritude (fierté d’être noir ) et créolité (identité métisse revendiquée ) ; Ils s'appellent Senghor, Aimé Césaire, Rene Guy Tyrolien , René Depestre et ils continuent le long combat de leurs ancêtres pour affirmer leurs droits et dénoncer les mentalités esclavagistes de certains Européens ou Américains. En Orient, les poètes palestiniens comme Samir El Qassim dénoncent l'occupation  armée de leur pays et entendent,  de cette manière, résister

31. mai 2019 · Commentaires fermés sur Le destin tragique de Tyrone Meehan · Catégories: Première

Retour à Killybegs  est un roman  écrit par un journaliste de métier qui a longtemps couvert les événements d’Irlande Du Nord et qui est tombé amoureux de ce pays et de son histoire. Le récit est construit à partir d’un fait divers tragique: la mort d’un ancien espion qui travaillait en secret pour les services de renseignement britanniques et qui trahissait ses amis de l’IRA  . Sorj Chalandon retrace, à travers une famille irlandaise, le destin du héros, Tyrone meehan qui est le double fictif de son ami Dennis Donaldson dont il apprendra la mort tragique en 2008.L’extrait présenté se situe à la fin du roman lorsque le héros décide de retourner mourir , seul ,dans la maison de ses ancêtres, à Killybegs. Comment le personnage est-il montré ici ? 

 

 

 

 

Ce personnage dont nous avons partagé les pensées , grâce , au point de vue interne, qui domine largement la narration , est présenté comme un héros déchu à la fin tragique et le dénouement fatal apparaît inexorable.

Un héros déchu qui se prépare à mourir 

Admiré au sein de l’IRA pour son courage et ses nombreux séjours en prison qui témoignent de son combat en faveur d’une Irlande du Nord libre , Tyrone Meehan passe pour un grand homme et ses faits d’armes sont célébrés. En réalité, le lecteur sait bien que cette image publique repose sur un mensonge car d’une part, Tyrone est l’auteur de la mort accidentelle de son lieutenant durant une embuscade et d’autre part, de peur que cette vérité soit découverte, il accepte depuis 20 ans de servir d’agent pour les services de renseignements anglais. Ces derniers utilisent les informations qu’il leur livre, parfois involontairement d’ailleurs , pour arrêter des poseurs de bombe de l’IRA ou les neutraliser. Dans  ce passage, Tyrone, âgé de presque 80 ans  revient s’installer dans le cottage de son père , sans doute pour y mourir ou tout au moins pour se retirer du monde. 

a) un voyage à l’envers 

Les 5 heures de route qui le séparent du lieu de sa naissance le ramènent « aux frontières de l’enfance » Il ne quitte pas un endroit pour un autre: il revient là d’où il vient  « j’ai salué mon retour « l (40 ) . Ce retour va le replonger dans son passé et il va retrouver dans l’obscurité les ombres familières. Le mot ombres ici désigne à la fois les traces immatérielles, un peu comme des fantômes , des disparus et peut renvoyer aux morts dans l’Antiquité qui apparaissent aux vivants avec l’apparence d’ombres , silhouettes que l’on reconnaît mais qu’il est impossible de toucher. 

.b) quitter le monde des vivants 

L’arrivée du personnage se fait de nuit et lorsque Tyrone descend du bus, le chauffeur lui souhaite bonne chance comme s’il savait déjà ce qui l’attend. L’écharpe relevée sur la bouche (l 9 ) peut faire penser aux activités terroristes de l’IRA dont la plupart des membres agissent masqués. Ou tout simplement à cause du froid, le personnage se cache le visage et cherche à  ne pas être reconnu. D’ailleurs les paroles du chauffeur résonnent étrangement et de manière un peu prémonitoire dans l’esprit de Tyrone qui commente «  On dit au revoir à son passager; À bientôt mais pas bonne chance. » ( l17 ) Se peut- il qu’on sache déjà qui il est et que la nouvelle de son retour ait précédé son arrivée.? Le personnage se mure peu à peu dans le choix du silence ; Il ne répond pas au chauffeur ( l 18 ) et en arrivant se couche , tout habillé avec ses chaussures ( l 36 ) . Ce lit figure une sorte de tombe dans laquelle il se glisse dans l’obscurité . Le refus de la lumière ici peut s’interpréter comme le refus à la fois de l’espoir et de la vie. « J’ai laissé les volets clos, j’ai mis le loquet et la chaîne «  Peu à peu Tyrone quitte le monde des vivants pour rejoindre celui des morts, à commencer par ceux de sa famille. 

C) une mort intérieure 

Avant d’être victime de la vengeance de l’IRA , Tyrone se tue lui-même avec l’alcool dont il devenu  de plus en plus dépendant . ‘ J’ai ouvert ma fiasque de vodka. Moitié vide. J’ai tout bu d’un trait . » ( l  38 ) On se souvient qu’après son dernier séjour en prison, Tyrone buvait de plus en plus pour noyer ses remords . La trahison a fait de sa vie un véritable enfer et l’alcool lui permet d’ « allumer mon feu » . ( l 38 )  Cette expression métaphorique s’oppose à la fois au froid et au vide . Le feu est ce qui réchauffe au sen propre comme au sens figuré; Le personnage fait alors remonter ses souvenirs .

d) un voyage dans le passé et dans le souvenirs 

Le thème du retour à l’enfance qui apparaît dès les premières lignes du passage , se retrouve dans le final ; Tyrone revoit les membres de sa famille et convoque les souvenirs de son enfance passée dans cette maison. « L’hiver de mon enfance avec Noël  au loin » (l 39 ) . Cette mention de la fête de Noël est peut être fugacement un souvenir de moments heureux même si les mauvais souvenirs réapparaissent sous la forme de deux phrases nominales parallèles  « les malheurs de ma mère. Les poings de mon père . »  On se souvient, en effet, que Patraig Meehan , frappait régulièrement son fils, et en particulier dès qu’il avait bu. Tout au long du roman, l’auteur montre les similitudes entre les destins du père et du fils et pour construire la mort de Tyrone,il emprunte certains éléments à la mort brutale de son père, qui est tombé face contre terre, des cailloux plein les poches, un soir d’hiver. On retrouve ici le froid, le soir, l’hiver, l’alcool et le dégoût de soi-même.

e) la cérémonie des adieux 

L’expression « j’ai salué mon retour » peut être lue et comprise de différentes manières ; une  forme d’ironie du personnage qui ne peut se réjouir de rentrer chez lui dans de telles circonstances . une sorte de dernier baroud d’honneur. Quelques lignes plus loin la formule «Salut à tous mes amours » est pour le moins ambigüe.  Elle peut signifier qu’il leur dit au revoir une dernière fois avant de mourir ou qu’il a l’intention de les retrouver . Les souvenirs de son passé l’entourent au moment où il entre dans le sommeil 

f) la mort vue comme une  longue nuit 

La mort est souvent représentée au moyen d’euphémismes comme le grand sommeil , la nuit éternelle . L’écrivain  a choisi ici la métaphore de la nuit pour évoquer la mort inéluctable de Tyrone ; Ce dernier s’apprête , en effet, à entamer «  la plus longue nuit qu’un homme ait vécue » ( l 45 ) On entend ici, avec le superlatif, l’idée d’une mort souhaitée comme une sorte de délivrance. Après la découverte et la révélation de sa trahison, la vie du personnage a  cessé d’avoir un sens; il a perdu l’amour de son fils, la confiance de ses amis; il vit séparé de sa femme qui se sent également trahie et même son, ami Antoine cherche à comprendre pourquoi il a ainsi agi.  Les dernières lignes reprennent , de manière symbolique, cette idée de mort figurée : « Et même s’il se relève, le jour ne viendra plus. Ni le printemps, ni l’été, rien d’autre que la nuit. » ( l 46 et 47 ) . Les symboles des saisons et le temps  cyclique comme mesure d’une tranche de vie, sont ici utilisés pour indiquer la mort intérieure du héros. La mort du personnage ne surprendra pas le lecteur car l’autre la prépare et introduit le registre de la fatalité au sien du roman . Une fatalité non pas transcendante mais immanente liée à des choix du personnage et à son patriotisme qui, quelque part, lui fait sacrifier sa vie personnelle . 

