21. avril 2018 · Commentaires fermés sur Le gazé de Cris : un personnage pathétique et anonyme · Catégories: Première

La deuxième voix que nous entendons dans le récit de Laurent Gaudé, c’est celle du gazé, un soldat anonyme dont nous allons assister à l’agonie. Il vient d’être victime d’une attaque au gaz moutarde et connaît la gravité de son état; Gravement blessé et incapable de se déplacer, il se glisse dans un trou d’obus et attend qu’on vienne le chercher ou de pouvoir bouger

Le gaz moutarde doit son nom à l’odeur qu’il dégage et qui selon les témoignages sent assez fortement la moutarde.Cette arme chimique a été utilisée durant les offensives de l’armée française pour  percer les lignes  allemandes. Dès 1915, son usage se généralisera  en Champagne notamment ou  en Flandres  et dans la Somme.Les généraux français  cherchent en vain à renouer avec la guerre de mouvement et à faire sortir les  Allemands, de leurs tranchées fortifiées au prix de lourdes pertes. En effet, le 22 avril 1915, près d’Ypres, les alliés lâchent dans l’atmosphère 150 tonnes de chlore mais le nuage toxique , poussé par le vent,  dérive vers leurs  propres lignes. Les corps de centaines de soldats asphyxiés se mêlent aux milliers d’agonisants. On dénombre plus de cinq mille gazés.

Les effets du gaz se font rapidement sentir sur les yeux,  la peau et les poumons; il pénètre à travers les vêtements et à travers le caoutchouc des bottes et masques. Sous sa forme pure , le gaz se présente comme  un liquide  visqueux incolore et sans odeur qui provoque, après quelques minutes, des cloques et une sensation d’étouffement. 

Ce sont ces symptômes que l’écrivain attribue au personnage dans le roman . “je ne sens plus grand chose si ce n’est que ça coule”  “je ne sens presque plus rien dans la jambe” p 26. Il pense avoir la force de rejoindre son camp et pour lui, dit -il “le vrai combat commence maintenant.” Il sait qu’il est  seul désormais, qu’il n’aura aucun renfort et qu’il n’obéit plus à aucun ordre; (p 27) Lorsqu’il reprend la parole à la page 46, il constate qu’il s’est endormi et que durant son sommeil la nuit est tombée..à moins qu’il ne devienne aveugle; Il ne sent plus du tout sa jambe et reprend des forces en savourant le silence : “ma vraie bataille à moi est pour bientôt ” ajoute-t-il .(p 47) Pour sa troisième intervention, le gazé tente de se hisser à la force des bras , hors du trou d’obus (p 69) mais il réalise alors qu’il est désormais derrière les lignes allemandes ; il ne peut donc plus rejoindre son camp; Pour ne pas sombrer tout à fait, il pense à la mer et compare la ligne de front à la marée; il doit attendre que la marée remonte (p 70) Pour sa quatrième apparition, le gazé va se retrouver face à face avec l’homme-cochon qui le fouille et lui prend son masque : “il avait une grande barbe et des cheveux longs avec le regard d’un dément , une face de naufragé et il est nu”  A son départ, le gazé ferme les yeux et se sent de plus en plus faible (93) Il reprend une dernière fois la parole p 148 et écoute la rumeur des combats qui ont repris; il sait qu’il va mourir et n’a plus aucune force désormais  “je suis un homme oublié dans un trou d’obus et je vais mourir. Pour eux tous là-bas, je suis déjà mort. Porté disparu. Mon trou est plein de gaz. Des nappes lourdes de poison dorment au fond  des tranchées. J’ai le poumons moutarde et je ne tarderai pas à crever. Mais je veux respirer encore un peu le ciel marin.” (149) Il meurt à la page suivante : “Qui se souvient de moi” (150) La mort est inodore comme le gaz et il ferme les yeux : “je vois que je ne mourrai pas seul.;je vois le gaz qui rame dans les campagnes? Je vois le grand siècle du progrès qui pète des nuages  moutarde, éructer des bombes et éventrer la terre de ses doigts. Je meurs maintenant et cela m fait sourire car il m’est donné de voir dans ces dernières hallucinations convulsées, les millions de souffrances auxquelles j’échappe. ” 

Ce personnage qui n’intervient que 5 fois au cours du roman, symbolise la souffrance de tous les soldats qui sont morts seuls, sur le champ de bataille, gazés ou simplement blessés, loin des leurs; ils ont du affronter la souffrance et la solitude . C’est sa voix qu’entendra en premier Jules et c’est à sa mémoire qu’il construira la première stèle de terre, pour dire sa mort. Ses visions prophétiques lui donner une dimension universelle : il représente la souffrance de l’homme à la guerre. 

21. avril 2018 · Commentaires fermés sur Personnages au coeur de la tempête : Jules le marcheur silencieux de Cris . · Catégories: Première · Tags:

 En écrivant Cris, le romancier Laurent Gaudé s’empare et s’inspire d’une expérience terrible : celle de la  guerre 14/18 dont les horribles batailles sont encore bien présentes dans notre mémoire collective. Pour raconter cette guerre, le romancier a choisi de donner la parole à plusieurs soldats qui représentent tous une manière de faire et de vivre cette expérience ultime. Chacun y affronte la mort et se comporte de manière parfois inattendue, souvent déconcertante. Chaque personnage du roman représente donc une attitude de l’homme face à la guerre ; le romancier tente ainsi de recomposer, à partir des réactions des différents personnages ,  une expérience de ce que les hommes ont pu ressentir au cours des assauts et des combats . Jules est en quelque sorte le soldat déserteur , celui qui quitte les horreurs du front pour ne pas mourir. 

Jules est le premier à prendre la parole et sa voix unifie celle des autres : il est également celui qui va propager le souvenir des disparus en désertant physiquement ; Jules est celui qui marche d’abord sans parler, de retour du front; il est comparé à “une ombre ” sourde qui glisse ver l’arrière où l’attend une permission . Jules est défini comme un rescapé et il refuse le titre de sauveur; Il a tué le jeune allemand lorsqu’il l’a vu assis sur “un uniforme qui portait les mêmes couleurs que le mien” . Jules se croit arrivé au bout de lui-même (p 24) et il est partagé entre le désir de sauver ce qui reste de sa vie et la volonté de continuer à veiller sur ceux qui restent  “rester avec eux. continuer à veiller les uns sur les autres.” ( p 24) On retrouve Jules toujours en marche page 47 : “je marche” ; il est désormais à l’arrière : “je suis le vieillard de la guerre qui n’entend plus rien et marche tête baissée” ; cette phrase sera répétée à plusieurs reprise comme si elle résumait le personnage de Jules qui échappe ainsi à ceux qu’il décrit comme des condamnés. (chapitre II )  Jules est désormais dans le train et toujours sourd : il a envie de pleurer et ne veut surtout pas s’endormir car le sommeil  fera remonter ses souvenirs (p 54) Dès qu’il s’endormira, ses cauchemars le ramèneront dans les tranchées où il revivra la guerre ; il se sent protégé dans le train et se mure dans le silence ; il marche dans le silence épais de sa surdité et se remémore sa dernière permission, les sensations d’avoir un corps qui se réveille à la vie avec le désir des femmes. Jules se pose des questions sur les transformations que la guerre fait subir aux hommes : “un homme qui a appris à tuer , un homme qui a tenu un fusil, qui a dû se plier aux règles de la peur et de la survie sauvage comme tu l’as fait, sait-il encore s’occuper d’une femme ? ” (p 57) Il est désormais vieux de milliers d’années. Il craint d’être allée trop loin te de ne pas pouvoir revenir parmi les hommes : “tu es une bête fauve qui veut manger par la bouche, manger par le sexe et boire toute la nuit. ” (p 58)  A u moment où, au front Barboni devenu fou commence à réciter le De  profundis, le romancier nous ramène alors brutalement à Jules , toujours dans le train vers Paris (p 79) Il repense à Marguerite et à leur rencontre dans ce bar, aux rires de cette femme rayonnante de crasse dans les bras de laquelle Jules a oublié ses fureurs et a apaisé sa soif. Il a , grâce à cette femme, “retrouvé la douceur d’être un homme.” (p 83)  C’est une sorte de prière que Jules adresse en fait à Margot et il la bénit entre toutes les femmes parce qu’elle est la face joufflue de la vie. Nous retrouvons la voix de Jules au début du chapitre III: il réalise que ce voyage le fait souffrir car ce permissions représentent  “l’espoir de quitter la guerre et de vivre” (p 88) alors Jules décide d’emprunter d’autres chemins et il saute du train en marche pour pouvoir enfin se reposer de cette immense fatigue qui le voûte. Jules se réceptionne au moment où sur le champ de bataille, l’homme cochon tue Boris. Jules a alors l’impression d’entendre des éclats de voix (p 103) Il semble avoir dormi dans la terre et considère sa désertion comme une évasion mais il est poursuivi par une rumeur et par des voix “comme si j’entendais crier des hommes ” p 105. Au début du chapitre Iv, nous retrouvons Jules en proie à ses voix qui sifflent dans son dos : des appels, des pleurs et il comprend enfin ce qu’elles disent ( p 110) et qu’il ne leur échappera pas car les voix sont en lui : “ sur le front gisent des milliers de soldats  épuisés; ils vont mourir et pleurent tout seuls. ils glissent à la terre leurs dernier mots..je les entends ” p 110. ” Ce sont les voix fatiguées de mes frères; Ceux que j’ai laissés derrière moi. Les voix embourbées de ceux qui n’ont pas pu se relever. Ils s’adressent à moi. Ils veulent parler par ma bouche. Ils veulent que je leur prête voix. (p 110 )  Ce chant hante Jules et il comprend qu’il va les emmener où il va.

Au moment où les hommes de la relève : Ripoll, Messard, Castillac, Barboni, Dermoncourt , font entendre leurs derniers souffles durant l’assaut, Jules arrive dans un village et commence un discours sur la place du village, noire de monde : il raconte la guerre et la mort mais personne ne veut le laisser continuer; on lui jette des pierres, on le prend pour un fou et on le traite de déserteur; Alors Jules s’enfuit sous les huées des villageois. Il a l’impression d’avoir échoué (137) . Le dernier chapitre s’ouvre à nouveau sur Jules qui décide de confier à la terre sa prière ; Cependant les voix continuent  de le traquer et à hurler dans sa tête (p 142); Il doit apprendre à “imposer le chant” , se montrer plus fort que la pluie de pierres. “je me mets à l’écoute des voix des tranchées” p 142: C’est une étrange voix qui s’impose à lui : celle du gazé qui dans le roman prononcera ses dernière paroles p 150; cette voix annonce qu’elle ne tiendra pus longtemps et demande qui se souviendra d’elle.. La dernière intervention de Jules a lieu p 156: c’est sa voix qui va clore le roman ; Désormais il court et va construire des traces pour les voix: il va ériger des statues de terre ,de cette boue  tant redoutée des soldats , stèles qui matérialisent les dernières paroles des morts ; il sculpte de grands corps de boue ; des stèles commémoratives où les hommes crient à jamais et décide d’en créer une à l’entrée de chaque village (p 158) Des statues immobiles , une colonne d’ombres , une armée, Jules est devenu les mains de la terre et sa voix s’est tue ; ” je donne vie, un à un , à un peuple pétrifié. J’offre au regards ces visages de cratère et ces hommes tailladés. ..Et mes frères de tranchées savent qu’il est  ici des statues qui fixent le monde de toute leur douleur. Bouche bée.”

