06. juin 2018 · Commentaires fermés sur Un discours contre la guerre : Hector face aux soldat morts · Catégories: Première · Tags:

 Alerté par la dégradation des relations diplomatiques internationale et notamment franco-allemandes, Jean  Giraudoux  compose une  pièce en quelques semaines. Il s’inspire d’un mythe et imagine les quelques heures qui précèdent le déclenchement de la Guerre de Troie . Après l’échec des négociations , la pièce se termine avec l’ouverture sur scène des portes de al guerre. L’extrait que nous étudions se situe au moment où le roi Priam, plutôt favorable à un nouveau conflit, demande à son fils de prononcer un discours d’hommage à ses soldats morts au combat.  Hector , général  tout juste rentré vainqueur d’une guerre récente , accepte de prononcer cet hommage , comme le veut la coutume troyenne, . Il entend alors ,du côté du port les clameurs suscitées par l’arrivée des navires grecs et il vient prendre place solennellement “au pied des portes”  . Mais Hector n’est pas décidé à prononcer le discours qu tout le monde attend avec les compliments habituels et l’hommage aux disparus; Sa prise de parole prend rapidement un ton irrévérencieux et il montre avec ce discours iconoclaste que  seuls les survivants d’une guerre  sont les véritables vainqueurs . 

 Nous pouvons montrer , tout d’abord  que ce discours est éloquent : il s’inspire , en effet, de l’art oratoire . Hector, d exprime abord, respecte  la tradition théorique de l’art oratoire ;Il s'adresse au morts en employant des apostrophes pathétiques : “O vous ..qui ne nous entendez pas ” et il les fait revivre par ses multiples invocations, un peu à la manière des anciennes incantations qu’on adressait aux esprits dans les cérémonies antiques;  il leur pose même des questions rhétoriquescela vous est bien égal n’est-ce pas ? ‘ et fait comme s’ils allaient pouvoir lui répondre; les nombreux paradoxes de ce discours résultent  notamment  de la présence d’antithèses comme par exemple ” vous qui ne sentez pas, respirez ” ou “vous qui ne voyez pas, voyez;.”  Hector semble ici montrer le caractère absurde de sa situation d’énonciation: à quoi cela sert-il de s’adresser à des soldats disparus ” Le discours aux  morts de la guerre est en fait un plaidoyer hypocrite pour les vivants ” a-t-il admis quelques instant plus tôt . Hector cherche à créer un contact non seulement avec ses auditeurs supposés, les morts , mais également avec les auditeurs qui sont autour de lui; On peut ainsi parler de double énonciation ou de double destinataire . Les apostrophes  sont fréquentes te rythment l’hommage : vous qui ne sentez pas , qui ne touchez pas ..” En les appelant, Hector rappelle en même temps tout ce qu’ils ne peuvent plus faire. Et à la fin du discours, on retrouve notamment l’idée de leur inexistence avec une série d’adjectifs et de noms : ” vous absents, vous inexistants, vous oubliés, vous sans occupation, sans repos, sans être “, Non seulement les morts ne peuvent plus jouir des plaisir sue la vie car ils n’ont plus d’existence, de corps, de sens comme la vue, l’ouie  et le toucher ou l’odorat mais le fait même de les oublier semble les priver définitivement du moindre statut et les rendre “‘sans être”, comme s’ils étaient condamnés à errer .  

 Un discours décalé :  En plus de ces nombreuses oppositions , les détails intimes que révèle le général dans cette circonstance officielle, peuvent paraître choquants; En effet, Hector fait allusion , tout d’abord à des actions banales et quotidiennes comme manger, boire et faire l’amour et ensuite, il ajoute un détail qui peut paraître trivial ,  que les soldats survivants vont coucher avec les femmes des disparus  “Nous couchons avec nos femmes..avec les vôtres aussi. ” Hector montre ainsi que la  vie continue après leur mort et que leurs veuves devront se consoler de leur mort dans les bras d’autres guerriers.  Demokos, le poète belliciste s’empresse de crier ici au scandale mais Hector n’a nullement l’intention d’insulter les morts; il constate ce que la mort leur a fait perdre car il veut montrer toutes les choses simples auxquelles   les morts n’ont plus accès: au lieu d’imiter les éloges funèbres au cours desquels on célèbre la gloire, la bravoure des soldats tombés au champ d’honneur, Giraudoux ici, fait prononcer à son personnage de soldat dégoûté de la guerre, un sort d’hymne à la vie et à ses plaisirs.  En effet, le général rappelle la douceur de vivre avec des éléments comme le “clair de lune ” qui évoque poétiquement les joies nocturnes qui viennent prolonger les plaisirs diurnes : manger, boire te faire l’amour.  Cette dimension hédoniste  rend hommage à la vie. Ainsi , à côté de ces joies simples ,les décorations militaires à titre posthume, les cocardes ne valent rien ; seule compte “la vraie cocarde” c’est à dire le privilège d’être demeuré en vie et d’avoir gardé ses deux yeux pour voir ; Hector es réjouit tout simplement de voir encore  le soleil . 

Le discours d’Hector s’éloigne donc des poncifs habituels et dans sa seconde période, Hector fait preuve de sincérité , qui contraste donc avec les éloges officiels plus ou moins hypocrites; Ce dernier refuse , en effet, de glorifier la mémoire des disparus car  “tout morts que vous êtes, il y’a chez vous la même proportion de  braves et de peureux que chez nous qui avons survécu” . Le fils de Priam se démarque ainsi de l’idéologie officielle et fait preuve d’une certaine lucidité dans l’examen de la nature humaine;  il se met alors à vivement critiquer la guerre en employant une métaphore culinaire dépréciative :   “la recette la plus sordide  et la plus hypocrite pour égaliser les humains” ;  D’ailleurs les survivants sont même qualifiés de  déserteurs ; en employant ce mot qui crique habituellement les combattants qui fuient le champ de bataille, le dramaturge semble inverser les valeurs habituelles . Pour Giraudoux, tous les hommes ne se valent pas et certaines vies sont plus précieuses que d'autres , ce sont celles des hommes de bien; en les faisant mourir en grand nombre, la guerre tend à effacer la valeur des hommes et à les confondre tous dans le même lot de victimes: c'est ainsi oublier que certains furent des hommes dont la vie avait du prix, ils seront regrettés par beaucoup de gens qui les aimaient  alors que d'autres ne seront guère pleurés par leurs proches.

Des paradoxes : le discours officiel d’Hector est construit à partir de répétitions pour le moins étranges qui forment de véritables antithèses  : en s’adressant aux morts, Hector rappelle leur absence et l’apostrophe “vous qui ne nous entendez-pas se transforme en invocation : “écoutez ces paroles ” . Cette formulation marque ici clairement l’impossibilité pour les auditeurs de prêter attention à l’hommage qui leur est rendu. Leur disparition  est ainsi réaffirmée et rend le discours pathétique. “vainqueurs vivants s’oppose ainsi à vainqueurs morts  
 Un discours provocateur ? Cette position défendue par le dramaturge peut paraître polémique car elle fait de la mort une sorte de dénominateur commun à l’existence des hommes ; c’est pourquoi Hector précise , à la fin de son intervention : ” je n’admets pas plus la mort comme expiation au lâche que comme récompense aux héros pour bien montrer que la perte de la vie constitue le véritable scandale causé par la guerre ; il ne faudrait pas en effet, que le mort soit considérée comme quelque chose de banal tout simplement parce que les hommes meurent en grand nombre durant les guerres;  ses dernières paroles s’adressent à tous les “absents, inexistants, oubliés, sans occupation, sans repos, sans être” ; ces images volontairement provocatrices dénoncent en fait la banalisation de ces disparitions de masse; chaque disparu doit compter et chaque survivant doit être capable d’apprécier la vie et de “ressentir comme un privilège et un vol , la chaleur et le ciel ” . Ici le soleil et la lumière représentent la vie par opposition au froid et à l’ombre qui traduisent le vide et l’absence .

Ce discours d’Hector est donc pour le moins étonnant car il ne correspond pas au discours attendu dans une circonstance semblable , qui est un hommage officiel aux soldats victorieux de son armée et il rappelle l’opinion de Giraudoux : les vainqueurs morts ne sont pas les véritables vainqueurs des guerres car  ils ont perdu leur bien le plus précieux que chaque homme devrait s’efforcer de conserver à tout prix:  la vie .  Le général avoue d’ailleurs avoir “honte “ d’être resté en vie alors que tant des siens ont donné la leur pour une victoire dont ils ne profiteront pas .

Avec beaucoup de finesse et de subtilité, Giraudoux, ici par l’intermédiaire du discours d’Hector, nous amène à réfléchir sur la guerre, la victoire, la valeur de la vie et celle des hommes.  Le discours est à la fois éloquent (art du bien parler ) et lyrique (expression de sentiments personnels) : il exprime de manière touchante les convictions d’un ancien soldat qui fait preuve d’une sincérité inhabituelle en de telles circonstances ; A la fois insolite et poignant, ce moment solennel peut se lire comme un réquisitoire contre la guerre ; la mort ne peut en aucun cas être considérée comme une consolation ou une consécration: elle doit être montrée dans sa brutalité et ses conséquences irrémédiables.

Ce thème a été repris par un romancier contemporain Pierre Lemaître qui dans son récit Au revoir là haut, met en scène deux anciens combattants de 14/18 qui ont survécu, profondément blessés dans leur chair (l’un est mutilé au visage ) et qui ont décidé de vendre de faux monuments au morts dont ils envoient les dessins aux mairies désireuses d’honorer la mémoire de leurs disparus. Cette notion de devoir de mémoire n’existe pas encore à l’époque de Giraudoux et le discours d’Hector peut paraître choquant mais il nous fait réfléchir à l place de la mort et de la vie qui est la seule véritable victoire pour le dramaturge. Peut être peut -on également penser que les nombreux hommages rendus aux disparus de 14/18 sont ici évoqués indirectement . 

Quelques axes possibles pour répondre à des questions de bac …

Un discours éloquent ?

les apostrophes, les invocations, la situation d’énonciation 

Une parodie des discours d’hommage officiels aux disparus? 

la trivialité , le rappel des plaisirs de la vie , la critique des usages et le rappel de 14/18, les paradoxes 

Un hymne à la vie ? 

la critique de la guerre et de ses conséquences , les morts décrits par ce qu’ils ont perdu ,les antithèses , une réflexion sur la mort comme valeur 

20. mai 2018 · Commentaires fermés sur Un drôle de héros : la guerre vue par Claude Simon dans l’Acacia · Catégories: Première
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Le Nouveau-Roman s’attaque au statut du personnage de roman auquel il prétend retirer certains de ses attributs : le plus souvent anonymes, privés de déterminations et pris dans des flux de conscience dont les lecteurs sont témoins, les personnages de ce types de romans nous délivrent , ici à la troisième personne du singulier, leurs perceptions du monde qui le entoure et qui les constitue . Reprenant quelques techniques mises au point par les romanciers réalistes , Claude Simon s’efforce de présenter  ici son personnage central, un soldat de cavalerie  pris dans une embuscade allemande au cours de la Débâcle en mai 1940. Nous verrons tout d’abord comment le romancier restitue le champ de bataille et la confusion qui y règne avant de montrer que la scène  s’articule autour des perceptions du héros pris dans une tourmente qui le transforme radicalement .En effet, la première chose qui nous frappe dans ce récit d’attaque surprise, c’est sa confusion que la syntaxe restitue au moyen de longues énumération et de séquences de juxtapositions. Le rythme ainsi créé suggère l’essoufflement du personnage et la rapidité avec laquelle les actions se succèdent.  Le chaos prend plusieurs aspects .  Voilà un exemple de commentaire littéraire sur cet extrait …

Intro ….Le contexte historique donné :  17 mai 1940, nous plonge dans une période appelée la Débâcle .  Les populations fuient  massivement l’arrivée des troupes allemandes qui ont franchi la ligne Maginot et les raids aériens se multiplient sur  les convois civils et militaires . D’inspiration fortement autobiographique, ce passage de l’ Acacia nous révèle le désarroi d’un soldat pris dans une embuscade. Plongé dans ses perceptions confuses, le lecteur assiste impuissant à cette attaque surprise d’un commando de mitrailleuses allemandes sur un régiment de cavalerie qui bat en retraite . Tout d’abord, nous verrons comment la  vision de la scène s’organise autour des perceptions du personnage avant de montrer quelles images du soldat pris dans la tourmente révèle ce passage.