En conclusion, ce passage préfigure l’assassinat du traître qui aura lieu quelques semaines après son arrivée solitaire. Tyrone fait ses adieux à la vie et n’est plus désormais qu’un vieillard fatigué plongé dans les souvenirs de son passé  douloureux. Sa déchéance touche le lecteur qui l’a ,en quelques sorte, accompagné durant tout le roman, l’a vu grandir et effectuer des choix qui ont modelé son destin. Comment survivre à la trahison ? Le thème surgit à nouveau dans ce passage avec les paroles du chauffeur et la vision de l’inscription qui « barrait la façade » ( l 27) . Le seau de goudron et le large pinceau témoignent que Tyrone n’est plus en sécurité au cœur même du village de son père et la figure de ce dernier ressurgit alors dans la mémoire du lecteur pour dessiner , à l’avance, la mort du fils frappé d’ignominie: Tyrone sera, en effet, tué par une décharge de chevrotine utilisée pour le gros gibier et tombera, face contre terre, comme son père. Le roman ici répéte une tragédie familiale.

 

30. mai 2019 · Commentaires fermés sur L’entrée en scène de Pozzo et Lucky · Catégories: Première · Tags:

 Avant d’aborder l’explication de cette entrée en scène spectaculaire, n’oubliez pas de présenter le théâtre de l’Absurde, la pièce de Beckett et précisez bien  que Vladimir et Estragon, depuis qu’ils sont entrés en scène , passent leur temps à attendre l’arrivée d’un certain Godot . Leur espoir va être de courte durée car ils vont découvrir que Pozzo n’est pas celui dont on leur a promis l’arrivée . Pour surprendre le spectateur , Beckett a mis en scène, ici, de manière très exagérée, un lien de dépendance et de servitude entre deux individus; Pozzo fait figure de tyran et martyrise son esclave, un certain Lucky et ce nouveau couple va faire naître des échos avec celui formé par les deux vagabonds. Comment Beckett met-il en scène cette arrivée ? 

L’importance des didascalies : dans le théâtre moderne, elles jouent un rôle très important : celui de préparer la mise en scène du texte 

a) une arrivée préparée et dramatisée 

La première didascalie mentionne « un cri terrible » : le public s’attend donc à une entrée en scène dramatique et , à première vue, les deux personnages sont spectaculaires dans le couple qu’ils forment. La présence d’une « corde passée autour du cou » et  la présence d’un seul personnage sur scène, celui qui est enchaîné, est clairement indiquée par les longues didascalies «  corde assez longue pour qu’il puisse arriver au milieu du plateau avant que Pozzo débouche de la coulisse. » (l 7 et 8 ) .Le dramaturge accorde donc beaucoup d’importance à cette arrivée en deux temps et le public peut ainsi s’interroger sur celui qui va tenir la corde : à quel tortionnaire va-t-il être confronté car le symbole de la corde qui relie les deux personnages fait immédiatement penser à une relation maître-esclave. Le fouet qui apparaît dans la main de Pozzo confirme cette première analyse ; Le valet apparaît chargé et comme croulant sous le poids de son fardeau : « une lourde valise,un siège pliant, un panier à provisions et un manteau » Ces accessoires spectaculaires et pourtant quotidiens  évoquent un voyage effectué par les deux hommes : l’un étant clairement au service de l’autre. La suite de la scène et les paroles échangées vont confirmer certaines hypothèses . Le « plus vite » asséné par Pozzo à son serviteur , suivi du bruit de fouet ( l 14 ) et d’un jeu scénique avec la corde en tension (l16 ) est aussitôt suivi par la première agression de Pozzo qui donne lieu à une chute ( l 19 ). Les paroles de Pozzo vont clairement dans le sens d’une relation maître -esclave avec dans un premier temps les insultes verbales : Charogne (l 26 ) et les ordres donnés de manière péremptoire avec une cascade d’impératifs : « Arrière , tourne, Tiens ça » . Ces ordres sont entrecoupés par des formules de politesse échangées avec Estragon et Vladimir. Lucky semble méprisé , carrément animalisé par son maître qui l’accuse de « puer » (l 81 ) . Cette indication donne un sens nouveau aux injonctions « recule » « là »  réitérées durant toute la scène ( l 36, 71, 73, 81 et 82 ) ; Beckett introduit ici une dimension comique au beau milieu d’une scène plutôt dramatique et qui enclenche la pitié du spectateur. 

b) un couple qui attire l’attention 

Après une entrée en scène remarquée , le couple attire  également l’attention du public à cause de l’attitude dominatrice de Pozzo et surtout du silence de Lucky , totalement soumis aux ordres de celui qui le tient en laisse comme un animal .   Tout en se faisant servir , Pozzo confie à son esclave son fouet que ce dernier est obligé de tenir entre ses dents ( l 53);  Lucky lui sert à la fois de valet de chambre et de domestique  avec le jeu sur le manteau qu’il lui porte et qu ‘ il l’aide à enfiler (l 49 et 55 ) ; Le même jeu de scène sera réitéré avec successivement le pliant ( l 64 )  et  le panier ( l 76 et 79 ) On constate que le dramaturge utilise à la fois le comique de répétition car un même jeu de scène se reproduit et le comique de situation car un même ordre correspond à différents gestes : et Lucky se tient totalement aux ordres de son maître et le public le voit exécuter les mêmes gestes plusieurs fois ; Cette chorégraphie peut sembler étrange et en partie, absurde . Beckett a-t-il voulu, à sa manière, scéniquement, nous faire visualiser l’éternel recommencement ; Lucky serait une sorte de Sysyphe moderne qui recommencerait, en vain, sans cesse, les mêmes gestes, et  son supplice ne finirait jamais . Est-ce une image de l’homme moderne esclave d’une société absurde  ? 

c) les réactions de Didi et Gogo : des spectateurs sur scène ou la mise en abime 

Un autre point qui capte l’attention du public et rend encore plus spectaculaire l’entrée en scène du curieux couple , c’est la présence , en tant que spectateurs , du couple formé par Vladimir et Estragon. Cette mise en abime renvoie aux véritables spectateurs ,  et à leurs propres interrogations . Tout d’abord, Vlamidir et Estragon sont figés et se précipitent  vers la source du bruit : ils  sont  alors confrontés à Lucky . La didascalie note  leur réaction : ils sont partagés  « entre l’envie d’aller à son secours et la peur de se mêler de ce qui ne les regarde pas » Cette indécision peut renvoyer à celle du public dont la curiosité ici est éveillée par le martyr de Lucky et qui aimerait peut être savoir ce qu’il a fait pour mériter ce sort . Beckett nous fait ainsi réfélchir à la nécessité pour beaucoup d’entre nous de comprendre pourquoi le mal est commis alors que parfois, l’existence du Mal ne repose pas sur une série de causes logiques. De plus,cette attitude de Vladimir et Estragon peut nous faire penser au malaise que nous éprouvons face à la souffrance infligée à autrui sous nos yeux. Vladimir et Estragon ne réagissent pas de la même manière : Vladimir fait un pas vers Lucky mais son compagnon le « retient par la manche « (l 22 ) et ils paraissent sur le point de se disputer : « Lâche -moi » s’écrie Vladimir et Estragon lui ordonne « reste tranquille » ( l 24 ) . Le couple se reforme ensuite pour se demander , en aparté (l 28 ) si Pozzo est bien celui qu’ils attendent, c’est à dire Godot ; Ils assistent, sans  plus intervenir, à toute la scène jusqu’ au début du repas de Pozzo (rappelons qu’à l’entrée en scène des deux personnages, Estragon a lâché la carotte qu’il mangeait et que le panier plein de victuailles représente pour eux un intérêt non négligeable.  (l 2 ). Ils finissent  donc par s’approcher : « s’enhardissant peu à peu, tournent autour de Lucky, l’inspectent sur toutes les coutures » La peur semble dominer chez Vladimir et Estragon d’autant que Pozzo les a mis en garde : « Attention! Il est méchant ..avec les étrangers » (l 25 ) Ces paroles assimilent davantage Lucky à un chien, une bête féroce qu’il faut tenir en laisse et dont il faut se faire obéir.