Le personnage de Jules est celui qui , en devenant créateur, va relayer et faire revivre les voix des disparus. Il est l’image de l’artiste qui, par son oeuvre, redonne naissance et fixe le souvenir; silencieux durant tout le roman, il comprend lorsqu’il prend la parole publiquement, que les hommes ne sont pas prêts à entendre ce qu’il leur dit, le témoignage de la vérité et qu’il lui faut alors trouver un autre moyen pour devenir le réceptacle de toutes ces voix qu’il contient et qu’il unifie. Ce mode détourné de faire entendre et de faire saisir la matérialité et la vérité de ce qui fut, c’est l’art. Jules est celui qui est sorti de la guerre vivant et l’a fuie pour pouvoir témoigner de ce qu’ont vécu ses frères d’armes morts. 

21. avril 2018 · Commentaires fermés sur Marius, Barboni et l’homme -cochon : des hommes que la guerre a rendu fous · Catégories: Première · Tags:

Dans Cris, Gaudé montre à quel point l’expérience de la guerre peut transformer les hommes et il a choisi , à travers trois destins de personnages, de montrer la déshumanisation qui les guette et la tentation de la folie. Chacun de ces trois soldats, à sa manière, déserte le monde des hommes. Chacun représente une forme de folie pour échapper à l’horreur de la guerre. 

Marius est la troisième voix qui se fait entendre dans le roman, après celle de Jules et du gazé : il interviendra , au total 6 fois dans le premier chapitre ; absent du second chapitre car ce n’est pas son unité qui monte à l’assaut, on le retrouve dans la troisième partie du roman, juste après la voix de Jules qui est toujours placée en ouverture: il intervient à nouveau six fois et se lance avec Boris à la poursuite de l’homme-cochon; absent à nouveau du chapitre quatre qui montre l’anéantissement des hommes de la relève , on retrouve sa voix dans le chapitre final où il se transforme en Vulcain qui court dans le déluge crépitant et brusquement se croit mort, soufflé par un obus; mais sa voix retentit à nouveau et il s’empare d’un débris de tête humaine pour le brandir comme un trophée (150) ; il espère avoir tué l’homme cochon qu’il poursuivait inlassablement depuis la mort de Boris.De retour dans ses propres lignes, Marius est devenu un autre homme : “il fait nuit dans mon âme “dit-il (p 151) Le médecin aperçoit lors Marius: “visage noirci de terre. Yeux hirsutes de condamné à mort. l’uniforme déchiré, le corps tout entier secoué de tics nerveux.” ( p 152). 

En brandissant sa tête de Gorgone sanglante, un sourire de joie éclaire le  visage de Marius et le médecin comprend alors qu’il est allé trop loin et  “qu’il s’est perdu  trop longtemps dans des terres impossibles”. Lorsque le cri de l’homme cochon retentit à nouveau, Marius comprend que la guerre est plus forte que lui et son langage , à l’image de sa pensée, se disloque peu à peu pour devenir incompréhensible :  il sombre alors dans un mutisme éternel; on n’entendra plus sortir de sa bouche que “le souffle creux d’un homme vaincu” (p 155) Marius a d’abord été le veilleur, celui qui garde un oeil sur ses camarades ; dès sa première intervention, il se sent heureux d’être encore en vie mais ” vieux de plusieurs milliers d’années” (p 28) Resté à l’arrière pendant que l’unité du lieutenant Rénier monte au front, il pense à Jules qui est à l’abri et avec Boris, ils surprennent la silhouette voûtée d’un étrange humain redevenu une bête sauvage et dont les cris affectent le moral des soldats. (40) Il interroge le médecin sur ces étranges cris car le médecin est celui qui est resté le plus longtemps au front mais ce dernier ne peut le renseigner; Alors Marius retourne retrouver Boris et lui fait part de sa décision de sortir de la tranchée pour retrouver l’homme cochon (46) . Le chapitre III est consacré tout entier à cette chasse à l’homme ou à la bête ; sortis des tranchées sans autorisation, Boris et Marius contemplent le paysage dévasté et se trouvent brutalement face à l’homme- cochon qui pousse un grand rire “grotesque, un rire de boue et de crasse ” Il leur semble alors fouler les excréments de la guerre ” (99) Mais Marius arrive trop tard : l’homme-cochon vient de tuer Boris et Marius se sent horriblement coupable. A côté de lui, le fou se met à pousser des cris horribles alors que lui n’arrive ni à pleurer ni à parler : “Et ces grands cris fauves étaient ceux que j’aurais aimé pousser. le grand fou nu, le tueur à la baïonnette me prêtait sa voix pour pleurer mon mort. ” p 102. A partir de ce moment, Marius se persuade que s’il tue l’homme-cochon, la guerre cessera et il repart à sa poursuite. Alors que tous meurent au cours de la dernière attaque, Marius toujours concentré sur sa quête, semble devenu indifférent à la bataille. Il se prend pour Vulcain le Dieu du feu ( p 147) et rien ne semble pouvoir l’arrêter. Quand a-t-il perdu contact avec la réalité ?  Une série d’événements l’ont éloigné peu à peu de la raison et il sombre dans la folie : “il faut que je te montre aux hommes; leur montrer le cri. Brandir devant eux ta bouche éventrée. ” 

L’homme-cochon lui, représente l’homme ravalé à l’état de bête sauvage, à cause des atrocités vues ou subies; Sa raison a totalement vacillé et il effraie les autres hommes car il leur montre les risques qu’on encourt au coeur de la bataille ; tous craignent de finir comme lui.

Quant à Barboni, il représente lui aussi une forme de folie, celle qui s’empare du soldat au coeur du combat: Sa peur se manifeste par un désir de violence irrépressible : “Il faut les saigner: au fusil, à la baïonnette , ou au couteau, il ne faut pas trembler . ” Ce sont ses premiers mots, p 64, quand il saute dans la tranchée ennemie. Il tue un allemand , d’une balle dans la nuque et il lance une grenade; ses gestes sont rapides et précis ;  Plus rapide que tout le monde, il abat d’une balle en pleine tête un jeune coursier allemand qui s’est perdu et qu’ils viennent de faire prisonnier; juste avant de commettre ce geste irréparable,  il murmure une prière ( p 76) , une sorte de défi à Dieu ; Choqués ses camardes considèrent que ce geste “est une malédiction qui le souillera à jamais” (p 77) Une des hypothèses proposées par Messard évoque une peur telle qu’elle le conduit à une sorte de suicide : “par ce meurtre, il s’est ouvert les veines” il mourra de cette hémorragie née de la tranchée où pour la dernière fois il a appelé Dieu (78) ; cette prière adressée à Dieu lui demande d’entendre sa voix et de ne pas tenir compte de ses fautes. Depuis ce moment, ses camarades n’osent plus lui parler ( p 112) Sous le feu, il semble secoué de tics nerveux “grimaçant comme un damné, il murmurait quelque chose” . Chaque explosion déclenche chez lui un rire nerveux et les hommes se demandent s’il ne faudrait pas l’abattre mais ils n’osent pas : “on ne peut éprouver pour Barboni qu’une immense pitié car , de ce front, il ne reviendra pas. Aucune balle encore ne l’ a transpercé dans sa chair , mais le front lui a brûlé le cerveau et il rit tristement sur sa vie. ”  (p 118) Dans un dernier sursaut de lucidité, Barboni, va finalement se sacrifier et s’emparer du lance-flammes ennemi pour donner à ses camarades le temps de s’enfuir : ce singe épileptique est-il devenu un héros par ce geste ?  ses  dernières paroles : ” je vais..je vais tous les tuer..tous..avec mon couteau..avec mes doigts..je vais..sans regard..sans pitié.” (p 125) Juste avant qu’il s’empare du lance-flamme; Messard pense qu’ainsi il a payé pour son crime; lui décide désormais de dire ses derniers mots avec les flammes: “je me suis senti indestructible..c’était mon heure “ (130) Il apparaît comme un titan hilare qui crachait du feu.  “son corps a explosé, s’ouvrant à l’infini. Mille morceaux d’hommes qui montent au ciel. J’ai vu Barboni et j’ai su qu’il était mort. ” ( 130) Sa conduite nous amène également à nous interroger sur le silence du Ciel, et de Dieu ainsi que sur la folie meurtrière qui peut s’emparer de certains soldats.

 

21. avril 2018 · Commentaires fermés sur Le mystère Barboni : la construction du personnage dans Cris · Catégories: Première · Tags:
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Le personnage de Barboni dans le roman de Gaudé est au centre de deux épisodes dramatiques: l’exécution à bout portant d’un coursier allemand et le vol  du lance-flammes à l’unité allemande durant la seconde vague de l’assaut mortel. Le personange est recomposé par l’intermédiaire des voix de ses camarades  qui semblent se  prolonger et nous permettent de revivre l’action sous différents angles et avec un point de vue différent . 

Dans les deux épisodes, le procédé narratif est identique: des témoins de l’action la commentent, racontent ce qu’ils voient et proposent une interprétation des faits selon leurs propres convictions . Une chose est sûre : le personnage de Barboni laisse rarement le lecteur indifférent ; Il risque de le choquer, ou de lui faire ressentitr de la pitié. A travers lui, l’écrivain nous montre jusqu’où la guerre peut entraîner les soldats, leur faire oublier la morale, les limites entre le Bien et le Mal et les entraîner dans un univers qui n’est plus régi par les mêmes valeurs . 

La première rubrique pourrait porter sur la parole en tant que témoignage et relever dans les deux extraits, les marques qui visent à rendre le discours authentique : ce qu’on nomme les effets de réel. On notera, par exemple, les verbes qui font appel aux sens comme : j’ai entendu un coup de feu (l 1), j’ai vu (l 2) , j’ai tout vu (l 8) , je l’ai vu (l 8 et 9  ) A noter que dans les deux interventions suivantes, celles de Dermoncourt et Messard, ces verbes disparaissent au profit des interprétations . 

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La description des faits est prise en charge par chacune des voix  : chaque voix propose, en effet,  d’abord un témoignage et ensuite, dans un second temps, propose une explication à ce meurtre de sang froid. Les 4 voix sont le plus souvent concordantes mais ne privilégient pas toujours les mêmes analyses.  Le geste de Barboni est décrit soit comme un acte monstrueux avec notamment les détails réalistes horribles donnés par   Ripoll : “balle en pleine tête, à bout portant, vaste cratère sanglant , chair ouverte à vif” Comme si en abattant ce jeune coursier, il l’avait privé de son humanité et s’était du coup, privé de la sienne. Castellac propose de ce geste une explication placée sous le signe de la religion: il y voit une sorte d’extrême onction administrée au prisonnier dans le but d’abrèger ses souffrances : pas de brutalité ni d’horreur ici mais de la douceurse pencher d’abord doucement “l  9 “poser délicatement  l 10 ; Barboni est  alors comparé à un prêtre ( l 14) qui administre les derniers sacrements à un mourant pour l’apaiser . Cependant cette douceur contraste violemment avec la suite de la description : “il a tiré. en plein visage. Avec calme. Avec paix. Il a tiré ”  l 18 La répétition du verbe tirer semble ici encadrer l’action et le soldat la qualifie de “geste monstrueux” .  La douceur fait place à l’horreur et le contraste rend le geste d’autant plus saisissant, presque sacrilège.