L’attaque, en  effet est décrite du point de vue du personnage anonyme dont les perceptions confuses  sont restituées à la troisième personne du singulier : « il ne distingue plus très bien..il ne pourrait pas non plus dire combien l 10 » . Le personnage est à la fois désorienté  dans le temps et dans l’espace : dès les premières lignes, on nous précise qu’il a perdu la notion du temps et il ne sait plus après l’explosion où il se trouve . 

Ses perceptions sont troublées et évoluent au fil du texte : lorsqu’il reprend conscience à la ligne 14 , il se concentre d’abord sur le danger autour de lui «  pour le moment il est uniquement occupé à surveiller avec précaution le paysage » l 15 . On peut alors penser que c’est son instinct de survie qui prend le contrôle de ses facultés et cette impression sera confirmée dans les lignes suivantes, lorsqu’il reprend peu à peu ses esprits avant la nouvelle explosion qui le cloue au sol . 

Il est alors décrit comme «  sourd, aveugle » à la ligne 42. «  le noir, plus aucun bruit  (ou peut être un assourdissant tintamarre se neutralisant lui-même » . Le narrateur ici semble même hésiter entre deux hypothèse pour justifier le « black-out » temporaire du soldat. 

Afin de restituer le trouble de sa vision, la description prend des allures fantastiques : « émergeant peu à peu comme des bulles à la surface d’une eau trouble apparaissent de vagues taches indécises » Les comparaisons contribuent à traduire cette réapparition progressive d’une vision complète ; Le soldat ne distingue d’abord que des ombres éparses et des figures géométriques qui vont peu à peu se recomposer et s’associer dans son esprit pour former une vision plus nette de ce qui l’entoure : «  des triangles des polygones des cailloux de menus brin d’herbe » L’énumération mêle  formes et menus objets pour traduire les sensations  confuses du soldat , encore incapable encore d’une vision claire  et nette . 

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Le réalisme et l’extrême précision des détails produit une sort d’étirement du temps car les opérations décrites s’enchainent dans la réalité en quelques micro-secondes alors que le texte nous les fait vivre , mot par mot, au fil des phrases. Le temps semble ainsi rendu dans une autre dimension, une sorte d’ « instantané décomposé » . Cette page peut  se résumer à quelques secondes dans la tête du soldat et c’est pourquoi , on peut avoir la sensation d’un récit en boucle où la dernière phrase «  ne voyant plus alors que la barre horizontale dessinée par la haie il court à perdre haleine »  ne serait séparée de la première  « il peut être environ huit heures du matin » que par l’espace d’un instant . 

Les perceptions  chaotiques du personnage mimées par des juxtapositions et des cascades de parenthèses , guident notre vision de la scène et l’organisent  pourtant en faisant alterner notations précises et floues. Ainsi aux silhouettes évanescentes et difformes des chevaux : « soulevant leurs jambes étirées de sauterelles » ligne 20, nées de la fatigue extrême du soldat et qui révèlent que sa vision est extrêmement  perturbée car elle lui fait entrevoir « comme un animal fantastique »,  succèdent des micro détails hyper précis « flancs de chevaux ,bottes , sabots , croupes » qui témoigne cette fois d’un éclatement des perceptions. Le personnage ne parvient plus à recomposer la réalité qui lui apparait sous la forme de ces « fragments qui se succèdent se démasquent s’entrechoquent, tournoyants » ligne 34 . 

Doit -on parler ici de réalisme ou d’hyper réalisme dans l’intention de traduire avec une extrême précision les bouleversements subis par l’explosion qui affecte les perceptions du personnage ?  Le style même de Claude Simon formé à partir d’énumérations ininterrompues, tente de restituer ce que les nouveaux Romanciers ont appelé les flux de conscience </b>; C’est un peu comme si nous assistions en direct à l’activité du cerveau du soldat et que nous suivions , étape par étape , le retour de sa conscience . 

 

Le personnage , en effet, pour les adeptes du nouveau-Roman, perd une partie de ses attributs ; anonyme, sans passé et sans attaches , il est le plus souvent réduit à n’être qu’un flux de perceptions , un flux de conscience . Ici le soldat nous fait vivre la violence de l’attaque et nous permet d’imaginer ce qu’ont vécu les hommes dans cette guerre. 

Ce qui frappe tout d’abord , c’est la  manière dont il est déshumanisé . Présenté dès le début du passage comme un « somnambule » «  les muscles se contractant et se détendant d’eux-mêmes commandés par des réflexes d’automate » ,  à la ligne 8,  il semblerait que sa vie ne tient plus qu’à la fonctionnalité de ses organes et qu’on l’ a privé de sa sensibilité, de sa pensée.  De nombreux auteurs ont décrit cette réification de l’homme au coeur de la guerre comme une manière de survivre à l’horreur du champ de bataille. 

Claude Simon transforme également son personnage en animal : il évoque d’abord à  la ligne 10 « quelque instinct animal qui l’ont fait se relever »  en nous précisant toutefois qu’il hésite entre « sa raison » ou « sa volonté » . Simple réflexe animal , instinct de survie qui est dicté par la partie profonde , reptilienne de notre cerveau ou prise de conscience de l’urgence de courir pour survivre, l’auteur nous confronte aux deux possibilités. 

Mais il montre un personnage infrahumain,  qui sous le choc de l’explosion, se « tient maintenant à quatre pattes  comme un chien . » Il semble obéir à un instinct primitif  « comme si resurgissait en lui ce qui confère à une bête « chien loup ou lièvre ) intelligence et rapidité en même temps qu’indifférence . »  lit -on à la ligne 50. L’utilisation des parenthèses par le narrateur permet d’insérer des détails supplémentaires à l’intérieur même de ce qui fait l’objet d’une description quasi clinique. Les trois animaux cités offrent trois images différentes du soldat : le chien symbolise la servilité et la fidélité à ses engagements ainsi que l’ignominie de la mort dans l’expression « mourir comme un chien »; le loup suggère ici la cruauté du prédateur et la peur qui peut être suscitée par le soldat ; enfin le lièvre évoque le désir de détaler, de s’enfuir avec agilité pour échapper justement aux prédateurs que sont les ennemis sur un champ de bataille. 

Transformé en animal, le personnage perd toute forme d’empathie et cela peut paraître un détail choquant pour le lecteur . Il est , en effet, décrit comme indifférent à   la mort de son camarade : indifférence jugée d’autant plus monstrueuse  qu’elle est « complète  tandis que la partie animale de lui fonctionnait à toute vitesse »   l 50 .  Ce blessé dont la souffrance et les cris l’indiffèrent , est, de plus,  présenté comme un proche «  à côté de qui il avait vécu mangé et dormi depuis huit mois »  est-il précisé à la ligne 55.  L’auteur , au moyen de ce détail, fait ressortir la  profonde transformation du personnage sous l’effet de cette expérience douloureuse. 

Le soldat pris dans la guerre se métamorphose en chaos de perceptions. En quelques secondes , il peut voir s’effacer son humanité ; Présenté comme à bout de forces, le personnage révèle les limites de la condition humaine: Son cerveau paraît d’abord enregistrer des sensations et des impressions avant d’être capable de les reconnecter à la réalité du champ de bataille : « la confusion, le tumulte le désordre, les cris encore , les détonations, les ordres contraires puis lui-même devenu désordre, jurons… » ligne 27.  Le personnage n’est plus qu’une sorte d’enregistreur et la syntaxe  agitée  et tourmentée ne fait qu’imiter, donner forme à ce désordre qui est désormais son identité. 

 Conclusion …A travers cette scène de guerre , Clause Simon, confronte son personnage à un déferlement de sensations qui le privent d’une partie de son humanité et de sa conscience ; Ses facultés d’analyse sont altérées et il se réduit à un champ de perceptions confuses ; Adepte des principes du Nouveau-Roman , Simon prolonge l’héritage de Robbe-Grillet et de  Sarraute qui tous deux font de leurs personnages de simples enregistreurs caractérisés par leurs regards, leurs voix ou leurs flux de pensées. Le personnage semble ainsi absorbé par les événements qu’il traverse et dont l’écriture tente de restituer le chaos.

03. mai 2018 · Commentaires fermés sur Expiation : la bataille de Waterloo vue par Hugo · Catégories: Première · Tags:
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 Waterloo, morne plaine  ..ce vers célèbre l’un des plus hauts faits d’arme de l’armée française sous la conduite du général Bonaparte …  Dans le cadre de cette séquence qui évoque l’image des hommes confrontés à la guerre ,nous verrons comment  Hugo retrace, à sa manière, épique et hyperbolique, le récit d’une des plus cuisantes défaites de la France : la déroute de Waterloo . Comment le poète matérialise-t-il le combat et de quelle manière représente-il ces soldats de la vieille garde napoléonienne dont , dans la légende,  le nom suffisait à faire trembler leurs ennemis? Quelques précisions d’abord sur le cadre historique des événements et le contexte d’écriture des Châtiments .   Napoléon revient  au pouvoir le 1er mars 1815 après une marche à travers la France qui s’acheva triomphalement à Paris. Aussitôt, Louis XVIII s’étant enfui à Gand, les puissances européennes, Angleterre, Prusse, Autriche, relancèrent la guerre contre l’Empereur, considéré comme un usurpateur. Napoléon rassembla une nouvelle armée et gagne la Belgique.
Après quelques succès – à Ligny où il parvint à vaincre les Prussiens, aux Quatre-Bras où Ney remporta une demi-victoire contre les Anglais (16 juin) –, il affronta les Britanniques du duc de Wellington à Waterloo le 18 juin 1815. C’était la première fois qu’il se trouvait en face de son grand adversaire : jamais encore il n’avait combattu directement les Anglais.
 

Reprenant sa tactique habituelle, Napoléon confie une partie des troupes au général Grouchy, créé maréchal pour l’occasion, afin d’empêcher le feld-maréchal Blücher de rallier le champ de bataille. Il espérait ainsi remporter une victoire décisive face aux Anglais. En effet, la bataille ayant commencé à 11 heures en raison du terrain détrempé par les pluies, il eut l’initiative toute la journée malgré la belle résistance britannique.
Malheureusement, Grouchy ne rallia pas le lieu du combat comme il l’aurait dû pour prendre les Anglais en tenaille, bien que poussé par le général Vandamme, jaloux de son maréchalat. Ce furent les Prussiens qui arrivèrent sur la droite française. La jeune garde fit des prouesses pour les contenir pendant que Ney cherchait à percer les lignes anglaises au centre. À 7 heures, Napoléon envoya sa vieille garde dans un suprême sursaut. Mais Blücher et Wellington firent leur jonction. La bataille était perdue. Avec elle s’envolait l’espoir d’une restauration impériale durable.

 

Le poète montre d’emblée le champ de bataille comme un véritable enfer à travers notamment les transformations du cadre naturel . 