Vladimir et Estragon s’interrogent à haute voix et se font ainsi le relais des questions que peut se poser le public.  « qu’est-ce qu’il a » (l 92) ; Vladimir propose une réponse : il dort sous l’effet de la fatigue car la charge qu’il transporte est lourde et ils ne comprennent pas pourquoi il ne pose pas les bagages . Ensuite, ils remarquent les marques de la corde sur son cou qui matérialise sa souffrance et pourrait faire basculer la scène dans la dimension pathétique : « à vif » « c’est la corde » « à force de frotter » . Les deux dernières répliques de notre extrait sont à double sens et évoquent l’univers théâtral en même temps qu’elles désignent la situation de Lucky. « c’est le noeud » (l 108 ) désigne soit la manière dont la corde est attachée soit au théâtre le centre d’un problème, la mise en place de l’action dramatique . On appelle ainsi dénouement au théâtre le moment où l’action se dénoue et laisse entrevoir une fin possible  La dernière réplique d’Estragon : « c’est fatal » fait référence à l’univers tragique et à la mort inévitable qui se profile . L’une des particularités , en fait du théâtre de Beckett, c’est que nous hésitons souvent  entre le rire et les larmes ; certains aspects de cette scène sont touchants comme la souffrance de Lucky victime d’un maître sans coeur alors que d’autres font davantage penser à un numéro de clown avec notamment ce comique de gestes. 

En conclusion , cette entrée en scène est très spectaculaire pour différentes raisons. Le spectateur ignore l’identité des nouveaux venus. La mise en scène montre un rapport de force et une étrange sujétion de Lucky dont la souffrance peut toucher le public. Pozzo paraît  vraiment ne pas se rendre compte du mal qu’il fait subir et se montre étrangement aimable avec Vladimir et Estragon . Enfin,une attente commence afin de savoir si Pozzo peut être celui qu’attendent Vladimir et Estragon. Le public attend également de connaître l’explication de cet esclavage et les premières paroles de Lucky qui e lancera quelques minute plus tard dans un étrange discours dépourvu de sens. Quant à Pozzo, il sera bientôt physiquement diminué et lorsque le couple reparaîtra sur scène, il aura  bien changé .

29. mai 2019 · Commentaires fermés sur L’entrée en scène des personnages dans En attendant Godot · Catégories: Première · Tags:

En quoi cette scène d’exposition est-elle originale ? 

Pour un dramaturge, l’entrée en scène d’un personnage est toujours un moment important et la scène d’exposition joue plusieurs rôles : elle doit présenter les personnages et donner des informations sur leurs liens et leurs fonctions, présenter le cadre de l’action et lancer l’intrigue. Le théâtre classique convoque , le plus souvent, des retrouvailles ou imagine des scènes de rencontre qui permettent au public , à travers les propos échangés par les personnages , de comprendre les enjeux du spectacle. Issue du théâtre de l’absurde, la pièce En Attendant Godot, qui est la première pièce écrite en français par Samuel Beckett, nous délivre une vision grotesque de la condition humaine. Peut-on dire que cette exposition remplit les fonctions attendues ? Que nous apprend-t-elle sur les personnages, le cadre de l’action et les enjeux de la représentation ? 

 

Un étrange duo 


Au lever du rideau, le spectateur ne sait donc rien des 2 personnages – l’un est déjà en scène et – l’autre arrive peu de temps après. Les informations sont transmises au public par les personnages selon des procédés traditionnels: le Nom du personnage est par exemple prononcé lorsque Vladimir se parle à lui-même (l.6) et Estragon est surnommé Gogo. 
Leurs liens peuvent également sembler problématiques pour le public; même si l’ évocation d’un passé commun montre qu’ils reconnaissent depuis de longues années , les références demeurent obscures . On sait juste que leur état s’est dégradé car à la ligne 25 Vladimir avoue « on portaitbeau alors » 

De plus, leur relation semble marquée  par une séparation initiale : ils se retrouvent au début de la pièce après une disparition énigmatique d’Estragon ; A noter qu’Estragon est pourtant présent seul sur scène et c’est Vladimir qui le rejoint . Beckett semble ici inverser le sens des retrouvailles ; « le te revoilà toi » est suivi d’une réplique étonnante d’Estragon qui paraît douter de sa propre identité ou remettre en cause son identification : le « tu crois ? » est étonnant . 

La contradiction entre les gestes effectués et les didascalies internes l’est tout autant;   Le personnage se lève pour l’embrasser et lui tend finalement la main. De nombreuses autres contradictions émaillent ces retrouvailles . Vladimir se réjouit ostensiblement du retour de son ami et propose de « fêter cette réunion »  ( l 8 ) mais sa joie se heurte à l’irritation d’Estragon et quelques secondes plus tard, Vladimir est passé de l’enthousiasme à la froideur : « froisséfroidement » ( 11) . Il se lance alors dans un interrogatoire afin de savoir où ce dernier a passé la nuit. Cette technique pour but de donner, à travers l’échange dialogué ,les informations dont le public a besoin pour comprendre ce qu’il voit . Mais Beckett brouille certaines pistes et fournit aux spectateur des informations contradictoires ou changeantes . Ainsi Estragon fait allusion à un incident durant la nuit précédente: il a été battu mai pas trop et ne sait pas par qui ni où. 

Le duo comique formé par Vladimir et Estragon s’inspire des numéros du cinéma muet américain notamment des figures de Charlie Chaplin ou Laurel et Hardy et on va les voir, durant la pièce, effectuer des gestes de clown en jouant notamment avec leurs chaussures et leurs chapeaux. 

Pourtant dès l’entrée en scène des personnages, l’accent est mis sur la souffrance avec des références à leur douleur et à leur désir de mourir . Ainsi si l’expression « main dans la main » ( l 25 ) fait état de leur complicité; cette dernière est évoquée à propos d’une tentative de suicide dans un passé lointain « on se serait jeté en bas de la tour Eiffel, parmi les premiers”  

L’entrée en scène des personnages présente également des indices sur leurs conditions de vie : elles sont précaires. Ils se trouvent dehors, le «soir », sur une « route de campagne », et paraissent donc sans domicile puisqu’ Estragon a passé la nuit dans un « fossé» 
Leur aspect physique est peu engageant : Vladimir marche « à petits pas raides, les jambesécartées. » ce qui peut faire penser à un vieillard 
 ; de plus , Estragon fait remarquer à Vladimir qu’il n’est pas correctement boutonné et ce dernier lui répond « c’est vrai. Pas de laisser-aller dans les petiteschoses » l 38 comme s’il était conscient de son aspect physique peu engageant ; L’entrée en scène des personnages nous fait penser à des SDF qui sont dans la rue depuis un moment et ne savent pas vraiment où aller . Qu’en est-il du cadre de l’action ? 

Tout d’abord, il faut noter dans ce type de théâtre ,l’importance des didascalies pour préciser le jeu et le cadre :
de type externe , notées par des parenthèses , ou internes , c’est à dire que les indications font partie des répliques des personnages , c’est à dire que les indications font partie des répliques des personnages . 
Certaines indiquent le décor et le temps.

On dirait que Beckett a choisi un lieu indéterminéce qui sous entend que l’action de la pièce pourrait avoir lieu partout ; Il mentionne un cadre vagueet l’époque elle aussi est indéterminée . Les personnages évoquent des souvenirs et mentionnent « il y a une éternité » vers 1900( l 23 ) comme si la notion de temps était, en quelque sorte, abolie, ou tout au moins suspendue . En revanche, les personnages font , à plusieurs reprises, mention de leur futur ; Vladimir pensait qu’Estragon était parti pour toujours ( l 6 ) ce qui peut faire référence à sa mort ; cette idée réapparaît à travers l’interrogation de Vladimir ; « depuis le temps je me demande ce que tu serais devenu sans moi… Tu ne serais plus qu’un petit tas d’ossements à l’heure qu’il est. » l 20 

Les didascalies font également état des gestes des acteurs et montrent notamment, dans cette entrée en scène, les difficultééprouvées par les personnages : Estragon ne parvient pas à enlever sa chaussure et va être contraint de demander de l’aide à Vladimir . Il s’acharne en «en ahanant »paraît à bout de forces , se repose « en haletant », recommence » ; Estragon a subi des violences durant la nuit et Vladimir lui aussi affirme avoir souffert : «  Mal, il me demande si j’ai eu mal ! » Le point d’exclamation ici paraît refléter l’indignation du personnage qui ne supporte pas que sa douleur soit mise en doute . Il est également question d’un combat à reprendre et à première vue, ce combat , c’est tout simplement la vie. 

