12. mai 2016 · Commentaires fermés sur Des séjours en prison qui se transforment en poésie : comment évoquer poétiquement l’univers carcéral ? · Catégories: Première
L’évocation de la prison et des conditions de détention peut faire l’objet de descriptions qui semblent puiser dans un fonds commun
d’images et de sensations; en effet, la plupart des prisonniers partagent des sentiments analogues et évoquent l’ennui, la solitude, le regret de leur liberté perdue, la monotonie des journées qui se ressemblent toutes , la perte de leur famille, de leurs repères , parfois même de leur identité avec le danger de la déshumanisation.
Certains prisonniers qui ont souffert de conditions de détention particulièrement éprouvantes durant la guerrre notamment , vont faire référence à la promiscuité, à la violence , à la torture qui va parfois accompagner la privation de liberté. Les sensations seront traduites par un monde sonore (bruits de l’extérieur qui attisent la nostalgie ou bruits subis qui provient souvent de leurs codétenus; Certains bruits semblent symboliques (trousseaux de clés des gardiens qui renvoient à la fois à l’emprisonnement mais connotent aussi la liberté avec l’ouverture des portes, bruits du quotidien (voitures qui passent et qui indiquent que la vie continue dehors, cris d’enfants qui sortent de l’école , indice là encore de la vie qui s’écoule sans eux ) . Certains bruits reviennent fréquemment ; On pense notamment aux bruits des chaines , des portes des cellules, les cris .
Cet univers est également visuel et le regard des prisonnier semble d’abord faire le tour de leur cellule : si la laideur est le sentiment dominant (couleurs sales, grisaille, délabrement, vétusté ) , on retrouve aussi une sensation de dénuement et de vide; L’attention de certains prisonniers va es focaliser sur un objet extérieur qui assure le lien avec le dehors, comme le ciel, un arbre, un horizon.La vue qu’il ont de leur cellule est souvent limitée et forme un cadre étroit découpé par des limites strictes (fenêtres, grillages, barreaux, soupirail, judas)
L’oppression sera souvent traduite par des figures géométriques notamment celle du cercle qui matérialise cet enfermement et le fait de tourner en rond comme un animal en cage (ours chez Apollinaire, tournons tournons tournons, v 23 ronde pour Verlaine avec tourner en rond, la meule, le cirque, cage chez Voiries ) Le ralentissement du temps accompagné par les références à l’ennui peut prendre la forme poétique d’un étirement des vers ( que lentement passe les heures avec Apollinaire et la comparaison avec un enterrement ) mais il peut aussi être traduit par des répétitions de mots ou de sons (les anaphores de Baudelaire, les rimes , les allitérations et les assonances, les rimes intérieures ) La forme du poème est également un paramètre important car elle est modulable (vers longs, vers courts, alternance des rythmes et des mètres pour assurer des variations rythmiques, des cadences différentes, des ralentissements et des accélérations)
Le champ lexical de la mort peut se faire discret ou plus présent : notations éparses chez Verlaine (on croit mourir,v 24 supplice) , références directes ou métonymiques avec Baudelaire (corbillards, drapeau noir ) ; La plupart du temps, l’ambiance est morbide et inspire un sentiment de désolation qui peut s’exprimer au moyen du lyrisme ou avec une certaine distanciation comme chez Verlaine et Apollinaire.
Au delà des thématiques communes, les poètes adaptent la forme de leur écriture pour traduire des sensations qui vont du simple ennui au désespoir le plus profond. Les notations réalistes qui évoquant leurs conditions de détention cèdent parfois la place à des notations oniriques (hallucinations chez Voiries, images des bonheurs disparus) qui traduisent un désir d’évasion et l’espoir d’une libération. L’écriture poétique leur permet de s’évader le temps de l’écriture et de faire ressentir la souffrance de l’emprisonnement .
12. mai 2016 · Commentaires fermés sur Une enquête sur l’incarcération d’Apollinaire A la Santé · Catégories: Première
Lorsque le poète est incarcéré en 1911, il passera six jours et six longues nuits en prison et son incarcération sera commentée dans la presse écrite de l’époque notamment dans le Journal de Paris auquel il collaborait. Après sa libération , il évoquera les conditions de sa détention et ajoutera en 1913 à son recueil Alcools, ces six poèmes courts auxquels il donnera comme titre A la Santé.
Dans ces petits poèmes aux tons variés, il donne certains détails réalistes sur son emprisonnement et la tentation était grande de vérifier si les plans de la prison de la Santé en 1911 correspondaient aux indications données par le poète.
Les détails relevés et vérifiés concernent tout d’abord l’emplacement de sa cellule ; le 15 de la onzième (v 11 et 12) ; Elle se situait probablement sur le chemin de ronde des gardiens ce qui explique que le détenu entendait le bruit des clés (29 et 30 ) ; La fontaine de la cellule voisine (28 et 32) désignerait le robinet dont l’établissement avait doté les nouvelles cellules qui contenaient , en outre, un tabouret attaché avec une chaîne au mur (40) une table et un lit. Le poète était seul dans sa cellule (56) et sortait effectuer une promenade quotidienne dans la cour de la Santé qu’il compare à une fosse ( 21 et 22) On lui aurait donné de quoi écrire ( v 15 et 36 ) et cela peut supposer que le poème a été rédigé en partie durant sa détention . La position de sa cellule à proximité de la rue Jean Dolent a même été vérifiée (50 ) : il était au premier étage et avait donc une cellule au dessus de la sienne ( 19 et 20) .
Ce court séjour en prison sur laissé des traces sur le poète qui reprend les thèmes majeurs de l’incarcération (solitude, ennui, laideur du cadre, tristesse) sur un ton un peu décalé et sans grandiloquence dans l’émotion.
Lisez l’Enquête sur les cellules de la maison d’arrêt de la Santé (1898) menée par Franck Balandier
…Les meubles de la cellule se composent d’un lit en fer dont une partie est fixée au mur et dont l’autre est mobile de façon à pouvoir s’appliquer contre le mur pendant le jour, d’un escabeau retenu au sol par une chaîne en fer, d’une table fixée au mur et d’un rayon placé au-dessus de la porte…
Ce quatrain est fondamental pour la vérification d’un certain nombre d’hypothèses concernant la localisation de la cellule 15 de la 11ème. D’abord, on peut affirmer définitivement que la cellule 15 se trouve au rez-de-chaussée de la division : “je ne vois rien qu’un ciel hostile”… Nous avons tenté l’expérience. Nous sommes entrés dans la cellule présumée du poète. Nous avons pu vérifier que la fenêtre située en hauteur ne donnait à voir, même en levant les yeux, qu’un bout de ciel. Les “murs nus” représentent le mur d’enceinte dont le poète est seulement séparé par la largeur du chemin de ronde.
De l’autre côté du mur, se trouve la rue Humbolt, aujourd’hui rue Jean Dolent. Depuis la cellule 15, fenêtre ouverte, on peut écouter, en pleine après-midi, les bruits de la rue étouffés. On peut imaginer les roues des fiacres sur le pavé, les sabots des chevaux, les pétarades des premières voitures, les cornes, les sonnettes, des voix peut-être. Guillaume s’est tenu là, tout près de cette liberté.
Ainsi, les dernières incertitudes tombent : sa cellule donne bien sur le chemin de ronde.
Mes prisons
Dans Mes prisons, l’article que Guillaume Apollinaire écrivit pour Paris Journal deux jours après sa mise en liberté provisoire, des indications de lieux supplémentaires, des confirmations et des précisions viennent encore éclairer, un peu, ce que fut l’incarcération du poète.
Assurément, Apollinaire fut privilégié. Incarcéré à la Maison d’arrêt de La Santé dans la nuit du jeudi 7 au vendredi 8 septembre 1911, il bénéficia, dès le lendemain, des services de la bibliothèque (les services sont fermés durant le week-end). C’était le signe d’une faveur personnelle (l’avait-il, lui-même, sollicitée ? ) ou l’indice d’une détention préventive qui risquait d’être longue. En tout cas, cet élément semble contredire certains journaux qui affirment à l’époque que “Guillaume Apollinaire […] s’éveille à l’aube dans une cellule nue où il a des plumes, de l’encre, du papier mais pas un livre”…
J’eus une émotion […] en lisant quelques vers naïfs laissés par un prisonnier […]. J’en composais aussi …
On sait aujourd’hui ce que fut cette composition. Et si le poète posséda bien le nécessaire à écrire dans sa cellule (comme précisé ci-dessus), la question reste posée de déterminer ce qui y fut réellement composé. Le poète prit-il des notes, ébaucha-t-il quelques vers ou rédigea-t-il l’intégrale de cette suite ?
Le poète signe le 15 de la 11ème. Il date ce passage du 9 septembre 1911, soit du samedi, deux jours après le début de son incarcération. En haut, à gauche au-dessus du texte, le poète a inscrit le mot “Santé” entouré. A droite, au-dessus du texte, le chiffre “5” est dessiné.
09. mai 2016 · Commentaires fermés sur L’utopie : un instrument de critique pour les Lumières ? · Catégories: Première
Le sujet du bac blanc portait sur la question de l’homme dans les textes argumentatifs : trois auteurs , à travers leurs apologues , avaient imaginé un choc culturel pour faire réfléchir leurs contemporains sur leur mode de vie et leurs défauts . La quête du bonheur, en effet, est un sujet de préoccupation important pour les hommes des Lumières qui comparent les vertus de différents modèles de civilisations.
Plusieurs thèses s’opposent : Rousseau pense, par exemple, que l’homme est naturellement bon et que la société le corrompt en faisant naître la jalousie, l’envie des richesses et la cupidité. Voltaire s’oppose à cette idée en montrant qu’il est possible de vivre heureux , en communauté , à condition de renoncer à certains vices; dans Candide, il illustre cette hypothèse avec l’ Eldorado (chapitre 19 de Candide ) , une contrée utopique où les habitants sont hospitaliers et se désintéressent totalement de l’or et de l’argent qu’on trouve pourtant en abondance sur leurs terres.
Voltaire s’est sans doute d’ailleurs inspiré de la Bétique de Fenelon inventée 60 ans plus tôt : cet univers paradisiaque qui évoque le jardin d’Eden: climat tempéré, fruits à profusion, fertilité exceptionnelle des sols et habitants à l’image de leur terre. Précepteur du futur roi, Fenelon s’efforce de former l’esprit de son royal élève en inventant des fictions qui facilitent la réflexion et l’appropriation des valeurs philosophiques qui prônent la modération et la simplicité. Le bonheur paraît à portée de mains pour les gens qui vivent simplement, sans besoin superflu et en accord avec les ressources naturelles de la terre. Ils ne sont ainsi pas esclaves de leurs passions ni de leurs désirs . Cet idéal philosophique se retrouvera au siècle suivant avec les philosophes des Lumières ou leurs précurseurs qui prônent déjà la tempérance et se méfient des passions .
Montesquieu, par exemple, se livre à une critique des parisiens en montrant leurs moeurs corrompues par les yeux de deux étrangers, des persans exilés à Paris, fort étonnés de ce qu’ils constatent. Le romancier invente alors le mythe des Troglodytes, un peuple ancien qui a su conserver un mode de vie simple et qui trouve son bonheur dans un esprit de partage et une piété sans faille . Il dénonce ainsi les dangers d’un Progrès qui négligerait la dimension humaine et d’une dérive vers une société où les valeurs individuelles l’emporteraient sur l’idéal d’harmonie collective. Ce danger est illustré par Voltaire avec son personnage de sage oriental, qui doit servir de modèle et nourrir la réflexion des lecteurs; dans un monde où règne la guerre et où les luttes politiques sont meurtrières, le sage se doit de demeurer à l’écart pour y trouver la sérénité; et il lui importe alors de cultiver son jardin . Le bonheur ici passe par un idéal de société où chacun se contente du ce qu’il peut produire et fait fructifier ses talents; les compétences des individus sont mises au service de la collectivité dans une forme d’autarcie , rempart contre le désordre du monde.
Ces trop textes obéissent donc au même principe : plaire et instruire ;
Ci -dessous un modèle de corrigé officiel pour les 4 sujets : la synthèse et les 3 sujets d’écriture . En pièce jointe, d’autres sources de corrigé sur le net.
Un monde isolé et clos
– un pays qui semble béni des dieux : « Le fleuve Bétis coule dans un pays fertile et sous un ciel doux, qui est toujours serein ».
– un univers hors des atteintes du monde extérieur et de ses lacunes : « Le pays a pris le nom du fleuve, qui se jette dans le grand Océan, assez près des Colonnes d’Hercule et de cet endroit où la mer furieuse, rompant ses digues, sépara autrefois la terre de Tharsis d’avec la grand Afrique ». Un havre de paix face aux incertitudes de la nature.
– la terre elle-même est porteuse de modération : « Les hivers y sont tièdes, et les rigoureux aquilons n’y soufflent jamais. L’ardeur de l’été y est toujours tempérée par des zéphyrs rafraîchissants, qui viennent adoucir l’air vers le milieu du jour » (peut-être évocation du climat de l’Andalousie ?).
– la terre est source de vie ; personnification du paysage (« dans les vallons et dans les campagnes unies ») et métaphore filée de la fertilité : « Ainsi toute l’année n’est qu’un heureux hymen du printemps et de l’automne, qui semblent se donner la main. La terre, dans les vallons et dans les campagnes unies, y porte chaque année une double moisson ». – univers hors du temps, mythique et placé sous le signe d’un plaisir sain : « Ce pays semble avoir conservé les délices de l’âge d’or ». Le présent semble abolir le temps dans l’éternité ; récurrence des adverbes « toujours » et « jamais ».
2. Le paradis sur terre
– La nature elle-même est un pays de Cocagne préservé de toute atteinte et qui pourvoit en abondance à la subsistance de ses habitants : procédé de l’accumulation et usage du pluriel suggèrent la profusion : « Les montages sont couvertes de troupeaux. » Surenchère : « une double moisson ». Vitalisation de la nature.