Les connotations dévalorisantes apparaissent avec le verbe souiller ( l 19 ) et la malédiction qui va s’abattre sur les autres hommes , par solidarité. Après avoir montré le geste de Barboni comme une sorte de bénédiction, l’auteur l’inverse ici et le révèle cette fois sous l’angle de la malédiction. Ces derniers se sentent coupables de ne pas avoir pu empêcher les faits de se produire . Dès le début de l’extrait , la prière de Barboni nous avait mis sur la piste d’une interprétation religieuse et  Demoncourt, qui est le troisième soldat à commenter la même scène, commence par évoquer le geste de son camarade comme un défi au Ciel ; ici le mot Ciel est la métonymie qui désigne Dieu et , à plusieurs reprises au cours du roman, les combattants vont  chercher à se tourner vers Dieu pour tenter de trouver des réponses aux questions qu’ils se posent.  

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Le silence de Dieu peut parfois sembler insupportable aux hommes car ils ont l’impression que ce qu’ils font n’a pas de sens ; la guerre les confronte au fait de devenir des meurtriers; ils tuent pour se défendre , pour sauver leur vie, pour ne pas mourir mais le simple fait d’ôter une vie a des répercussions ; Ainsi Jules, au début du roman,lorsqu’il sauve Boris est marqué par son geste et c’est aussi l’une des raisons qui peuvent le mener à déserter.  L’hypothèse de Dermoncourt est que Barboni a voulu faire réagir Dieu , attirer son attention sur lui .  Cette prière le De profundis , est en effet un cri  poussé par les croyants qui en appellent ainsi à la miséricorde divine. Prière des morts, prière prononcée à l’intention des morts pour qu’ils soient en paix, cet extrait des psaumes est une sorte d‘appel au secours et ce gouffre qui traduit le mot latin   de profundis .., peut être vu comme l’enfer de la guerre. Barboni a-t-il souhaité provoquer Dieu et l’insulter comme le suggère Dermoncourt à la ligne 27 ? Ou a -t-il simplement cherché à l’appeler avant de mourir , uen sorte de dernier cri comme un appel à l’aide ?  

Pour Dermoncourt, “le grand ciel gris de la guerre était vide “: le réconfort ne viendra donc pas de la foi pas plus que le salut ; “personne ne répondait ” et ce silence amplifie les appels au secours des hommes, le srend pathétiques et mêm tragiques ;  Messard évoque Dieu sous la forme du regard absolu (l 31) et il met le geste de Barboni sur le compte de la peur ” parce que la peur en lui était trop grande”  et il mentionne les conséquences de ce geste : ” C’est comme un suicide ” ; il le compare même à une hémorragie  : “par ce meurtre, il s’est ouvert les veines ” .  L’image de l’hémorragie évoque le sang versé , que ce soit celui de l’homme qui attente à sa propre vie ou celui que verse le meurtrier et cette image rappelle le “cratère sanglant ” au début de l’extrait . De plus, Messard indique que désormais son camarade va être banni : les autres soldats choqués, ne vont plus lui adresser la parole et envisageront même à un moment de le supprimer de peur qu’il ne devienne un danger pour eux .

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Nous avons donc vu que ce  meurtre hautement symbolique était , de l’avis général, considéré comme “monstrueux ” mais que les témoins lui attribuent une valeur légèrement différente : provocation ultime pour Dermoncourt, geste gratuit pour Ripoll, geste profondément religieux pour Castellac et suicide déguisé pour Messard. Tous s’accordent cependant à penser qu’il vient de se passer quelque chose de grave et qu’une limite a été franchie; à travers les répétitions de ces quatre voix, à travers leurs accords et leurs discordances, l’écrivain construit un personnage énigmatique dont la propre voix n’éclaire qu’imparfaitement les ténèbres intérieures . Ici, le personnage de Barboni ne fait pas entendre sa propre voix, il est focalisé par les regards de ses compagnosn et l’écrivain se fait l’écho de leurs interrogations, de leurs incertitudes et de leur subjectivité . Il ne s’agit pas de raconter une histoire qui serait toute faite avec un narrateur unique qui dirige les pensées des lecteurs mais justement de faire entendre, à travers ces différents cris, la diversité des voix et de proposer plusieurs interprétations d’une même scène afin de la recomposer sous nos yeux comme un kaléidoscope d’images qui se font et se défont . 

Le second extrait fonctionne selon le même encodage narratif : Barboni est toujours sous le feu croisé des regards de ses compagnons qui vont renouer un lien avec lui en dépit de la folie qui peu à peu le gagne te l’isole. Cet extrait peut être analysé d’abord comme une sorte de portrait collectif de Barboni  avec le jeu des regards des témoins et le travail sur les notations réalistes : ” s’est mis à bouger, je l’ai regardé minutieusement ..je voyais  sa bouche l 6 , il n’est pas impossible, je ne sais pas ” l 10 Le témoignage de Castellac laisse ainsi différentes interprétations ouvertes et donne au spectateur l’impression que la scène se déroule sous les yeux des personnages; Quand , par exemple, Castellac précise : “je voyais sa bouche articuler ” mais qu’il ne peut entendre le son de sa voix à cause du bruit de l’assaut , cela confère une forme d’authencité au récit du personnage et cela produit un gros effet de réel pour le lecteur.

Messard lui aussi se pose des questions et semble hésiter entre différentes interprétations : ” je me demande l 25, 26 et 30 . Il se pose des questions traduites par des interrogatives sans pour autant, chose étonnante, que les points d’interrrogation apparaissent à la fin des phrases  : peut -être 31, 36, qui de nous 33, 37, 38 ; Les nombreuses anaphores créent un effet de leitmotiv et traduisent une sorte de prière paienne celle là mais à mettre en relation avec la prière de Barboni. 

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La folie de Barboni fait l’objet de la plupart des visions: chacun de ses compagnons l’observe avec attention et tente de comprendre ce qui se passe en lui . Les symptômes physiques font l’objet de descriptions précises : tics nerveux ligne 3, comme rongé par des mites l 3 : ici la comparaison avec des insectes dévorateurs présente Barboni dans le rôle d’une victime; La nervosité du personnage se prolonge à son rire l 16 et son corps est traversé de décharges électriques l 18 qui se transforment en image du singe épileptique dans la voix de Messard ligne 43. Il est à la fois deshumanisé et présenté comme malade et sa folie , une fois de plus, le soustrait à l’humanité.

La guerre est souvent, dans les romans, un thème qui permet de faire réfléchir à la notion même d’humanité, de condition humaine et les interrogations des soldats à propos de la folie de Barboni vont dans le sens de cette réflexion à dimension philosophique . Cet extrait présente, en effet, differents aspects de la folie : elle peut d’abord se confondre avec une forme de souffrance  qui s’imprime sur le visage du personnage : ” grimaçant comme un damné ” l 5 avec les yeux levés au Ciel comme pour y chercher Dieu  ou attirer son attention  l 5 . Castellac évoque ensuite un gouffre d’inconscience l 33 et cela peut faire retour sur la prière aux morts de l’extrait précédent. L’image de la colline calcinée d’excommunié comporte elle aussi des références religieuses qui rappellent que les hommes  considèrent Barboni  comme écarté du monde des hommes . De nombreuses références au feu alimentent la métaphore filée qui peut d’ailleurs se confondre avec la guerre car on emploie aussi le mot feu pour désigner les combats : la colline calcinée par exemple ou l’oxymore pluie de feu ligne 18, les balafres fumantes qui personnifient la terre et l’assimilent à un visage humain blessé ligne 21, le mot brûlé à jamais ligne 30, repris à la ligne 42 avec le front lui a brûlé le cerveau . Ce feu se retrouve aussi dans le ciel à la fin de l’extrait où Messard fait remarquer que le ciel est rempli d’éclairs comme pour dévoiler la colère de Dieu ligne 60 et que seul Barboni a le courage de se tenir debout sous le feu ligne 66. 

Les éléments se déchaînent et la guerre elle même se transforme en tempête comme souvent ; il est question de bourrasque ligne 25, de grande tempête ligne 35 et Messard ajoute lorsque Barboni ôte son casque et le jette aux allemands : “Aucun casque n’empêchera la tempête de nous disloquer ” ligne 70. L’homme paraît bien frêle face à ces éléments déchaînés et la folie peut être considérée comme une sorte d’écran protecteur contre  la réalité : ce qui expliquerait que ses camarades l’envient et envient sa joie ”  Les commentaires des trois soldats mentionnent les mêmes détails : “il ne voit plus personne ligne 27″ ,  “la folie le possède et peutêtre cela lui évite les peurs qui nous terrassent tous ligne 48 ou ‘La folie lui a voilé les yeux “. Barboni semble indestructible mais il n’est plus non plus tout à fait humain car la folie le prive d’une partie de son humanité : il a  des rictus déments ligne 19 te se met à rire comme un fou : il applaudit même chaque explosion comme le ferait un enfant ravi et piaffe de jouissance  l 30.  Ses compagnons sont partagés entre la pitié l 40 et l‘admiration de Demoncourt par exemple ligne 55 ” je voudrais lui demander de m’apprendre à rire ” “il semble indestructible” ; Et le lecteur lui aussi ne peut s’empêcher d’être à la fois ému par ce personnage et dégoûté aussi ; l’épisode du casque souillé joue un peu ce rôle mais le lecteur changera d’avis quand il comprendra le geste fou et héroïque de Barboni devenu une torche vivante et dont le corps se répandra en “mille morceaux d’homme qui montent au ciel “. De plus quand Barboni fera réentendre sa voix alors le lecteur comprendra aussi la folie destructrice qui désormais l’habite tout entier . 

Plan possible :  

1. Que représente le personnage de Barboni pour les autres soldats? 

a) un sujet d’observation : une grande attention lui est portée

descriptions précises de son état et de ses gestes , examen des symptômes physiques 

chaque soldat concentré sur lui : leurs voix s rejoignent ou divergent 

b) un sujet d’ inquiétude et de controverse 

la peur de la folie, de ses réactions : une joie étrange et choquante, redevenu enfant 

 certains sont prêts à le tuer et d’autres l’admirent et envient sa force ou son inconscience 

il semble orchestrer la tempête : tout puissant ? 

c) un sujet de réflexion

le geste sacrilège : peur panique ou provocation ultime ? 

les nombreuses questions qui se posent à son sujet 

l’envier ou le prendre en pitié : comment réagir face à sa folie ? émouvant ou irritant ?

Un personnage mystérieux décrit par des témoins qui n’ont pas le même pointe vue; nous n’avons pas accès à son intériorité et à ses pensées donc demeure énigmatique; permet la discussion autour des risques de la folie et des conséquences de la guerre sur les soldats . Annonce de son rôle dans la suite du récit.

21. avril 2018 · Commentaires fermés sur Le lieutenant Rénier : un guerrier d’une autre époque ? · Catégories: Première · Tags:

Le lieutenant Rénier est l’un des seuls gradés de ce bataillon et il est envoyé au front , en première  ligne dans la tranchée de la Tempête pour relever ceux qui s’y sont battus. (p 29) Il commande la troisième compagnie, deuxième section. Il a pour mission de reprendre le kilomètre perdu au cours des dix dernières heures de combat. Il intervient huit fois au cours des deux premiers chapitres et il est  la voix principale qui raconte l’assaut au cours  duquel il meurt, après sa huitième intervention, p 63. 