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I Un décor apocalyptique 

a) un cadre infernal 

La plaine du vers 1 se transforme en un gouffre qui s’apprête à engloutir les hommes à  l’image de la terre qui s’ouvre sous les pieds des pêcheurs pour leur infliger un châtiment divin; Le poète présente d’emblée cette défaite comme une sorte de punition divine ; c’est pourquoi il utilise des références bibliques comme le gouffre flamboyant au  vers 3 ou l’horrible gouffre au vers 27 dans lequel vont fondre les régiments . Le poète se sert également des images de lieux souterrains souvent associés à l’enfer : la comparaison du vers 3 rouge comme une forge peut évoquer la demeure du Dieu vulcain, le forgeron auquel les Dieux commandaient leurs armes ; Située sous un volcan, sa forge est associée à un contexte épique; Les notations auditives rappellent au lecteur le bruit des armes et ces bruits sont évidemment amplifiés : ils deviennent des  tonnerres et se mêlent aux cris des mourants ; ce qui forme ainsi un vacarme infernal . 

b) Un cataclysme “naturel “

Le poète utilise également des références aux éléments naturels : la guerre est ainsi vu comme un cataclysme ;  les canons sont comparés au tonnerre qui gronde au vers 15; L’empereur lui-même veille à rester debout dans la “tempête” au vers 19 .Et les hommes fauchés par les boulets de canons sont comparés à des épis mûrs au vers 5 qui se couchent sous l’effet d’un vent violent. L’épi symbolise peut être ici la mort comme une sorte de moisson funèbre ; Pour évoquer l’ampleur de la catastrophe le poète utilise la force des éléments déchaînés ; Hugo compare aussi les soldats qui tombent à la chute de véritables pans de mur au vers 4 . Cette image donne une idée du bruit de leur effondrement.  Ces références font partie des clichés qui servent à peindre la guerre . Nombreux sont les auteurs à insister sur le bruit infernal qui provient du champ de bataille : cri des mourants, des blessés, chocs des corps , crépitement des armes, hurlements  des troupes qui donnent l’assaut . 

c) la souffrance 

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Beaucoup d’écrivains cherchent aussi à montrer les souffrances des hommes sur le champ de bataille et le poète insiste particulièrement sur l’atmosphère de désolation qui règne: au vers 1, les drapeaux déchirés sont la métonymie qui marque la violence des affrontements et elle suggère les blessures des hommes aussitôt attestées par le vers suivant : “les cris des mourants qu’on égorge ” Les notations se font réalistes avec , par exemple, les blessures difformes du vers 7 ; la bataille dans son ensemble est désignée comme un affreux carnage et un moment fatal; Le terme carnage connote les dégâts physiques , les blessures mortelles de la chair alors que le second groupe nominal marque davantage l’approche de la mort ; en effet, l’adjectif fatal a le sens ici de qui est mortel et le champ lexical de la mort est extrêmement présent dans le poème tout entier . Cependant , pour dire la mort, Hugo a recours  à différents procédés qui tendent parfois à la rendre plus acceptable . Le lecteur ne peut que partager les souffrances de ces soldats qu’ils soient héroïques ou de simples hommes désireux de sauver leur vie et  le poète nous présente la situation sous un aspect pathétique 

II Dire la mort et la tragédie

a) le registre pathétique 

La bataille est une catastrophe sur le plan humain et les nombreuses précisions nous font vivre les événements avec beaucoup d’émotion. Hugo montre d’abord les soldats prêts à se sacrifier, dignes et fiers: “comprenant qu’il allaient mourir dans cette fête /saluèrent leur Dieu debout dans la tempête . ” Le terme fête peut sembler ici inapproprié pour désigner le combat mais il peut traduire une sorte de célébration de la guerre comme une divinité à laquelle on offre des vies humaines . De même l’adjectif tranquille  au vers 22 et la précision sans fureur accentuent la dimension pathétique de la mort de ces soldats, victimes consentantes, expiatoires. Le poète nous fait partager sa tristesse avec hélas au vers 24 qui est placé , en tête de vers. Le poète prend fait et cause pour les soldats et les transforme en héros  Le second hémistiche du vers 31 illustre leur mort glorieuse : “Dormez ,morts héroïques “ et la présente comme une sorte d’accomplissement naturel . La souffrance du combat est ici remplacée par l’apaisement du trépas. Mais le tournant de la bataille marque véritablement le moment le plus pathétique : en effet, le sacrifice de la garde aura été totalement inutile dans la mesure où derrière eux, les soldats sont pris de panique et s’enfuient 

b) un retournement de situation tragique : l’apparition de la Déroute 

Le poète construit un retournement de situation qui correspond à l‘arrivée de l’allégorie de la Déroute; telle une femme fatale, elle fait son apparition au vers 40 comme un spectre effrayant ; Le terme spectre au vers 38 marque sa dimension surnaturelle;elle est décrite comme une créature infernale qui terrorise les soldats et les rend fous de peur; elle les épouvante littéralement comme le précise le poète au vers 36 ; Il la décrit également sous les traits d’une “géante à la face effarée ”  et montre les fumées qui l’entourent et rendent  son surgissement évanescent  ; On retrouve, très présentes à cet endroit du poème , les allitérations en f qui marquaient le caractère infernal de ce spectacle terrible. L’harmonie imitative se poursuivra avec des mots tels que affront vers 42, farouche 43, souffle 44 fourgons 45 , fossé 46 , fusils 47.  Le poète tente de restituer la panique qui s’empare des bataillons dont on peut suivre l’éparpillement ;

c) une fuite éperdue 

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Le passage que nous étudions se clôt sur des images de fuite éperdue : les soldats cèdent à la panique et ne pensent plus qu’égoïstement , à sauver leur vie; D’ailleurs la formule Sauve qui peut qui traduit ce branle- bas de combat est répétée aux vers 41 et 42 ; Le rythme du poème s’accélère avec de nombreuses énumérations qui produisent un effet saccadé comme aux vers 42, 47 et 50 avec la litanie des verbes d’action: “tremblaient,hurlaient,pleuraient, couraient ” ! Le bel ordonnancement des troupes est brisé et  le spectacle n’en est que plus effrayant ;  Les hommes sont comparés à de vulgaires fétus de paille pour montrer ici leur fragilité et l’expression du vers 50 ” en un clin d’oeil ” traduit la rapidité avec laquelle se déroule cette fulgurante catastrophe . Au vers 52, le verbe s’évanouit atteste de la disparition brutale de la grande armée et le chiasme achève le tableau : “vit fuir ceux devant qui l’univers avait fui.” On revient alors à la plaine nue désormais caractérisée par l’adjectif “funèbre ” au vers 55 qui rappelle les nombreuses pertes humaines. 

III Célébrer la guerre ? 

a) le grandissement épique 

Hugo ne fait jamais dans la demi-mesure et avec lui,nous passons souvent instantanément de l’ombre à la lumière ; Poète animé par un souffle épique, il transforme ce combat en affrontement mythologique . Les comparaisons et les métaphores donnent à cet affrontement historique devenu légendaire, l’image d’une sorte de choc des titans avec des forces surhumaines qui s’affrontent : tout est plus grand que nature dans la description ; Les panaches des tambours-majors sont énormes au vers 6; les soldats semblent tout droit sortis des légions de Rome au vers 14; Tout est amplifié : le bruit des canons est semblable aux tonnerres; ici le pluriel poétique leur confère une force supplémentaire; Napoléon lui-même est devenu un Dieu cruel au vers 19 et la garde est avalée par une fournaise qui rappelle l'Enfer , au vers 23. Les régiments fondent, tombent mais ne reculent pas . Du moins une partie d'entre eux: les plus braves.

b) des braves ou des lâches ? 

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Hugo admirait Napoléon et écrit ici une partie de la légende de ce chef de guerre en montrant notamment à quel point ses hommes sont déterminés à mourir pour lui. Ces braves sont présentés comme ne formant plus qu’un seul corps, parlant d’une seule et même voix ; Le vers 20 évoque leur cri à l’unisson et ils meurent sachant ce qui les attend avec le sourire aux lèvres. Leur bravoure contraste avec l’épouvante qui règne ensuite et qui souffle un vent de panique sur le reste des soldats ; ces derniers tentent de fuir et même de se cacher, de se jeter dans les fossés; Leur défaite tourne à l’humiliation ; elle est également marquée de manière symbolique au vers 48 par la chute des aigles, symboles des légions romaines et emblème repris par Napoléon qui périssent sous les sabres prussiens. Ce n’est pas tant la défaite en elle même qui semble faire souffrir le poète mais plutôt l’humiliation subie avec cette débandade des “vétérans ”  Ainsi le poème se conclut par la terrible image de la fuite des géants . et cette défaite semble orchestrée par une intervention divine comme le suggère le vers 56 : Dieu mêla tant de néants ; On peut rapprocher cette mention du titre même Expiation qui désignerait une forme de vengeance divine pour punir l’orgueil de l’Aiglon. 

Erreur de stratégie pour les historiens, punition divine pour le poète, la défaite de Waterloo restera un événement marquant au siècle suivant . Elle aurait du servir le dessein de l’empereur de reconquérir durablement son pouvoir et son prestige, et elle se transformera en camouflet qui mènera à l’abdication de l’Empereur désormais déchu; Hugo reconstitue d’abord l’ambiance du champ de bataille et le déroulement précis des événements historiques avant de montrer le sacrifice des braves et la panique qui s’empare du reste des troupes ; Il fait ressortir son admiration pour ces nobles soldats et sa tristesse devant les dégâts provoqués ; La bataille est aussi l’occasion d’un grandissement épique qui montre l’énormité des forces en présence . Le poète y célèbre  à la fois la grandeur des héros et la petitesse des hommes quand la peur s’empare d’eux et les rend pathétiques . 

Vous trouverez en pièce jointe un commentaire composé rédigé de cet extrait d’Expiation …

25. avril 2018 · Commentaires fermés sur Les discours de Robespierre : les plans possibles · Catégories: Première
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Pour analyser un discours, il est souhaitable de commencer par évoquer l’éloquence de l’orateur c’est à dire les procédés oratoires qu’il emploie dans le but de maintenir l’attention du public et de l’impliquer , de l effacer adhérer aux thèses qu’il défend ou qu’il combat ; dans un second temps, une fois que vous avez fait l’inventaire des techniques employées, vous pouvez ranger les arguments en deux parties distinctes : ceux qui es fondent plutôt sur l’utilisation de lien logiques, d’exemples, de comparaisons, de citations et qui font appel à l’art de convaincre; te ensuite, vous pouvez regrouper les arguments qui appartiennent à l’art de persuader et qui es fondent sur l’éloge ou le blâme, les sentiments et les valeurs partagées par l’auditoire comme la notion de justice ou d’injustice, de bien et de mal . Avocat de formation, Robespierre emploie des techniques rhétoriques développées par les orateur grecs et romains et encore utilisée de nos jours dans les tribunaux au moment des plaidoyers ou des réquisitoires des avocats et des procureurs. Voyons dans le détail comment organiser vos idées …. précisons que chaque plan doit être adapté au discours choisi et que les titres des sous- parties sont à choisir ..

 

L’introduction situera le discours dans un contexte historique qui devra être très précis et évoquera notamment la formation d’avocat de l’orateur qui explique sa maîtrise des  procédés rhétoriques (l‘art de bien parler et de savoir s’adresser à un public de manière convaincante )  

Partie I   Un discours éloquent : comment Robespierre se sert-il des procédés oratoires pour créer un contrat avec le public et donner de al force à ses paroles ? 

Titres de sous- parties possibles à choisir selon les discours ..

a) les adresses au public : usages des pronoms le Je, le Vous, le Tu ..appel au devoir ..

b) les questions rhétoriques 

c) les impératifs : associés à des demandes exercées envers le public.. pensez aussi au  rôle des futurs 

d) les répétitions 

Partie II  Les procédés de la persuasion : comment l’orateur parvient -il à agir sur les sentiments du public ?  (les parties II et III sont interchangeables ) 

a) le vocabulaire dépréciatif 

b) le registre du blâme (les critiques de la royauté, de l’aristocratie, ..;les arguments ad hominem 

c) les valeurs morales : un homme au service du Bien , de la Vertu 

d) la vérité : un argument majeur de  Robespierre                                                             

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Partie III : L’art de convaincre en utilisant des raisonnements logiques 

a) le rôle des exemples 

b) arguments d’autorité , d’expérience, 

c) utilisation des liens logiques: cause, conséquence,connecteurs logiques et construction du discours 

d) le syllogisme 

La conclusion devra récapituler les procédés employés et donnera votre avis sur l’efficacité du discours ; cet homme politique avait des idées justes et ce qu'il souhaitait réformer peut sembler encore aujourd'hui important .. profitez-en pour rappeler le sort tragique de Robespierre et expliquez les raisons pour lesquelles il a été exécuté et jugé par l'Histoire . 