– la négation restrictive exclut tout accident : « Ainsi toute l’année n’est qu’un heureux hymen du printemps et de l’automne, qui semblent se donner la main ».
– topos du locus amoenus </i>; mention d’éléments types : le fleuve et l’eau ; la brise (« zéphyrs rafraîchissants ») ; les fruits (« grenadiers ») les fleurs (« arbres toujours verts et fleuris », « lauriers, jasmins » qui confirment par leur présence la douceur du climat).
– la description fait voir un lieu où tout n’est qu’agrément pour le regard : appel aux sens donc et fusion heureuse des quatre éléments. Aspect merveilleux d’un Eldorado où l’on trouve en abondance des mines d’or et d’argent. Dimension esthétique du tableau : la poésie est aussi une peinture (« ut pictura poesis »), une ekphrasis : « peindre, c’est non seulement décrire les choses, mais en représenter les circonstances d’une manière si vive et si sensible que l’auditeur s’imagine presque les voir. » Fénelon, Dialogue sur l’éloquence.
II Un modèle de société
1. Le lieu, métaphore de l’être
-cadre pastoral : l’innocence et la bonté naturelle des personnages se fondent dans le décor. – l’évocation des lieux sert en fait de métaphore à la perfection des habitants à travers leurs propriétés et réalisations.
– procédés de la louange, marques d’évaluation, en particulier adjectifs et adverbes : « un pays fertile, un ciel doux, toujours serein ».
– rapport privilégié avec la nature, harmonie des hommes et des lieux; inutilité de l’urbanisme ; êtres d’avant la Chute, marqués par l’innocence originelle.
– une société de pasteurs et d’agriculteurs presque primitive.
2. Un idéal de société et de vie
– idéal de modération, de frugalité, de raison.
– vie rustique et rudimentaire ; des bergers : une Arcadie retrouvée ? Physiocratie caractéristique de l’époque des Lumières.
– mépris du matérialisme, malgré les tentations offertes par la configuration des lieux : « il y a plusieurs mines d’or et d’argent dans ce beau pays ; mais les habitants, simples et heureux dans leur simplicité, ne daignent pas seulement compter l’or et l’argent parmi leurs richesses : ils n’estiment que ce qui sert véritablement aux besoins de l’homme.
– symboliquement, l’or est employé à la construction d’outils agricoles : l’agriculture est ainsi placée au dessus de toute richesse. On privilégie ce qui est utile, l’argent n’est pas une fin en soi.
– défense de la vertu et de la morale comme fondement d’une société qui se veut à la fois rationnelle et idéaliste.
– dénonciation de l’illusion et de la vanité humaine, danger de l’hybris, recherche d’une « vie simple et frugale ». Une vision qui est l’œuvre d’un moraliste.
III Valeur pédagogique de l’utopie
1. Un miroir inversé du monde réel
– L’existence d’un locus amoenus laisse sous-entrendre l’existence en filigrane d’un locus terribilis qui ne tarde pas à être évoqué plus explicitement au moyen d’une accumulation extrêmement négative : « Au contraire, ils doivent être jaloux les uns des autres, rongés par une lâche et noire envie, toujours agités par l’ambition, par la crainte, par l’avarice, incapables des plaisirs purs et simples, puisqu’ils sont esclaves de tant de fausses nécessités dont ils font dépendre tout leur bonheur. » Mise en évidence d’un paradoxe : l’homme moderne, croyant se libérer ne fait que construire les chaînes de son aliénation.
– critique déjà rousseauiste du luxe qui déstabilise les sociétés : « Ce superflu amollit, enivre, tourmente ceux qui le possèdent : il tente ceux qui en sont privés de vouloir l’acquérir par l’injustice et par la violence. Peut-on nommer bien un superflu qui ne sert qu’à rendre les hommes mauvais ? » Tableau satirique et antithétique d’une société absurde, mondaine, faussée, celle que Fénelon et ses contemporains ont sous leurs yeux à la Cour et qui déstabilise l’ensemble de la société.
– une leçon : le discours direct traduit l’évidence de cette conception du monde ; série de questions rhétoriques pour suggérer l’absurdité d’une autre façon de vivre par l’usage systématique de la comparaison « Les hommes de ces pays sont-ils plus sains et plus robustes que nous ? Vivent-ils plus longtemps ? Sont-ils plus unis entre eux ? Mènent-ils une vie plus libre, plus tranquille, plus gaie ? » Progression du propos : d’abord préoccupation physique ensuite morale.
2. Un univers chimérique
– danger d’uniformité d’un univers hautement utopique : « Ils sont presque tous bergers ou laboureurs ». Tous proposent la même vision du monde, ce qui est la condition pour que cette société puisse continuer à fonctionner harmonieusement.
– refus de l’industrie dont la créativité est pourtant suggérée par l’accumulation et les pluriels et les termes laudatifs : « des peuples qui on l’art de faire des bâtiments superbes, des meubles d’or et d’argent, des étoffes ornées de broderies et des pierres précieuses, des parfums exquis, des mets délicieux, des instruments dont l’harmonie charme ». Danger régressif.
– en fait, ce qui est gênant, ce n’est pas la création industrieuse en elle-même, c’est l’usage immodéré qu’en font les hommes et son absence de finalité humaine.
– risque de l’autarcie : « ils ne faisaient aucun commerce au-dehors ».
– la véritable richesse tient à la qualité du cœur des habitants proches de la figure mythique du « bon sauvage ». C’est une élite morale capable de se discipliner et de s’autogérer. Caractère improbable et hautement chimérique du lieu. Le plaisir du rêve est étroitement lié à celui de la pensée politique.
Commentaire de texte rédigé avec indication du plan
Introduction
L’utopie, genre créé au xvie siècle par Thomas More, présente un lieu imaginaire afin de donner l’image d’une société idéale et, par contrecoup, une critique du monde réel. Ce genre connaîtra encore un grand succès au xviiie siècle, repris par exemple par Montesquieu ou Voltaire. Fénelon, déjà, à la fin du xviie siècle, en propose une dans son roman Les Aventures de Télémaque. Au cours du septième livre, Télémaque et son précepteur Mentor rencontrent un capitaine de navire dont le frère Adoam leur décrit un pays merveilleux : la Bétique. Dans cette contrée reculée et imaginaire, les habitants mènent une vie frugale et heureuse, éloignée de toute corruption et de tout vice, générés selon eux par le superflu. Comment cette description d’une société utopique se révèle-t-elle porteuse d’une dimension argumentative ? Nous étudierons tout d’abord le portrait idéalisé de la Bétique brossé par le narrateur, puis celui des habitants de ce pays. Enfin, nous montrerons comment ce texte offre une critique de notre société.
I. La Bétique : un pays utopique
1. Un monde isolé
La Bétique est présentée d’emblée comme un pays isolé du reste du monde, un lieu clos et éloigné. En effet, il est bordé d’une part par les « Colonnes d’Hercule » et d’autre part par « la mer furieuse […] [qui] sépara autrefois la terre de Tharsis d’avec la grande Afrique ». Le pays est donc situé spatialement à la charnière entre l’Europe et l’Afrique, mais ces précisions évoquent surtout son caractère plutôt inaccessible. D’un point de vue temporel, la Bétique semble également bien éloignée du monde du lecteur, même contemporain de Fénelon. Cette contrée est ancrée dans un univers antique et même mythologique. Les expressions utilisées pour le situer géographiquement appartiennent à l’Antiquité et, surtout, ce récit est adressé à Télémaque, le fils du héros de la mythologie grecque, Ulysse. De même, le pays est présenté au début comme ayant « conservé les délices de l’âge d’or ». D’ailleurs, toute la description est menée au présent et semble s’inscrire dans une temporalité immuable et impossible à dater : comme éternellement « le fleuve Bétis coule dans un pays fertile ». La Bétique affirme ainsi sa différence par son caractère éloigné à la fois spatialement et temporellement. Ce premier trait propre à l’utopie est accentué par l’abondance qui caractérise par la contrée.
2. Un pays d’abondance
La Bétique est une terre riche et propice aussi bien à l’agriculture qu’à l’élevage. On peut d’ailleurs remarquer la présence des quatre éléments, dont l’union harmonieuse est source de fertilité pour tout le pays. Ainsi, la région est irriguée par « le fleuve Bétis », le feu et l’air se modèrent mutuellement : « L’ardeur de l’été y est toujours tempérée par des zéphyrs », et : « La terre, dans les vallons et les campagnes unies » est travaillée. Ainsi, la végétation de la Bétis est luxuriante, comme en témoigne l’accumulation de végétaux dans la phrase suivante : « Les chemins y sont bordés de lauriers, de grenadiers, de jasmins et d’autres arbres toujours verts et toujours fleuris », la répétition de « toujours » accentuant encore l’impression que cette fertilité est immuable. La régularité de cette abondance est notable, puisque la terre produit « chaque année une double moisson ». De même, l’hyperbole « les montagnes sont couvertes de troupeaux » souligne la prospérité du bétail. D’autre part, même si les habitants s’en désintéressent, le sous-sol lui-même se caractérise par sa grande richesse, puisqu’il « y a plusieurs mines d’or et d’argent », l’association de ces deux métaux précieux étant d’ailleurs répétée trois fois dans le texte. Cependant, ce ne sont pas ces richesses qui comptent dans ce pays, mais la fertilité de la nature, qui, par sa constance, apparaît comme idéale.
3. Un pays serein et constant
Le climat de la Bétique se présente comme tout à fait remarquable et se distingue par sa grande douceur. En effet, les saisons perdent leurs caractéristiques extrêmes et se modèrent de façon harmonieuse : l’hiver, « les rigoureux aquilons n’y soufflent jamais » et la chaleur de l’été est « toujours tempérée par des zéphyrs rafraîchissants ». L’antithèse entre « jamais » et « toujours » accentue encore la constance immuable de ce climat. Un champ lexical de la douceur est par ailleurs développé dans le texte, avec des termes comme « doux », « tièdes », « tempérée » ou « adoucir ». Le climat se fait donc doux et régulier pour favoriser les cultures et la vie des habitants de la Bétique. Cette impression de douceur est renforcée par la personnification des saisons révélée par la métaphore suivante : « […] toute l’année n’est qu’un heureux hymen du printemps et de l’automne, qui semblent se donner la main. » Ce mariage des saisons évoque de façon très suggestive la fécondité de cette terre véritable alma mater et souligne aussi la concorde et l’harmonie qui règnent naturellement dans ce pays à l’image de la population elle-même. Cette nature utopique, fertile et sereine, se fait à la fois écrin et miroir d’une société idéale.
II. Une société idéale
1. Le bonheur simple des habitants
La Bétique, pays d’exception qui prête au rêve, abrite une population elle-même remarquable. Ses habitants se caractérisent tout d’abord par leur grande simplicité et par leur mode de vie frugal. En effet, l’adjectif « simple » est répété et apparaît même sous forme de polyptote dans l’expression « les habitants, simples et heureux dans leur simplicité ». Surtout, le narrateur insiste sur le fait que cette société a cerné ses besoins et ne cherche à satisfaire que ceux-ci, renonçant à tout ce qui n’apparaît pas comme essentiel. Ainsi, une formule presque identique est reprise à quelques lignes d’intervalle : « ils n’estiment que ce qui sert véritablement aux besoins de l’homme » et « ils ne veulent souffrir que les arts qui servent aux véritables nécessités des hommes ». Dans les deux cas, la négation restrictive souligne bien l’extrême modération des habitants de la Bétique, qui distinguent absolument besoins véritables et désirs superflus. Cette frugalité est à l’origine du bonheur de cette population. En effet, le champ lexical du bonheur, associé d’ailleurs à la nature comme aux habitants, jalonne tout le texte avec des termes comme : « serein », « délices », « heureux » – qui est répété – « tranquille » ou « gaie ». Ainsi, le narrateur donne l’image d’une société heureuse, dont le bonheur est fondé sur un idéal de simplicité et de modération. Cette société rurale vit simplement en harmonie avec la nature.
2. Une société rurale uniforme
Se contentant de ce que leur offre la nature et ne recherchant que ce qui est leur est véritablement nécessaire, les habitants de la Bétique refusent tout matérialisme. Ils n’ont aucune considération particulière pour l’or et l’argent, qui sont, pour eux, des métaux ordinaires « employés aux mêmes usages que le fer ». Ils ne sont pas perçus comme des biens en soi mais comme de simples outils. L’exemple surprenant et éloquent donné par le narrateur, ces métaux sont utilisés « pour des socs de charrue », souligne de façon très symbolique que l’or et l’argent sont « rabaissés » et sont aux pieds de l’agriculteur dont le métier apparaît alors comme primordial. Les habitants de la Bétique se consacrent uniquement aux travaux agricoles, culture et élevage, c’est-à-dire aux « arts nécessaires pour leur vie simple et frugale ». Cette vie rustique adoptée par tous renvoie bien au mythe de l’âge d’or dont il est question au début du texte mais révèle aussi l’uniformité de cette société utopique. En effet, aucun individu ne se distingue dans cette population, puisqu’ils « sont presque tous bergers ou laboureurs » et sont toujours évoqués par le narrateur au moyen du pronom « ils », même en répondant à Adoam. Ainsi, les habitants de la Bétique mènent une vie simple et rustique, gage de bonheur et de sérénité, et offrent au lecteur l’image d’un monde idéal, d’un modèle de société bien éloigné de sa réalité, évoquée d’ailleurs de façon très critique.