Il reçoit ses ordres directement  du colonel.Il doit attendre la nuit et avec une dizaine d’hommes dont le caporal Ripoll, il va tenter de reconquérir le terrain perdu (p 31); Inquiet, il observe les hommes de la vieille garde: “on dirait un peuple de boue.;ils ont le regard vide ” des ombres sales et courbées qui ne saluent plus et qui forment un cortège fantôme (p 33) “Ecuyers fatigués de chevalier disparus” les combattants effraient la relève tant ils semblent sales et à peine humains : “ juste la démarche mécanique des chevaux de trait ” “des chiens malades ” pensera-t-il encore; cette tout petite poignée d’hommes qui défile devant eux, ce sont les survivants de l’attaque , les seuls à pouvoir quitter le front “même épuisé et sales” et le lieutenant commence à rêver un jour de leur ressembler. Avant l’assaut, il regarde ces hommes qu’on a lui a confiés : Quentin Ripoll : un roc, fauve, qui parle peu mais un vrai guerrier qui sait devenir chasseur. La relève commandée par le lieutenant Rénier est “accueillie ” par des tirs ennemis, des tirs de nuit qu’il nomment la salve de bienvenue pour déniaiser la relève.  

Ces premier obus blessent des hommes de la compagnie et le lieutenant s’est précipité pour s’occuper des blessés : “j‘ai maculé mon uniforme; pour la première fois, dans la poussière et la panique, pour la première fois au milieu de la douleur aigüe des hommes, j’ai pris à bras-le-corps la guerre et elle a dessiné sur mon uniforme son visage convulsé.”  (p 37) 

Il reçoit l’ordre de rejoindre la tranchée de la Tempête et s’enfonce avec ses hommes dans la nuit barbelée, en silence. L’arrivée du sergent vicieux de la guérite du poste  A rend les hommes nerveux et leur nervosité sera gravée dans cette “nuit de froid et de haine ” par les cris de l’homme-cochon (p 43)  Le lieutenant tire alors en direction des bruits un “coup de feu impossible contre le cri de la guerre ” 
Au début du chapitre II, c’est la voix du lieutenant, juste après celle de Jules, qui annonce le début imminent de l’attaque. “personne jamais ne m’avait préparé à cela”  Tout ce qu’il a appris durant sa formation semble totalement dépassé par ce qu’il voit et ce qu’il vit au front : “je vois des soldat termites” : “est -ce celui qui aura creusé le plus profond qui gagnera la guerre ? “  Le lieutenant n’imaginait pas que la guerre aurait ce visage : ils devinent des hommes de la terre. Meurtriers tapis au ras du  sol. C’est alors que le sergent sadique du poste A vient leur annoncer que l’heure de l’attaque a été fixée à 11 heures : commence alors l’attente et la peur monte;(61) il leur reste une demi-heure et plus personne ne parle: chacun s’occupe comme il peut ; Renier se pose des questions : “je me demande si je tuerai un homme cette nuit. Si je verrai son visage. Si j’aurai l force ou si je resterai blotti dans le fond de la tranchée comme un animal blessé..” p 61 
Tout le monde tremble te personne n’ose se regarder: chacun affronte sa peur; il a hâte de courir et son rôle d’officier lui tient à coeur; il va montrer l’exemple et devenir un guépard.A l’heure dite, il se lève, emplit d’air ses poumons, enjambe le parapet et court “sans faiblir; sans penser à rien” ..il se sent rapide comme un fauve, se dirige vers les ennemis et tombe : c’est Ripoll qui ira le chercher avec  Castellac (p 66) “Il était calme et élégant, avec sur la face une expression que je ne lui avais jamais connue: les yeux et la bouche grands ouverts; Comme s’il essayait de crier ou de boire tout l’air du champ de bataille. Comme si sa gueule affreuse s’ouvrait jusqu’au déchirement pour tenter de respirer encore. Une gueule de gargouille…il avait la gueule déformée de la mort. la bouche grande ouverte et les yeux écarquillés..Au lieu de cela, il semble crier encore à l’attaque alors qu’il gît dans la boue, que son corps est froid et que plus personne jamais, n’entendra sa voix. La mort s’est jouée de lui. elle l’a pris de plein fouet. Pour sa première charge. C’était un homme et il méritait mieux que cela. ” 
Et Messard continue à faire le portrait du lieutenant : un fier dragonnier..avec lui disparaît tout son siècle..sa tête résonnait de la charge puissante de la cavalerie sabre au clair..fils du vieux siècle , il est mort car les chevaux se font inexorablement faucher par les mitrailleuses (p 68) Ce nouveau déluge ne ressemble à rien de ce que les hommes ont connu, ajoute Messard; désormais, nous sommes les fils de l’ogre et le grand siècle moutarde va nous dévorer...
Le personnage du lieutenant Rénier symbolise le courage des soldats et honore sa bravoure mais l’auteur constate que cette guerre d’un genre nouveau ne peut être uniquement gagnée avec d’anciennes méthodes; on ne peut plus se battre comme au cour des siècles passés car de nouvelles armes ont fait leur apparition et elles révolutionnent les méthodes de combat. La mort de Rénier permet de mesurer à quel point l’armée est inadaptée à ces stratégies inédites de fortifications et d’assauts à l’arme lourde. 
21. avril 2018 · Commentaires fermés sur Daumal ou la nécessité de l’engagement collectif des poètes · Catégories: Première
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René Daumal est né en 1908 près de  Reims et dès les années lycée, il constitue un groupe d’amis avec lequel il se lance dans des expériences extrêmes ; à Paris, c’est le début du surréalisme et ce mouvement va profondément les influencer ; Ils se surnomment les “phrères simplistes ” ou les 4 R et se donnent des surnoms; ce sont de très bons élèves que pourtant l’école n’intéresse guère; ils préfèrent marcher sur les traces de  leur idole : le poète Arthur Rimbaud qui pour ses expériences de Poète- Voyant  préconisait d’obtenir  le dérèglement de tous les sens ; 

Durant une certaine période , ils vont alors se tourner vers différentes drogues extrêmement dangereuses ; Daumal va également essayer la télépathie, le spiritisme, l’hypnose  et il décrira une expérience unique qui a failli lui couter la vie après une absorption de tétrachlorure de carbone. A la fin de sa vie, il deviendra un mystique passionné par l’hindouisme.

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La création de la revue le Grand Jeu

En 1925, René Daumal rentre en khâgne au lycée henry IV à Paris. Vailland a également rejoint la capitale. Ils vont se lancer dans la création d’une revue littéraire . Le premier numéro doit être publié en 1928 pour être consacré à la Révolte. Daumal insiste “pour ne pas donner une place excessive aux poèmes”, “pour ne pas avoir l’air de jeunes gens qui veulent être imprimés. D’ailleurs, qu’importe ? – Trop de poèmes ennuient vite, la partie poétique sera d’ailleurs aussi importante que la philosophique”. René Daumal prend la direction éditoriale du projet.Mais le Grand Jeu reste dans l’ombre des surréalistes qui valorisent également la révolte. La dimension individualiste et réfractaire de cette révolte débouche, pour André Breton et les surréalistes, vers les idées anarchistes. La poésie leur permet également d’exprimer un dégoût pour la société et de dénoncer les contraintes sociales et morales.La trajectoire de René Daumal croise donc celle d’André Breton .  

Les membres du Grand Jeu  se permettent d’attaquer violemment la société occidentale et ses dogmes. “Faire désespérer les hommes d’eux-même et de la société” devient le but du Grand Jeu. La négation et la destruction de la société avec ses règles idiotes devient un projet salutaire. Le premier numéro du Grand Jeu comprend trois essais sur la “Nécessité de la révolte”. Ensuite, le revue intègre plusieurs poèmes.

                           

Convergences et oppositions avec les surréalistes

Le Grand Jeu se rapproche des surréalistes mais aucun accord n’aboutit. En effet, le Grand Jeu accueille les exclus et dissidents du mouvement surréalistes qui critiquent l’autoritarisme d’André Breton.L’écriture automatique émerge avec la découverte de l’inconscient par la psychanalyse. Un groupe, autour de Breton et Soupault, fonde la revue Littérature en 1919. Ce projet commence « par la démolition de tout ce qui pourrait nous accaparer. Ne pas permettre. La réussite, pouah. La première bataille se livre contre le poème, le pohème, le peau-aime, etc », écrit le jeune Aragon. Breton et Soupault écrivent le poème des Champs magnétiques, réalisés sous la dictée magique de l’inconscient. Les mots et les phrases apparaissent d’eux-mêmes. La découverte de l’aventure surréaliste par Daumal  fait écho à leurs propres préoccupations. Breton tente de supprimer le contrôle qu’exerce la raison sur l’esprit pour libérer une force spirituelle. L’investigation surréaliste se tourne alors vers l’écriture automatique et le récit des rêves.

L’esprit humain doit se libérer de ses conditionnements selon les surréalistes. En 1925, ce mouvement pose des bases précises avec, pour préalable, « un certain état de fureur ». L’action surréaliste ne se préoccupe pas de « l’abominable confort terrestre » mais vise à « changer les conditions d’existence de tout un monde ».

Le Grand Jeu se considère comme communiste dans la destruction de l’ordre établi mais ne rejoint pas le Parti. Les intellectuels communistes sont considérés comme des policiers serviles. Mais l’aventure du Grand Jeu s’essouffle et René Daumal se tourne vers de nouveaux horizons.  « L’Occident individualiste-dualiste-libre-arbritriste, triste, capitaliste-colonialiste-impérialiste et couvert d’étiquettes du même genre à n’en plus finir, il est foutu, vous ne pouvez vous en doutez comme j’en suis sûr », constate Daumal en 1930.

La critique de la vie quotidienne débouche vers une fuite dans la poésie et la métaphysique. Le rêve, l’expérimentation s’apparentent à une fuite hors du monde et de la civilisation occidentale. Daumal, pourtant critique lucide de l’institutionnalisation du surréalisme, ne s’inscrit pas dans une démarche de dépassement de la société marchande par l’émancipation individuelle et collective. La révolution intérieure prime sur la révolution sociale. Sa dérive vers la culture orientale et une forme de religiosité hindouiste révèle l’impasse d’une révolte uniquement spirituelle . 

 

09. avril 2018 · Commentaires fermés sur Robespierre : la Révolution au service des citoyens (texte 3 ) · Catégories: Première
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Alors que les deux précédents discours de Maximilien Robespierre concernaient des points précis : la réforme du droit de la propriété et l’extension du vote par l’adoption du suffrage universel, le discours que nous allons étudier maintenant,  évoque de manière plus générale l’entreprise révolutionnaire , sa nécessité , ses modalités et ce qu’elle apportera à l’ensemble des citoyens. Il s’adresse aux législateurs et leur confie la mission  difficile d’apporter aux hommes le bonheur et la liberté ; c'est donc un discours fortement idéologique dans lequel Robespierre s’efforce d’adopter un point de vue qui dépasse le cadre des événements qui sont en train de se jouer  ; pour ce faire, il remonte aux causes historiques de certains phénomènes et adopte un regard à la fois d’historien mais aussi de politologue en observant avec précision le comportement des gouvernants. Voyons plus en détails comment ce discours est construit et quels arguments emploie l’orateur ? 