 

23. avril 2018 · Commentaires fermés sur Le dernier discours de Robespierre · Catégories: Première · Tags: ,

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 Au moment où il prononce ce discours, Maximilien de Robespierre n’est plus simplement un jeune avocat qui vient d’arriver à Paris ;  reconnu comme l’un des chefs des Jacobins, il est  déjà craint pour son extrémisme qui en fait un ennemi redoutable des révolutionnaires modérés ou hésitants et il  siège depuis peu  au Comité de Salut Public ; Redouté par beaucoup, on le considère comme l’un des grands dirigeants sous le régime de la Terreur, période tourmentée et sanglante qui suit immédiatement la révolution de 1789 et qui laisse voir une grande instabilité dans les institutions politiques .  Prononcé en juillet 1794,quelques jours seulement avant son exécution, ce texte est avant tout un plaidoyer pour l’oeuvre accomplie par la Révolution et un réquisitoire contre tous les adversaires de la Révolution; Robespierre souhaite qu’on le juge sur ce qu’il a tenté de faire et il justifie ses prises de décision par l’urgence de la situation politique . Voyons comment son intervention est construite .. il y justifie  , le plus souvent son action politique au nom de valeurs telles que la vérité et la Liberté et y montre ses adversaires sous un jour négatif comme des tyrans et des oppresseurs du Peuple; Il y prétend mener un combat qui le dépasse et nie toute forme d’ambition personnelle ; Il s’y montre comme le bras armé qui défend les intérêts du Peuple. Tyran malgré lui pour combattre la tyrannie: c’est là le paradoxe qui caractérise ces  “ultima verba”

Il s’agit avant tout de mettre le public de son côté et Robespierre va d’abord employer des techniques propres à tous les orateurs en jouant avec son public et en l’apostrophant à de nombreuses reprises ;

 I Un discours éloquent : créer un lien avec le public 

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1) les adresses au public : l’ami du Peuple

A la ligne 12, l’orateur s’adresse à la foule tout entière avec le mot Peuple qu’il répète ensuite à la ligne suivante : Il lui demande de se souvenir de ce qu’il a fait et emploie l’impératitf ici à valeur exhortation; L’impératif a également pour fonction de rythmer le discours et de créer des répétitions: souviens toi, l 12 et  l 14 ; le tutoiement est répété également aux lignes 13 et 14 ; Le Je qui est la personne dominante  dans l’élocution cède de temps en temps  la place au nous qui inclut ainsi le public : 24; 25 26 nous perdrions la patrie, la tyrannie règne parmi nous ; Dans son allocution, Robespierre ne cesse de s’adresser au peuple dont il se prétend l’ami et le défenseur : ta confiance et ton estime seront des titres de proscription pour tous tes amis ( l 20) . Le Tu marque ici à la fois une proximité et une complicité; Robespierre tent edu créer un lien fort avec l’auditoire de s’en faire un allié.

2) le jeu des répétition

 Le but des répétitions est de créer des rappels entre les différentes parties du discours , des échos sonores qui servent de points de repères auditifs pour l’auditoire . On retrouve également des répétitions avec sache16 et 17 ainsi qu’avec le verbe dire ; disons 26, 30 ; la répétition peut également affecter la structure des phrases : elle est alors moins visible mais on l’entend tout autant : toi que l’on flatte, que l’on craint et que l’on méprise : rythme ternaire ; Répétition de la subordonnée lignes 30 à 35   Qu’il existe une conspiration , qu’elle doit sa force à une coalition,  que cette coalition; que les ennemis de la république ; que les membres ; que la coalition (35 ) ; Cette cascade de subordonnées instaure un lien cause conséquence très fort entre les arguments développés par l’orateur . 

3) usage des questions oratoires 

L’emploi des futurs associés aux formes interrogatives des questions rhétoriques contribue également à ponctuer et à structurer cette prise de paroles de Robespierre : souscrivons nous , 24, révélerons -nous 26, dénoncerons -nous 27 .. il englobe le public dans sa prise de parole et l’implique ainsi fortement.

Tous ces procédés fréquents dans les discours contribuent à créer entre la foule et l’orateur un lien qui lui permet ensuite d’impliquer son auditoire dans la défense de la cause qu’il soutient. 

Ici il s’agit plus particulièrement d’attaquer ses adversaires et Robespierre emploie une stratégie volontairement offensive 

 II Les attaques : une stratégie très offensive 

1.  l’usage du lexique dépréciatif 

Pour déprécier ses adversaires et réduire leur valeur, on va les critiquer ostensiblement en utilisant , par exemple, des mots dépréciatifs tels que : Hommes pervers 2 , oppresseurs du peuple 9, tyrans, 10, 22, 19, 40  dictateur  24, scélérats, fripons l 44 ; On constate que ces insultes touchent essentiellement deux domaines ; tout d’abord celui de l’oppression politique avec les mots tyrans  et dictateurs qui sont les principales accusations lancées par Robespierre .  Ce sont celles qu’il emploie le plus souvent pour montrer les abus de pouvoir des aristocrates notamment ou de ces opposants .Un autre domaine revient souvent: c’est celui celui de la mauvaise conduit morale : en effet, Robespierre fait souvent allusion à ces ennemis comme à de mauvais hommes, des criminels:  Il les condamne ainsi pour leur absence de moralité. Ainsi le mot crime apparait à plusieurs reprises : ligne 7 carrière du crime, route du crime l 25 et dans sa conclusion: je suis fait pour combatte le crime l 40 qui donne ainsi de lui l‘image valorisante d’un justicier, d’un homme de bien qui combat le Mal . En effet, il s’agit pour Robespierre de se justifier sur le plan politique et donc de montrer qu’ en s’opposant à des criminels, il agit en homme de Bien au service du bonheur du peuple et de la Liberté. 

2. Le combat du Bien et du Mal : un combat éthique 

Le discours de Robespierre oppose ainsi volontairement et parfois au moyen d’antithèses le Bien au mal; Ces oppositions apparaissent sous plusieurs formes et  sont présentes dès le début du discours avec l 1 la première opposition entre les vices et les vertus . Face à ses détracteurs, Robespierre  se présente comme un homme pur et intègre qui doit combattre dans le voisinage impur d’hommes pervers; Cela revient à opposer sa droiture morale et sa pureté à la perversité des gouvernants qu’il combat ( l 2) ; Il indique d’ailleurs cherché lui aussi la ligne de démarcation entre le Bien et le Mal .( 6 )

3. Seul contre tous : la théorie du complot 

Au fur et à mesure de son réquisitoire , Robespierre se pose en victime et en homme seul face au reste du monde : à la ligne 10 il évoque la ligue des tyrans, image qui montre la force  de la coalition formée par  l’ensemble de ses adversaires  et montre qu’elle a beau jeu d’accabler un seul homme.  On a ainsi l’impression d’assister à un combat fortement déséquilibré. Il se présente également comme le seul ami du peuple , un homme qui s’élève pour “défendre ta cause et ta morale publique.” Il utilise également le mot horde ligne 43 pour montrer la force de ses adversaires ici implicitement comparés à des bêtes sauvages. A la ligne 31, il évoque également la coalitition criminelle et il détaille l’ensemble de ses ramifications ; il existe des traîtres selon lui partout ; Au sein de la Convention ( 31 ) dans le Comité de Sureté Générale ( 32 ) , dans les principaux bureaux et même au sein du Comité de Salut Public ( 33 ) Il évoque ainsi un vaste complot qui menace  et cherche , selon ses mots à “perdre les patriotes et la patrie “  l 34 . On peut entendr des accents de paranoïa dans cette manière de montrer des adversaires omniprésents qui l’encerclent et , en quelque sorte, le mettent à mort . Robespierre apparait ainsi comme une victime expiatoire qui paye de sa personne pour sauver la Révolution.

 En effet ,à la fin de son discours, l’orateur évoque sa mort prochaine  sans trembler et se proclame , une fois de plus du côté de la Raison  “que peut -on objecter à un homme qui a raison et qui sait mourir pour son pays ? ( 41) 

4. Devenir un tyran pour sauver la Patrie ? 

Seul face à ces forces menaçantes, Robespierre propose ce qu’il nomme  un remède contre le Mal , conservant ainsi l’allure , aux yeux du public , d’un sauveur de la Patrie. Il emploie le verbe épurer  à plusieurs reprises: on reste bien ici dans un contexte moral  car épurer signifie d’abord, ôter les parties impures, rendre pur . Il termine avec une tonalité particulièrement menaçante  en évoquant l’idée d’écraser ses ennemis ( 38 ) avec le poids de l’autorité nationale. On voit bien qu’il se sert de l’ Etat et du pouvoir conféré par ses fonctions pour entreprendre de terrasser ses ennemis ; C’est la définition même de la tyrannie : un pouvoir autoritaire et sans contrôle qui est donné temporairement à un homme pour sauver l’Etat de la ruine.  C’est ainsi que la plupart des tyrans ont justifié leur coup d’ Etat ou leur prise de pouvoir .On aboutit donc , de manière paradoxale à l’idée d’un tyran qui cherche à lutter contre la tyrannie des ennemis de la Patrie. La violence de l’affrontement  est suggérée au moyen de certains mots comme “empire des tyrans armé contre nous ” (22)  “chaînes “ qui entravent le Peuple ” et qui évoquent l’esclavage (15 )  “élever sur leurs ruines la puissance de la justice de la liberté ” image de la destruction d’un monde corrompu (38 ) . Robespierre conserve ainsi son image de combattant pour la liberté : il fait figure de Résistant contre l’Oppression et le Mal, qu’incarnent à ses yeux , ses ennemis . 

 Mais Robespierre ne se contente pas d’attaquer ses ennemis, il va également tenter d’imposer son raisonnement en utilisant des procédés rhétoriques qui ont fait leurs preuves . 

III  Un  raisonnement logique puissant 

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La force d’une argumentation repose la plupart du temps sur le choix et la valeur des illustrations et des citations; Robespierre convoque l’Histoire romaine et la figure d’un des plus grands orateurs de l’Antiquité: Cicéron, homme politique romain, issu de l’ordre équestre , qui combattit les privilèges des sénateurs et prit une part active contre la corruption des hommes politiques de son époque tourmentée elle aussi (premier siècle avant JC ) . Cicéron s’illustra notamment dans la lutte contre la concussion (crimes commis par des politiques dans le cadre de leurs fonctions ). Robespierre va donc tenter d’incarner un Cicéron de la révolution au service du Peuple et de la Patrie.

.1.  Robespierre, un nouveau Cicéron ? 

D’ailleurs il traite ses accusateurs de Verres et de Catalina , deux hommes politiques corrompus qui cherchaient uniquement à s’enrichir et qui, dans la rome antique, ont fait l’objet de deux célèbres mises en accusation menées par un avocat -magistrat qui s’appelait Cicéron. Robespierre fonde donc son raisonnement ici sur des arguments d’autorité en citant ces noms célèbres à titre d’exemples. Catalina fut jugé en 63 av JC pour avoir conspiré contre la République romaine ; Quant à Verrés, en tant que gouverneur de la Sicile, il fut accusé par la plupart des cités sous  son mandat,  de pillages, destruction d’oeuvres d’art et vols en tous genres; En face de lui, un jeune consul l’accusa et lui demanda de répondre de ses actes ad populum (face au peuple ) ; Marcus Tullio Cicero plus connu sous le nom de Cicéron  obtint un grand succès avec son réquisitoire contre Verres qui est aujourd’hui encore cité comme un modèle d’éloquence. Robespierre se met ainsi à la place du jeune consul romain et devient un nouveau Cicéron. Cette référence historique lui donne un peu de la gloire de son illustre modèle .