III. La critique du monde réel
1. L’opposition entre les deux mondes
Le narrateur dresse un portrait très rapide et plutôt élogieux de sa propre société aux habitants de la Bétique. Ce tableau du « monde réel » est constitué d’une énumération de différentes réalisations humaines associées chaque fois à des termes mélioratifs. Le narrateur parle ainsi « des bâtiments superbes, […] des parfums exquis, des mets délicieux, des instruments dont l’harmonie charme ». Cette énumération des différentes richesses fournies par l’art ou l’artisanat peut d’ailleurs rappeler les réalisations fastueuses du Versailles de Louis XIV. Cependant, elle ne provoque que le rejet de la part des habitants de la Bétique. Leur critique est d’ailleurs rendue plus sensible encore par l’usage du discours direct pour rapporter leurs paroles. Ces habitants opposent ce monde à leur propre société, notamment par le biais d’une série de questions rhétoriques visant à comparer les deux populations. « Vivent-ils plus longtemps ? Sont-ils plus unis entre eux ? Mènent-ils une vie plus libre, plus tranquille, plus gaie ? » La suite de comparatifs utilisés dans ces différentes questions souligne bien la qualité de leur mode de vie, par opposition au mode de vie moderne européen. Le contraste est également perceptible avec la reprise du terme « nécessités », cette fois associé à « fausses » en ce qui concerne les mœurs de ces peuples. Les habitants de la Bétique leur reprochent surtout d’être corrompus par leur goût du superflu.
2. Le blâme du superflu
Le discours qui vient clore l’extrait se présente comme un blâme très net du matérialisme et des richesses. En effet, ce « superflu » apparaît ici comme la source du vice et du malheur, comme le souligne bien l’exclamation initiale : « Ces peuples sont bien malheureux d’avoir employé tant de travail et d’industrie à se corrompre eux-mêmes ! » ou encore l’inquiétante gradation des verbes dans l’expression suivante : « ce superflu amollit, enivre, tourmente ceux qui le possèdent ». De façon générale, tout le discours des habitants de la Bétique condamne le superflu en l’associant au vice et même aux péchés capitaux, puisqu’il « amollit », « enivre », provoque la « violence », « l’envie » et « l’avarice ». L’accumulation dans la dernière phrase d’adjectifs ou de participes passés connotés de façon très négative, « jaloux », « rongés », « agités » et « incapables », forme une gradation remarquable et insiste bien sur l’ampleur des ravages provoqués par ce superflu. Ainsi, ce peuple étranger porte un regard très sombre et critique sur notre société matérialiste et nous incite à mettre à distance ce désir d’obtenir et d’accumuler des richesses qui n’ont rien d’essentiel et ne sont que de « fausses nécessités ». Avec un certain bon sens, les habitants de la Bétique pointent un paradoxe éloquent : « Peut-on nommer bien un superflu qui ne sert qu’à rendre les hommes mauvais ? » La simplicité de ce peuple utopique nous pousse à porter un regard distancié et critique sur notre monde.
Conclusion
La Bétique offre le tableau d’un monde champêtre idéal, peuplé d’une société au mode de vie plutôt rudimentaire. La frugalité et la modération de celle-ci apparaissent ici comme sources de bonheur et s’opposent fortement au monde réel, et en particulier à la vie à la Cour au temps de Fénelon. L’auteur dépeint une sorte d’âge d’or, antérieur à la corruption et au vice générés par les richesses et le raffinement des mœurs. Cependant, cette utopie, d’où l’art est présenté comme absent, offre aussi l’image d’une société uniformisée et repliée sur elle-même : en tant que telle, elle peut présenter des aspects quelque peu inquiétants et affirme en tout cas son caractère irréel, dont la vertu est surtout de nous pousser à porter un regard distancié sur notre monde.
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/revision-du-bac/annales-bac/francais-premiere/corpus-fenelon-montesquieu-voltaire_1-frde44.html#2ZuyZxGPkcYFSSF7.99
Idées et plan à rédiger
Amorce : ancienneté des « utopies » : récits qui se déroulent dans un monde idéal qui n’existe pas ou plus : descriptions de l’âge d’or chez les Anciens – notamment Hésiode –, époque où l’homme vivait dans le bonheur et la paix ; Utopia de Thomas More… Le texte : à la fin du XVIIe siècle, Fénelon, dans Les Aventures de Télémaque – imité de l’Odyssée et de l’Énéide –, s’inscrit dans cette lignée. Télémaque, fils d’Ulysse, rencontre Adoam qui lui décrit un pays extraordinaire : la Bétique. Cette description idyllique vise à dépayser le lecteur mais aussi – c’est un apologue – à l’édifier (but pédagogique, didactique) il pose le problème de la différence entre la nature et la culture.
Problématique : d’où vient l’efficacité argumentative de cet apologue ?
Annonce des axes : 1. Le pittoresque de l’utopie bétique : un paradis merveilleux ; 2. derrière ce tableau, un dessein didactique et pédagogique : un éloge de la société et de la vie naturelles ; 3. la critique efficace des bienfaits de la civilisation.
I. Le pittoresque de l’utopie bétique : un pays merveilleux, un « âge d’or » à l’antique
1. La localisation géographique et temporelle : un pays entre réel et imaginaire
Le XVIIe siècle est nourri des textes de l’Antiquité (notamment des épopées ; voir titre de l’uvre) : Fénelon présente ce pays apparemment merveilleux selon le mode des Anciens, d’où une double réécriture : à l’intérieur d’une réécriture d’épopée (Les Aventures de Télémaque), réécriture du mythe de l’âge d’or, traité par Hésiode, Ovide et Virgile.
Situation géographique apparemment précise (et réelle ?), mais renvoyée dans les temps anciens
Dans « le grand Océan assez près des Colonnes d’Hercule » (référence mythologique) : périphrase à l’antique qui désigne une région d’Espagne (Andalousie, sans doute) proche du détroit de Gibraltar ;
« la terre de Tharsis » = dénomination antique de la péninsule ibérique ;
« qui commerce avec les Grecs (« faire notre commerce chez ces peuples »).
Cependant l’ancrage dans la réalité est très mince et très flou. À la manière de l’épopée antique, Fénelon donne l’étymologie du nom du pays : « la Bétique » (« le pays a pris le nom du fleuve »). Dépaysement dans le lieu et le temps : un âge d’or.
Un pays hors du temps : un temps indéfini et comme suspendu
Le présent semble avoir aboli le temps dans l’éternité (« coule, se jette… »).
Récurrence des adverbes « toujours » et « jamais ».
Pas de vrai cycle des saisons : absence des saisons, qui sont confondues (métaphore de « hymen » + notations des « arbres toujours verts, toujours fleuris »).
2. Une région « tempérée » et clémente : le juste milieu et l’harmonie
Le XVIIe siècle privilégiait le juste milieu et l’harmonie : la Bétique répond à cette attente.
Des conditions climatiques douces
Vocabulaire du juste milieu : « (hivers) tièdes », « (ardeur) tempérée ».
Métaphore filée poétique à l’antique (un petit air d’Homère…) : « toute l’année n’est qu’un heureux hymen du printemps et de l’automne qui semblent se donner la main » (les saisons sont personnifiées = divinités). Noter qu’il s’agit de demi-saisons.
Clémence suggérée par la mention des vents (toujours à l’antique) : « zéphyrs » (vents doux et agréables) ; la rigueur (« rigoureux ») de « l’aquilon » est niée (« n’y soufflent pas »). (Cf. la fable du « Chêne et le Roseau » [La Fontaine, Fables, I, 22] : « Tout vous est aquilon, tout me semble zéphyr ».)
La négation restrictive exclut tout accident : « ainsi toute l’année n’est qu’un heureux hymen ».
La nature elle-même est porteuse de modération : un univers hors des atteintes du monde extérieur et de ses tourmentes, un havre de paix face aux incertitudes de la nature
Un relief varié et harmonieux Harmonie qui s’étend tous les aspects du lieu, à la région entière : « les vallons et les campagnes unies » ; « montagnes ». Tout cela concourt à renvoyer à l’Andalousie, mais le pays est peint comme un lieu fictif et merveilleux.
3. Une région idyllique : une nature généreuse : l’abondance
Impression de profusion donnée par :
La mention de tous les « règnes »
Minéral : sous-sol riche en métaux précieux : « mines d’or et d’argent ».
Végétal : une végétation luxuriante (« double moisson »), énumération des différentes sortes d’arbres (« lauriers, grenadiers, jasmins »), description à valeur esthétique (« verts et fleuris »), arbres fruitiers (« grenadiers ») + suggestion d’odeurs agréables cadre méditerranéen.
Animal : « troupeaux »/« laines ».
La mention de tous les éléments naturels qui font partie de la représentation traditionnelle du paradis : eau (le « fleuve », « la mer ») ; air (les vents) ; terre (« montagnes »).
La nature semble produire d’elle-même
Sensible dans la syntaxe : les « montagnes » (sujet du verbe) nourrissent « les troupeaux » (sujet du verbe « fournissent ») qui semblent produire la laine d’eux-mêmes.
Métaphore filée qui suggère la fertilité à travers « hymen ».
La nature produit à profusion
Accumulation des expansions du nom (adjectifs, compléments du nom…).
Répétition de « toujours ».
Vocabulaire qui connote l’abondance : « bordés de », « couvertes de ». La nature subvient aux besoins en nourriture et en habillement (les besoins élémentaires).
II. Une société idéale idyllique
Les adjectifs « serein » (l. 2) et « heureux » (l. 10, rappelé l. 17) et l’image « se donner la main » (l. 11) suggéraient déjà l’idée de bonheur et de concorde : les relations entre les habitants sont annoncées par le climat fusion nature-homme suggérée.
1. Des habitants à l’image de la région et en harmonie avec le décor
L’évocation des lieux sert en fait de métaphore à la perfection des habitants :
procédés de la louange : marques d’évaluation, en particulier adjectifs qui peuvent s’appliquer aux hommes : « (un ciel) doux, toujours serein » ;
la personnification des saisons qui se « donnent la main » annonce dès le début la concorde entre les habitants qui vivent dans une totale communion (autre thème de l’âge d’or antique) ;
cadre pastoral : l’innocence et la bonté naturelle des personnages se fondent dans le décor. Rapport privilégié avec la nature, harmonie des hommes et des lieux.
2. Une société primitive
Activités en relation avec la nature :
société de pasteurs et d’agriculteurs : « Ils sont presque tous bergers ou laboureurs » (une Arcadie retrouvée ?) ; « la plupart des hommes […] étant adonnés à l’agriculture ou à conduire des troupeaux » ;
champ lexical de l’agriculture et de l’élevage : « terre », « moisson », « soc de la charrue », « troupeaux » (deux fois). Référence à la tradition pastorale biblique (êtres d’avant la chute, marqués par l’innocence originelle).
Société restée à l’âge du troc (pas de monnaie, rappel du reproche biblique adressé à l’argent).
Inutilité de l’urbanisme.
Symboliquement, l’or est employé à la construction d’outils agricoles : agriculture placée au-dessus de toute richesse : l’argent n’est pas une fin en soi.
3. Des qualités exceptionnelles : un idéal de vie : un éloge
Mépris du matérialisme Malgré les tentations offertes par la configuration des lieux : « ne daignent pas seulement compter l’or et l’argent parmi leurs richesses ».
Idéal de modération, de frugalité Cette société privilégie ce qui est utile :
abondance de négations surtout restrictives : « n’estiment que », « ne faisaient aucun », « n’avaient besoin d’aucune », « ne (veulent souffrir) que », adverbe qui exprime la parcimonie : « peu (d’artisans) » ;
vocabulaire de l’utilité « servir » (deux fois) ;
vocabulaire de la nécessité/l’essentiel/l’indispensable : « besoin(s) » (deux fois), « nécessités », « nécessaires »
intensifié par les mots : « véritablement », « v& acute;ritables ».
L’insistance sur la « simplicité » Répétition du mot :
« encadre » la description des habitants (l. 17-29) ;
clôt le paragraphe (groupe binaire équilibré : « simple et frugale ») ;
redondance : « simples et heureux dans leur simplicité ».
Dénonciation et de la vanité humaine et de l’illusion, danger de l’hybris. La vision d’un moraliste.
III. La stratégie argumentative de Fénelon : l’autre volet du diptyque
Souci pédagogique et didactique : après le tableau idyllique (idéal de vie), la comparaison par contraste, technique du repoussoir : les « peuples qui… » = les Grecs.
Préparé dans le 1er paragraphe par la mention implicite des liens avec les populations voisines plus puissantes (« aucun commerce », « aucune monnaie », « peu d’artisans », « souffrir que les arts… » = techniques).
1. La technique du repoussoir et le regard de l’étranger : la société miroir
Tableau du peuple voisin en contraste avec celui de la Bétique.
Apparemment élogieux dans la bouche d’Adoam (qui représente un peuple civilisé) [l. 30-34] :
procédé de l’accumulation (rappel du 1er paragraphe) qui donne l’impression de profusion.
Mais tableau aussitôt contrecarré par le discours de l’habitant de la Bétique procédé du regard de l’étranger :
termes très dépréciatifs en accumulation : « jaloux, rongés, lâche, agités, incapables, fausses (qui s’oppose à “véritables” du 1er paragraphe) » ;
métaphore (à tonalité antique) : « esclaves » ;
vocabulaire du malheur : « malheureux », « tourmente ».
2. Du tableau vertueux à la critique des voisins : reproches adressés aux peuples civilisés
Postulat de départ : « travail et industrie » corruption (« corrompre »), développé par la suite du discours.
L’inutilité et la nocivité des arts, tout particulièrement des arts du luxe (« superflu ») : ameublement : « meubles d’or et d’argent » (rappel du 1er paragraphe), décoration, musique (« instruments »), joaillerie (« pierres précieuses »), parfumerie, gastronomie (« mets délicieux »), « l’art de faire des bâtiments superbes ». Critique déjà rousseauiste du luxe qui déstabilise les sociétés.
Critique (satire ?) de Versailles et de la cour de Louis XIV (reprise par Montesquieu au XVIIIe siècle dans les Lettres persanes) :
société absurde, mondaine, faussée ;
rôle néfaste de cette cour sur les autres classes sociales (« ceux qui en sont privés » : petite noblesse et bourgeoisie) rongées par l’envie ;
cour esclave de ses passions : elle a perdu le « bonheur » véritable de la mesure.