Les idées du texte 

Premier paragraphe : il commence par poser un fait général dont il déduit un constat ; Le raisonnement est logique et se fonde donc sur un constat  qui pourrait sembler objectif mais qui semble quelque peu exagéré en raison de la formulation généralisante ;  L'orateur joue ici sur un effet de chiasme et d’antithèse en opposant bonheur ( l 1)  à malheureux ( l 1) et liberté à esclave (1) . La seconde phrase a également une valeur universelle et comme dans son entrée en matière, Robespierre oppose l’idéal à la réalité en établissant un contraste saisissant entre les deux par le biais des oppositions terme à terme; conservation des droits  (2) et perfection de son être  (2) viennent ainsi contraster avec deux verbes aux connotations négatives : dégrader et opprimer ; Avec toujours cet effet de chiasme car dégrader signifier diminuer la valeur de quelqu’un donc s’oppose à perfection alors qu’opprimer signifie ne pas respecter les droits d’un individu: ce qui contraste avec la première partie de la première phrase: conservation des droits . Après avoir posé ces deux séries de propositions antithétiques en guise de préambule, l’orateur s’adresse avec un ton prophétique  (Partie I  ) à l ‘assemblée : la formule ..le temps est arrivé (3)  ainsi que le mot destinées (3)..peuvent faire penser qu’il s’agit d’une sorte de mission sacrée que Dieu , l’être Suprême dans le langage de Robespierre, lui aurait confié. C’est donc investi d’une sorte de volonté divine ,sacralisé en quelque sorte, que Robespierre présente ici ses idées et sa thèse principale qui clôt le premier paragraphe: accélérer  l’entreprise révolutionnaire (4)  ; Pour le public contemporain, cette formule a une résonance particulière car nous savons que Robespierre est en train de justifier la création des organes politiques  qui vont faire régner la terreur ,notamment le Comité de Salut Public, instance exceptionnelle formée de 12 hommes et spécialement  chargée de juger les contre-révolutionnaires . Le terme devoir ici est un appel à la responsabilité de l’assemblée ; c’est un argument de type moral qui fait appel à des valeurs éthiques comme la notion de devoir . ( A classer dans la partie II ) 

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L’arrestation 

Le second paragraphe précise comment procéder: Robespierre y donne , en quelque sorte, le mode d’emploi de la mission (5 ) et fonde , une fois encore, son raisonnement sur un paradoxe ou une antithèse : il invite les députés à  faire précisément tout le contraire de ce qui a existé ( l 5 ) ; Il se fonde ici sur une opposition logique entre le passé et le présent en opposant jusqu’ici l 6 à maintenant l 8 (Partie III )   Ce postulat de base peut paraître choquant mais Robespierre va ensuite clarifier sa pensée en prenant des exemples historiques soigneusement choisis (partie III )  ; il commence d’abord par  une généralité invérifiable; Le fait de formuler ses idées avec une tournure qui les rend universelles est déjà un moyen de persuasion car les auditeurs ne peuvent vérifier la validité de ses affirmations; Il choisit également des formules quelque peu provocantes : “l ‘art de gouverner n’a été que l’art de dépouiller et d’asservir le plus grand nombre au profit du petit nombre ”  C’est bien sûr une vision réductrice simplificatrice de l’Histoire car au fil des siècles, les gouvernements n’ont cessé d’évoluer et de rechercher l’intérêt de la Nation toute entière; mais il se trouve que l’équilibre des forces politiques est en train de se modifier suite à l’ascension, tant en nombre qu’en puissance ,  de la bourgeoise majoritairement issue du Tiers Etat et qui conteste les privilèges de l’Aristocratie et du Clergé.  Robespierre exploite dans son raisonnement ce sentiment d’injustice que ressentent de nombreux députés; Il formule des accusations (partie II )  en employant les termes dépouiller et asservir  (6) pour qualifier l’entreprise monarchique qui , selon lui, faisait prévaloir les intérêts d’un petit nombre au détriment de ceux du plus grand nombre.  Sans citer les aristocrates ou le clergé , Robespierre oppose dans une sorte de logique purement mathématique (Partie III et donc incontestable, le petit nombre au  grand nombre ( 6) qui représente le Tiers- Etat.  Il reprend ainsi les principales accusations contre les régimes oligarchiques qui privilégient effectivement les intérêts des classes dominantes. Robespierre met  ensuite, dans un rapport logique de cause-conséquence ,sur le même plan l’art de gouverner et la création des lois qu’il définit comme étant au service des gouvernants eux-mêmes : les lois édictées par la monarchie devaient ainsi “réduire ces attentats en système ” (7)  ; Le mot attentat montre ici le crime commis par les gouvernements monarchiques et surtout leur volonté de dissimuler leurs agissements en les systématisant : la loi devenant ainsi l’expression de la volonté de quelques uns et elle leur permet de transformer un crime en lui conférant l’apparence d’un devoir . La critique est ici virulente .  (Partie II ) Robespierre , par ce raisonnement mêlé de critiques  , démontre donc la nécessité de changer les lois et il met les députés face à leurs responsabilités une fois de plus en s’adressant à eux : “c’est à vous maintenant de faire le vôtre” (Partie I )   (8) ; Il oppose ainsi le métier de législateur actuel au mode de gouvernement de l’Ancien régime en montrant qu’il va servir de contrepouvoir, de garantie . Il utilise également l’ironie pour ridiculiser les rois et les aristocrates dont il affirme qu’ils ont “très bien fait leur métier ” .  (Partie II ) Il en arrive alors à la double difficulté à laquelle se trouvent confrontés les hommes de loi : elle est  énoncée  l 9 et 10 : voilà à mon avis le double problème .  Il faut , selon lui, à la fois que le gouvernement soit fort pour assurer le respect des droits des citoyens tout en ne commettant pas d ‘abus de pouvoir. S’il est trop fort, il devient tyrannique et s’il est trop faible, il devient incapable d’assurer sa mission; Robespierre reprend ainsi l’idée développée par Montesquieu, un avocat précurseur des Lumières , qui souhaitait réformer l’exercice du pouvoir et  qui  a émis l’idée d’une séparation nécessaire des organes du pouvoir jusqu’alors réunis dans la personne du roi : Montesquieu souhaitait un système politique qui se fonderait sur  l’équilibre et l’indépendance des pouvoirs en séparant notamment le pouvoir législatif du pouvoir exécutif ; C’est bien la même idée que celle que défend Robespierre ici mais dans des circonstances bien particulières car nous sommes au coeur de l’entreprise révolutionnaire et cette dernière est violemment contestée par une partie de la société . 

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Robespierre à l’ Assemblée 

Pour résoudre le problème du législateur, Robespierre propos d’examiner les causes historiques : il utilise ici, une fois de plus,  l’argument d’expérience . “parcourez l’histoire ” l 13 (Partie  III )  mais il reste volontairement vague et emploie des termes qui ne désignent pas une époque en particulier ” magistrats, peuple, citoyens “ . Il évoque l‘excès de l’oppression comme principale cause de la révolte du peuple et établit un lien direct  entre l‘excès de l’oppression et l‘énergie et l’indépendance du peuple. Il utilise volontairement des termes négatifs pour qualifier la monarchie (excès) et des termes positifs pour caractériser la révolution populaire (énergie,indépendance ) (Partie II ,vocabulaire dépréciatif )  ; Il termine sa démonstration en invoquant à nouveau Dieu et sa volonté sous la forme d’une prière adressée à Dieu en faveur du Peuple  “Plût à Dieu  qu’il pût les conserver toujours ” ” l 16; Cette manière de procéder rappelle le caractère  sacré  de la mission qu’il confie aux législateurs mais elle  illustre aussi son caractère désespéré et la rend particulièrement exceptionnelle ; Robespierre  procède une fois de plus  au moyen d’une opposition ; Il met en balance la fragilité du règne du peuple ( qui ne dure qu’un jour ) dont il rappelle le caractère éphémère et la force de la tyrannie qui “embrasse la durée des siècles “ . Les deux expressions font entrevoir la nécessité de transformer cet état  de faits et Robespierre présente ainsi la révolution comme une transformation sans précédent dans la société française voire dans le monde entier.

Dans le paragraphe suivant, il aborde enfin le danger de l’anarchie qui est l’argument majeur des contre-révolutionnaires pour revenir à un état monarchique stable où le poucvoir est clairement identifié avec la personne du roi qui l’exerce au nom de Dieu et dans l’intérêt de la Nation dont il est le représentant . Robespierre rappelle simplement les dates des principales émeutes : la prise de la Bastille le 14 juillet 1789 et l’attaque  du palais des  Tuileries qui va conduire à l’emprisonnement de la famille royale le 10 août 1792 ( le roi Louis XVI  est alors déchu de l’ensemble de ses pouvoirs ) (Partie III les exemples historiques )  ; par analogie, l’orateur minimise le danger de l’anarchie qui selon lui, n’est qu’un état temporaire du corps politique alors que l’aristocratie et la monarchie sont assimilées à une “maladie ” (18 ) (partie II )  ; Il prend ensuite la défense de la révolution qu’il présente comme une victime de l’opinion publique qui la critique injustement  ” époque tant calomniée ” ( l 20) ; Il en rappelle alors les qualités ” un commencement de lois et de gouvernement “, allusion à la déclaration des droits de l’homme et du Citoyen qui va servir de base à la Constitution de la première  république française . Il minimise ensuite les conflits qu’il a cités et les présente comme de simples “troubles “ , euphémisme certain, dont il précise la cause ” les dernières convulsions de la royauté expirante ” ; Il accuse ainsi la royauté d’être tout simplement responsable des conflits issus de la révolution et néglige d’évoquer les dissensions entre factions révolutionnaires, qui sont pourtant à l’origine de sanglantes émeutes . Il termine son argumentation en assimilant la tyrannie à la monarchie de droit divin, vue comme le principal obstacle à l’égalité des hommes ; en traitant la monarchie de gouvernement infidèle ( 21 ) , il tente également  de mettre le véritable droit divin de son côté , du côté du peuple et renverse la définition de l’anarchie en qualifiant justement la monarchie de Clovis jusqu’au dernier des Capet (Louis XVI ) comme une véritable anarchie où un homme, un tyran  remplace abusivement la nature et la loi (23) (partie II les critiques de l monarchie ) 

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Dans le paragraphe suivant, les questions rhétoriques (partie I )  se succèdent à l’appui  d’affirmations présentées une fois de plus comme incontestables avec un ton catégorique : “jamais les maux de la société ne viennent du peuple mais du gouvernement “ ( 24 ) ; Robespierre nie ici toute forme de responsabilité à l’entreprise révolutionnaire qu’il s’efforce de présenter comme un mission purificatrice pour le bienfait du plus grand nombre; On peut parler de vision angélique de l’Histoire ; en tout cas, il s’agit d’une vision subjective et partiale qui sert la cause de la Terreur  dont il  se fait ici le fervent défenseur . Il emploie des arguments fondés sur une logique qui peut paraître incontestable mais il présente des faits historiques sous un jour contestable ; En opposant intérêt du peuple et intérêt des gouvernants (homme en place ) , il introduit la distinction entre bien public et intérêt privé et place le Peuple dans la position d’un nouveau Dieu; Il va même jusqu’à recommander au magistrat de s’immoler au peuple ( l 27 ) On retrouve ici avec ce verbe l’idée d’un sacrifice accompli pour une divinité; L’argument éthique utilisé est celui de la bonté mais fait-on de la politique avec cette qualité et n’est ce pas là encore une vision naïve de l’histoire qui part d’un bon sentiment mais qui simplifie les forces et les intérêts en présence .