Le volume des indications scéniques est l’une des caractéristiques du théâtre contemporain : leur présence indique que les auteurs accordent de l’importance à la mise en scène de leurs œuvres . 

Cette scène d’exposition donne un certain nombre d’informations essentielles pour le spectateur mais elle crée une impression d’attente et soulève quelques incohérences. 

Quelle intrigue se dessine ? 



Les quelques références vagues à un passé commun ne semblent pas pouvoir constituer une piste intéressante 
 : les personnages paraissaient en meilleure forme mais le suicide est mentionné comme une solution qu’ils avaient envisagée alors que désormais, ils paraissent résignés ; Vladimir ainsi est accablé et se désespère « c’est trop pour un seul homme » sans qu’on sache vraiment de quoi il se plaint et ce qui le fait souffrir. Il reproche à son ami de ne pas suffisamment prendre en compte sa douleur « Moi je ne compte pas. Je voudrais pourtant te voir à ma place. Tu m’en dirais des nouvelles. » ( l 35 ) Le spectateur assiste à une sorte de surenchère dans la douleur : chacun pensant avoir plus mal que l’autre et refusant presque de considèrer la douleur de son vis à vis

Un dialogue qui tourne à vide ? 

Un certain nombre de remarques peuvent paraître éparses et « déplacées » car il nous manque une partie du contexte pour les comprendre : ainsi une réplique comme : «à quoi bon se décourager à présent » (l23) paraît énigmatique ; Le public a l’impression que la conversation est décousue et que les personnages parlent pour meubler le temps et passent , sans transition, d’un sujet à un autre, échangent des banalités et ne s’écoutent pas vraiment . On peut évoquer, à certains moments, une sorte de dialogue de sourds. 




Le comique du désespoir ? 
Le comique de gestes est présent à plusieurs reprises dans cette scène et il est symbolisé par la lutte difficile d’Estragon avec sa chaussure.
 On trouve également un comique de répétitions avec le jeu sur le chapeau et les répétitions des répliques.

Le comique de mots et de situation est également exploité dans l’ouverture de la pièce et notamment la première réplique ainsi que la dernière sont  à double sens ; On peut dire, en effet, que c’est un quiproquo qui ouvre la pièce ; Estragon ne parvient pas à enlever sa chaussure : « Rien à faire »(l.1)
qui exprime son échec et Vladimir comprend cette phrase comme une réflexion générale sur la vie, une sorte d’ennui généralisé ; Il enchaîne donc avec une réplique qui ne peut se comprendre que si on considère qu’il s’ennuie lui aussi ou qu’il est désespéré « Je commence à le croire...»(l.4)
 Le personnage pourrait ainsi révéler d’emblée son désespoir comme quand on annonce à un patient condamné qu’il n’y a plus rien à faire et que la mort ne saurait tarder . Cette idée d’attente tragique de de la mort est peut être le point à mettre en évidence dans cette étrange exposition . L’extrait se termine par “ il n’y a rien à voir ” ( l 50 )  alors que justement le théâtre est l’art de montrer : que peut -on montrer s’il n’y a rien à voir ? 

Une autre forme de comique de situation cette fois est liée à la notion de décalage entre la situation mentionnée : retrouvailles de 2 vagabonds sur une route et l’ expression de sentiments avec notamment leur volonté de fêter leur retrouvaille alors que leur situation est plutôt tragique

Le tragique existentiel très présent 

Cette dimension tragique provient tout d’abord de la situation des personnages et de leur combat existentiel que le spectateur devine à travers une série de champs lexicaux qui mélangent souffrance et lutte pour la vie : « résisté » « le combat » « t’a battu » « tas d’ossements », « jeté en bas », « as mal »( « souffres »
. Les personnages semblent s’agiter en vain et font des efforts pour s’en sortir mais se savent condamnés .Leur dialogue semble à la fois vide et désespérant et la dimension tragique est renforcée par des moments de silence et d’immobilisation
. On entend aussi un appel au secours d’Estragon qui demande avec une voix faible à son ami de l’aider ; : « aide-moi »(l.30 ) : le verbe est construit sans complément d’objet et le public peut comprendre qu’il a besoin d’aide pour réussir à ôter sa chaussure ou qu’il s’agit simplement d’un appel à l’aide . Difficile de passer de la chaussure au destin mais c’est pourtant ce curieux mélange qui confère à cette pièce et à cette première scène son originalité. 


A retenir 
Texte représentatif du théâtre de l’absurde:
. Scène d’exposition « insolite » qui laisse planer de nombreuses questions :
- qui sont ces personnages ?
 parole qui tourne à vide – banalités et tragique existentiel , attente de la mort ? Ou de Dieu ? 

– quelle intrigue ?
. Sentiment de découragement et de vide qui se dégage de ce début.
. Représentation de 2 anti-héros, 2 bouffons qui ne parviennent pas à masquer une profonde détresse, de 2 pantins cassés par la vie et qui cherchent à alléger leur souffrance en la partageant 

27. mai 2019 · Commentaires fermés sur Des entrées en scène spectaculaires : comment faire son entrée en scène ? · Catégories: Première

Le théâtre antique prépare le spectateur à entendre le prologue lui exposer les faits et lui raconter l’histoire qui va se dérouler sur scène ; Le personnage du prologue s’efface pour laisser entrer les acteurs et l’action est déjà lancée par ce qu’il vient d’expliquer . Le choeur lui aussi, élément fondamental de la dramaturgie antique, présent sur scène avant le lancement de l’action , commente ce qui es déroule sous les yeux du public et dialogue avec les personnages qu’il conseille ou met en garde; Il représente, en quelque sorte, la présence symbolique du spectateur au sein des événements . Avec la disparition de ces éléments de scénographie, la scène est vide lorsque les acteurs font leur apparition et le spectateur ne dispose alors d’aucune information . Les dramaturges doivent donc rapidement imaginer des moyens de leur faire comprendre les enjeux du spectacle auquel ils vont assister ; Ils doivent présenter à la fois les personnages et leurs liens, leurs fonctions, le cadre de l’action et les grandes lignes de l’intrigue. Le théâtre classique va mettre au point certains procédés que nous allons découvrir ensemble ….

Tout d’abord, il faut distinguer comédie et tragédie. En effet, dans la comédie, l’action est plus rythmée, plus au centre du spectacle alors que la tragédie se nourrit essentiellement de paroles qui font appel à l’imagination . Les auteurs de comédies privilégient un certain nombre de procédés d’écriture qui se déclinent de siècle en siècle comme le quiproquo , l’aparté ou le personnage caché . La dimension comique naît ainsi de la supériorité du spectateur qui a eu accès à des informations cachées à l’un des personnages ; parfois, cependant , le spectateur lui aussi, va être surpris par des révélations inattendues  ou des retournements de situations qu’on nomme coups de théâtre . Voyons comment Molière met en scène le début de Georges Dandin : ce dernier  est un  riche bourgoeois qui a choisi d’épouser une  femme originaire de la noblesse pour posséder son titre ; méprisé par son épouse, il regrette ce mariage et surprend un homme qui sort de chez lui ; cet émissaire , sort d’entremetteur masculin, était porteur d’un message de son maître qui courtise la dame du logis; sans connaître l’identité de son interlocuteur, il lui confie l’objet de sa mission et le public se trouve alors das une position où il peut rire la situation de dupe de Georges Dandin et de l’imprudence du valet, trop bavard . Non seulement  le personnage principal est présent sur scène dès relever du rideau et l’objet de la comédie est connu d’emblée : il va être question du mariage et particulièrement du mariage d’intérêt, souvent au centre de la comédie avec Molière .  Le comique va s’exercer , semble-t-il, aux dépens du héros et le monologue du ce dernier a la valeur d’un prologue ” j’aurais bien mieux fait tout riche que je suis de m’allier en bonne et franche paysannerie, que de prendre une femme qui se tient au-dessus de moi.” Le spectateur est plongé dans le vif du sujet et la dimension spectaculaire peut tenir aux apartés qui inaugurent la scène de rencontre entre Lubin et Georges. Dans Le Barbier de Séville , Beaumarchais pousse encore plus loin la dimension visuelle et sonore du spectacle en introduisant un personnage de valet-chanteur .