2. La force de la logique : des oppositions révélatrices 

Pour donner davantage de poids à ses arguments et à ses attaques, l’orateur construit des séquences fondées sur une organisation logique : il orchestre les oppositions en utilisant principalement les Mais et les au lieu de .. ; il rappelle tout d’abord les vilenies commises par les révolutionnaires   corrompus qui  se partagent la France comme un butin au lieu de la rendre libre et prospère (5 ) ; Robespierre insiste également sur l’opposition entre le passé et les promesses effectuées (naguère ) et la dureté  du présent : dés ce moment je leur lègue l’opprobre et la mort ; le châtiment qui frappe les oppresseurs apparaît ainsi nécessaire et justifié  car lié à une promesse que Robespierre va s’efforcer d’honorer . Il rappelle qu’il s’agit de son devoir de mourir “en défendant la cause du genre humain ” (11 ) .

Lorsqu’il s’adresse au Peuple, il précise qu’on le traite en esclave alors qu’il devrait être souverain reconnu (15 ) et montre que ce sont les passions des magistrats qui règnent au lieu de la justice (15 ) 

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Il orchestre ses propos en fabriquant un jeu de questions -réponses dans le troisième paragraphe . Il répond ainsi à chacun des questions au moyen d’hypothèse alarmistes qui peignent un futur catastrophique :  “Nous perdrions la Patrie ” .  Le futur et le conditionnel  caractéristiques de ce qu’on nomme dans les discours le ton prophétique sont employés pour décrire un avenir sombre . Robespierre ici est un messager qui prédit des catastrophes s’il n’est pas suivi . Il  évoque ainsi  les conclusions de son raisonnement ligne 39 .;  j’en conclurai donc .. et  termine en précisant que le temps n’est point arrivé (42 )  pour assurer la victoire de  ses idées. 

En conclusion, il s’agit ici d’un discours particulièrement éloquent dans lequel l’orateur , au seuil de sa condamnation, jette ses dernières armes dans une bataille de mots et une bataille d’idées où il se sait d’ores et déjà perdant. Il apostrophe le Public et tente de créer une solidarité avec lui et invective ses adversaires en démontrant que ce sont des bandes de criminels qui se propagent dans tous les organes de l’Etat .Il parait seul contre tous et se pose dans le rôle d’une victime qui fait son devoir: celui de se sacrifier pour le Peuple. Il apparaît ainsi comme une sorte de Justicier qui est prêt à mourir pour une cause qui lui semble juste; l’Histoire jugera sévèrement cet homme qui a commis de nombreux crimes et il semble paradoxal qu’il soit devenu un tyran dans la Mémoire collective alors que toute sa vie il a semblé lutter contre les tyrans de son époque. 

22. avril 2018 · Commentaires fermés sur Epilogue de Cris · Catégories: Première · Tags:
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Le roman se termine  un peu comme il a commencé , avec la voix de Jules qui est la dernière à se faire entendre, la voix du porte-paroles de tous les soldats morts, la voix du survivant qui a fui la guerre. Quel sens donne ce final au roman et quel rôle y joue le personnage ? Pour répondre à ces questions, il faut d’abord rappeler ce qui s’est passé pour ce personnage, quelles ont été les étapes principales de son parcours. 

Jules ne cesse de courir depuis qu’il a fui le théâtre de la guerre. D’abord combattant, il a choisi de ne pas regagner le front et de poursuivre le combat sous une autre forme, en transmettant à l’arrière les paroles des soldats disparus, Il fait donc revivre le souvenir des morts par ses paroles adressées à la foule des villageois; Mais ces derniers le rejettent violemment , s’en prennent à lui , le traitent de fou et de déserteur et il est forcé de s’enfuir pour ne pas être lapidé. Le passage s’ouvre sur la course de Jules et on retrouve sa détermination “ je sais où je vais ” j’ai compris ce que voulait le gazé” ; Depuis le début du roman, il est en marche, en mouvement : d'abord marcheur silencieux, il ne parle à personne et garde la tête baissée sur la foule de ses camarades  condamnés . Ensuite dans le train, il saute car il a conscience qu'il lui faut emprunter d’autres chemins ; Il a bien du mal à se remettre debout et c’est lourdement qu’il se remet en marche.Poursuivi par des voix qui sifflent dans son dos, il accélère te se met à courir avant de comprendre qu’il doit les emmener là où il va.mais comment va t-il faire entendre toute ces voix ? désireux de ne pas rester sur l’échec de sa parole, il imagine alors un dernier moyen de transmettre la mémoire des cris des hommes.

Comment le travail artistique est-il décrit dans cet épilogue ? 

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1. Faire oeuvre de mémoire : répondre à une demande intérieure, à une nécessité

Jules n’agit pas en son nom mais pour ses camarades : cette dimension altruiste de l’art est mentionnée fréquemment. L’artiste obéit à une demande impérieuse qui provient des soldats : “ je leur ferai à tous une stèle vagabonde” Lorsqu’une statue est terminée, une voix s’apaise en lui comme si elle acceptait l’offrande de ce témoignage mais des voix aussitôt la remplacent  “sa voix s’est tue dans mon esprit”  (40) “mais une autre voix  a pris la place de la sienne”  Une à une les voix s’apaisent mais il en revient toujours ” ( 64). L’ art apparaît comme une réponse à un besoin impérieux de rendre compte de quelque chose d’important qu’il est nécessaire de conserver . L’artiste best ainsi investi d’une mission qui le dépasse et il apparaît comme un vecteur au service d’une entreprise collective. Gaudé souligne peut- être ainsi qu’un homme seul peut difficilement venir à bout d’une telle entreprise et que l’artiste se sent souvent impuissant ou démuni face à la tâche à accomplir.

C’est une vague immense que rien ne peut endiguer” : la métaphore de la vague déferlante est la même que celle qui a été utilisée pour rendre compte de la violence des assauts sur le champ de bataille. 

2. Construire une trace

Le roman peut se lire comme une tentative de restituer la multiplicité des voix et à l’intérieur de ce roman, Jules représente le créateur, l’artiste qui va donner vie ; il est donc la mise en abîme du romancier et de son travail . Les termes répétés “se mettre à l’oeuvre” (l 3/4) , commencé mon travail (10) ne pas ménager sa peine , travailler sans relâche ”  (12) “travaillé toute la nuit “34  “je vais travailler”  (58) soulignent tous la difficulté de l’acte de création artistique et l’importance du travail ; l’oeuvre nécessite un labeur parfois source de douleur et de nombreux artistes développent ce thème de la douleur de la création.

3 Jules ou le marathon du créateur :  savoir surmonter ses échecs

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Cette douleur n’est pas seulement liée à l’ampleur de la tâche : “Tous les carrefours. Toutes les places . Le long des routes ; partout ” , (47). L’artiste s’impose véritablement un travail colossal : “je couvrirai le pays de mes pas” , ” j’ai des routes entières à peupler ”  ( 58) à la mesure de ce qu’il doit accomplir. La difficulté de l’artiste provient également des choix artistiques qu’il doit effectuer ; Quel media utiliser pour être entendu ? poésie, théâtre, essai, roman ? quelle langue est à même d’être la mieux comprise ?  quelle forme donner au texte ?  Pour répondre à ces questions , l’artiste tâtonne et doit apprendre de ses erreurs : ” je ne ferai pas deux fois la même erreur” explique Jules (l 7) . Il se met à l’ écoute et  laisse parler les voix ‘l 44 ; Il renonce aussi à s’exprimer avec sa propre voix : on peut sans doute y lire un refus d’une expression personnelle  ou d’une forme de témoignage direct d’événements vécus. Le détour par la fiction, la création d’un roman permet la médiation  et la transformation à partir de laquelle l’oeuvre artistique permet de renvoyer au monde dont elle est extraite . Ainsi Jules déclare “Je ne parlerai plus. La pluie de pierres m’a fait taire à jamais. ” (l 54) . Il va donc devenir sculpteur et offrir aux villageois les statues pétrifiées des soldats morts. 

4. L’artiste montreur d’ombres 

Jules doit trouver le moyen de faire partager son expérience et de la rendre accessible au plus grand nombre , à ceux qui ne la connaissent pas. L’art est donc conçu sous la forme du partage ; le sculpteur donne ses stèles en offrande et retrouve les gestes symboliques comme  “s’agenouiller par terre ” (10)   ” donner corps” “modeler “donner un visage ” Comme le disait Rimbaud, le poète donne une forme à ce qui n’en a pas encore . Jules crée à partir de la terre un peu comme Dieu a créé l’homme à partir de la glaise et les gestes du créateur donnent vie à ce qui n’existait pas . Il construit à partir “d’ un grand corps de boue informe ” et le transforme en “stèle ” en “témoin de son passage ”  Cette longue colonne d’ombres  ( v 55)  est offerte aux regards. Il est devenu “les mains de la terre“.  Cette image rend concrète le travail  de création artistique :

5. L’art comme réponse à l’oubli : vaincre la mort 

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Beaucoup d’artistes évoquent leur postérité en disant qu’il ont laissé des traces de leur passage sur terre et que leurs oeuvres témoignent de ce qu’ils furent mais dans cet épilogue, Jules est surtout préoccupé par le fait de rassurer ses camarades : “je voudrais lui dire qu’il peut se rassurer ” à propos du gazé qui craignait de mourir seul (l 3) Il s’adresse même directement aux morts : “Calme-toi le gazé. Tu peux te taire maintenant et mourir car, par cette statue embourbée dans la terre, tu cries à  jamais. ”  Il va proposer des souvenirs , sous la forme de statues pétrifiées “d’ une terre où l’on meurt” (70) Et ces statues demeureront à jamais les visages de leur mort et retranscriront leur douleur , non pas dans des cris , mais bouche bée (73) Le roman se termine sur cette expression d’un cri infini, qui ne s’entend pas mais que l’on devine et qui ne prend jamais fin . Au lieu d’entendre les cris de ces hommes, on les voit au moment où leur bouche s’est ouverte pour crier. L’art est donc un matériau fixateur qui permet de revivre indéfiniment cette sensation du soldat qui rencontre la mort dans “le grand incendie des tranchées” (40) . 

6. Le roman comme sculpture 

Jules est d’abord un soldat mais il doit s’extraire du théâtre de la guerre pour pouvoir témoigner : ce départ volontaire peut être vu comme une forme de désertion (ce que s’empressent de penser les villageois à l’arrière) mais il montre que pour créer, il faut prendre ses distances avec l’événement. Tout récit est forcément un différé . Gaudé a choisi de faire de Jules un sculpteur ; On peut s’interroger sur ce choix ; Il s’agit d’abord de celui de la simplicité car le matériau que va employer Jules est à sa disposition: c’est la terre , celle des tranchées, celle des champs de bataille qui va devenir la matière de son oeuvre; L’artiste est celui qui est capable d’utiliser la matière même de ce qu’il veut transmettre pour créer. Les traces de la  guerre se lisent  “jusqu’au plus profond de la terre “ comme le rappelle , par exemple, M’Bossolo et les soldats craignent d’être happés par la boue des tranchées. D’ailleurs les statues se présentent comme émergent tout juste de la terre ” s‘appuyant de toute ta force de ses bras sans que l’on sache si c’est pour s’extraire de la boue ou ne pas y être absorbé.” (l 27) . De plus, la terre rappelle l’oeuvre créatrice de Dieu et le geste du sculpteur rappelle les monuments aux morts qui ont fleuri dans les villages après la fin de la guerre. La sculpture également peut faire référence à l’importance de la composition  et de la forme du roman avec les voix entremêlées et l’image finale : le romancier devient un sculpteur de mots, à l’image du poète; Il doit chercher une forme avec des mots . 

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Les Anciens disaient déjà  “verba volant scripta manent”  ( les paroles s’envolent les écrits demeurent ) pour inciter les artistes à témoigner par l’écriture et pas seulement par les chants ou la parole de ce qui leur semblait important . Gaudé franchit une étape supplémentaire dans la précision de  la mission de l’artiste en imaginant ce personnage de Jules qui cherche le meilleur moyen de témoigner de ce qu’il a vécu à la guerre. L’artiste est d’abord celui qui s’exprime au nom des autres , pour leur donner une voix, un corps et pour qu’on ne les oublie pas. Ainsi, il joue un rôle sacré car il apaise les souffrances des disparus et fait taire leurs plaintes en les rendant visibles, palpables et présentes à l’esprit de celui qui lit. L’ art et les mots rendent présentes et éternelles les souffrances des soldats mais on ne doit pas chercher à les faire partager trop vite simplement il faut les faire voir. Ainsi les témoignages des horreurs de la guerre ne peuvent être partagés dans le temps de l’événement lui-même , seulement a posteriori quand la boue des statues a séché et qu’elles révèlent des ” visages de cratère et des corps tailladés ” Tout au long du  roman, l’écrivain montre ainsi la difficulté de son entreprise et sa détermination à réussir à nous faire entendre un peu les cris des hommes dans la guerre. 