La fin du discours de Robespierre montre une  fois de plus des oppositions simplificatrices : il feint de partir des préjugés absurdes et barbares ( 28 )  de ses adversaires qu’il disqualifie ainsi   …le paragraphe tout entier se fonde sur une opposition entre les riches et les pauvres, les puissants et les faibles ; là encore,on note une vision manichéiste et une fois de plus simplificatrice de l’histoire car les arguments de Robespierre, s’ils semblent logiques procèdent d’amalgames dangereux . A la ligne 28 il oppose vices et vertu en mettant du côté des vices les hommes riches et puissants (pouvoir et opulence ) et du côté de la vertu (c’est à dire du Bien ) , les hommes travailleurs, de condition sociale modeste (médiocrité désigne les classes populaires ) et pauvres; Ce raisonnement peut tout à fait sembler abusif . Mais il permet à l’orateur d’amener la formulation de son sytème de pensée et sa thèse finale : Son raisonnement se fonde sur une série de liens logiques marqués par la répétition des subordonnées : que ..qu’il ..enfin ..(l 30,30,3132) (Partie I et III ) : les lois doivent servir à protéger les citoyens les plus faibles alors que les puissants cherchent à s’élever au -dessus des lois ou à en créer qui servent leurs propres intérêts .

Le dernier paragraphe du discours comporte un syllogisme c’est à dire un raisonnement logique  basé sur deux propositions dont on tire la troisième .  (Partie III ) Robespierre emploie un syllogisme juridique : Il énonce une loi (le gouvernement est institué pour faire respecter la volonté générale) ; Ensuite il ajoute une seconde proposition qui apporte une précision :  les gouvernants obéissent à leur volonté individuelle qui s’oppose à la volonté générale et le public en déduit donc  la troisième étape du raisonnement : que le peuple a le droit et même le devoir  de destituer  les gouvernements quand ils se montrent favorables uniquement aux volontés de ceux qui en font partie . Robespierre est donc convaincu de la nécessité d’exercer un contrôle sur les membres des gouvernements afin que les intérêts du plus grand nombre soient toujours pris en compte. La conclusion à laquelle il nous fait aboutir : Concluez donc que le premier objet de toute constitution doit être de défendre la liberté publique te individuelle contre le gouvernement lui-même  (l 37) peut sembler paradoxale mais elle justifie les actions menées par le Comité de salut Public . 

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rev60.jpg, avr. 2018

 En conclusion :  en ces temps fortement troublés, Robespierre se donne l’image d’un justicier qui remplit une sorte de mission sacrée : protéger les plus faibles contre les Puissants qui ne pensent qu’à exercer le pouvoir à des fins d’enrichissement ou de bénéfices personnels; certes l’Histoire est parsemée d’abus de pouvoirs et de nombreux dirigeants ont tiré profit, à toutes les époques , des responsabilités qu’ils exerçaient . Cependant il s’agit d’une vision simplificatrice de l’Histoire car Robespierre y dépeint les gouvernants comme des êtres remplis de vices alors que beaucoup d’entre eux ont à coeur de défendre et de servir leur pays au mieux. Son discours  éloquent utilise toute la palette des procédés oratoires pour créer une connivence avec le public et l’orateur alterne raisonnements logiques (partie III )  et critiques virulentes de la monarchie et de la corruption des institutions politiques;(partie II )  Il tente éclairement de justifier les actions en cours de son parti qui sème la terreur dans les rangs de toux ceux qu'ils considèrent comme des ennemis de l'Etat. Sous prétexte de moraliser la vie politique et de la rendre plus favorable aux petites gens , il persuade les députés qu'il est de leur devoir de maintenir une vigilance entre les gouvernants et de ne pas hésiter à renverser les gouvernements qui agissent contre l'intérêt du plus grand nombre . L'Histoire lui a donné tort te l'a rangé du côté des vaincus; Il a été balayé par la Tempête qu'il a déclenchée et on a vu en lui un tyran dont la volonté cherchait à dominer les autres.  

08. avril 2018 · Commentaires fermés sur Jules ou l’échec de la parole · Catégories: Première · Tags:
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Le personnage de Jules représente dans le récit la voix de l’écrivain , celle qui cherche à faire entendre les autres voix, une sorte de passeur de mémoire et de souvenirs mais cette tâche est difficile et il lui faudra s’y reprendre à plusieurs fois . Examinons le rôle de ce personnage dans le troisième extrait du roman que nous étudions .

Jules établit le lien entre les scènes de guerre et le reste du monde ; celui des hommes qui ne connaissent la guerre que par l’expérience des autres . Le passage que vous présentez se situe à la fin de l’avant dernier chapitre : Derniers souffles. Jules est un combattant de la première escouade qui a été relevée par les hommes du lieutenant Rénier et son état inquiète ses  camarades car Marius, par exemple , lui trouve un regard de haine ; il a dépassé le stade de la peur et risque de se faire tuer à tout instant. Il se définit en marchant jusqu’à la gare comme un rescapé et comme le vieillard des tranchées . Ce passage se compose de 3 parties: l’arrivée au village , le discours désarticulé et la réaction de violence des villageois. Que représente ici le personnage ?  Tout d’abord, il est un élément perturbateur ; Pour reprendre la définition d'Aristote qui considère le personnage comme le support d'une action, Jules  va briser la quiétude de ce village tranquille ( description du village, ses bistrots, son marché, la vie banale ) en y apportant le souffle de la guerre et ses voix . Jules est également un porte-paroles : à la fois des combattants mais aussi des morts ; Il a ici une double dimension. en effet les voix qu’il tente de faire entendre il les a enregistrées comme témoin et ancien combattant : il a en effet partagé l’expérience des assauts avec ses compagnons mai lui a survécu ; les voix qui le hantent sont celles des soldat morts et c’est sa culpabilité qui les fait résonner en lui. En 1960, des chercheurs définirent ce qu’on nomme le syndrome du survivant et l’écrivain s’inspire ici des réactions constatées par de très nombreux rescapés après un choc qualifié de post -traumatique . Les survivants ont besoin de se libérer de leur culpabilité en servant de relais pour leurs compagnons morts.

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Les efforts déployés par Jules pour se faire entendre (répétitions, impératifs, prière) aggravent son sentiment d’échec quand on se moque de lui et qu’on le chasse comme un gueux. Quant à l’hostilité des villageois (lapidation, gradation, furie et références antiques) , elle fait pendant à la violence de la guerre ; La course folle de Jules pour échapper à la pluie de pierres imite celle des soldats au front qui tentent d’échapper à la pluie de feu et ce parallélisme peut montrer , à la fois la similitude de leurs destins soumis à la violence des hommes mais l’auteur peut aussi tenter d’illustrer au moyen de cette image la contagion de la violence; le récit de Jules qui es fait l'écho des violences subies par les soldats  fait naître la violence à son tour parmi les civils car il est insoutenable . La lapidation est sans doute une référence ici à la Bible (voir le fichier joint dans la clé USB à l afin de ce billet ). La communauté chassait celui qui avait commis une faute par peur qu'il apporte le malheur sur eux.  Chasser Jules revient  également, dans une interprétation plus moderne, à nier ce qui se passe au front , faire la sourde oreille. On peut penser au silence des voisins des premier camp d'extermination : les premiers témoignages ont été  violemment rejetés par une grande partie de la communauté européenne qui ne pensait pas de telles horreurs possibles. Plusieurs écrivains ont tenté , à leur manière de témoigner de l'horreur de la guerre  au moyen d'oeuvres littéraires et Jorge Semprun, par exemple; à son retour de déportation,  a mis plus de 20 ans avant de réussir à écrire un roman: L’écriture ou la vie, dans lequel il doute de la possibilité de l’écriture de pouvoir tout transmettre. Lisez son témoignage et parlons en ensemble en classe. Son expérience en ressemble-t-elle pas à celle vécue par Jules ? 

Pourtant, un doute me vient sur la possibilité de raconter. Non pas que l’expérience vécue soit indicible. Elle a été invivable, ce qui est tout autre chose, on le comprendra aisément. Autre chose qui ne concerne pas la forme d’un récit possible, mais sa substance. Non pas son articulation, mais sa densité. Ne parviendront à cette substance, à cette densité transparente que ceux qui sauront faire de leur témoignage un objet artistique, un espace de création. Ou de recréation. Seul l’artifice d’un récit maîtrisé parviendra à transmettre partiellement la vérité du témoignage. Mais ceci n’a rien d’exceptionnel : il en arrive ainsi de toutes les grandes expériences historiques.

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On peut toujours tout dire, en somme. L’ineffable dont on nous rebattra les oreilles n’est qu’un alibi. Ou signe de paresse. On peut toujours tout dire, le langage contient tout. On peut dire l’amour le plus fou, la plus terrible cruauté. […]

Mais peut-on tout entendre, tout imaginer ? Le pourra-t-on ? En auront-ils la patience, la passion, la compassion, la rigueur nécessaires ? Le doute me vient, dès ce premier instant, cette première rencontre avec des hommes d’avant, du dehors – venus de la vie-, à voir le regard épouvanté, presque hostile, méfiant du moins, des trois officiers. »  Folio, p 26 et 27

Plans possibles à partir de 2 questions  pour cet extrait :

 1) En quoi ce personnage est-il le porte- paroles des autres ? 

Un discours collectif : 

 a) a choisi un village et a pris la parole devant la foule

 b) faire entendre les différentes voix qui le hantent = objectif du personnage depuis qu’il a quitté les tranchées et décidé de ne pas y retourner 

c) irrépressible besoin de parler mais difficulté marquée par …

Un accueil hostile inattendu 

a) le déni ou la peur ? les civils face aux soldats : 2 mondes qui s’ignorent ? 

b) le retour de la violence , sa contagion : gradation de la colère, la lapidation, un acte symbolique , les parallélismes entre ici et là bas (leurs derniers souffles de vie) 

c) l’échec de la transmission par la parole : la déroute du personnage , sa fuite à corps perdu : référence à Oedipe

Jules représente le rescapé, le survivant, le témoin qui se sent coupable d’avoir abandonné ses camarades (syndrome du survivant  )

Ccl : passage dans l’épilogue à un art visuel, la sculpture qui donne non pas voix mais corps aux soldats morts.

2) De quel échec s’agit-il pour le personnage ? 

a) échec du dire

discours hâché, morceaux de voix sans liens, pas de souffle

b) échec de la transmission 

personnage ne se fait pas entendre : les gens rient et l’insultent 

rejet par la foule ; se fait chasser, à bout de souffle

c) échec de sa mission 

il devait faire entendre les voix de ses camarades restés au front : n’y parvient pas 

déclenche la violence et considéré comme un traitre et un criminel , un déserteur 

 

06. avril 2018 · Commentaires fermés sur Robespierre veut réformer le suffrage censitaire et instaurer le suffrage universel (Texte 2 ) · Catégories: Première
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Maxilien Robespierre est un avocat de formation qui élu député d’Arras, monte très vite à  Paris et rejoint le célèbre club des Jacobins dont il devient un des membres les plus influents ;  Nommé député de paris , il  va peu à peu occuper des postes clés dans la Révolution française et siégera notamment  au Comité de Salut public qui sera l’organe exécutif de la Terreur ; Son intransigeance effraye ses pairs. Dans  l’ un  de ses nombreux discours prononcés à la Constituante, le député montagnard Robespierre tente ici de convaincre ses collègues députés qu’il est temps de supprimer le suffrage censitaire (il fallait en effet posséder un certain patrimoine pour pouvoir être électeur ) et d’opter pour le suffrage universel; Chaque citoyen pourra ainsi s’exprimer par son vote : ce qui lui paraît plus juste. Quels arguments emploie l’orateur pour tenter de rallier le public à sa thèse ? 