Mise en évidence d’un paradoxe : l’homme civilisé croit se libérer mais en fait il construit son propre « malheur ».
3. L’habileté et l’efficacité de la « leçon »
À ce procédé rigoureux et efficace du diptyque en contraste, Fénelon ajoute d’autres procédés qui donnent sa force à sa « leçon ».
Des moyens pédagogiques et didactiques efficaces La mise en abyme : un discours qui donne la parole à l’étranger dans le récit d’Adoam (enchâssement) : irruption du discours direct, comme dans tout apologue. Les procédés de la généralisation :
présent de vérité générale ;
pronom indéfini « on ».
Les vertus pédagogiques de la répétition insistant sur les termes essentiels de la démonstration : « simple/simplicité », « nécessaire/nécessités » ; de l’antithèse : « malheureux/bonheur » (dernier mot). La force des images : détails visuels pour frapper l’imagination (dans les deux tableaux en contraste) plus faciles à mémoriser.
Le regard d’un étranger primitif mais qui manie bien la rhétorique classique… Habileté du réquisitoire en creux (rhétorique classique) : Construction oratoire du discours : assertions sur le mode affirmatif + questions rhétoriques, suivies d’un mouvement en antithèse (« au contraire ») + envolée de la période (latine) finale. Ton oratoire et solennel :
implication forcée du lecteur : les questions rhétoriques juxtaposées amènent le lecteur à se poser des question et à y répondre par lui-même ;
usage systématique de la comparaison : « plus sains et plus robustes (que nous) ? » ;
recours au groupe ternaire oratoire : « amollit, enivre, tourmente », « plus libre, plus tranquille, plus gaie », « par l’ambition, par la crainte, par l’avarice » ;
procédé de l’accumulation (dernière phrase) ;
progression étudiée : du physique au moral (« sains »/« libre/gaie »).
On sent Fénelon derrière cet étranger qui annonce le vieux Tahitien du Supplément au Voyage de Bougainville
Une habileté qui fait oublier les limites de la « leçon » L’habileté de l’apologue occulte les limites de la leçon : cet univers est bien chimérique et utopique, c’est-à-dire impossible :
danger d’uniformité d’un univers hautement utopique (« presque tous bergers ou laboureurs ») uniformité – condition pour que cette société fonctionne harmonieusement – improbable ;
danger de régression : refus de « l’industrie », dont les bienfaits sont pourtant suggérés (accumulation et termes laudatifs, l. 30-33) ; en fait, le danger ne vient pas de l’industrie, mais de l’usage immodéré qu’en font les hommes ;
risque de l’autarcie (« aucun commerce au-dehors ») ;
la véritable richesse tient à la haute vertu morale des habitants (annonce le « bon sauvage), capables de se discipliner et de s’autogérer, ce qui est totalement improbable dans la réalité.
Donc Fénelon sait que cet âge d’or est irréalisable ; mais ce thème lui permet de parler en moraliste prônant une aimable austérité qui combine sagesse antique et modèle biblique.
Conclusion
Texte qui présente de multiples intérêts :
variation sur le thème littéraire de l’âge d’or : dépaysement ;
critique implicite de Louis XIV et de la vie à la cour ;
mais un enjeu plus important du moraliste.
Tout un faisceau d’idées qui alimenteront la réflexion des philosophes des Lumières : le luxe, le bonheur, nature et culture.
Mais, au XVIIIe siècle, les temps ont changé, les mentalités ne sont plus marquées par le goût classique du juste milieu et de la mesure et par le pessimisme de Fénelon.
Les Lumières choisiront :
tantôt de suivre Fénelon : multiplication des utopies (Troglodytes de Montesquieu, Eldorado dans Candide) ; satire de la monarchie et de la cour, des abus (Montesquieu) ; débat sur nature et culture (mythe du bon sauvage de Rousseau et du Supplément au Voyage de Bougainville de Diderot) ;
tantôt de s’en démarquer : Voltaire fait l’éloge du luxe dans Le Mondain, les « arts » et l’« industrie » sont à l’honneur.T
Consignes et suggestions des examinateurs pour la dissertation
I L’évocation d’un monde très éloigné du nôtre
1. Les procédés du dépaysement
– dépaysement géographique, voire spatial ;
– « dépaysement » temporel ;
– dépaysement vers des contrées improbables : création de système utopiques ;
– dépaysement peut aller du lointain à l’imaginaire pur ; invite à découvrir des êtes différents, soit par leurs pratiques et leur représentations, soit même par leur nature (des géants, des lilliputiens, des animaux…).
2. La fiction du regard éloigné
– pour que ces univers puissent être évoqués, il faut mettre en œuvre un regard qui soit le support de la description : soit le regard faussement naïf de celui qui découvre, soit la perspective de « l’étranger » Persan, Huron, Inca, Tahitien, picaro…
– l’antithèse entre le connu et l’inconnu est favorable à la mise en œuvre de l’intrigue ;
– sur le plan de la fiction, le personnage qui découvre un univers très éloigné du sien donne à son voyage une valeur initiatique.
3. Le caractère séduisant des univers lointains
– dimension poétique et esthétique des descriptions inédites : il s’agit par exemple de faire voir des univers d’une beauté incomparable (procédé de l’ekphrasis), de laver le regard de ses scories, de le purifier ;
– plaisir de la découverte ;
– sur le plan de la réception, il s’agit d’amener le lecteur à rêver (le caractère merveilleux de l’Eldorado, la sensualité de l’Orient, la douceur de l’exotisme…) ;
– donc séduire le lecteur au sens étymologique du terme.
II Pourquoi ? Le monde très éloigné du nôtre nous parle néanmoins de nous
1. Proposer de notre société un miroir inversé
– renvoyer à notre société une image très différente de ce qu’elle est permet de lui faire prendre conscience de son vrai visage ;
– il ne s’agit pas de faire advenir l’univers ainsi décrit mais de proposer d’autres possibilités, d’autres manières d’être que celle en usage, de faire voir des « contre-exemples » ;
– mettre en évidence la relativité culturelle.
2. Délivrer une leçon
– corriger notre monde en lui faisant prendre conscience de ses défauts ;
– proposer un modèle : politique, social, économique, religieux, philosophique ;
– mettre en scène des figures qui incarnent sagesse et philosophie en ce qu’elles ont su se détacher des atteintes du monde ordinaire : valeur emblématique des personnages de vieillards, d’ermites ;
– prévenir d’une menace : cas de la contre-utopie.
3. Dimension réaliste prompte à revenir même dans ce qui semble le plus lointain
– la réalité se rappelle à nous par les effets de similitude, des allusions, de l’ironie ;
– l’univers lointain mis en place nous invite à une double lecture ;
– il nous alerte sur le fait qu’il n’est qu’un outil et non une fin en soi, par l’usage des stéréotypes qui signalent son caractère artificiel.
III Une stratégie du détour
1. Démarche paradoxale
– c’est en détournant l’attention de son lecteur qu’un auteur parvient paradoxalement à le conduire à ses véritables fins :
– mise en œuvre d’une démarche dialectique qui permet à l’esprit de se mettre en mouvement : sortir de notre univers certes… mais pour mieux y revenir et y revenir plus riche de ce qu’on a découvert.
2. Un lecteur qui participe à l’élaboration du sens
– mettre en place un autre rapport au texte qui sollicite l’intelligence du lecteur par l’adoption d’une démarche inductive ;
– le processus du décodage : l’univers inventé se présente comme un rébus dont il faut décrypter la signification ;
– attitude ludique, complice du lecteur ; plaisir de l’élucidation.
3. Fonction et valeur du détour
– la stratégie du détour à travers le motif du voyage, du dépaysement ne vise pas à diminuer la portée de l’analyse critique mais au contraire à la renforcer.
– ainsi, loin d’ « éviter la censure », le détour rend la charge plus visible et provocante et montre que la censure est condamnée à s’incliner devant la force des idées. On prendra garde à ce que la formulation de cet argument par les élèves évite les lieux communs vides de sens.
– finalement, sous une forme métaphorique, la littérature est toujours la mise en œuvre d’un dépaysement qui permet une prise de distance et une découverte : « Par l’art seulement nous pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n’est pas le même que le nôtre, et donc les paysages nous seraient restés aussi inconnus que ceux qu’il peut y avoir dans la lune. » M. Proust
Exemple de copie rédigée …..
Introduction
La découverte des Indes occidentales à la fin du xve siècle a ouvert le champ de la littérature au thème du voyage, en même temps qu’il a fait prendre conscience aux hommes de la possibilité d’un ailleurs où vivent des sociétés plus proches de la nature, aux mœurs plus frustes, peut-être, mais moins corrompues. Pour certains philosophes comme Montaigne ou Diderot, le « bon sauvage » mythique et le monde dans lequel il vit mettent en évidence le degré de corruption et le manque de relativisme de nos « nations policées ». Sans pour autant prôner un retour à l’état de nature, de nombreux écrivains ont, par la suite, dépeint des contrées, souvent imaginaires, très éloignées des nôtres, à des fins didactiques. En quoi l’évocation de ces univers permet-elle de faire réfléchir sur la réalité de notre société ? En d’autres termes, quels éléments propres à la peinture de sociétés parfaites, très différentes des nôtres, nous renvoient, paradoxalement, à une perception plus aiguë et plus critique de notre propre civilisation ? Nous montrerons en premier lieu la capacité de séduction qu’offre la peinture des univers exotiques. En deuxième lieu, nous verrons en quoi cette peinture renvoie, en creux, à notre propre monde. Nous tenterons en dernier lieu de mettre en avant l’efficacité et la force critique d’une argumentation qui passe par le détour de l’utopie.
I. L’évocation d’un monde très éloigné du nôtre transporte le lecteur dans un ailleurs séduisant
1. Elle dépayse totalement le lecteur
La littérature est peuplée de mondes très éloignés du nôtre. Cet éloignement conduit à un dépaysement, qui peut être géographique ou temporel. Dans Candide, conte philosophique de Voltaire, le pays d’Eldorado est situé en Amérique du Sud, une région qui, au xviiie siècle, est associée à la mystérieuse civilisation inca, mais aussi au Pérou et ses mines d’or. Dans l’imaginaire du lecteur, ce voyage est de toute façon en rupture évidente avec la civilisation occidentale. Les romans de science-fiction jouent souvent sur un dépaysement dans les deux dimensions, en présentant des mondes extraterrestres, dans un contexte de conquête intersidérale. Il appartient alors à l’écrivain de donner une cohérence à cet univers, en évoquant non seulement l’espace géographique lui-même, mais aussi les mœurs de ses habitants, leur système de pensée, leur rapport au temps, ou à l’argent. Dans Les Aventures de Télémaque, Adoam évoque par exemple le peuple de Bétique, et son rapport aux arts, dont « ils ne veulent souffrir que [ceux] qui servent aux véritables nécessités des hommes ». L’invention peut aller jusqu’à concevoir une nouvelle forme de vie, où l’infiniment grand croise l’infiniment petit. Ainsi, Voltaire n’hésite pas à créer le personnage de Micromégas, habitant de Sirius, et géant de quelque trente-deux kilomètres de hauteur ; dans Le Voyage de Gulliver, l’écrivain anglais Jonathan Swift imagine au contraire la rencontre du héros avec le peuple des Lilliputiens, êtres aussi grands que le pouce. Transportés dans ces contrées improbables, dans lesquelles les repères référentiels sont totalement bousculés, le lecteur est implacablement confronté à l’expérience de l’Autre, expérience d’autant plus séduisante qu’elle est mise en scène le plus souvent dans un cadre parfait.
2. La peinture de mondes exotiques est souvent séduisante
La plupart des évocations de mondes éloignés a un évident caractère séduisant. Pour l’auteur, il s’agit de soumettre au lecteur un modèle d’univers indépassable, incomparable, un monde parfait, dominé généralement par l’idée d’harmonie et de profusion. Ainsi, Adoam dans Les Aventures de Télémaque évoque les chemins « bordés de lauriers, de grenadiers, de jasmins et d’autres arbres toujours verts et toujours fleuris », les collines « couvertes de troupeaux », ou encore la douceur du climat. À l’image de Baudelaire, l’écrivain peint une véritable « Invitation au voyage » : « Là tout n’est qu’ordre et beauté. » Cette invitation est magnifiée par la poésie de la forme, où l’harmonie des lieux est rendue sensible par le rythme équilibré des phrases, telles que celle-ci, au rythme ternaire régulier : « Ce pays semble avoir conservé les délices de l’âge d’or. » Il s’agit d’amener le lecteur dans un espace rêvé, dans une réalité nouvelle, vierge de toute impureté, et de l’étonner à chaque phrase par des descriptions incroyables. L’évocation du monde éloigné, en effet, ne craint pas le spectaculaire, à l’image du pays d’Eldorado, dans lequel Voltaire accumule les hyperboles et les énumérations pour dire l’abondance, la richesse ou la démesure d’un monde habité, à l’inverse, par des hommes tout en modération. Fénelon, avec la description de la Bétique, est plutôt dans la retenue pour évoquer les possessions et les désirs des habitants ; cependant, il souligne la fertilité de la nature, capable de produire une « double moisson », nous donnant ainsi l’impression d’entrer dans un véritable paradis terrestre. Au fond, le plaisir du lecteur est surtout celui de la découverte ; nous pénétrons dans un monde nouveau et notre plaisir consiste à faire l’épreuve de la différence radicale, en même temps que d’évaluer l’imagination de l’écrivain. Cependant, pour radicalement différent que soit ce monde éloigné, il renvoie à notre société.