22. avril 2018 · Commentaires fermés sur La guerre de Troie : tragédie moderne ou drame antique ? · Catégories: Première · Tags:

Ecrite en 1935, la pièce s’inspire d’une guerre tragique , mythique mais a pour fonction essentielle de fair prendre conscience aux spectateurs des enjeux de son époque et de l’imminence d’un nouveau conflit mondial . Comment Giraudoux choisit-il d’ordonner la matière dramatique afin de la présenter au public de son temps ? que conserve-t-il de la tragédie antique et comment renouvelle-t-il la tradition théâtrale ? 

Giraudoux divise sa pièce en deux actes seulement contrairement aux 5 actes de la tragédie classique mais il obéit, en apparence, aux règles de l’unité de lieu et de l’unité de temps: tout s’accomplit dans la même ville, Troie, en moins en vingt-quatre heures. L’auteur a donné une structure fermée à son drame , puisque l’action n’attend aucune suite après la fin de la dernière scène ; il a également choisi une structure circulaire: la première phrase que déclare Andromaque quand le rideau se lève n’aura sa réponse que vers la fin de la pièce, quand la catastrophe est irrémédiable. A la question qu’Andromaque pose à Cassandre lorsque le rideau se lève, c’est Hector qui répond dans la dernière scène :  « La guerre de Troie n’aura pas lieu Cassandre ».. Hector en personne répond :  «  Elle aura lieu, Andromaque. » Mais Giraudoux a su maintenir l’espoir jusqu’au bout:

Le premier acte apparait comme un acte d’exposition, où les scènes s’enchainent selon l’esthétique traditionnelle de la tragédie classique. Comme chez Racine, le rideau se lève sur une crise: Hélène a été enlevée, un envoyé grec vient la réclamer la guerre menace. Toute l’action de la pièce est subordonnée au personnage d’Hector. Elle se déclenche avec l’arrivée du général troyen et sa décision de rendre Hélène aux Grecs. Elle progresse à la scène IV, où Hector obtient de Paris, le principal intéressé, qu’il s’en remette à Priam. Une nouvelle étape est franchie quand Hector, en présence de Priam et des bellicistes hostiles (scène VI), fait accepter à Paris le départ d’Hélène. Enfin, le dernier événement important de l’acte premier : Hector convainc Hélène, l’autre principale intéressée, de retourner avec son mari. Peu de temps, perdu, en somme : les scènes de «pause», où Giraudoux nous met au courant des situations, nous renseignent sur la psychologie des personnages ; les idées qu’ils défendent, ou qu’il défend à travers eux, n’entravent pas la progression d’une action qui se suit facilement. Le dramaturge pourtant prend soin de ménager des pauses dans l’action dramatique : au début de l’acte II; l’action se relâche (scène I, II, III) avant de se développer avec la contre-attaque des bellicistes (scène IV),et la pression brutale d’Hector contre les bellicistes, qui s’achève par la fermeture des portes de la guerre.

Avec la plus grande habileté, Giraudoux crée en nous une attente et nous prépare à vivre avec l’arrivée des Grecs les derniers moments d’une action qui ne va cesser de s’accélérer. À partir de la scène IX,s’élargit  le conflit s’élargit et se déroule désormais entre Grecs et Troyens. Les événements se succèdent : Hector, fidèle à sa politique doit surmonter l’obstacle Oiax (scéne IX), puis, plus difficile encore, l’obstacle Ulysse, puis l’obstacle Demokos, (scéne X). Au moment où nous respirions enfin, un coup de théâtre se produit ; Oiax d’abord, Demokos enfin en mourant, remettent en question la victoire d’Hector, la guerre de Troie aura lieu.

La guerre de Troie n’aura pas lieu», est plus une tragédie philosophique, qu’une tragédie psychologique. Cependant, les personnages sont suffisamment typés et différenciés pour avoir du relief .

On va les classer, suivant une métaphore de Giraudoux, sur deux plateaux d’une balance. L’un d’eux représentera la paix, l’autre la guerre. Les poids vont s’équilibrer, l’aiguille se balancera hésitante á droite et á gauche, mais une force absurde va incliner finalement la balance du côté de la guerre.

Pour la Paix : Hector-Andromaque. Hécube Paris, Oiax_

Pour la guerre : Demokos. .Priam.Les vieillards Troyens.

Instrument du Destin : Hélène

Le couple Andromaque-Hector, dans la piéce de Giraudoux, joue le role d’un seul personnage, le défenseur le plus acharné de la paix, dont l‘opposé est Demokos, un poète qui ne veut que lancer son peuple à la guerre qu’il cherche toujours á provoquer. 

Le couple Andromaque-Hector, va nous montrer plusieurs aspects de leur vie au fur et à mesure que les scènes se déroulent .Ils vont nous faire des confidences sur leur amour, leurs soucis pour l’avenir du fils qui va naitre bientôt, leur relation avec la famille. Ce sont deux êtres humains que Giraudoux a caractérisés et qui sont son porte- parole, tandis que Demokos n’est qu’une caricature comique du fanatisme nationaliste. Le dramaturge souligne également le danger des mots et notamment de la poésie qui , en temps de guerre , est parfois utilisée pour la magnifier et la rendre attirante; Giraudoxu cherche à montrer le vrai visage de la guerre, un visage nu et sans fard. 

Le deuxième plan est occupé par le couple Hécube-Priam, deux personnages entre lesquels s’établit une relation d’opposition puisqu’ils sont les défenseurs de deux causes contraires. Giraudoux se sert aussi d’Hécube pour nous transmettre son opinion sur les faits qui se succèdent. Cette femme va être un personnage bien plus complet que celui de son mari,

Sur le troisième plan se placent des personnages qui n’ont pas une trajectoire définie, et se laissent influencer facilement par les événements. D’une part, Paris, le premier obstacle d’Hector pour réussir la paix, mais une fois surmonté, il collabore inconditionnellement avec son frère. Oiax, va réagir de la même façon face à Hector. D’autre part, les vieillards troyens, dont la faiblesse est manifeste. Tous ces personnages ne sont que des éléments représentatifs d’une ville. Giraudoux les a rassemblés sur la scène, pour donner une vision des différentes attitudes adoptées face à la guerre. 

II ne nous reste qu’un dernier personnage à classer: la ville de Troie, le témoin de cette catastrophe. C est un personnage collectif que Giraudoux a scénifié au moyen de ses habitants: le géomètre, les gabiers de Paris, les servantes, Troïlus, Abnéos, ils n’ont que cette valeur: être les témoins de l’action que nous allons analyser en reprenant la métaphore de Giraudoux. Ils représentent, en quelque sorte,  le personnage collectif du choeur dans les tragédies antiques 

Contrairement à la tragédie classique, Giraudoux ne respecte pas l’unité de ton et les passages poétiques en style soutenu voisinent avec les injures comiques . De plus, il réutilise comme le faisait Racine, la matière historique, ici mythologique , mais sous une forme qui s’apparente à la parodie . Toutefois,comme le faisait également Racine avant lui, trois siècles plus tôt Giraudoux a recours à la matière historique afin de provoquer un effet de distanciation, d’éloignement, des préoccupations contemporaines du public ; Cependant, tous les éléments ramènent le spectateur de 1935 au contexte politique de tensions internationales. C’est le paradoxe de cette distanciation théâtrale.

A la différence de Racine qui a choisi le point de vue des conséquences catastrophiques de la guerre en présentant Andromaque captive du fils d’Achille et qui cherche à raviver le souvenir de son peuple défunt et vaincu, Giraudoux a choisi lui de dévoiler l’avant-guerre, cette période d’incubation du conflit où on le voit grossir , s’éloigner pour finalement éclater sous nos yeux en dépit de tous les efforts d’Hector. 

21. avril 2018 · Commentaires fermés sur La guerre de Troie aura-t-elle lieu ? · Catégories: Première · Tags:

Le titre choisi par Giraudoux en 1935 peut sembler énigmatique mais la plupart des spectateurs connaissent l’histoire de la guerre de Troie; l’utilisation du mythe permet d’instaurer une sorte d’attente tragique et de mesurer avec précision la progression de la fatalité qui va frapper , ainsi que le suggère la métaphore menaçante du tigre qui rôde. Voyons comment le dramaturge exploite ce thème de la menace imminente de la guerre. Etudions les forces en présence ..dans chaque camp et voyons quels arguments sont opposés ..

Bellicisme et Pacifisme dans La Guerre de Troie n’aura pas lieu

La Guerre de Troie n’aura pas lieu de Jean Giraudoux a paru en novembre 1935, après huit mois de gestation puisque le dramaturge a conçu le projet de sa pièce en avril 1935. Elle est mise en scène pour la première fois au théâtre de l’Athénée par Louis Jouvet le 22 novembre 1935. Le spectacle a été applaudi, et la pièce a été représentée plus de 190 fois en moins d’une année.

La pièce s’nscrit dans une longue tradition qui consiste à créer un spectacle évoquant des faits d’actualité, à partir d’un mythe antique. De fait, en recourant au mythe de l’Ilion, ancien nom de Troie, Giraudoux a pu mettre en relief la problématique de la guerre et de la paix, qui correspond à l’une des grandes questions des années 30.L’analyse du conflit entre les bellicistes et les pacifistes nous permettra de mettre en avant le parti pris de Giraudoux, en comparant les qualités d’un représentant-modèle des pacifistes (Hector) à celles d’un représentant- modèle des bellicistes (Demokos / Oiax )

I- Le mythe de la guerre de Troie

C’est L’Iliade, épopée grecque attribuée à Homère comme L’Odyssée, composée de 15537 vers et divisée en 24 chants, qui relate le mythe de la guerre de Troie. L’enlèvement d’Hélène, l’épouse du roi de Sparte Ménélas, par le prince troyen Pâris est à l’origine du conflit entre les Troyens et les Achéens. Soutenu par Aphrodite qu’il a déclarée plus belle que les deux autres déesses Héra et Athéna, Pâris refuse de rendre Hélène aux Grecs. Pour sauver leur honneur et répondre à l’offense troyenne, les Grecs assiégent la cité d’Hector. Commandés par Agamemnon, les plus vaillants des Achéens sont Achille, Ménélas et Ulysse. Quant aux Troyens, ils ont pour chefs Hector et Anchise. Après 10 ans de siège, les Grecs occupent Troie, grâce à la ruse du cheval, gigantesque construction en bois cachant des guerriers, qui, pénétrant dans la ville, en ouvrent les portes à leurs compagnons d’armes. Ainsi, Ilion est incendiée, ses hommes massacrés et ses femmes réduites à l’esclavage.Inspirée de l’Iliade, La Guerre de Troie n’aura pas lieu entretient cependant un double rapport avec l’épopée homérique. Dans Le Figaro du 21 novembre 1935, Giraudoux note à propos de ses personnages :

Je les prends avant qu’ils soient entrés dans la légende, alors qu’ils sont encore « inemployés », que personne n’a parlé d’eux, même pas Homère

Le titre de la pièce suggère également que l’histoire de La Guerre de Troie n’aura pas lieu est une histoire d’avant-guerre, qui met en scène un conflit d’arguments qui précède le conflit des armes.