  Les deux entrées en matière se ressemblent d’ailleurs beaucoup : dans les deux cas, un personnage est seul sur scène au lever du rideau et il en rencontre un autre quasi immédiatement après avoir, au moyen d’un monologue, transmis des informations essentielles au public. Le Comte tient à ce que son identité demeure secrète car il souhaite être aimé pour lui -même et il a fui les plaisir faciles . Le public s’attend donc à voir évoluer son histoire d’amour avec Rosine et se demande quel rôle va pouvoir y jouer son ex-valet Figaro. Beaumarchais a ici organisé des retrouvailles entre deux personnages dont les rapports sont transformés car ils n sont plus maître -valet mais vont devenir complices au sien d’une machination contre le vieux docteur Bartolo qui séquestre la jeune Rosine ; La dimension spectaculaire de l’entrée en scène de Figaro est  liée à son activité de compositeur ; il cherche les paroles de sa nouvelle chanson et le dramaturge peut concilier ainsi comique de situation et comique de geste. Figaro est ainsi rattaché au caractère traditionnel du valet amoureux de la bouteille , cliché comique depuis la comédie antique et médiévale. 

L’entrée en scène imaginée par Musset pour  son drame romantique ,On ne badine pas avec l’amour, , emprunte elle aussi des clichés dramaturgiques ; l’auteur s’inspire de la tradition antique et réintroduit le personnage du choeur sur scène comme une sorte de  récitant qui présente le personnages ; Il s’agit de mettre en scène l’entrée rocambolesque de deux serviteurs qui précèdent leurs maîtres, les héros de la pièce , Camille et Perdican. Leur portrait est construit sur des ressemblances et une opposition. Le comique de caractère est très présent .  Cependant la dimension visuelle pourrait ne pas être traduite par la mise en scène comme dans une tragédie ou ce qui est hors scène est pris en charge par les paroles des messagers . En effet, les commentaires du choeur ont une dimension poétique incontestable et Musset prétendait écrire du théâtre sans tenir compte des contraintes scéniques . De plus, le drame romantique mêle des aspect traditionnels empruntés à la comédie avec des éléments qui s’apparentent davantage au spectacle tragique ; On peut évoquer le ton prophétique du choeur qui évoque une menace future   “Puissions -nous retrouver l’enfant dans le coeur de l’homme ” ou les prières de dame Pluche . Le dramaturge met en place une annonce spectaculaire qui retrace ainsi l’apparition des héros, annoncée par leurs serviteurs. 

A première vue, rien de spectaculaire dans l’entrée en scène des vagabonds Vladimir et Estragon, créatures imaginées par le dramaturge Samuel Beckett pour figurer l’angoisse de l’homme contemporain confronté à l’absence de Dieu. L’espace scénique est  quasi vide : une route à la campagne avec arbre autant dire n’importe où et les  descriptions des personnages sont réduites à quelques accessoires symboliques: des chaussures trouées , un chapeau , une démarche clownesque ” à petits pas raides, les jambes écartées ” . Pourtant le dramaturge prend soin de chorégraphies l’échange laconique entre les deux personnages et instaure un espace de contradiction qui ne laissera pas le public insensible; paroles et gestes ne sont plus accordés : Vladimir veut embrasser son ami et lui tend la main ; Estragon feint de donner des précisions sur le fossé où il a passé la nuit mais son geste reste en suspens.  (sans geste ) ” par là “ Le public assiste à une sorte de ballet  silencieux composé de gestes  du quotidien  : lenver ses chaussures, ôter et nettoyer son chapeau ) et ces petits riens donnent à l’apparition des deux héros une dimension spectaculaire.  De plus la relation être eux est complexe et paraît instable : à la différence de l’amitié solide de Pylade et Oreste présentée comme inamovible dans la scène d’exposition de la  tragédie de Racine , la relation entre Vladimir et Estragon oscille sans cesse de l’affection à l’animosité . Le théâtre de Beckett nous donne ainsi à voir ce que nous sommes : il nous réfléchit en même temps qu’il nous pense . 

 

26. mai 2019 · Commentaires fermés sur Retour à Killybegs: le personnage de Patraig Meehan chapitre 1 · Catégories: Première

 “Tels père, tels fils ” :  dit l’adage mais dans la réalité, les relations père- fils sont souvent placées sous le signe du conflit  car le fils qui grandit est amené un jour à devenir père à son tour et pour s’accomplir, il a besoin de concurrencer  son propre père avec lequel il  entre fréquemment en opposition; L’un cherche à s’affirmer et l’autre tente de conserver son pouvoir .La figure paternelle apparait donc  très souvent comme source de tensions  en littérature ; Le Père peut être protecteur et rassurant ;  parfois il sert de  guide spirituel et il devient pour le jeune homme  celui qui montre la voie, le modèle à suivre.  Parfois, il peut représenter une force hostile voir même comme l’illustre le mythe d’Oedipe, il représente l’homme à abattre. La mort du père est symboliquement un moment  très fort car le fils se retrouve seul.   Dans les romans de Sorj Chalandon, la figure du père joue  un rôle central et fondateur  ; Dans un de ses précédents romans, intitulé Le Quatrième Mur  et qui a pour cadre le conflit israélo-plestinien   à Beyrouth , Georges  le héros  grandit en face du silence de son père et n’a pas réussi à créer des liens avec ce dernier . Comme son père n’avait pas été résistant durant la seconde guerre mondiale, il souhaite, devenu adulte, s’engager véritablement au sein d’un conflit dont il va pouvoir mesurer toute  la violence en se rendant au Moyen-Orient. 

 Le héros de Retour à Killybegs, Tyrone Meehan commence par évoquer ses souvenirs d’enfance : l’histoire s’ouvre , dès les premières lignes , sur le portrait du père. Ce père est  à la fois admiré  et redouté par le personnage qui se revoit alors dans son village natal ,   âgé de 7 ans. Découvrons  ensemble les grandes lignes de la figure paternelle présente dans l’ensemble de ce premier  et son ambivalence. 

Patraig Meehan est présenté d’emblée sous le signe de la violence . ” Quand mon père me battait il criait en anglais “ ; cette violence intime, personnelle qui est celle des coup reçus  fait écho à la violence extérieure , celle liée à la situation et au cadre  dans lequel va grandir Tyrone Meehan, celui d’une famille catholique nationaliste très pauvre de l’Irlande dans les années 1940. On peut aussi supposer que cette figure paternelle va ensuite se retrouver associée à la violence de  l’occupation anglaise de l’Irlande du Nord et qu’ à cause de son histoire familiale, le narrateur va développer un lien particulier avec la présence anglaise ennemie. Lorsqu’il frappe son fils, le Père est déformé par la haine “bouche tordue “ et il hurle “des mots de soldat” . Le personnage semble alors se transformer pour ne devenir que “Gueule cassée, regard glace, Meehan vent mauvais ” : un sobriquet qui traduit la peur qu’ inspire son arrivée ;  son fils finira lui aussi par le surnommer ” mon méchant homme ” pour montrer à la fois les liens qui les unissent  avec le pronom possessif mon et la peur qu’il inspire avec l’adjectif “méchant ” . Curieux mélange.

Cette peur terrible du petit enfant est également évoquée à travers l’image de la nuit qui sursaute à l’arrivée du père dans la chambre  et la présence du Père ennemi semble alors s’étendre à l’ensemble du territoire : ” il occupait l’Irlande comme le faisait notre ennemi. Il était partout hostile “ .  Omniprésence et omnipotence sont ici étroitement corrélées. On note également  que les deux figures : celle du Père et celle de l’adversaire ne font plus qu’une . Le premier paragraphe se termine avec ces quelques mots qui résument tout ce qui vient d’être évoqué : “Quand mon père avait bu, il faisait peur . ” Et un peu plus loin ” Quand mon père me battait, il était son contraire ” Le Père a donc un double aspect  pour le fils: objet de fierté et objet de peur . Les villageois finiront même par le surnommer “bastard ” : un surnom chuchoté lors qu’il tournait le dos ” . Le Père est devenu l’Ennemi et il est double. 