II. L’évocation de mondes très éloignés renvoie à notre propre monde
1. Elle se construit par le regard étranger à ces mondes
La peinture des univers utopiques renvoie à notre propre monde. En effet, lorsque le lecteur découvre un monde imaginaire, c’est pratiquement toujours par le relais d’un personnage étranger : celui qui décrit met en place sa description en fonction d’un système de références communes, partagées par le lecteur. C’est ainsi que le monde de Bétique est décrit de manière lyrique par un personnage extérieur, Adoam. Commerçant lui-même, il est très étonné que la société de Bétique puisse fonctionner sans monnaie. En fait, ce narrateur est en quelque sorte un relais, un médiateur avec le lecteur ; ses étonnements, ses marques de surprise sont les nôtres, même si le narrateur de Candide se plaît souvent à adopter la focale des habitants de l’utopie eldoradienne, et feint de trouver ordinaires des pratiques et des coutumes qui ne le sont pas pour nous. Parfois, le récit peut être fondé sur l’idée que ce monde très éloigné… c’est le nôtre, mais perçu par un regard étranger ou naïf. On pense aux héros des Lettres persanes de Montesquieu, qui posent sur notre société un regard nouveau et critique ; les mœurs des Français prennent soudain une teinte d’exotisme ridicule. Ce procédé n’est pas neuf : La Bruyère a déjà mis en scène « Le regard d’un Huron » ; plus tard, Voltaire écrira L’Ingénu, conte philosophique organisé autour des péripéties d’un Indien découvrant les mœurs de notre pays. Il s’agit dans tous les cas, par le biais d’une perspective particulière, de nous donner à voir l’inconnu et, dans le même temps, de nous tendre un miroir critique de notre société.
2. Elle tend un miroir critique de notre société
Évoquer un monde imaginaire, c’est tendre au lecteur un miroir, mais au reflet inversé. Ce que nous découvrons, en creux, à travers toutes les beautés, la douceur du monde décrit ou celle des mœurs de ses habitants, ce sont les aspects les plus haïssables de notre société, ses défauts, ses travers. L’utopie propose un autre champ de possibles, nous invite à relativiser le bien-fondé de nos choix de société, à comprendre qu’en matière de civilisation, nous pouvons toujours, sinon nous réformer complètement, comme le suggère Fénelon à travers les mœurs des habitants de Bétique, du moins nous améliorer. Les Troglodytes des Lettres persanes, comme d’ailleurs les habitants de la Bétique, ont ainsi un mode de vie très rudimentaire, réduit à leurs besoins vitaux ; le pays d’Eldorado ne possède pas de prisons, et dispose d’un extraordinaire matériel de mesures scientifiques. Dans tous les cas, il s’agit de proposer un système, des idées, des visions amplifiées et magnifiées de ce vers quoi devrait tendre notre société. Certains récits, à travers des contre-utopies, descriptions de mondes effrayants et cauchemardesques, cherchent au contraire à nous mettre en garde. Dans Le Meilleur des mondes, roman écrit en 1933, l’écrivain Aldous Huxley peint un monde dans lequel les humains ne sont plus conçus naturellement et sont déterminés dès leur « naissance » à servir la société, selon qu’ils sont l’élite de la nation ou de simples opérateurs. À travers ce récit, le romancier nous alarme contre les dérives possibles d’une science dont les progrès sont alors d’une rapidité foudroyante. L’évocation de ces mondes plus ou moins improbables est donc une leçon, dont nous comprenons d’autant mieux la portée que, constamment, elle nous ramène à notre propre monde.
3. Elle est un monde « impossible » qui nous ramène à nos propres usages
Les mondes imaginaires sont souvent émaillés de notations réalistes qui, plus ou moins subtilement, nous ramènent à nos propres mœurs. Dans le monde de la Bétique, par exemple, Adoam fait intervenir les habitants du pays, qui, devant l’évocation des richesses de notre monde, pointent les contradictions de la société, sous forme de questions : « Les hommes de ces pays sont-ils plus sains et plus robustes que nous ? Vivent-ils plus longtemps ? » De même, lorsque Candide est accueilli par le roi d’Eldorado, il demande si, pour le saluer, il faut se mettre à plat ventre ou lécher le sol. Cette ironie est une manière, pour le narrateur, d’entretenir avec le lecteur, sur le mode plaisant, une complicité, tout en étayant la charge critique. Il faut également noter que la description de mondes utopiques prend généralement place dans un récit plus large. Le plus souvent, il n’est qu’une étape dans le périple initiatique du héros, et non un aboutissement. Ainsi, la découverte du pays d’Eldorado se situe exactement au centre du conte de Voltaire, indiquant par là que, si ce lieu a une place centrale dans la formation du jeune naïf, il constitue un endroit dont il faut sortir. Le narrateur de Candide le suggère d’ailleurs à travers le caractère stéréotypé et artificiel de son évocation : si la mention de fontaines de cannes à sucre a quelque chose de séduisant au premier abord, elle est, à la réflexion, quelque peu écœurante. L’utopie nous invite donc à opérer un mouvement de retour, de réflexion au sens premier du terme. Elle se présente donc comme une argumentation indirecte, dont la force critique est indéniable.
III. Une argumentation indirecte : quand le voyage vaut le détour
1. Donner matière à réflexion au lecteur sans lui imposer une thèse : le détour du monde lointain
Le monde dépeint au lecteur est une « forêt de symboles » qu’il s’agit de décrypter. N’oublions pas que Fénelon, en bon didacticien, a l’intuition, en créant Les Aventures de Télémaque, que la meilleure façon d’éduquer le jeune duc de Bourgogne est de passer par le détour de la fiction. Ainsi, dans la peinture de la Bétique, même le climat, qui est pourtant une donnée non maîtrisable par l’homme, renvoie à l’idéal classique de modération, que l’on retrouve ensuite, de manière plus explicite, à travers l’évocation des pratiques frustes des habitants. Le lecteur est invité, plus que dans une forme d’argumentation directe, à participer à l’élaboration d’un sens, à travers tout un subtil et prolifique réseau de significations. Dans Candide, la découverte d’Eldorado est pour le lecteur, comme pour le personnage, un moyen radical de porter un nouveau regard sur le réel. C’est ainsi que la scène de l’esclave de Surinam nous est d’autant moins supportable que nous venons de quitter l’utopie. Ce passage dans un monde extraordinaire, paradoxalement, donne au héros une lucidité nouvelle ; pour la première fois, il définit négativement la philophie optimiste : « C’est la rage de soutenir que tout est bien quand tout est mal. »
2. Détour fictionnel : un potentiel philosophique exploité par la littérature moderne
Le thème du voyage et de la découverte d’une terre inconnue est d’une force et d’un potentiel critiques tels que la littérature moderne s’en est elle-même emparée. Ainsi, Jacques Sternberg, écrivain hédoniste et « misanthrope », en fait ainsi le thème central de son recueil de nouvelles intitulé 188 contes à régler. Relayé soit par le procédé du regard étranger – extraterrestre –, soit par le regard du Terrien sur un monde autre, il se plaît ainsi à dénoncer férocement et ironiquement la violence des hommes, ou à rêver tout haut de son idéal d’humanité. Le conteur explique que, pour les « Agrages », peuple indolent, ignorant toute notion de commerce et de profit, « s’aimer entre eux, se griser d’eau et de brise, rêvasser, se laisser dériver au fil du temps ou se divertir paraissaient leurs uniques préoccupations ». On voit par là que l’utopie moderne est porteuse d’un message pacifiste, à une époque où la barbarie humaine a franchi l’impensable. Certains écrivains, cependant, vont plus loin dans l’exploitation du thème, à l’image de Michel Tournier et sa réécriture de Robinson Crusoë intitulée Vendredi ou les Limbes du Pacifique. Ce roman, qui nous projette dans une île quasi déserte, cherche moins à dénoncer les dérives consuméristes de la société moderne qu’à mettre en scène l’expérience radicale de la vie sauvage vécue par un homme pétri de certitudes et de principes. L’écrivain, à travers ce cheminement, place le personnage face à cet autre qui est lui-même. Le détour fictionnel a donc cette vertu de nous permettre non seulement de rêver à une possibilité d’un monde différent, mais aussi, de nous faire accéder, par le biais d’un récit captivant, à des réflexions philosophiques profondes sur les rapports de l’homme avec le monde qui l’entoure, et dont, trop souvent, il croit être le maître.
Conclusion
Ainsi, le sentiment de dépaysement plaisant qu’éprouve le lecteur qui découvre un monde très éloigné peut le conduire subtilement à reconsidérer le sien avec un œil critique et distancié. « Meilleurs des mondes impossibles », ces mondes imaginaires, en se présentant comme des horizons inatteignables où s’écoulent des printemps éternels, jettent un puissant éclairage sur les travers de notre civilisation. Loin de chercher à contourner, par ce biais, la censure, l’utopie rend celle-ci inopérante : il n’y a pas de discours, pas d’idées imposées, juste la force des idées en mouvement dans un scénario de monde rêvé. Finalement, cette terra incognita, cet ailleurs, cet espace exotique, n’est-il pas, métaphoriquement, le monde de la littérature, qui offre chaque fois au lecteur une expérience inédite de dépaysement ?
En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/revision-du-bac/annales-bac/francais-premiere/corpus-fenelon-montesquieu-voltaire_1-frde44.html#2ZuyZxGPkcYFSSF7.99
02. mai 2016 · Commentaires fermés sur Apollinaire en prison · Catégories: Première
Décrypter une explication de texte à partir d’un site internet est un travail qui peut s’avérer efficace en complément d’un cours à condition de bien garder en mémoire les consignes de l’épreuve orale de français au bac; L’exemple suivant vous propose de travailler à partir d’un site assez fréquentable : annabac et vous donne une illustration de l’adaptation nécessaire pour pouvoir tirer pleinement profit d’internet.
Le commentaire que vous allez lire provient du site annabac : il est destiné aux élèves qui passent leur bac de français mais attention, ce site, comme beaucoup d’autres, ne respecte pas toujours les contraintes de l’épreuve . Regardons ensemble comment se présente ce document et analysons le.
Introduction (tirée du site annabac)
Amorce : De Verlaine à la jeune Albertine Sarrazin, nombreux sont les poètes qui ont tiré de leur séjour en prison une force de création. ( à compléter..)
Présentation du texte : Guillaume Apollinaire, mis en cause dans une affaire de vol de statuettes au musée du Louvre, a été incarcéré pendant quelques jours à la prison de la Santé, à Paris, en 1911. Il communique les souvenirs de son incarcération dans le poème « À la Santé ».
Annonce du plan : Le texte peut d’abord être lu comme la chronique,?? d’un séjour en prison qui rend compte de l’état d’âme du poète. Mais il va au-delà et, derrière cette expérience douloureuse, dévoile le moi profond ?? du poète et sa conception de la poésie.
Les analyses du prof :
Tout d’abord l’introduction est mentionnée mais elle est incomplète car elle ne fournit aucune précision sur la date de publication du poème et sur sa place dans l’oeuvre d’Apollinaire ; si l’amorce est une bonne idée (je vous conseille une amorce de type historique ), elle est sommaire et très insuffisante pour l’oral du bac de français . Ce qu’il appellent ensuite la présentation du texte sera aisément remplacée par la situation du texte . Une introduction type à l’oral se décompose en 5 parties distinctes qui s’enchainent durant environ une minute: contexte historique (amorce), auteur , place du texte dans l’oeuvre de l’auteur , situation du passage à l’intérieur du livre (pour les extraits) et idées principales à partir desquelles on dégage la problématique (à l’oral la réponse à la question posée). ON termine toujours une introduction par l’annonce de son plan d’étude et le plan répond toujours à la problématique donnée.
Voilà comment améliorer les éléments trouvés sur le site et les rendre conformes aux exigences de l’épreuve de français.
Introduction (du prof)
De Verlaine à la jeune Albertine Sarrazin, nombreux sont les poètes qui ont tiré de leur séjour en prison une force de création. et qui ont utilisé cette expérience comme une matière artistique pour composer leurs poèmes ou leurs romans.: Guillaume Apollinaire, poète plutôt avant-gardiste , fondateur d’une forme de modernité poétique , est mis en cause dans une affaire de vol de statuettes au musée du Louvre; à cette occasion, il est arrêté et incarcéré pendant quelques jours à la prison de la Santé, à Paris, en 1911. Il communique les souvenirs de son emprisonnement dans le poème « À la Santé » qui fait partie du recueil Alcools. On peut alors se demander quelle conception de l’univers carcéral émane de ce poème ? Dans un premier temps, nous étudierons les traces du séjour en prison avant de montrer comment la poésie traduit la douleur de l’expérience et la transforme.
Éléments d’analyse (lecture analytique)
1. La réalité carcérale
L’évocation du décor (« cellule », « les vitres », « la voûte », « murs tout nus », « chaise enchaînée », « prison »), des usages (se « mettre nu », un numéro : « le quinze de la / Onzième », la promenade « chaque matin », « les clefs », « le geôlier », « prisonnier »), des bruits intérieurs (un « pied » sur la voûte, la « fontaine », des « clés » qu’on fait « tinter », la chaise) et extérieurs (« bruits de la ville ») 3 sous- parties possibles
L’impression douloureuse d’un temps qui s’étire et de l’ennui est rendue par le vocabulaire, les exclamations, les sonorités féminines, les rimes intérieures, les liquides (« Que je m’ennuie », « Que lentement pass[ent] les heur[es] »). La monotonie est rendue par le présent d’habitude, l’expression « chaque matin », les répétitions (« passer » quatre fois, etc.).
2. Le rythme d’un journée
La structure insolite en six parties, rythmée par des « blancs », donne une impression de construction cyclique (les parties I et VI suivent le même schéma), de recommencement mais, entre ces deux parties identiques, le poète n’est pas revenu au même point.
Le poème est à la fois la chronique du séjour (avec rappel de l’arrivée et de la fouille) et celle d’une journée (lever du jour : « le soleil filtre » ; promenade du « matin » ; ennui de la journée ; « le jour s’en va » ; le soir, la nuit suggérés par « une lampe »).