II- Le conflit entre les bellicistes et les pacifistes

Le conflit entre les bellicistes et les pacifistes est au centre de la pièce. De fait, on distingue deux clans;Les pacifistes sont regroupés autour des acteurs suivants : Hector, Andromaque, Hécube, la petite Polyxène et Pallas. Les bellicistes sont plus nombreux : Pâris, Priam, les vieillards dont Demokos et le géomètre, les prêtres, Oiax et Aphrodite. A l’exception d’Hector, les partisans de la paix sont des personnages féminins. Par contre, les partisans de la guerre sont essentiellement des personnages masculins.

Si nous écartons les personnages féminins, on peut remarquer que le pouvoir militaire, qui est représenté par Hector, défend la paix, alors que le pouvoir moral, qui est représenté par les vieillards, fait l’apologie de la guerre. Hector parle au nom de toute l’armée dont il est le chef, et affirme que les soldats qu’il a ramenés haïssent la guerre, et que tous ceux des Troyens qui ont fait et peuvent faire la guerre n’en veulent plus. En revanche, Priam parle au nom de tous les vieillards, qui, éloignés du combat, doivent servir « du moins à le rendre sans merci ».

Bien qu’il représente le pouvoir militaire, Hector s’oppose à la guerre, et réclame que « la seule tâche digne d’une vraie armée [est] de faire le siège paisible de sa patrie ouverte ». Dans la scène III de l’acte I, qui correspond à une scène de retrouvailles, les paroles d’amour et de tendresse font défaut, car Andromaque et Hector sont désemparés par l’arrivée menaçante des flottilles grecques. Evoquant l’évolution de son attitude à l’égard de la guerre, Hector affirme d’abord que le combat a longtemps signifié pour lui « la bonté », « la générosité », « le mépris des bassesses », « l’ardeur », « le goût à vivre », « la noblesse » et parfois « la sensation de devenir Dieu ». Cette image glorieuse a perdu progressivement à ses yeux tout son éclat, parce que son expérience lui a appris que son adversaire n’est pas forcément son contraire, qu’il est plutôt son « miroir », et que la mort qu’il lui donne est une sorte de « petit suicide ».

La troisième forme d’opposition entre les pacifistes et les bellicistes concerne leurs attitudes respectives à l’endroit d’Hélène. Les partisans de la paix considèrent Hélène comme une femme ordinaire. Dans la scène VI de l’acte I, Priam et Demokos sont déçus par l’indifférence d’Hector : Je vois une jeune femme qui rajuste sa sandale (…). Je vois deux fesses charmantes.Par contre, les partisans de la guerre sacralisent Hélène. Selon le géomètre, Hélène est la seule mesure de l’espace et de l’univers :C’est la mort de tous ces instruments inventés par les hommes pour rapetisser l’univers. Il n’y a plus de mètres, de grammes, de lieues. Il n’y a plus que le pas d’Hélène, la coudée d’Hélène, la portée du regard ou de la voix d’Hélène, et l’air de son passage est la mesure des vents”.Pour Priam, Hélène est le symbole de l’« absolution », car elle inspire à tous les pécheurs, à ceux qui ont volé et à ceux qui trafiquaient des femmes, qu’ils peuvent se soustraire à leur péché et gagner le pardon. Quant à Demokos, il la considère comme une source d’inspiration. Hélène symboliserait alors les muses et remplacerait le Parnasse du poète

Les opinions des bellicistes et des pacifistes à propos de la paix et de la guerre sont absolument contradictoires. Les bellicistes mettent en relief une image négative de la paix. Priam pense que la paix représente une forme de dépravation, et une source de culpabilité, parce qu’elle fait des hommes des êtres « veules, inoccupés et fuyants », et qu’elle décourage les guerriers, qui doivent au contraire témoigner de leur vigueur en combattant et de zèle dans la défense de leur patrie. Dans la scène V de l’acte II, il dénonce la paix comme un poison susceptible de mettre Troie en danger :Hector, songe que jeter aujourd’hui le mot « paix » dans la ville est aussi coupable que d’y jeter un poison.

En revanche, les pacifistes célèbrent une image positive de la paix. Pour Andromaque, la paix est la plus noble des valeurs, car elle exprime l’entente entre les hommes. Contestant l’argument avancé par Priam, selon lequel la paix fait des hommes des êtres lâches et sans mérite, elle chante les exploits de la chasse :” Aussi longtemps qu’il y aura des loups, des éléphants, des onces, l’homme aura mieux que l’homme comme émule et comme adversaire. Tous ces grands oiseaux qui volent autour de nous, ces lièvres dont nous les femmes confondons le poil avec les bruyères, sont de plus sûrs garants de la vue perçante de nos maris que l’autre cible, que le cœur de l’ennemi emprisonné dans sa cuirasse.” Hector considère la paix comme une nécessité, pour que l’armée victorieuse qu’il guide, et qui revient épuisée de son combat contre les Barbares, puisse savourer la chance de se reposer.

Par ailleurs, les bellicistes représentent une image euphorique de la guerre. Symbolisant le chemin obligé de l’immortalité, elle transforme les hommes en véritables héros, et correspond à la forme suprême du patriotisme, comme le dit Demokos : La lâcheté est de ne pas préférer à toute mort la mort pour son pays.Refusant l’image traditionnelle de la guerre, dont il pense qu’elle « doit être lasse qu’on l’affuble de cheveux de Méduse et de lèvres de Gorgone »,1 Demokos propose de la comparer à Hélène, pour la réhabiliter et lui restituer sa propre beauté.Contrairement à Demokos qui chante le visage radieux de la guerre, Hécube en dénonce la laideur :Quand la guenon est montée à l’arbre et nous montre un fondement rouge, tout squameux et glacé, ceint d’une perruque immonde, c’est exactement la guerre que l’on voit, c’est son visage.”

Dans son discours aux morts, qui correspond à une parodie d’un véritable monument aux morts, Hector n’hésite pas à offenser les guerriers tués dans le combat de Troie contre les Barbares :”La guerre me semble la recette la plus sordide et la plus hypocrite pour égaliser les humains et (…) je n’admets pas plus la mort comme châtiment ou comme expiation au lâche que comme récompense aux héros.”

Ce qu’il faut retenir, au-delà de l’opposition entre les bellicistes et les pacifistes, c’est l’attitude originale d’Andromaque. De fait, à partir de la scène VIII de l’acte II, bien qu’elle continue à adorer la paix, Andromaque semble s’éloigner de plus en plus des pacifistes, et se rallier à un autre clan non moins important. Représenté par Cassandre et Ulysse, ce troisième clan considère la guerre comme une fatalité inéluctable.

L’évolution de l’attitude d’Andromaque pose la problématique de la fatalité. Définissant la guerre comme un « fatum », Cassandre et Ulysse postulent la suprématie du « destin ». Dans la scène I de l’acte I, Cassandre affirme que le destin, qu’elle définit comme « la forme accélérée du temps », et qu’elle représente métaphoriquement grâce à l’image du « tigre », veut que la guerre entre Troyens et Achéens ait lieu. De même, dans la scène des négociations entre Hector et Ulysse, ce dernier remarque que les Troyens ont outragé le destin, que « l’insulte au destin ne comporte pas la restitution »,et que l’univers, autre appellation du destin, sait bien que Troyens et Grecs vont se battre. Pour ne pas décevoir Hector qui s’accroche à la paix, Ulysse consent pourtant à « aller contre le sort », et à ruser contre lui, en acceptant la remise d’Hélène.

III- L’attitude du dramaturge

Dans le conflit qui oppose les partisans de la paix aux partisans de la guerre, Giraudoux semble plus favorable aux pacifistes. Outre la dichotomie, « jeunesse / vieillesse », Giraudoux présente une image ridicule des vieux belliqueux. Dans la scène V de l’acte I, il met en avant le comportement honteux des vieillards, qui, malgré leurs « poumons besogneux », ne cessent de descendre et de remonter par « des escaliers impossibles », pour voir et acclamer Hélène. Les vieillards, qui doivent être le symbole de la retenue et de la circonspection, sont ici tournés en dérision par le dramaturge, à cause de leur conduite indécente. Giraudoux brosse aussi une image foncièrement négative de Demokos et d’Oiax, qui sont les représentants du bellicisme par excellence. Oiax est tout à fait le contraire de son modèle primitif, le noble Ajax, qui dans l’Iliade est le plus vaillant après Achille. « [Le] plus brutal et le plus mauvais coucheur des Grecs »,32 Oiax n’est qu’un semeur de « scandale et de provocation », comme le suggère sa bruyante entrée en scène. En effet, « Oiax entre en criant », et à la question d’Hector qui lui demande ce qu’il voudrait, il répond : « la guerre ».De même, la scène finale le montre en train de faire la cour à Andromaque, qu’il veut « embrasser; Le poète Demokos est aussi représenté comme un agitateur en parallèle avec son ennemi Oiax. Ainsi, au moment où Hector semble triompher de ses adversaires et assurer la paix, Demokos entre en criant et en ameutant la foule des Troyens. N’hésitant pas à mentir, en prétendant être blessé mortellement par Oiax, il est à l’origine de la guerre de Troie.

Le regard des autres personnages insiste davantage sur les travers de Demokos, comme le suggère cette réplique de Pâris : Tu es lâche, ton haleine est fétide, et tu n’as aucun talent. Pâris qualifie également Demokos de « vieux parasite » et de « poète aux pieds sales ». Plus agressive, Hécube déshumanise Demokos, en le rapprochant d’un vautour et d’un serin, et en le considérant comme l’incarnation de « la bêtise, la prétention, la laideur et la puanteur ».

En revanche, le défenseur de la paix, Hector, semble réunir toutes les qualités et tous les mérites du héros. Guerrier valeureux, vainqueur du combat contre les Barbares, Hector est avant tout un fin tacticien. S’il réclame la paix, c’est, entre autres, parce que son armée a besoin de repos :Père, mes camarades et moi rentrons harassés. Nous avons pacifié notre continent pour toujours. Nous entendons désormais vivre heureux…Faisant preuve d’une extraordinaire endurance, il supporte les attaques insolentes d’Oiax, défie la volonté de toute la cour de Priam, et parvient à convaincre Ulysse et à s’assurer sa complicité. Aussi franc qu’Ulysse, il refuse la complaisance, démasque les bellicistes, qui veulent faire la guerre pour une femme, en prétendant se battre pour le symbole de la beauté, et dénonce la cérémonie vouée aux morts comme une infâme supercherie : Un discours aux morts de la guerre, c’est un plaidoyer hypocrite pour les vivants, une demande d’acquittement.

Malgré toutes ses qualités, Hector est le héros d’une seule faute, qui suffit pourtant à rendre la guerre inévitable. En tuant Demokos, il a offert à ce poète l’occasion de prétendre être blessé par Oiax, dont l’assassinat provoque la guerre.

La double image négative du poète troyen Demokos, et du chef grec Oiax, et l’image positive d’Hector dénotent que Giraudoux prend parti contre les bellicistes. 

IV- La dimension historique

Les multiples anachronismes qui jalonnent La Guerre de Troie n’aura pas lieu permettent de déplacer l’action de l’antique Troie du XIIe siècle avant Jésus-Christ à l’Europe de l’entre-deux guerres. Dans la scène VI de l’acte I, Pâris compare le rapport oppositionnel entre les pacifistes et les bellicistes à un conflit bourgeois : Cette tribu royale, dès qu’il est question d’Hélène, devient aussitôt un assemblage de belle-mère, de belles-sœurs et de beau-père digne de la meilleure bourgeoisie.L’emploi anachronique du terme « bourgeoisie » suggère combien la pièce est liée à l’actualité des années 30. Les références aux années 1914-1918 sont multiples. La réplique d’Andromaque, « (…) il m’a juré que cette guerre était la dernière »,renvoie à l’attitude des Européens qui ont longtemps espéré que la première guerre mondiale serait « la dernière des dernières ». En affirmant que son fils ne serait pas lâche, mais qu’elle lui aurait coupé l’index de la main droite, Andromaque évoque aussi une pratique répandue chez les poilus qui recourent volontiers à des mutilations pour se faire réformer. Les propos de Demokos, « Tu veux dire les médailles, les fausses nouvelles», font allusion, à certains communiqués de la guerre de 1914-1918, et particulièrement à l’empoisonnement des esprits par la propagande pendant la bataille de la Marne. Demokos fait également allusion aux associations d’anciens combattants qui sont fondées après la guerre de 1914-1918, lorsqu’il s’indigne qu’il soit « impossible de discuter d’honneur avec [les] anciens combattants ».De même, les références à l’actualité de 1935 sont nombreuses. Le discours de Demokos, « Et c’est de bon augure que ce premier conseil de guerre ne soit pas celui des généraux, mais celui des intellectuels », évoque l’engagement des intellectuels français dans les années 30.