Le premier argument d’autorité utilisé par l’orateur est le nom de Rousseau, célèbre philosophe des Lumières qu’il admirait et qu’il cite parce que son peu de fortune l’aurait écarté de la possibilité de se présenter à l’investiture. Robespierre souligne le ridicule de cette condition en vantant les mérites du philosophe : son génie puissant et vertueux et surtout son rôle d’éclaireur des consciences  car il a , rappelle t-il  à ses auditeurs , préparé vos travaux par ses idées pré-révolutionnaires ; en choisissant cet exemple, un argument d’autorité et en montrant que ce héros de la nation auquel on a “élevé une statue ” n’aurait pu être élu en raison de cette loi inique, le député fait état de l’absurdité d’un système qui associe la valeur et la qualité d’un futur électeur à sa fortune ; En 1791, la France est gouvernée par une monarchie constitutionnelle mise en place par la Constitution de septembre 1791. Dans ce régime, la souveraineté appartient à la Nation mais le droit de vote est restreint.Le suffrage est dit censitaire. Seuls les hommes de plus de 25 ans payant un impôt direct (un cens) égal à la valeur de trois journées de travail ont le droit de voter. Ils sont appelés « citoyens actifs ». Les autres, les « citoyens passifs », ne peuvent pas participer aux élections.Le suffrage est aussi indirect car les citoyens actifs élisent des électeurs du second degré, disposant de revenus plus élevés, qui à leur tour élisent les députés à l’Assemblée nationale législative. Il existe ainsi des électeurs de premier et de second degré. Pour être électeur du premier degré, il faut payer des impôts ou avoir participé à une campagne militaire. Les électeurs du second degré doivent être titulaires de revenus élevés, évalués entre 100 et 200 journées de travail selon les cas.Par ailleurs, pour être élu, il faut être âgé de 30 ans minimum pour siéger au Conseil des Cinq-Cents et de 40 ans pour le Conseil des Anciens.

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Pour tenter de convaincre les députés qu’il est nécessaire de réformer ce droit , Robespierre fonde son élocution sur des répétitions : le verbe dire notamment rythme ses affirmations ; il est employé aux lignes 5, 6 et 7 toujours en anaphore ; Il emploie également  de nombreux liens logiques propres à l’art de convaincre : un lien causal car l 10 , des liens d‘addition et ; un lien de conséquence : par conséquent 14 ; Les affirmations sont péremptoires et ont une valeur universelle comme en témoigne la présence de nombreux déterminants globalisants : tout citoyen l 5 ,  tous les citoyens l  16 les hommes l 7 ; Les  tournures impersonnelles sont nombreuses et renforcent cette dimension généralisante des propos tenus  : il n’est pas vrai l 6 qu‘il faille , il est pour les hommes l 7 , il faut l 15, des lois qui doivent l 16. Dans ce premier paragraphe, l’orateur fonde son raisonnement logique sur la dissociation entre amour de la patrie et richesse du citoyen ; à la ligne 8 l’adjectif indépendants résume son point de vue ; la qualité d’un citoyen doit être mesurée à son amour pour sa patrie et ces intérêts  sacrés sont pour Robespierre indépendants de la fortune ou de la contribution, les deux éléments retenus pour justifier l’obtention du droit de vote. Il s’efforce ensuite de démontrer la justesse de sa thèse par une analogie entre ce à quoi tient l’homme pauvre et l’homme riche; L’argumentation se fonde ainsi sur la notion d’intérêt à la conservation de son état qui est , toujours selon l’orateur, proportionné à la modicité de la fortune ; Ainsi, il démontre qu’un petit épargnant tient autant à  maintenir son état de vivre avec sa famille “que le riche tient à d’immenses domaines ” ; le citoyen le plus modeste aura ainsi à coeur de faire régner la justice qui va lui assurer “la subsistance nécessaire ”  (l 13 ) et non la conservation du superflu; L’orateur en déduit également que donner des droits à cette couche de la population aura un effet bénéfique sur l’ensemble de la Nation; Il prend ainsi comme valeur essentielle le bénéfice du plus grand nombre .

Pour mener ce raisonnement, il se base sur l’idée  que les lois sont faites pour protéger les plus faibles et qu’avec ce système de vote inique , ce sont les hommes les plus puissants qui pèsent d’un poids plus grand sur le système politique car il sont davantage représentés  ; ce paradoxe est exprimé par la question rhétorique qui débute à la ligne 17 et dont l’ examen se termine à la ligne 20 par une indignation marquée par le point d’exclamation ; Indignation qui est à relier avec le terme injuste l 20 .  Robespierre entend ainsi prouver l’injustice profonde de ce mode de scrutin pour l’intérêt des citoyens les plus faibles . L’expression ordre social  l 17 rappelle le titre de l’ouvrage de Rousseau : le contrat social, et reprend les idées défendues par le philosophe des Lumières. Si la France maintient ce type de scrutin, elle  ne se contente pas de maintenir un état de fait favorable aux plus aisés des citoyens, elle renforce carrément  l’injustice  entre ses citoyens au lieu de contribuer à la diminuer ; Le député vient ainsi d’établir le lien entre le mode de scrutin et la persistance ou l’aggravation d’inégalités constitutives de la société française et véhiculées par les institutions politiques , celles là mêmes qui sont chargées de réduire les inégalités au sein de l’entreprise révolutionnaire . L’adjectif injuste l 27 reprend le principal reproche de Robespierre envers le droit de vote restreint .

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Le court paragraphe central du discours est construit sur des répétitions et des arguments logiques : 

 

 

 

 

 

 

 En conclusion, quelques dates clés de l’évolution du droit de vote En 1799 le  suffrage universel masculin  est adopté mais limité sous Consulat. Elle institue le suffrage universel masculin et donne le droit de vote à tous les hommes de plus de 21 ans ayant demeuré pendant un an sur le territoire.Mais il est limité par le système des listes de confiance. Le peuple ne désigne donc pas encore directement ses représentants. En 1815 : suffrage censitaire est rétabli.La défaite de Napoléon Ier à Waterloo (18 juin 1815) entraîne la chute de l’Empire et la mise en place d’une monarchie constitutionnelle, la Restauration. Le suffrage universel masculin est aboli et le suffrage censitaire rétabli. Seuls les hommes de trente ans payant une contribution directe de 300 francs ont le droit de vote. Pour être élu, il faut avoir 40 ans et payer au moins 1 000 francs de contributions directes.La loi électorale du 29 juin 1820 du double vote permet aux électeurs les plus imposés de voter deux fois. Ces mesures cherchent à avantager les grands propriétaires fonciers, c’est-à-dire l’aristocratie conservatrice et légitimiste.Après la révolution des Trois Glorieuses (27, 28, 29 juillet 1830), la Restauration fait place à la Monarchie de Juillet. Le droit de vote est élargi. Le suffrage est toujours censitaire, mais le cens nécessaire pour être électeur passe de 300 à 200 francs (ou 100 francs pour des cas particuliers) et de 1 000 à 500 francs pour être élu (loi du 19 avril 1831). De même, l’âge minimum pour voter est abaissé de 30 à 25 ans et celui pour être élu de 40 à 30 ans. Enfin, la loi du double vote, qui permettait aux électeurs les plus imposés de voter deux fois, est supprimée. En1848 :  le suffrage universel masculin  est adopté définitivement et vote secret. En 1944 : le  droit de vote des femmes rend enfin le  suffrage universel.P

 

31. mars 2018 · Commentaires fermés sur Robespierre veut moraliser le droit à la propriété · Catégories: Première · Tags: ,
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Le chef des Montagnards , soutenu par les comités de sans-culottes , s’attaque à l’un des fondements de l’activité économique: le droit à la propriété. Son éloquence repose ici sur des arguments variés et il s’inspire du style des orateurs romains mais également des discours des Lumières  et de leurs critiques de la société,des inégalités  et de l’exercice du pouvoir . Voyons en détails quels procédés il emploie et quelle est sa stratégie argumentative ?  Les questions que vous pourriez avoir le jour de l’examen : quelle est la stratégie argumentation de l’orateur ? comment le discours est-il construit ? en quoi ce discours est-il éloquent ? convaincant ? que critique ce discours et pourquoi ? A partir des questions données, entrainez-vous à ébaucher des plans en classant les éléments donnés ci-dessous …

Robespierre  commence  une technique qui a fait ses preuves : rassurer l’auditoire : le verbe complèter l 1 sous-entend que sa théorie de la propriété vient juste s’ajouter à celle admise par la majorité des députés alors qu’en réalité son discours vise à modifier la conception même de la propriété.  Il fait d’ailleurs état à la ligne 2 de l’inquiétude supposée de la foule  et anticipe ainsi sur les arguments de ses adversaires ; c’est un excellent moyen de désamorcer leurs appréhensions . Le subjonctif ici a une valeur d’exhortation : il exerce ainsi une pression sur l’auditoire et les met dans de bonnes  conditions pour écouter la suite; L’adresse au public : âmes de boue  l 2 contient pourtant  une forme de provocation ; Le style imprécatif est  néanmoins souvent employé pour créer un contrat avec le public ; L'orateur se sert ici de la fonction phatique du langage: et instaure la communication . Anticipant la défiance et un rejet éventuel de la part des riches propriétaires, Robespierre emploie le mot trésors au lieu du mot argent et rend ainsi quelque peu ridicule l’amour de l’argent dont font preuve les propriétaires ; A la ligne 3 , il rend explicite l’une des principales accusations qui vont permettre la réforme du droit de propriété : l’origine douteuse des richesses acquises, souvent octroyées lors de la période féodale par le roi pour récompenser la valeur militaire des aristocrates qui se battaient pour le royaume; En effet, pendant des centaines d’années, le pouvoir royal a utilisé comme principale rétribution pour les vassaux de la couronne, les terres du royaume et les paysans se sont ainsi retrouvés sans ressources propres, obligés, pour pouvoir exploiter la terre , de payer un loyer à leurs seigneurs  sous forme d’impôts qui ne cessent d’augmenter . Robespierre entend ainsi souligner les abus commis par la royauté. L’adjectif impure a des connotations négatives et rabaisse ainsi ceux qui  ont obtenu des richesses de cette manière.L’orateur se sert ensuite d’images fortes pour qualifier une réforme politique qu’il combat: la loi agraire ;  (l 3) Il la qualifie de fantôme ce qui souligne son caractère inconsistant et quasi irréel et précise qu’elle émane de fripons; Il contribue par l'usage de ce terme péjoratif  à disqualifier ces adversaires; cette technique qui consiste à rabaisser ses adversaires a un nom: il s'agit d'argument ad hominem c’est à dire d’arguments qui s’attaquent à la moralité de vos ennemis; On va ainsi  particulièrement utiliser les insultes ; C'est le cas ici avec fripon, renforcé par le terme imbéciles  (‘l 4 ). Souvent les arguments ad hominem sont peu efficaces mais ils jettent un doute dans l’esprit du public et surtout visent à rabaisser ceux qui soutiennent la thèse inverse de celle que l’on défend . De plus, en utilisant le terme épouvanter , Robespierre sous entend que ses adversaires sont peureux car ils craignent des chose qui n’existent pas : les fantômes. Nous ne sommes plus ici dans le domaine rationnel ni logique. 