La progression dans le temps correspond à des variations d’état d’âme. Le poète passe de l’attention au monde extérieur dans les parties II et III (les éléments : « le soleil », « ses rayons », « le ciel » et la présence humaine : « quelqu’un qui frappe du pied », « dans la cellule d’à côté », « le geôlier ») à l’intériorisation (parties IV-V et 1re strophe de VI).
La réduction de l’espace à la cellule s’accompagne d’une angoisse croissante rendue par une question (v. 37-38), par le vocabulaire affectif péjoratif (« douleur », « désespoir ») et les mots de la négation (« pâles » [sans couleurs], « sans [larmes] », « [murs] nus », « hostile »).
Les derniers vers marquent l’apaisement : le symbole de la « lampe » qui « brûle » (image du foyer), la « raison », personnifiée en créature féminine, qualifiée par des mots positifs (« belle » « Chère ») font de la cellule un espace préservé de l’intimité.
3. La présence du poète
Variété et irrégularité de la métrique. La métrique introduit un élément de variété : diversité des strophes (distiques, quatrains, sizains…), des vers (octosyllabes, décasyllabes, alexandrins, mais aussi vers impairs, heptasyllabes). Le choix est toujours significatif : deux sizains massifs d’octosyllabes (strophe III) traduisent la pesanteur du temps.
Variété de l’énonciation. Apollinaire s’invente des interlocuteurs pour lutter contre la solitude, il « sonorise » sa cellule par des voix :
une « voix sinistre » s’adresse à lui à la 2e personne, l’appelant par son prénom (intimité) et le fait exister – c’est peut-être lui-même (cf. Verlaine « Le ciel est par-dessus le toit ») ;
il interpelle « [ses] années » passées, personnifiées en « jeunes filles » ;
puis il prie « Dieu », qu’il tutoie pour créer l’intimité ;
il se dédouble et parle à un autre lui-même, désigné par « tu » (v. 47) ;
enfin, il se confie à sa « raison », personnifiée elle aussi.
Figures de poète : transformation de l’expérienec biographique
L’humour et l’auto-ironie des images. Les images sont cocasses : Apollinaire se présente comme un « Lazare » à l’envers, un ours de zoo, animal lourdaud ; les rayons du soleil sont des « pitres ». Elles sont aussi gracieuses (le cercle protecteur des « années » passées, « chantante ronde ») ou insolites, voire surréalistes (« Le ciel est bleu comme une chaîne »). Elles manifestent la distance que prend le poète par rapport à lui-même sur le ton de l’auto-ironie pour dédramatiser sa souf879.
L’inventivité d’Apollinaire apparaît dans la structure du poème, dans les mots inattendus (« vitement », reprise d’un adverbe oublié) et la suppression de la ponctuation, marque de modernité.
2. La vraie gravité d’une mise à nu
Mais, en contraste, le poète qui se dessine ici est bien l’Apollinaire d’Alcools, de « La chanson du mal-aimé », plein de gravité.
L’incarcération est une épreuve humiliante (« il a fallu me mettre nu »), mais aussi une remise en question de son identité (« Guillaume qu’es-tu devenu » ; « je ne me sens plus là/ Moi-même » ; le dédoublement se marque par le passage du « je » au « nous », v. 9, 23).
Un vrai « désespoir » causé par le passé douloureux qui resurgit et la présence implicite de la mort (référence à « Lazare » ; « sans horizon », « ciel hostile » ; la partie IV rappelle « Spleen » de Baudelaire).
Le portrait affectif que le poète fait de lui-même est celui que traduisent ses autres poèmes : tristesse pathétique (« mes yeux sans larmes », « ma pâleur », « ma chaise »), angoisse perpétuelle du temps qui passe (« Tu pleureras l’heure où tu pleures »).
Enfin, le lecteur retrouve les mêmes tendances poétiques :
les vers sont ses vrais compagnons (« mes lignes ») ;
il a gardé son goût du mélange poétique (dans les rythmes, les atmosphères variées : II, bout-rimé à la Musset ; III, chanson ; IV, prière ; V, élégie)
A vous maintenant de réutiliser ces différents éléments dans votre fiche sur ce texte .
Dans l’œuvre de Verlaine, son recueil Cellulairement a été rédigé en captivité entre le 10 juillet 73 et le 16 janvier 1975. Verlaine qui vient de tirer sur son ami Arthur Rimbaud deux coups de feu est incarcéré pour délit d’homosexualité.
. Un manuscrit de “ 67 feuillets est écrit depuis sa cellule, un recueil dans lequel le poète exprime ses rêves, ses fantasmes, son désespoir, ses frustrations, ses remords, ses espérances, ses évasions poétiques, ses fantaisies, ses théories, mais aussi l’irruption de la grâce à partir de l’été 1874. ” En effet , durant son séjour en prison, Verlaine s’est converti au catholicisme et a redécouvert la foi.
La vie de Verlaine n’aura pas été un long fleuve tranquille: amoureux de sa cousine qui le rejette, il épouse ensuite la jeune Mathilde mais n’est guère heureux en ménage même après la naissance de leur fils; Son penchant pour les jeunes hommes lui causera bien des ennuis notamment lorsqu’il deviendra enseignant. L’alcool devient très vite une compagne fidèle et ses excès déclenchent des accès de colère qui peuvent parfois aller jusqu’à la violence; Rimbaud fait alors irruption dans sa vie; Entre les deux hommes , une passion se déclenche et les consumera. Il suffit de lire les lettres enflammées de leur correspondance pour mesurer à quel point cette rencontre aura compté. Un soir, l’alcool aidant, c’est le drame et Verlaine va passer plusieurs années en prison à Mons, en Belgique.
A quoi ressemble vraiment la prison dans nos têtes et dans la réalité? Qu’imagine-t-on derrière ce mot ? des barreaux, des grillages , des miradors et des hauts murs ? Pourtant toutes les prisons ne se ressemblent pas vraiment . Alors dessinons ensemble les contours de notre prison . Quelles prisons abritez-vous dans vos cerveaux ?
Certaines prisons sont devenues célèbres comme Alacatraz près de San Francisco, la prison dont il était soi-disant impossible de s’évader et qui a vu passer des prisonniers aussi célèbres qu’Al Capone..autre prison et autres légendes,allez faire un tour du côté du bagne de Cayenne où la France envoyait bon nombre de ses prisonniers les plus féroces; elle a récemment défrayé la chronique et on a même soupçonné les gardiens de ne pas respecter les droits des prisonniers.il faut dire que ce ne sont pas simplement des droits communs, mais beaucoup sont des terroristes ; je veux parler des quartiers de haute sécurité de Guantanamo; et pas très loin de nous, à quelques dizaines de kilomètres, la prison de Fleury-Mérogis ou de Fresnes sont elles aussi traitement célèbres pour leur effrayante surpopulation. Combien existe-t-il de prisons en France ? quel est l’état du sytème carcéral ? Si vous voulez en savoir plus sur les conditions de détention des prisonniers et les débats qui divisent les sociétés autour des modes d’incarcération, alors allez faire un tour sur le site carcéropolis et vous aussi , partez à la découverte des plus célèbres lieux de détention partout dans le monde.
www.carceropolis.fr/ Un questionnaire vous sera proposé pour vérifier que vous êtes bien allé sur ce site.
25. mars 2016 · Commentaires fermés sur Echantillons de héros romantiques · Catégories: Première · Tags: héros
Fabrice n’est encore qu’un adolescent quand le roman commence et il s’apprête à se lancer dans l’aventure napoléonienne mais au mauvais moment. Concetta elle, est au soir de sa vie et en dresse un bilan extrêmement négatif ; demeurée seule, sans amour, célibataire , sa famille a perdu son prestige à cause de la révolution garibaldienne . Les deux héros romantiques sont donc du mauvais côté de l’Histoire.
Si deux des romans ont été écrits dans le premier tiers du dix-neuvième siècle, qui correspond à l’essor et à la diffusion des idéaux romantiques, leurs auteurs n’ont pas le même regard sur leurs personnages. Madame de Staël à travers le triomphe de Corinne et son portrait en majesté , fait le tableau de la femme parfaite admirée par tous , consciente de sa beauté mais qui se garde d’ en tirer trop d’orgueil : elle parvient à conserver une attitude noble et modeste (l 14); De même , elle est caractérisée par un savant mélange d’ éclat extraordinaire et de naturel . Ce mélange caractérise aussi le héros masculin du même roman : doté d’un ensemble de qualités hors du commun : figure noble et belle, beaucoup d’esprit, un grand nom , une fortune indépendante ( l 2 et 3) , il est cependant décrit comme ” timide envers la destinée” (l 25) . Les deux héros sont donc dse personnages au caractère “mobile et passionné” Corinne fait preuve en dépit des manifestations d’enthousiasme de la foule, d’un “sentiment de timidité qui se mêlait à sa joie. ” ( l 16) . La délicatesse des sentiments est peut être la marque commune de ces héros qui tentent de ne pas se laisser déborder par leur sensibilité.
En effet, le héros romantique est souvent caractérisé par une forme de sensibilité exacerbée et beaucoup de larmes sont versées dans ces romans : Fabrice “répandit des larmes ” en faisant ses adieux à sa tante ; Lord Oswald souffre d’une grande tristesse et paraît inconsolable ; le chagrin a dévasté son être mais il semble, lui désormais, au delà des larmes : “quelque chose d’aride s’empara de son coeur ; il n’était plus le maître de verser des larmes quand il souffrait ” ( l 37)
Cette attitude de refus de l’émotion se retrouve chez Concetta , héroïne tragique, qui au soir de sa vie contemple son existence et n ‘a plus plus vraiment l’impression de faire partie des vivants comme si quelque chose en elle était mort avec son passé : “en elle , le vide était complet” lit-on ligne 17 mais on ressent toutefois une souffrance du personnage qui tente de se débarrasser totalement de ce qui la relie à son passé et à ses souvenirs douloureux. La situation de ce personnage est bien particulière et la mort aisément perceptible dans cet épilogue.
Une autre caractéristique du héros romantique demeure son aisance à se mouvoir dans un milieu marqué par la mélancolie : au château de Grianta règne une atmosphère de tristesse liée aux bouleversements que connait le pays et qui affecte la famille Del Dongo ; Lord Oswald quitte à regret son pays et va connaître la douleur de l’exil avant d’arriver en Italie et de rencontrer Corinne; le narrateur en commentant le triomphe de l’héroïne fait remarquer que le char de sa victoire “ne coûtait de larmes à personne “ Ce moemnt de bonheur semble bien excpetionnel comme le constate le narrateur : “nul regret comme comme nulle crainte n’empêchait d’admirer les plus beaux dons de la nature.” Quant à Concetta, elle vit dans les ruines de la splendeur passée de sa famille.
Un dernier point qui permet de reconnaître le héros romantique, c’est la richesse de son imagination : Lord Nelville est le personnage qui semble le plus souffrir et , à plusieurs reprises, le texte souligne le rôle de son imagination dans son affliction: ” l’imagination y mêlait ses fantômes “ lit-on ligne 9 et à la ligne 32, on retrouve “la funeste imagination des âmes sensibles ” . Sa solitude lui paraît insurmontable et il frémit souvent sous l’effet du chagrin. Sa peine contraste avec le bonheur de Corinne mais on retrouve sa sensiblité exacerbée lors de leur rencontre : ” ce beau ciel, ces romains ..et par dessus tout Corinne, électrisaient l’imagination d’Oswald.” l 29. Quant à Fabrice, chez ce jeune héros déterminé, l’ action prend le pas sur l’imagination et le narrateur ne peut s’empêcher de se moquer de son personnage dont il considère les raisons de rejoindre Napoléon “bien plaisantes ” (l 39)
Même s’il n’appartient pas au courant romantique, Lampedusa reprend dans son roman paru au vingtième siècle des thèmes chers au romantisme comme la nostalgie du passé et les regrets d’une vie ratée mais ces thèmes définiront plutôt en France , la seconde génération romantique et ils sont moins exacerbés que dans les ouvrages qui introduiront en France, par l’intermédiaire de Madame de Staël , cette nouvelle forme de sensibilité et d’attention portée à l’expression des sentiments et à leur complexité. Au fur et à mesure que ces nouveaux personnages apparaissent , ils se diversifient et parfois, comme chez Stendhal, on entend une voix , celle du narrateur, qui se moque de leurs excès.
14. février 2016 · Commentaires fermés sur Un dénouement rocambolesque : la Guerre de Troie aura bien lieu ! · Catégories: Première · Tags: Giraudoux
La dernière scène d’une pièce comporte habituellement les éléments du dénouement de l’intrigue ; A la scène 14 de l’acte II, Giraudoux met donc un point final à sa pièce et le spectateur comprend que la guerre va avoir lieu ; Cassandre prononce les dernier mots : “Le poète troyen est mort (il s’agit ici de Démokos ) .<em>;la parole est au poète grec (et le spectateur peut penser qu’il s’agit d’ Homère qui va raconter la guerre de Troie dans l ‘Iliade , son légendaire poème épique . Les paroles de la prophétesse peuvent toutefois paraître énigmatiques et Giraudoux a choisi un final très riche en rebondissements de tous ordres; jugez plutôt..