Dans la scène XIII de l’acte II, l’attitude d’Ulysse qui explique à Hector la vanité des négociations peut être interprétée comme une allusion aux conférences de Locarno en 1925 et de Stressa en 1935, qui ont eu lieu à Genève, le siège de la Société des Nations. La réplique d’Ulysse, « Le chemin qui va de cette place à mon navire (…) est long comme le parcours officiel des rois en visite quand l’attentat menace », renvoie probablement à l’attentat de 1934 dont sont victimes Louis Barthou et le roi Alexandre de Yougoslavie.Enfin, le discours aux morts prononcé par Hector est la caricature des discours que Raymond Poincaré adresse chaque dimanche aux morts.

Comique, fantaisiste même, La Guerre de Troie n’aura pas lieu, n’en est pas moins une pièce sérieuse. De fait, Giraudoux s’est servi du mythe de l’Ilion pour exprimer les problèmes politiques des années 30.

Conclusion

La Guerre de Troie n’aura pas lieu est fondée sur une série d’oppositions, comme le suggère le conflit entre les pacifistes et les bellicistes, les hommes et les femmes, le pouvoir militaire et le pouvoir moral. La dualité entre la veine comique et le sort tragique des personnages, et les images contradictoires de la guerre et de la paix, participent également de cette poétique du contraste, qui vaut à la pièce non seulement son succès éclatant et immédiat en 1935, mais le fait qu’elle intéresse encore les spectateurs aujourd’hui.

21. avril 2018 · Commentaires fermés sur La Guerre de Troie n’aura pas lieu : synthèse finale · Catégories: Première · Tags:

Que faut-il retenir de cette pièce de Giraudoux qui revisite la matière antique sous la  forme d’un débat autour de la guerre ?  peut-on vraiment l’éviter ? de quel type de théâtre s’agit-il ? quel est le sujet exact ? l pièce a-t-elle eu du succès ?  autant de questions qu’on peut vous poser à l’oral ..alors révisez bien et complètes si besoin vos notes .

Principales adaptations et mises en scène

Première représentation en 1935 au théâtre de l’Athénée: succès incontestable,. Louis Jouvet et sa troupe de comédiens en sont les interprètes.

En 1962, Jean Vilar monte la pièce au TNP. Les costumes sont « antiques »

Niocolas Brancion en 2006 et Francis Huster en 2013 modernisent la pièce et renoncent oar exemple aux costumes antiques mais optent pour des tenues chics te une robe éclatante pour la beauté d’hélène.

Le renouvellement du théâtre

Tragédie ou comédie de boulevard ? A la lecture de la pièce, le spectateur peut être surpris par les différences de ton, d’un passage à l’autre et par les évolutions des personnages.

LLe sujet; il s’agit de l’arrivée à Troie d’une ambassade grecque venue réclamer Hélène, enlevée par le prince troyen Pâris. L’auteur mélange des éléments comiques qu’il ajoute au mythe homérique et conserve certains aspects tragiques comme par exemple, le caractère inéluctable du conflit.

La signification de la pièce

Dans les années 30/40, le théâtre se renouvelle notamment grâce à l’emploi des mythes antiques qui sont utilisés pour faire référence à des préoccupations actuelles comme , la montée des périls, l’émergence des dictatures en Europe et la menace d’une nouvelle guerre.

La pièce peut suggérer soit la toute puissance de la fatalité qui écrase les actions des hommes de bonne volonté, soit la force d’un humanisme actif qui peut faire changer les choses et peut-être, permettre d’éviter le pire. Homme de la paix, partagé entre la France et l’Allemagne dont il admire la culture, (il a été étudiant à Munich) Giraudoux pourtant n’a pas su prendre la mesure de l’affrontement qui se préparait alors et a accepté de faire partie du gouvernement de Vichy,en tant que délégué du ministre de l’Information.

Les raisons du succès de la pièce : la reprise du mythe avec de nombreux anachronismes qu else spectateurs comprennent , les dialogues vifs et le mélange d’humour à partir de sujets préoccupants.

La tragédie de l’histoire

Dans L’Allemagne vaincue, la violence est en germe. La parti nazi se développe sur fond de crise économique. La France est alors divisée entre nationalistes et pacifistes. En octobre 33, l’Allemagne quitte la SDN et une première tentative d’annexion de l’Autriche échoue en 1934.En janvier 35, Hitler alors chancelier rattache, de force la Sarre à l’Allemagne. On sent monter l’ombre d’un nouveau conflit et de nombreux intellectuels se mobilisent en créant le Comité de vigilance des intellectuels antifascistes et la ligue des droits de l’homme. De nombreux anciens combattants de 14/18 ont peur de voir ressurgir les horreurs qu’ils ont vécues. Hector, lui-même , dans la pièce, est un soldat qui rentre de la guerre.

Les règles : un jeu

Giraudoux respecte l’unité de temps et de lieu. L’action se déroule en une journée, bien remplie ; Hector, de retour d’ une guerre, va devoir empêcher la nouvelle de se déclarer. Toute l’intrigue fonctionne sur une série d’oppositions binaires : portes ouvertes ou fermées, jour de bonheur ou jour de malheur, naissance ou mort d’un enfant. Il n’y a jamais dans la pièce de troisième choix, de dépassement possible des contradictions.

Le poids des choses

Hector est le personnage qui représente le Destin (d’ ailleurs son arrivée se confond au début de la pièce avec celle du Destin ) mais il s’en sépare dans la mesure où le Destin finit par l’emporter. Il garde l’initiative pendant une bonne partie de la pièce mais le rapport de forces s’inverse quand il se retrouve face à son père, aidé par Démokos. Il doit, à chaque fois s’adresser à un nouvel adversaire pour obtenir ce qu’il souhaite: maintenir la paix mais ce combat, lui aussi, semble perdu d’avance.

Hélène est celle qui dit toujours oui: elle est en accord avec l’ordre des choses.

Tout au long de la pièce, l’échéance se rapproche mais le spectateur a toujours l’impression que le plus important a lieu hors scène: ce sont les événements extérieurs qui viennent influencer le cours des choses. Toute la pièce est construite sur un retardement, un système qui tend à maintenir un équilibre à peu près constant, entre le oui et le non, si bien qu’à la fin de la pièce, la question reste posée. Équilibre théorique, car le héros, homme de bonne volonté, a lui-même assez vite , le sentiment d’être insidieusement débordé par l’enchaînement des circonstances. Il garde le souci de combattre mais il est vite conduit à s’interroger sur l’efficacité de son combat. C’est toute l’idéologie des années 30 qui est en cause: en bref, le héros est-il encore sujet de l’histoire?

Giraudoux a dit pour expliquer son passage du roman au théâtre et le choix de son sujet , en 1930, à son retour d’Allemagne:

« la question franco-allemande est la seule question grave de l’univers(..) cet espace incompressible qu’il y a eu cinq ans entre nos tranchées, il est dramatique, au sens technique du mot.;Que les deux peuples où les bienfaits de la paix ont été poussés à leur perfection la plus raffinée et qu’aucune rivalité commerciale ne divise, soient désignés pour lutter en champ clos et trancher par leur duel, les différends des autres, c’est là un sujet qu’il convient de méditer un peu plus en commun, dans ces assemblées générales que sont les théâtres. »

« Ce qui me dégoûte dans la guerre, c’est son imbécillité.” Jean Giono, 1934

« L’honneur est la passion qui fait mourir » Alain, Mars ou la guerre jugée, 1921.

21. avril 2018 · Commentaires fermés sur L’homme dans la guerre · Catégories: Première · Tags:

L’homme organisé en société  a toujours fait la guerre et il continue aujourd’hui encore à en parler : sujet central, thème ,  ou parfois  simple toile du fond d’un nombre incalculable de récits, romans, poèmes, pièces de théâtre, la guerre  ne cesse de  faire couler beaucoup de sang et d’encre . Chants de guerre, épopées, souvenirs romancés , témoignages , poèmes de combats, célébrations de victoires ou amertume de la défaite  : la guerre peut être évoquée de multiples façons.  La Peinture de batailles a été longtemps un genre noble. Nous vous proposons un petit tour d’horizon de quelques guerres survenues entre le siècle des Lumières et celle qui devait être la “der des der ” et qui ne fut que la première des Deux grandes guerres mondiales qui ensanglantèrent le siècle passé .

 

Dans nos extraits de romans, nous nous intéresserons essentiellement  aux effets que la guerre produit sur le personnage lorsqu’il se trouve sous le feu, au coeur de la mêlée. Beaucoup de romanciers , en effet, montrent l’homme au coeur de la tempête de feu et dans nos extraits, le regard porté sur la guerre , est le plus souvent, un regard critique . Le roman, peu à peu et en commençant par le conte philosophique inventé épar Voltaire en 1759,  devient l’objet d’une désacralisation de la guerre .Voltaire, dans le troisième chapitre de Candide consacre une réflexion à la guerre en imaginant son héros,  un jeune et naïf apprenti philosophe, témoin d’un horrible massacre entre deux peuples voisins : les avares et les bulgares.  L’ oxymore en  traduit toute l’ambiguïté : la guerre est soudain présentée comme une  “boucherie héroïque ” sans panache et sans véritable héros. 

Les multiples évolutions technologiques de la guerre modifient sensiblement le rapport du guerrier au combat ; en effet, les chevaliers  démontraient leur bravoure dans l’affrontement individuel et méprisaient les armes de jet qui permettaient de tuer à distance sans qu’on puisse voir son ennemi . Courageux ou couard, le soldat  au vingtième siècle reçoit les mêmes obus et les mêmes bombes sur le champ de bataille. Dans l’enfer du front et des tranchées, le soldat moderne ressent sa nudité face aux machines;

Au coeur des grands affrontements, quand les lignes de front se comptent sur des centaines de kilomètres, la valeur individuelle des combattants s’estompe au profit de l’effort collectif et la vision même du combattant s’en trouve modifiée. Les exploits individuels des héros d’autrefois s’incarnent désormais au cours de certaines missions périlleuses, dans les troupes d’élite, les commandos ou les aviateurs. La littérature a longtemps négligé les hommes de troupe pour ne retenir que les exploits des chefs de guerre mais au cours du vingtième siècle, le simple soldat va peu à peu conquérir ses galons et paraître au premier plan des romans: c’est la victoire des humbles, des jeunes officiers parfois qui vivent avec leurs hommes et de tous ceux qui sont sous le feu .Jusqu’au milieu du dix-neuvième siècle environ, disons jusqu’à la défaite de Waterloo, les romans montraient  surtout la bravoure et les hauts faits des combattants et mourir au champ d’honneur pouvait apparaître comme la plus belle des morts. Au siècle précédent ,quelques voix déjà comme celle de Voltaire, par exemple, s’étaient élevées pour dénoncer les horreurs des guerres de succession mais il faudra attendre l’époque moderne pour enregistrer le déclin du personnage du glorieux guerrier. Les soldats qui reviennent vaincus ou vainqueurs ont connu le froid, la faim, la peur et garderont des séquelles de leurs années de guerre. Les cadavres sont souvent montrés avec force détails: odeur, aspect, position, pour nous inspirer l’horreur. Les cris des blessés, des mourants, le travail des médecins se retrouvent constamment dans les romans actuels. Quant aux sentiments les plus mentionnés, citons la fraternité  et son contraire la haine, la peur et la compassion. La guerre demeure une aventure humaine fascinante : expérience dangereuse, elle est un pari avec la mort et continue à en fasciner certains parce qu’elle nous fait toucher aux limites de notre condition humaine.