Mais cet ivrogne,  qui sous l’effet de l’alcool, devient un cogneur d’enfants , c’est également un homme fier qui souffreil pleurait son pays déchiré, ses héros morts, sa guerre perdue ” Le lecteur est touché par le destin de ce combattant qui voit sa patrie morcelée et envahie. Et l’auteur montre bien que ce personnage va résister le plus longtemps possible par tous les moyens;  Il ne cesse d’enseigner à son fils cet esprit de résistance qui passe par l’utilisation de la langue gaélique “ car  parler gaélique , pour Pat, c’est résister ” murmure-t-il à Tyrone en frappant l’âne qui ne veut pas avancer :  ” Eirinn Go Brach” : c’est la devise adoptée par les Irlandais qui peut être traduite par Irlandais à jamais ou pour toujours . Elle marque un attachement viscéral à leur terre depuis James Connolly et les révoltes de 1840.

  Lors que le père se transforme en aède et chante la terre, alors l’enfant devient “fier de lui” et la figure paternelle redevient objet d’admiration. . “Quand même et malgré tout.” Cette phrase nominale résume bien l‘ambivalence des sentiments qu’il inspire : un mélange de peur et d’admiration . Car Patraig Meehan est avant tout défini comme un poète , celui qui possède les mot pour “chanter notre terre ” . Aux yeux de l’enfant, son rôle de poète semble d’ailleurs l’emporter sur sa simple fonction de père : ” Avant d’être méchant, mon père était un poète irlandais et j’étais accueilli comme le fils de cet homme. ”  Cette phrase souligne le rôle de la généalogie : le fils va pouvoir bénéficier du respect que son père inspirait et il sera partout considéré comme le fils de Pat Meehan. D’ailleurs, on note que lorsqu’il sera de retour à Killybegs, le narrateur va revenir au pub et cherchera à occuper la place de son père à la table où ce dernier avait son verre; Les habitants de son village lui refuseront alors l’accès au pub et il comprendra qu’il est désormais seul parmi les siens à cause de sa trahison . Il n’est plus le fils de personne.

Construire la figure du Père , c’est avant tout montrer quel sang coule dans les veines de Tyrone et d’où lui vient son amour inconditionnel de sa Patrie mais peut être également sa Peur . En effet, ce Père qui sait être tendre parfois : ” une fois même , sur le chemin du retour, il a pris ma main. Et moi j’ai eu mal. Je savais que cette main redeviendrait poing, qu’elle passerait bientôt du tendre au métal. ” restera associé quand même à la douleur . L’écrivain décrit ici l’ambiguïté de la figure paternelle avec ce passage du “tendre ” au “métal “ qui forme comme une association dangereuse . L’enfant au lieu de se sentir rassuré se sent alors “prisonnier de la main de mon père ” : on mesure bien ici à quel point le danger domine .

Le passé du Père rend également le fils admiratif  de ses combats : il se définit d’abord par ses activités de Résistance en tant que soldat de l’armée républicaine Irlandaise (IRA) d’abord en 1921 et lors de l’édification de la frontière qui va séparer Irlande du Nord et Irlande du Sud . Emprisonné d’abord par les anglais, il le sera ensuite par les partisans du cessez-le -feu. Finalement Patraig Meehan doit s’avouer vaincu: l’ Iralnde est bien coupée en deux  et sa défaite le pousse à boire encore plus  . En 1936 alors que la guerre d’Espagne éclate, il décide de partir rejoindre les brigades internationales qui combattent contre le fascisme mais il cède aux supplications de son épouse et finit par rester après avoir brûlé son sac dans une sonte de coup de folie . Il a alors 41 ans et Tyrone 11. Patraig Meehan ne se bat pas vraiment  pour ses convictions religieuses : “il était catholique par nonchalance ” mais plutôt pour une image du monde et pour faire triompher “la révolution sociale  car “il admirait le rouge des combats ouvriers “ 

Le lecteur retrouve de très nombreuses similitudes entre les trois destins des Meehan: Patraig l’aïeul , le Fils Tyrone et Jack , son propre fils , emprisonné près de 20 ans pour avoir abattu un policier et qui finira, amer , comme portier de nuit dans les pubs, à sa libération de Prison en 2000.  A la différence que plus personne n’admire Jack car le processus de Paix qui a débuté en 1994 a conduit l’IRA officielle à déposer les  armes alors que Tyrone était admiré et respecté par les habitants de son quartier en tant qu’ancien combattant,  emprisonné lui aussi à plusieurs reprises .  A noter également que Tyrone se mettra lui aussi à boire de plus en plus au fur et à mesure que passent les années et que le poids de sa trahison se fait sentir. 

La mort du père est un des épisodes tragiques du roman : après avoir frappé l’âne de Mac Garrigle, Patraig Meehan perd au yeux de son fils le titre de héros. On le retrouve à l’aube ” gris couché sur la terre gelée, du glacé à la place du sang. Son bras gauche était levé, poing fermé comme s’il s’était battu avec un ange ”  Même mort, le Père continue à incarner , par sa posture, la figure du combattant et du résistant . Mais il a été rattrapé par la mort alors qu’il souhaitait “partir comme meurent les paysans ici ” en entrant dans la mer . Il souhaitait une fin de légende : “juste le vent, les vagues et la lumière des morts ” mais il est mort en pauvre “le visage écrasé sur le givre et ses cailloux pour rien ” .  Le personnage est comme humilié épar cette mort dérisoire alors qu’il avait justement cherché à la choisir et à al mettre en scène . Sorj Chalandon  créée un contraste pathétique entre les souhaits du personnage et la mort qu’il a choisie , en tant qu’écrivain, de lui inventer . Comme si quelque part, il cherchait à montrer que la mort l’avait elle aussi trahi en brisant son dernier rêve et ses derniers espoirs. Et cette mort indigne le rend davantage pathétique . Elle rappelera la mort ignominieuse ,également,de Tyrone “couché sur le ventre ” abattu avec des munitions réservées au “gros gibier ” le 05 avril 2007.

Le roman s’ouvre donc sur la figure paternelle ambivalente  qui présente de nombreuses ressemblances avec celle du héros : la violence de Tyrone ne s’exercera plus  cette fois au sein de sa propre famille mais elle rejoindra la violence de la situation politique des catholiques d’Irlande du Nord : le personnage mettra sa propre violence au service de l’IRA et finira par renoncer à ses idéaux, à ses combats en trahissant les siens pour ne pas devoir avouer qu’il a commis une faute ; cette trahison sera pour lui une nouvelle source de violence et il la portera comme un fardeau . Son destin tragique , à l’image de celui de son père , nous interroge sur la responsabilité de la guerre dans le destin des hommes . Ces deux personnages semblent, chacun à leur époque, le jouet de forces qui les dépassent et qui finissent par les broyer . Retour à Killybegs , vu sous cet angle, c’est avant tout le roman d’une tragédie personnelle  imbriquée dans une  guerre tragique .  

 

26. mai 2019 · Commentaires fermés sur Tyrone en homme déchu : tel père , tel fils ? · Catégories: Première · Tags:

Sorj Chalandon , journaliste de métier et grand reporter en Irlande ,écrit Retour à Killybegs en 2010, après la mort de son ami Denis Donaldson , un Irlandais qui livrait des renseignements aux services secrets britanniques et qui a été assassiné par une branche de l’IRA, l’armée républicaine irlandaise , à laquelle il a appartenu durant des années. Le récit nous plonge dans les pensées du traître et nous fait découvrir le personnage de l’intérieur . Le passage que nous étudions se situe au chapitre 17.  Quelques mois plus tôt , à sa sortie de prison, Tyrone a été approché par trois hommes des services  secrets anglais; Stephen Petrie alias Walder, un agent du Mi 5, et  Franck Congreve, alias Dominik , le flic roux membre de la police royale de l’Ulster  et Willie Wallis de la Spécial Branch. Ces derniers lui ont expliqué qu’il avaient en leur possession l’arme qui a servi à tuer Danny Finley 12 ans plus tôt ( en 1969 ) et ils lui ont proposé un marché: ils gardent le silence  sur ce “crime accidentel ” et il peut rester un héros pour les siens à condition de leur livrer des renseignements sur les activités secrètes de l’IRA. Tyrone devient alors peu à peu un traître. Il décide cependant  de prévenir Mickey un gardien de prison que l’IRA va le tuer. Durant l’interrogatoire qu’il subit au cours de son interpellation,,  sans se méfier, Tyrone donne au MI 5 le véritable nom de l’artificier Popeye, Franck Devlin qui sera alors  arrêté par les britanniques . Abattu, il décide d’aller boire au Mullins et découvre son image dans le miroir au- dessus du bar.