Andromaque au début de la scène paraît désespérée et consciente que tous les efforts déployés par son camp pour lutter contre la guerre semblent vains; Ulysse est en train de remonter à bord et tout le monde retient son souffle jusqu’à ce qu’il soit enfin parvenu à destination. Hector semble lui confiant et suit pas à pas le trajet d’Ulysse que le spectateur devine à travers les indications : “une minute encore” ..”il marche vite“..”le voilà déjà en face des fontaines ”
Trop angoissée, Andromaque a décidé de se boucher les oreilles pour ne plus rien entendre et elle n’entend donc pas Oiax arriver.Cet envoyé grec qui a pour mission de raccompagner Hélène à bord du navire grec va jouer un rôle prépondérant dans la suite des événements ; le plus dur semble donc fait et Cassandre entend bien calmer Oiax et lui faire entendre raison; Ce dernier est en effet “ivre” et son agitation pourrait avoir des conséquences dramatiques comme le pressent le spectateur
Giraudoux intercale donc des scènes de comédie à l’intérieur de son dénouement tragique : la première partie de ce vaudeville est constituée par le jeu entre Oiax , que Cassandre tente de neutraliser et “essaie par la force de l’éloigner” , Andromaque qui continue à se boucher les oreilles et Hector qui assiste à cette attaque sur Andromaque en se montrant de plus en plus menaçant (il lève son javelot) ; la scène peut tourner au drame et Cassandre rappelle les enjeux de cette ultime phase des négociations : “Ulysse est déjà à mi-chemin ” La référence humoristique à la double énonciation théâtrale rappelle aux spectateurs ce qui est en train de se jouer sous leurs yeux : A Oiax qui pense que des paroles “qu’on n’entend pas ” ne peuvent avoir de conséquences fâcheuses (en effet, Andromaque ne peut se sentir insultée car elle s’est bouché les oreilles ) , Cassandre rappelle , au contraire que ces paroles peuvent être très graves car Hector lui en est le témoin silencieux ; Oiax en rajoute dans le registre de la muflerie en embrassant de force Andromaque mais Cassandre finit par le maîtriser et il la suit “je viens je viens..Adieu” La menace semble a priori s’éloigner .
Au moment où il s’apprête à quitter la scène , premier coup de théâtre, Demokos, le poète belliciste, fait irruption et s’indigne avec virulence comme à son habitude, de la décision prise par Hector de rendre Hélène aux grecs; Sa véhémence le rend particulièrement menaçant car il appelle les Troyens “aux armes ” et s’apprête à entonner le “chant de guerre ” qu’il réserve à cette occasion tant attendue” Au moment où il crie à la trahison, Hector abaisse son javelot et le tue; ce qui constitue un fait pour le moins inattendu. Il peut alors affirmer à Andromaque “la guerre n’aura pas lieu Andromaque ” ; Cependant son épouse , qui a toujours les mains sur les oreilles , n’a pas entendu et elle contemple Démokos à terre, interloquée;
Le spectateur peut alors se dire qu’Hector a évité la guerre en devant un meurtrier et que l’assassinat de Démokos sert une noble cause : empêcher des centaines de morts ; Le dramaturge indique alors même qu’un dénouement vient d’avoir lieu que “le rideau qui avait commencé à tomber se lève peu à peu” Que va t-il se passer ?
Nouveau coup de théâtre : Démokos qu’on croyait mort alors qu’il n’est que blessé, lance, sur scène, une fausse accusation contre les Grecs en prétendant qu’il a été tué par Oiax ; en effet, s’il accuse Hector, le véritable coupable, personne parmi les Troyens ne voudra déclencher un conflit contre les Grecs; Hector tente à son tour de s’accuser du meurtre et dénonce le mensonge de Démokos mais il est trop tard : les Troyens ont tué Oiax hors scène comme le précise la réplique d’Abnéos. Cette fois la guerre paraît totalement inévitable car les Grecs vont avoir un prétexte en voulant venger la mort d’Oiax .
Hector a tout fait pour éviter un dénouement catastrophique et son sort paraît encore plus cruel car son dernier geste pour surseoir au caractère fatal de ce conflit, provoque , par des moyens détournés, le drame final. Sa menace d’achever Démokos s’il ne revient pas sur ses accusations ne trouve aucun écho chez ce dernier qui, comble de l’ironie, le traite avec condescendance : “Mon cher Hector, mon bien cher Hector ” réplique-t-il avant de réitérer son mensonge. C’ est donc sans la moindre haine mais au contraire avec beaucoup de bienveillance que le poète troyen déclenche la guerre.
On peut alors supposer qu’Hector le tue ou qu’il finit par mourir comme le laisse entendre l’avant dernier réplique de Cassandre : “Il meurt, comme il a vécu, en coassant” . Ce verbe appliqué étymologiquement aux cris des grenouilles désigne les paroles désagréables de quelqu’ un et fait allusion à la médisance de Démokox dont les paroles mensongères sont véritablement à l’origine du mettre d’Oiax. Hector ne peut alors que constater , à haut voix, en s’adressant à son épouse : ” Elle aura lieu ” , paroles qu’entend cette dernière; Pour matérialiser cette nouvelle guerre, Giraudoux précise que “les portes de la guerre s‘ouvrent lentement. Elles découvrent Hélène qui embrasse Troilus ” Comment devons nous comprendre ce baiser entre Hélène et le jeune frère de Paris ? Peut être pour bien montrer que la guerre n’a pas été déclenchée pour un amour légendaire (qui ne semble pas très fort dans la pièce) mais pour des raisons liées au désir de l’homme de déclarer la guerre .
En multipliant les coups de théâtre qui animent le final , en se moquant des règles de bienséance de la tragédie classique (un mort juste blessé qui crie sur scène ) , en différant l’arrivée de la crise et en intercalant des scènes de vaudeville au milieu du drame, Giraudoux nous offre, au final, un dénouement surprenant par certains aspects même s’ il fallait bien s’ y attendre et s’y résigner, en effet, la guerre finira par avoir lieu.
La question de synthèse proposée se basait sur un corpus emprunté au théâtre contemporain: comment les affrontements étaient-ils représentés ? Les personnages de Beckett, deux clochards, Vladimir et Estragon, se disputaient de manière loufoque à propos notamment d’une chaussure ; la pièce de Beckett fait partie du théâtre de l’Absurde et le lien était ici important à montrer dans la mise en scène de cette querelle amicale.
Les deux personnages choisis par Kundera pour illustrer la relation souvent conflictuelle entre maitre et valet parodiaient de manière savoureuse une scène classique, un topos de la comédie de moeurs : le valet insolent craint son maître et lui répond. On pouvait par exemple, penser à Sganarelle face à Don Juan, à Scapin face à Géronte ou aux valets de l’Avare. Quant au troisième affrontement, il émanait d’un drame politique de Nasser Djemaï qui aborde le thème sociétal des conditions de vie des travailleurs immigrés. (voir le fichier en pièce jointe sur la pièce Invisibles , la tragédie des Chibanis) Procédez avec méthode au brouillon ; isolez d’abord les origines des conflits , leur ton, les éléments verbaux et les procédés de style qui alimentent l’échange (stichomythie, répétitions, antithèses, familiarités, insultes) et n’oubliez pas les éléments non verbaux (présence ou absence de didascalie, ponctuation). Proposez une conclusion de deux ou trois lignes en hiérarchisant les textes : la dispute la plus sérieuse ou la plus fréquente ou la plus inattendue )
Deux des trois textes mettent en scène une dispute qui peut sembler liée aux personnages et à leur caractère: Vladimir et Estragon se chicanent pour tout et n’importe quoi et se réconcilient quelque minutes plus tard. Leur ton est un mélange d’agressivité : “Il n’y jamais que toi qui souffre; Moi je ne compte pas” et de sollicitude comme lorsqu’Estragon demande de l’aide à son ami et que ce dernier évoque une image d’eux “main dans la main ” . On retrouve ces contradictions dans l’affrontement entre Jacques et son maître , dominé, lui aussi , par les effets comiques ; Jacques semble éprouver un malin plaisir à contredire son maître et à lui tenir tête: ” Vous vous trompez Monsieur “, répété à deux reprises , sert de réplique d’ouverture au valet provocateur;il refuse même d’obéir aux ordres de son maître : “je n’irai pas” réitéré en dépit des hurlements du maître ; cependant le serviteur se montre conciliant à la fin de leur querelle : ” mais pour éviter de nouvelles disputes, nous devrions nous mettre d’accord un fois pour toute sur quelques principes” ; Jacques aurait-il remporté cette joute verbale? Rien n’est moins sûr mais l’ oxymore “maître obéissant ” atteste de ce renversement des rôles. Aucun effet comique dans Invisibles : la question qui divise les personnages prend une importance cruciale et dépasse le cadre individuel : l’unique didascalie “long silence ” reflète bien la gravité du moment et le rythme de l’échange est beaucoup plus lent que dans les deux autres disputes : la tirade d’Hamid lui permet de poser ses arguments et de les faire entendre au spectateur ; Martin semble seul contre les trois autres qui forment une ensemble choral. Contrairement aux deux scènes de comédies, Invisibles montre un affrontement idéologique : le jeune Martin s’indigne comme le montrent ses questions et les nombreuse exclamatives qui ponctuent ses répliques mais il se heurte à l résignation des chibanis, ses ancêtres, et la fatalité semble l’emporter : ” y a pas à comprendre mon fils; Faut tu respectes l’histoire; On change pas les chose comme ça; Le destin, c’est comme ça.” On sent également un pointe de résignation dans le théâtre de Beckett mais elle prend plutôt la forme d’une incommunicabilité entre les personnages et d’un double discours : en effet, au- delà de la simple querelle à propos de la chaussure qui blesse Vladimir, on devine des allusions à la mort et au tragique de la condition humaine : “Tu ne serais plus qu’un petit tas d’ossements à l’heure qu’il est..pas d’erreur” assène Vlaimir à Estragon qui est “piqué au vif “comme le précise la didascalie. La violence des gestes est manifestée par de nombreuses notations (avec vivacité, avec emphase, avec emportement ) qui assurent les effets comiques de cette altercation alors que la scène se termine de manière tragique avec la dernière réplique de Vladimir : “ça devient inquiétant” suivie d’un silence. Pas d’inquiétude dans le jeu entre jacques et son maître mais le comique n’empêche pas le sérieux des propos et la vivacité des échanges ne, doit pas nous faire oublier la réflexion philosophique sous- jacente : à travers les personnages et leurs saillies parfois triviales (la mention du cul magnifique de l’aubergiste par exemple, Kundera reprend la philosophie de Hegel dans la dialectique du maître et de l’esclave ” il est écrit là-haut que vous ne pouvez pas vous passer l’un de l’autre” Le conflit entre elle maître qui ne parvient pas à se faire obéir et le valet qui refuse d’obéir aux ordres donnés nous amène à nous interroger sur la relation dominant/dominé qui est ici, rééquilibrée ” Ces trois affrontements présentent donc de nombreux points communs ; ils nous font réfléchir à notre condition, à celle de ceux qui nous entourent ; le mélange des registres peut parfois nous faire oublier que sous le comique apparent peut se tapir un enjeu existentiel, philosophique et même tragique. Les paroles des Chibanis devraient leur permettre de ne plus demeurer invisibles à nos yeux.
La pièce de Giraudoux, inspirée de la légende troyenne est en réalité le lieu d’une réflexion intense sur la guerre et les moyens de l’éviter. Fortement inquiet par la montée des nationalismes après l’arrivée au pouvoir du chancelier Hitler, le diplomate français et germanophile, tente de nous faire partager ses craintes et évoque par la bouche de ses personnages les raisons qui poussent les hommes à vouloir s’entre-tuer. Le débat prend dans cette scène la forme d’un duel entre Andromaque et son beau-père, le roi Priam; Tout semble opposer ces deux personnages porteurs d’idées divergentes à propos de la guerre; l’une est une femme et s’oppose à un homme, elle est jeune et porte la vie; il est vieux et ne tient plus vraiment à la vie. Trouveront-ils finalement un terrain d’entente ? lequel des deux finira-t-il par l’emporter ?
INTRODUCTION
Dramaturge de l’entre – deux guerres, il connaît le succès avec Siegfried en 1928, puis avec Amphytrion 38 en 1929, viendront ensuite Electre et bien sûr La guerre de Troie n’aura pas lieu. Sa rencontre avec Louis Jouvet, un célèbre acteur et metteur en scène avec lesquels il monte ses pièces contribuera à son succès. Son écriture théâtrale originale s’inspire des mythes antiques et les mêle aux inquiétudes modernes.Il introduit dans ses tragédies un monde poétique, plein de fantaisie, un peu précieux et aussi la dérision avec des passages ludiques, anachroniques qui atténuent le pathétique de ses pièces.Créée dans l’entre – deux guerres, à une période où Giraudoux, éprouvé comme Giono par les massacres de la première guerre mondiale, sent la montée en puissance d’Hitler et avec elle la menace d’une autre guerre, la pièce en porte la marque.
En reprenant l’histoire de l’Iliade d’Homère, Giraudoux imagine que les Troyens attendent une délégation grecque dirigée par Ulysse qui doit demander raison de l’enlèvement d’Hélène par Pâris. Hector supplie son frère de laisser repartir Hélène pour éviter la guerre dont il est las car il en revient tout juste. Mais les vieillards de la ville , le belliqueux Démokos et le roi Priam ne l’entendent pas ainsi,. Dans ce passage, Andromaque, la femme d’Hector, cherche à faire changer d’avis son royal beau-père. Le dialogue qui oppose les deux protagonistes est bien représentatif du débat qui agite toute la pièce, à savoir : « faut –il déclarer la guerre de Troie ? ». Ici les arguments des deux parties apparaissent nettement au sein du débat qui traite autant de la guerre de Troie que de la guerre en général. Nous pourrons nous demander comment le dramaturge parvient à donner à cette délibération sur la guerre de Troie une dimension intemporelle.
I Une délibération sur la nécessité de la guerre
Le dialogue met en présence deux thèses, celle d’ Andromaque opposée à la guerre, et celle de Priam, le roi favorable à sa déclaration. Le spectateur pourra délibérer sur la pertinence des arguments en présence.
A/ L’argumentation d’Andromaque pour le pacifisme
1er argument : l’argument affectif : « si vous avez cette amitié pour les femmes[…]Laissez – nousnos maris… »La guerre éloigne hommes et femmes, elle ne doit pas avoir lieu au nom de l’amour.