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Il rappelle ensuite une évidence au public en rétablissant un lien causal direct entre les inégalités de richesses et les malheurs du pays et y précise le rôle de la révolution; En effet, Robespierre est l’un de ceux qui pensent qu’il faut avant tout s’attaquer aux cause des phénomènes pour les faire disparaître et il met en évidence ainsi la nécessité de réduire “l’extrême disproportion ” des fortunes;  ( 5 ) En employant l'adverbe d'intensité extrême , il montre que la marge d’action est importante et continue à rassurer les nantis. Le parallélisme de construction  qui introduit la restriction dans la seconde partie de la phrase à l’aide de l’expression nous n’en sommes pas moins convaincus ...reflète ici l’équilibre de la pensée ; Robespierre ne veut pas l’égalité des biens  pour tous car il dénonce le caractère utopique d’une telle idée en la qualifiant de chimère (6 ) ; Une chimère est une créature mythologique monstrueuse et légendaire et  au sens figuré, désigne un rêve insensé ,  un but impossible à réaliser . L'orateur rappelle ensuite qu'il défend avant tout l’intérêt général en faisant passer la félicité publique (7 )  avant le bonheur privé ; Il anticipe ici sur les éventuels conflits politiques  entre la défense  de l'intérêt général et la défense des  intérêts particuliers . Le terme félicité , quelque peu archaïque ,fait référence  à la Rome antique et prépare la comparaison avec les arguments des orateurs romains .

En effet, Robespierre s’inspire fortement des figures de l’éloquence antique et fait allusion à des personnages historiques pour servir d’illustration à ses propos. Fabricius  ( l 8) est un général romain devenu consul qui fut célèbre à Rome au troisième siècle avant JC par son refus des biens matériels et de l’argent  ; Il refusa par exemple les cadeaux des nations vaincues car il pensait que l’argent pouvait amener la corruption et mourut dans la plus garde pauvreté.Il est cité en exemple par le philosophe Jean Jacques Rousseau dans ses discours pour vanter les mérites de l’absence de vénalité et pour prouver qu’on peut être heureux sans posséder beaucoup de biens matériels ; En effet, Rousseau imagine que le consul vivait dans une chaumière (c’est le mot qu’il emploie dans le Discours sur les Sciences et les Art notamment en 1759 ) ; Robespierre reprend ici clairement les thèmes et les arguments de Rousseau qu’il admirait notamment pour ses réflexions sur le Contrat Social ; Rousseau pensait en effet que les nations devaient se doter d’un contrat moral entre les individus et l’état afin de soutenir l’intérêt commun contre les tentations d’abus des individus et que la loi doit protéger le collectif et servir au plus grand nombre . Quant à Crassus sénateur romain du premier siècle avant JC , il est célèbre pour ses richesses et on le considère comme l’homme le plus riche de Rome; Il s’et enrichi notamment par des spéculations foncières et les dons reçus lors des victoires militaires de ses légions. Il symbolise la cupidité et l’enrichissement qui découle la simple l’activité politique . Robespierre oppose ici ces deux symboles et choisit de se ranger dans le camp des hommes publics désintéressés ; Il tient à convaincre ses auditeurs de sa probité et de sa morale.  Il poursuit ce raisonnement en s’identifiant à un fils d’Aristide. Aristide, surnommé le Juste, est une figure politique symbolique de la démocratie athénienne du cinquième siècle avant JC qui se démarque de ses adversaires par sa probité et son refus de l’enrichissement : il est réputé dans la Grèce antique pour avoir soutenu l’intérêt  général de la Cité contre les tentatives des riches sénateurs de privilégier leurs intérêts . Alors que Xerxès est un empereur perse  de la même époque  (- 500 ) dont l ‘ Empire a été démantelé notamment à cause des guerres que se livraient ses fils . Comme il a opposé la chaumière au palais, Robespierre oppose ici un lieu où règne la vertu: le Prytanée à un lieu de vices, matérialisé par la fange  des cours qui conduit implicitement à  l’avilissement des peuples : deux termes aux connotations fortement péjoratives . Le paradoxe final “brillant de la misère publique ” crée un lien implicite entre l’enrichissement des gouvernants et la pauvreté du peuple; l’adjectif brillant connote le luxe et l’or et montre ainsi de manière choquante le contraste entre le luxe et la misère. Robespierre dénonce ainsi les hommes politqiues qui s’enrichissent grâce à leurs activités et contribuent par leurs abus à rendre le sort du peuple encore plus précaire ; Double injustice en quelque sorte !

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Après ce détour par l’histoire antique et cette référence à Rousseau, l’orateur poursuit son raisonnement politique et revient à son intention première :  réformer le droit à la propriété et le moraliser . Il est donc logique qu’il emploie les illustrations en relation avec la moralité des hommes politiques antiques : il place ainsi l’argumentation sur le plan éthique : celui des valeurs morales et particulièrement du bien -agir; En effet, il s'agit ici de décider les députés à voter une loi qui moralise le droit à la propriété.  On retrouve également la notion de vices que s ‘efforce de combattre Robespierre . Il oppose ainsi la bonne foi aux préjugés dont les hommes font preuve et se pose ainsi en défenseur de la vérité: Il est celui qui cherche à éclairer , ce qui métaphoriquement est rappelé par les nuages épais (l 13 ) image qui matérialise ce  qui empêche les hommes de voir clair . Robespierre se place ainsi dans la lignée des Lumières dont il réutilise le vocabulaire ;

Ses arguments se font plus précis et il s’attaque d’abord aux esclavagistes qu’il qualifie de “marchands de chair humaine ” : cette expression se veut choquante et l’orateur poursuit avec des termes évocateurs comme la longue bière, périphrase  qui désigne le navire ; une bière est un cercueil et ici Robespierre sous- entend que les bateaux qui contiennent des esclaves sont pour eux des cercueils car ils effectuent les traversées dans d’horribles conditions. Les attaques contre l’esclavage reprennent celles des Lumières et de Voltaire notamment qui dans Candide , dénonce la cruauté des esclavagistes et les traitements inhumains qu’ils font subir à leurs esclaves, considérés comme des marchandises dans le Code Noir, texte qui légalise et dicte les règles de la traite des noirs. Pour dénoncer cette situation, Robespierre emploie des verbes  de parole à l’impératif comme des adresses à ses destinataires : demandez, ligne 14, interrogez, l 16 et 19 . De plus, il invente même les réparties de ses interlocuteurs en imitant ainsi la prosopopée ,procédé utilisé dans l’Antiquité par les orateurs et rendu célèbre par le philosophe  Jean-Jacques Rousseau dans son Discours sur les Sciences et les Arts qui donne la parole à un sénateur romain, Fabricius,  procédé d’éloquence repris par Robespierre. 

De plus, Robespierre établit un rapprochement entre les esclavagistes et les membres des familles royales qui ont régné pendant des centaines d’années sur l’Europe;  Il raisonne ainsi par l’analogie. Par ce biais, il assimile,dans le paragraphe qui suit, les membres de la “dynastie capétienne”  ( l 19) à des esclavagistes  qui , ont eu, selon lui, le droit héréditaire “d’opprimer, d’avilir ” les populations; Ce sont ici deux termes aux connotations négatives qui dénoncent les abus de la monarchie. On retrouve ici les principales critiques des Lumières envers les Grands et leurs caprices; en effet, les Lumières n’ont cessé de dénoncer les effets dévastateurs des guerres de successions sur les paysans et les populations les plus démunies, guerres menées simplement pour les caprices et l’orgueil démesuré des Princes qui souhaitaient agrandir leurs territoires et étendre leur domination; Voltaire notamment, dans l’article guerre de l’Encyclopédie, dénonce les caprices des Princes; on retrouve cette idée dans le discours de Robespierre avec la mention, ligne 22 , du bon plaisir des capétiens. Cette expression présente, en effet, leur manière de gouverner comme obéissant simplement à leurs envies personnelles . Or, pour Robespierre, un dirigeant est responsable du bien -être de se concitoyens et a des devoirs envers les plus faibles.  En s’appuyant sur le principe du droit héréditaire cité ligne 20 , les familles royales disposent ainsi de la propriété du pouvoir : la plus sacrée des propriétés (l 20 ) On sent ici tout l’ironie de l’orateur quad il ajoute “sans contredit “; Il montre ainsi que les partisans de la monarchie n'admettent pas qu'on ne puisse pas partager leurs idées et sont donc intolérants . 

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Arrivé à ce point de son discours, Robespierre va maintenant développer sa thèse en reprenant d’abord celle de ses adversaires : “aux yeux de tous ces gens là, la propriété ne porte sur aucun principe de morale ” ; il entend justement démontrer qu’il faut renoncer à cette manière de penser sous peine de ressembler à toux ceux qui ont commis des abus; Il sait qu’il doit convaincre, parmi les députés , les riches propriétaires terriens qui ne vont pas renoncer facilement à leurs propriétés . Il se fonde alors sur la déclaration des droits de l’homme qui définit la constitution du nouveau gouvernement et établit un parallèle entre l’énoncé dd droit fondamental à l liberté , qui repose sur des valeurs morales dans la mesure où la liberté de chacun a pour bornes les droits d’autrui et que la liberté est un droit sacré que l’homme “tient de la nature ” ; Par analogie, si la propriété ,  en tant que droit ,comme la liberté ,est garantie par la Constitution alors nul ne peut s’en arroger la détention et en priver les autres hommes. C’est ainsi que Robespierre entend réformer le droit de propriété et il énumère ensuite les articles qui lui semblent essentiels . Il déclare , une nouvelle fois, agir au nom de la Vérité pour combattre les Vices . (31)  Il termine son argumentation en reprenant les critiques contre les abus des nantis ; En effet, il juxtapose les termes riches, qui ne possède pas de connotation négative, avec accapareurs, agioteurs qui désignent des gens qui utilisent l’argent gagné à des fins personnelles et sont poussés sur l’appât du gain :ce deux termes  possèdent de fortes connotations négatives; Mais surtout, il place en fin d’énumération le terme tyrans qui lui est sans rapport direct avec l’argent mais dénonce simplement les abus liés à l’exercice autoritaire du pouvoir; Il recrée donc un lien analogique dans son argumentation entre abus des riches et abus des politiques ; ce qui par simplification revient à identifier abus des riches et abus politiques . 

Le discours prend alors la forme d’une proposition de réforme de la constitution et les députés devront ensuite voter l’adoption du texte ou le rejeter, ou alors en amender certains articles .  

En conclusion, Robespierre a déployé dans ce discours , toutes les ressources l’éloquence antique et reprend la plupart des idées déjà défendues par les Lumières dans la génération précédente ; En réformant le droit à la propriété , il entend pouvoir l’étendre à un grand nombre de citoyens qui jusqu’alors en avaient été écartés; On peut ainsi dire qu’il a été un des pionniers du combat pour l’accès à la propriété (et notamment au logement ) des classes les plus  modestes, Etre propriétaire de  son habitation, par exemple, ou des terres, que l’on cultive, peut ainsi contribuer à faire reculer la misère dans les campagnes et dans les villes et contribuer au Progrès  de l’ensemble de la Nation .