 Problématiques possibles : Quel portrait du héros trouve -t-on dans cet extrait ? Comment faire le portrait d’un traitre ? Quelles sont les caractéristiques de ce portrait ? Quelle est l’originalité de ce portrait ? 

Un autoportrait : l’une des premières caractéristiques de ce portrait , c’est que le personnage , à la manière d’un peintre qui se peint lui-même, contemple son reflet dans une glace. Le dispositif renvoie donc à la technique de l’autoportrait .  “je me suis vu dans le miroir au-dessus du bar ” ( l 1) 

Un portrait dévalorisant : les éléments physiques du portrait du personnage qui se regarde dans un miroir ont une dimension péjorative ; Il est comparé à un animal par différents points ; la casquette élément symbolique de son identité d’irlandais est comparée à celle des “éleveurs de mouton ” caractéristiques de la ruralité d’une partie de la population irlandaise;  l’expression qui “fête une  vente “  ( l 3) peut évoquer la trahison du personnage qui comme Judas vient de vendre son ami Franck devlin . Il a d’ailleurs reçu une somme de 30 livres, qui rappelle les 30 pièces d’or de la trahison de Judas . Ses cheveux sont assimilés à la crinière d’un animal avec à la ligne 5 le crin de cheveux et les éléments choisis pour dépeindre son visage : oreilles , yeux tombants , rides de labour, font penser au portrait d’un vieux cheval , usé par le travail des champs ; D’ailleurs l’expression rides de labour renvoie directement à cet univers du travail des bêtes de somme. Quant aux yeux tombants, on peut les interpréter comme le signe qu’il garde la tête basse ou comme un signe de fatigue.  Physiquement , la honte se lit donc à travers le visage du personnage et les détails symboliques de son portrait . 

L’expression  “paysan pitoyable”  avec son allitération en p semble d’ailleurs  traduire le mépris que Tyrone éprouve pour son geste et pour lui-même ; Il se fait pitié à lui-même et le lecteur éprouve de la pitié pour lui ; ses vêtements confirment cette impression : col de veste gondolé , tweed usé ” : deux notation qui font référence à la pauvreté et à l’absence de prestance; par bien des points, le personnage ressemble à quelqu’un qui se néglige et néglige son apparence . L’allure et l’apparence négligées confortent cette dimension pitoyable du personnage. 

La ressemblance avec le père : on peut tout d’abord remarquer les similitudes avec le portrait du père notamment à travers l‘évocation des souvenirs de la figure du père . Le souvenir du père  Patraig Meehan  initialement qualifié de grand  ( 10) est presque aussitôt  associé à l’idée de défaite : ligne 9 . Dans son reflet , Tyrone lit sa “défaite ” et voit le visage de son père en surimpression;  Il est âgé de 56 ans environ et les images du père ” vaincu ” vont venir renforcer celles de la défaite du fils .Dans le miroir, les deux reflets se superposent “je l’ai vu dans le miroir soudain ” ; cette phrase fait écho à l première ligne du portrait “je me suis vu dans le miroir ” Cette reprise anaphorique marque la surimpression des deux figures . Le père fut d’abord un héros avant de devenir un “bastard” alcoolique et violent , redouté par les habitants ; il perdra le respect des siens ce qui est traduit par l’énumération : “silence , respect, gêne ” ; le dernier mot marque l’étape finale de sa perte de considération .

L’évocation des souvenirs liés au  père est nettement dépréciative : “il souriait comme un imbécile ” : la comparaison est cruelle et il est question de l’alcoolisme de ce dernier car l’auteur note qu’il “prenait des poses de sobre ”  (16 ) ; Ici l’expression prendre une pose dénote le caractère artificiel du sourire et de l’attitude du personnage qui souhaite faire croire qu’il n’est pas ivre . Mais personne n’est dupe; en contemplant son reflet dans le miroir, Tyrone devient, en quelque sorte son père et l’image qu’il aperçoit est celle de partait Meehan lorsqu’il allait, enfant, le chercher au pub pour le ramener à la maison . L’expression “paysan pitoyable du début du portrait est rappelée ici avec la phrase “il faisait peine ” . L’auteur énonce ensuite les causes de cette déchéance ; Le renoncement est une étape décisive dans le parcours du père : il est marqué par trois étapes; D’abord le renoncement à la guerre d’Espagne et au combat contre les Blancs du général Franco , dans les rangs des brigades internationales ; face aux craintes de sa femme, Patraig décidera de rester auprès de sa famille mais cette décision le rendra amer; Le second renoncement l’amène à cesser le combat pour la libération de l’Irlande lorsque le pays est divisé en deux Etats: au Sud l’Irlande libre et au Nord, l’Ulster sous domination britannique . Enfin la dernière étape pour le personnage se solde par une tentative de suicide elle aussi raté car par un effet d’ ironie tragique, le personnage meurt de froid avant de réussir à se donner la mort . L’évocation de la figure du père se termine par une série de paradoxes : ” voulait mourir en mer ” contraste avec “mort en bas-côté” ligne 20 . L’image ici du bas-côté fait penser à la mort d’un sans-abri, dans un fossé : ce qui accroit la dimension misérable de la fin du personnage;  On retrouve une seconde opposition entre les mouettes et les corbeaux : les premières , oiseaux blancs   sont les symboles des compagnons et annoncent la présence de la terre , bon présage pour les marins et les seconds, oiseaux noirs, de mauvaise augure , symboles de deuil et de mauvaise nouvelle.  La présence des corbeaux indique également que le cadavre a été exposé . L’image finale du père le réduit à presque rien: “un tas de hardes mêlées au givre ” . Le personnage s’est littéralement volatilisé et a perdu sa dimension humaine : il ne reste de lui que de pauvres vêtements car le mot harde désigne les habits troués des miséreux .

Tel père tel fils ?  :  à la lecture du glissement de ce portrait de la figure du fils à celle du père , on peut se demander quel rôle joue ici la construction de la relation parentale et familiale. Un peu à la manière des écrivains naturalistes de la fin du dix-neuvième siècle pour lesquels les personnages romanesques devaient élucider , en partie, les mystères de l’hérédité, le romancier construit bien plus qu’un personnage: il construit un sytème de personnages et au sein de la famille Meehan, chacun incarne un facette du patriotisme irlandais . Tyrone se définit alors par une formule paradoxale:alors j’ai renoncé à mourir”. Il s’écarte donc de la trajectoire du père. “A vivre aussi ”  (l 14) ; Il se différencie ainsi de la position illustrée par le personnage du  grand frère Seana, qui a choisi l’exil pour justement continuer à vivre, loin de l’Irlande mortifère .  La position de Tyrone semble intenable et la formule “je serais ailleurs , entre ciel et terre, ” par l’emploi du conditionnel, connote ici l’irréel du présent ; Il n’existe aucun endroit pour vivre entre ciel et terre: voilà ce qui est suggéré par la lecture .

Un homme fatigué : dès lors, le portrait de Tyrone se termine avec le leitmotiv de sa fatigue . L’adjectif fatigué est repris sept fois entre les lignes 28 à 32. Le cri de colère symbolisé par l’insulte et la grossièreté de la ligne 15, est très rapidement remplacé par la négation qui reflète l’impuissance du personnage et son incapacité à poursuivre le combat “je n’en pouvais plus ” . Les ennemis et les amis sont alors mis sur le même plan, juxtaposés , au sein de la même phrase : “les Brits, l’IRA, ces donneurs d’ordre ” et comme réunis par leur autorité commune  . Tous deux semblent exercer sur Tyrone une forme d’oppression qui est reflétée par l’emploi de l’adjectif “‘ étouffante ” ligne 28. 

25. mai 2019 · Commentaires fermés sur Une famille d’irlandais : fiche personnage autour de Killybegs ; Seanna le grand frère. · Catégories: Première · Tags:
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En écrivant Retour à Killybegs après la mort de son ami Dennis Donaldson, assassiné par une faction isolée de l’IRA , Sorj Chalandon, a souhaité évoqué l’histoire et l’évolution du conflit qui oppose les habitants catholiques d’Irlande du Nord (la famille Meehan ) à leurs voisins pro- anglais et souvent  protestants qu’on surnomme les loyalistes .  Un seul personnage ne pouvait suffire à exprimer les différentes étapes du conflit alors l’auteur a choisi de construire une famille pour pouvoir comparer les positions du père, du frère du héros ainsi que du fils de ce dernier . Patraig, Seanna, Tyrone, Jake, quatre prénoms typiquement irlandais vont représenter quatre manières de vivre son patriotisme en  Irlande du Nord.