2ème argument :réfutation de l’argument de la nécessité de la guerre pour la virilité des hommes : « Pour qu’ils gardent leur agilité et leur courage, les dieux ont crée autour d’eux tant d’entraîneurs vivants ou non vivants. » Pour prouver son courage l’homme n’ a pas besoin de se battre contre son semblable à la guerre, il a les forces de la nature. Andromaque se réfère aux dieux qui dans la Grèce antique constituent un argument d’autorité ; plus largement cette référence signifie que c’est dans l’ordre de la nature qui a bien fait les choses. Elle a prévu que l’homme puisse dépenser son énergie, son besoin de combat dans l’affrontement avec les éléments (« Quand ce ne serait que l’orage ! »)et contre les bêtes (« Quand ce ne serait que les bêtes ! »). Elle emploie les termes d’ « agilité », d’« entraîneurs », d’« émule » et d’ « adversaire » pour parler d’eux plaçant ainsi la guerre sur le plan d’un besoin d’ activité physique et non plus d’ une activité noble pour défendre la patrie : « Tous ces grands oiseaux qui volent autour de nous, ces lièvres dont nous les femmes confondons le poil avec les bruyères, sont les plus sûrs garants de la vue perçante de nos maris que l’autre cible, le cœur de l’ennemi »(l.12 –16). On voit ici l’équivalence établie entre une « cible » et « le cœur ». Elle dégrade l’idée de guerre en la ramenant à un entraînement physique, ici exercer l’acuité visuelle. Andromaque s’exprime avec assurance comme le montrent les phrases assertives : « Aussi longtemps qu’il y aura des loups, des éléphants, des onces, l’homme aura mieux que l’homme comme émule et comme adversaire »(l.9 –11). Elle cherche à donner à son propos une portée générale, les références aux divers animaux concernent plusieurs types de pays.
3ème argument : la guerre tue l’ennemi et les proches : « Pourquoi voulez – vous que je doiveHector à la mort d’autres hommes »(l.19 – 20) interrogation rhétorique qui présente l’affirmation comme une évidence. La métonymie pour désigner l’ennemi « le cœur de l’ennemi emprisonné danssa cuirasse »met l’accent sur son humanité .
4ème argument : la guerre tue les plus courageux et épargne les plus lâches (2ème réplique d’Andromaque)pire elle les honore : « Les soldats qui défilent sous les arcs de triomphe sont ceux qui ont déserté la mort »( l.36 – 37). Elle dénonce ici les faux – semblants et elle recourt à un raisonnement logique qui montre que « Pour ne pas y être tué, il faut un grand hasard ou une grande habileté ». Elle préfère la fierté d’un mari vivant plutôt que la gloire posthume : « Comment un pays pourrait – il gagner dans son honneur et dans sa force en les perdant tous les deux ? »
Conclusion en forme de question rhétorique : la guerre fait perdre à un pays ses forces vives (ses meilleurs combattants) et son honneur ( puisqu’on honore les plus lâches).
L’argumentation d’Andromaque est fondée sur l’amour, elle prône la paix au nom de l’amour et elle a une conception de la bravoure qui n’est pas celle de Priam.
B/ L’argumentation de Priam en faveur de la guerre
Priam renverse les arguments d ‘Andromaque :
1er argument : La guerre est une nécessité, elle permet de garder l’honneur d’un peuple y compris pour les femmes à qui il s’adresse (pour répondre à Andromaque qui lui demandait de faire quelque chose pour les femmes), elle préserve la vie d’un peuple qui risque de perdre sa liberté : « Savez – vous pourquoi vous êtes là, toutes si belles et si vaillantes ? » Les termes « belles et vaillantes » font référence à la possibilité d’être heureuses et libres.
Il utilise un raisonnement hypothétique qu’il développe en deux temps pour montrer cette nécessité : « S‘ils avaient été paresseux aux armes, s’ils n’avaient pas su que cette occupation terne et stupide qu’est la vie se justifie soudain et s’illumine par le mépris que les hommes ont d’elles, c’est vous qui seriez lâches et réclameriez la guerre. » A noter la montée en crescendo des subordonnées hypothétiques (avec allongement dans le deuxième groupe) puis la chute brutale avec la principale qui est courte et suggère ainsi que l’on se heurte aux nécessités : l’ absence de la guerre entraînerait les femmes à la réclamer.
2ème argument : La tradition de la guerre est ce qui entraîne le courage des hommes
« C‘est parce que vos maris et vos pères et vos aïeux furent des guerriers »(l. 23- 24). L’énumération en rythme ternaire rappelle que les guerres existent à chaque génération et qu’elles sont donc consubstantielles à la vie des hommes ; il part des plus proches, les maris, et va aux plus lointains, les aïeux. La guerre est donc une tradition. Elle donne sens à la vie : « cette occupation terne et stupide qu’est la vie se justifie soudain et s’illumine par le mépris que les hommes ont d’elle »( l.25 – 27). Les verbes « justifie » et « illumine » montrent que la vie a un autre éclairage et prend un autre sens dans le dépassement de soi pour la patrie. Etre prêt à se battre oblige à se détacher de sa propre vie, à se dépasser pour atteindre une dimension plus grande qui dépasse le simple destin humain, c’est ce qui donne du courage aux hommes : « Il n’y a pas deux façons de se rendre immortel ici – bas, c’est d’oublier qu’on est mortel »(l. 29 – 30). L’anacoluthe présente comme inéluctable le choix de se battre ; les termes « immortel » et « mortel » se répondent en antithèse.
3ème argument : Refuser la guerre est une lâcheté.
« la première lâcheté est la première ride d’un peuple »( l.40 – 41). Pour Priam, refuser de se battre peut mettre la patrie en danger comme le suggère la métaphore de la ride, signe de vieillesse et donc de faiblesse.
Priam prône donc la guerre au nom de l’honneur et il considère qu’un peuple est courageux quand se maintient la tradition de la guerre et que ses hommes méprisent la vie au nom d’un idéal supérieur.
Les deux prises de position, argumentées de façon relativement équilibrée, émanent de deux conceptions philosophiques différentes que Giraudoux soumet à la réflexion du spectateur. Andromaque, plutôt humaniste croit en l’homme et à son accord avec la nature, elle refuse une guerre qui vient rompre cet équilibre. Priam, plutôt nationaliste croit en une guerre qui permet à la nation de se maintenir et aux hommes de se dépasser.
II Un échange théâtral vivant
La dynamique d’un dialogue saisi dans le quotidien des héros ainsi que le choix de personnages et de registres opposés permettent aux idées de s’incarner de façon vivante.
A/ Des personnages opposés : une femme, un homme ; une jeune, un homme âgé ; une épouse
Andromaque : elle incarne le point de vue des femmes et sa stratégie de persuasion est féminine
-elle parle au nom de toutes les femmes « Si vous avez cette amitié pour les femmes » (l.2) / « Ecoutez ce que toutes les femmes du monde vous disent par ma voix »(l.3)/ « nos maris » (l.4) « nous les femmes »(l.13)
– elle est lyrique : son exaltation ( exclamatives), son langage poétique( l’image des « entraîneurs vivants et non vivants », la désignation de l’ennemi par la métonymie du cœur « emprisonné dans sa cuirasse », l’énumération des bêtes + les détails donnés : « Tous ces grands oiseaux qui volent autour de nous, ces lièvres dont nous confondons le poil avec les bruyères ») , sa référence à la nature, son implication personnelle (expression de ses sentiments pour Hector : « Chaque fois que j’ai vu tuer un cerf ou un aigle, je l’ai remercié. Je savais qu’il mourait pour Hector »l.17 – 19) et les marques de sa sensibilité.
– elle a recours au pathétique : cf apostrophe pour apitoyer Priam + supplication « Mon père, je vous en supplie. »l.1) et injonctions larmoyantes (» « Ecoutez ce que … » « Laissez nous… (l. 2 – 4))
Sa spontanéité, le pouvoir émotionnel de sa prise de parole ainsi que son lyrisme concret touchent le spectateur.
Priam : il incarne le point de vue des hommes, il a un discours viril, il est le chef de la cité ( c’est le roi, celui qui décide de la guerre, qui a la responsabilité des décisions).
– il répond à toutes les femmes cf l’énonciation où « savez – vous pourquoi vous êtes là » et il parle au nom des hommes « vos maris et vos pères… »
– son raisonnement est plus froid que celui d’Andromaque : les termes d’articulation logique mis en avant « C’est parce que … » (l.23) « S’ils…s’ils… »
– il adopte un registre didactique : cf questions / réponses, termes affectueux qui placent Andromaque en position d’inférieure « ma petite chérie », maximes avec emploi de présents de vérité générale : « Il n’ y a pas deux façons de se rendre immortel ici- bas, c’est oublier qu’on est mortel », « La première lâcheté est la première ride d’un peuple ». Ces formules assertives marquent la certitude de celui qui sait et qui explique à celui qui ne sait pas.
– il a des valeurs masculines : l’honneur, le courage VS la lâcheté.
Priam a une rhétorique moins passionnée que celle d’Andromaque. L’efficacité de son discours vient de sa capacité à renverser les arguments d’Andromaque et à user de formules lapidaires comme celle de sa dernière réplique.
B/ Un échange vivant
– un dialogue pris dans une action puisque leur discussion aura un impact sur les choix qui seront faits : s’engager dans la guerre ou non
– enchaînement d’arguments et de contre – arguments : Priam répond à l’accusation de vouloir faire mourir Hector, Andromaque réplique à l’argument de l’immortalité
– Un dialogue simple entre deux personnes de la même famille cf termes affectueux : « Mon père »(l.1), « Ma petite chérie »(l.21), « Oh ! justement père » (l.31) , « Ma fille » (l.40)
– Une tolérance et un équilibre des points de vue.
– Des registres variés : lyrique, pathétique, didactique
L’échange joue à la fois sur la différence un peu stéréotypée entre le pacifisme féminin et la virilité guerrière et sur le recours à des stratégies argumentatives différentes : Andromaque est davantage dans la persuasion et le lyrisme tandis que Priam est dans la conviction et le didactisme. Ces oppositions ont l’intérêt de faire apparaître nettement les idées et de leur donner vie. Mais l’art de Giraudoux consiste aussi à faire de ce débat ancré dans l’histoire antique une discussion universelle sur la question de la nécessité de la guerre.
La double énonciation théâtrale permet de se demander quel est le point de vue de Giraudoux : l’argumentation de Priam apparaît plus lapidaire, c’est lui qui a le dernier mot mais Andromaque a du talent et touche fortement le spectateur. Ce qui est sûr, c’est que Giraudoux veut faire réfléchir le spectateur et donner au débat une portée universelle…
III Une portée intemporelle et universelle
La réécriture du mythe infléchit la portée de la réflexion.
A/ Une tragédie antique revisitée
Le mythe grec de la guerre de Troie = moyen de dramatiser une actualité de l’époque et de lui donner du poids.
Andromaque femme d’Hector, Priam, roi troyen évoquent tous deux la célèbre histoire de la guerre de Troie, la guerre de référence des occidentaux.
– le mythe donne à la pièce et à la scène une dimension plus conséquente, il inscrit le problème de la guerre dans une dialectique plus grande que la simple contingence temporelle. Il place l’homme dans un destin qui le dépasse.
B/Une tragédie moderne :
– des personnages de tragédie : un roi, une princesse./ un registre pathétique ( évocation des conséquences de la guerre)
– Mais un langage familier, des termes affectueux qui ne sont pas du registre de la tragédie.
– Des relations entre les personnages qui sont simples : pas de respect des grades, de l’étiquette
– des images de référence intemporelles : les images animales chères à Andromaque. Elles placent l’homme dans son rapport éternel à la nature.
C/ Une préoccupation de l’époque : la guerre.
Giraudoux traite de préoccupations de l’époque avec la distance que donne le théâtre. Il donne à réfléchir avec le recul du temps par le choix du mythe. Il évite de traiter les questions particulières pour montrer que la guerre est une question qui dépasse les simples contingences d’une époque mais qu’elle concerne quelque chose de plus profond / Une réflexion générale sur ce qui pousse l’homme à la guerre : les pulsions meurtrières et l’envie de se sublimer pour atteindre l’éternité.
Le choix de la guerre de Troie pour parler des préoccupations de 1935 et le souci qu’ a Giraudoux de mettre au jour ce qui dans le psychisme humain porte à la guerre confèrent au dialogue écrit dans une langue moderne une dimension universelle qui dépasse le cadre de la tragédie grecque et même celui de l’époque dans laquelle il a été écrit pour prendre une dimension intemporelle.
CONCLUSION : A travers ce dialogue théâtral qui propose un débat entre deux héros de tragédie qui incarnent des positions opposées, Giraudoux exprime la difficulté de délibérer sur la guerre. En effet, les deux points de vue sont argumentés et se justifient mais tous deux font apparaître un certain pessimisme sur la nature humaine animée de pulsions agressives et de volonté de puissance. Le dialogue s’inscrit dans l’histoire antique de Troie mais il prend une dimension plus large grâce à une réécriture moderne du mythe. Dans le contexte de la deuxième guerre mondiale qui se prépare, Giraudoux a voulu atteindre l’universel pour permettre au spectateur de réfléchir et de faire ses choix en toute connaissance de cause. Le théâtre permet de mettre à distance les problèmes pour mieux les juger, Giraudoux estime d’ailleurs, comme de nombreux dramaturges, qu’il a une fonction édificatrice, il disait en 1941 dans son Discours sur le théâtre : « Le spectacle est la seule forme d’éducation morale et artistique d’une nation. Il est le seul cours du soir valable pour adultes et vieillards, le seul moyen par lequel le public le plus humble et le moins lettré peut être mis en contact personnel avec les plus hauts conflits, et se créer une religion laïque, une liturgie et sessaints, des sentiments et des passions. »On peut espérer que le théâtre par sa fonction distrayante puisse assumer encore longtemps cette fonction instructive pour peu que le public continue à y aller…