L’extrait étudié se situe au moment où Tyrone est emprisonné pour la seconde fois : il effectué un premier séjour en prison à l’âge de 18 ans durant lequel il a prêté serment de servir l’IRA et l’écrivain évoque la dureté des conditions de détention de ces hommes , le plus souvent enfermés sans procès et sans jugement . Comment le personnage de Seanna est-il construit ?  Que représente-t-il ? Nous verrons tout d’abord quelles analyses le personnage donne de la situation politique et historique de son pays avant de voir quels sont ses arguments pour justifier sa décision de s’exiler et en quoi son discours peut avoir un impact sur   la relation  des deux frères à travers cet échange. En effet, chaque membre de la famille Meehan est porteur d’une vision du monde et de l’Histoire de l’Irlande .

Quel point de vue est incarné par Seanna ? Le personnage est présenté comme courageux “il n’avait pas peur ‘ ( l 1 ) mais “fatigué  “L’irlande m’a épuisé “  ajout-t-il , à plusieurs reprises  “je ne veux plus m’éreinter ..je renonce ” . Cette usure et cet abandon du personnage sont manifestés par différents symboles : “ il déposait les armes ” ; sur le plan militaire, cela signifie qu’il cesse le combat au sens propre . Soutenir la cause républicaine lui apparaît alors comme un bien grand poids : le mot fardeau à la ligne 5 traduit cet épuisement du personnage qu’on retrouve également ligne 52 <strong>; Elle m'a trop demandé.” ;  Le personnage , ainsi cesse de lutter et abandonne la défense de la cause irlandaise  pour pouvoir respirer et vivre normalement , garder la “tête haute ” quand il va à l’Eglise .  On peut comprendre ici que Seanna ne veut plus vivre avec du sang sur les mains .Néanmoins il garde  une forme de révolte contre l’ennemi ;  Il s’agit donc de faire le portrait d’un homme à bout mais qui conserve une haine farouche des anglais  “ il crachait au visage de nos gardiens ” et ne “leur offrait pas un cri lorsqu’il était battu .”  L’auteur montre ainsi que ce n’est pas un manque de courage et de détermination mais un choix  guidé par des circonstances historiques : celui d’abandonner une cause qu’il estime perdue : ” Ce n’est pas une bataille que nous venons de perdre. C’est la guerre! La guerre de notre père; C’est fini petit soldat. Fini tu entends  ” ( l 44 ) Le renoncement est , selonn le personnage, rendu nécessaire en fonction du contexte historique. 

Le rappel de l’histoire des générations précédentes vient inscrire ici, la fiction dans un contexte historique connu : la mort du grand père en 1896 est l’occasion de rappeler l’ancienneté des combats dans cette région du pays et la mort du père est mentionnée au moyen d’un paradoxe : “mort d’avoir survécu à la défaite “; L’écrivain suggère ici que la honte de ne pas avoir obtenu l’indépendance totale de l’Irlande suite à l’insurrection de 1916 serait responsable, en grande partie, du destin brisé du personnage du père . Il est bien sorti vivant de cette bataille mais il s’est mis à boire et finira par se donner la mort .

La situation de l’irlande du Nord est également rappelée à travers les événements de la seconde guerre mondiale: son gouvernement a décidé de soutenir Hitler car l’Angleterre le combattait ; Ce choix a été violemment critiqué et on retrouve, par la voix de Seanna, une des principales critiques de cette politique qui est qualifiée , à la ligne  42  de “danse avec le diable

Seanna fait également référence à l’avenir de leur patrie et souhaite éviter de nouveaux morts; Le registre pathétique ici est employé pour sensibiliser le lecteur aux arguments du personnage et les rendre plus persuasifs: “qui demain? pourquoi ne pas offrir bébé Sara à leurs coups “ ( l 15 ) ; Assurer un meilleur avenir aux descendants de la famille: c’est le but de Seanna et c’est un argument qui justifie son désir de quitter son pays afin d’épargner aux générations futures de subir le même sort que leurs ancêtres. En agissant ainsi ils pourraient être sauvés ( l 19 ) et ne pas finir “au bout de leurs fusils ) l 12 ou dans une prison anglaise où ils iraient rejoindre tous leurs compatriotes décrits comme du bétail qui “gave ” les prisons . ( l 11 ) 

Le discours de Seanna repose sur un autre argument important : il pense que leur guerre est perdue et qu’ils doivent changer leur vision du monde “Tu regardes le monde depuis le bas de ta rue ” reproche-t-il à son frère; l’écrivain, par la voix de Seanna, dénonce ainsi une vision étroite et partisane de la cause irlandaise ; Le personnage constate que le reste du monde ne soutient pas leur cause : " Nous sommes des milliers d’encerclés entourés par des milliards de sourds ” ( l 45 )  cette citation montre , à la fois l’infériorité numérique des insurgés : milliers s’oppose à milliards et un double emprisonnement géographique figuré par l’association, dans la phrase, seulement séparés par une virgule,  d’encerclés et d‘entourés.  

Seanna associe son départ à l’impossibilité de changer la situation actuelle au sein de son pays qui, majoritairement , a choisi, de soutenir le rattachement à l’Angleterre . En effet, la population catholique encore installée en Irlande du Nord est très minoritaire et subit continuellement des attaques de la part des groupuscules loyalistes.  . Il décrit alors les souffrances de ces populations  de son pays avec des termes imagés qui traduisent leur faiblesse  : ” ghettos lépreux à Derry ( l 31 ) , “lambeaux de villages ” “deux cents rues à Belfast” ce qui ne représente qu’une faible partie de la ville . Selon Seanna, les Irlandais installés en Ulster ne peuvent pas compter sur le soutien de la république irlandaise : “Dublin nous tourne le dos ” affirme-t-il ligne 35 .

C’est pour toutes ces raisons que le personnage du grand frère renonce à poursuivre le combat et souhaite s’exiler avec une partie de la famille: ce qui déclenche la colère de Tyrone qu’il s’efforce pourtant  de convaincre que c’est la meilleure solution.

Les raisons historiques et les raisons personnelles se mêlent : Seanna désire vivre autrement et mieux ; “je veux des rires, des visages neufs, des rues sans soldat” explique-t-il ligne 50 .  Et pour cela , il est prêt à changer d’identité “je ne veux plus de ce que nous sommes ” s’écrie-t-il  ligne 51. Son renoncement va même plus loin jusqu’à prendre la forme d’un reniement à des symboles  : ” J’en ai marre de notre drapeau, de nos héros et de nos martyrs ” ( l 54 )

Ce dernier, dans un premier  l’insulte :  “j’ai eu des mots de trop. des mots de mort ” ( l 20 )  et ne semble pas sensible à son argumentation. Cependant , au fil du texte, Tyrone change d’attitude  et se met à pleurer de “détresse et de rage ” comme si les mots de son frère l’atteignaient directement . Comme dans la suite du roman, Tyrone finira par trahir la cause de l’IRA, on peut se demander s’il ne l’a pas fait en partie parce qu’il s’est rangé à l’avis de son frère : il a renoncé lui aussi au combat mais au lieu de s’exiler , il s’efforce de mettre un terme aux attentats meurtriers en donnant des renseignements aux services secrets anglais.

Seanna lui,  va devenir, à sa sortie de prison  un héros aux yeux de la famille comme le montre la bénédiction de sa mère : il décide de partir vivre aux Etats- Unis et emmène avec lui , ses deux petits frères : Brian et Niall; Quant à Tyrone, il se rangera aux arguments de son frère mais son renoncement prendra une autre forme : celle de la trahison.

L’auteur construit donc les deux frères avec des trajectoires à la fois  parallèles et divergentes : ils ont connu les mêmes malheurs dans l’enfance, ont vécu la violence et connu la prison . l’un trahit sa patrie en la quittant et ne renonçant à se battre pour elle car il juge sa cause perdue; l’autre trahit son pays en donnant des renseignements aux anglais mais demeure fidèle à son sol ; Il ne peut es résoudre à quitter sa terre et retourne même mourir dans la maison de son père , sur le sol foulé par ses ancêtres.