07. décembre 2019 · Commentaires fermés sur La Fontaine : l’école buissonnière , un livre d’Erik Orsenna .. pour découvrir la vie du fabuliste · Catégories: Le livre du mois · Tags:

Je vous résume ici des extraits du roman d’ Erik Orsenna ( membre de l’Académie Française ) consacré à Jean de La Fontaine . 

Un petit garçon est né à Château Thierry,  la porte de la Champagne , l’année où le cardinal de Richelieu voit son pouvoir augmenter  ; Le jeune Lousi XIII est alors âgé de 20 ans et la France n’échappe pas cette manie de la guerre perpétuelle ; Le roi entend bien écraser les protestants réfugiés dans le Sud de la France ; la Nouvelle -Amsterdam ne s’appelle pas encore New-York .

Jean est l’aîné d’une famille bourgeoise qui tire ses  petits revenus des terres qu’ils ont achetées au fil des années . Toute sa vie, il sera partagé entre être un rat des champs et être un rat des villes ; A l’école il est décrit comme un bon garçon,  fort sage et fort modeste .  En 1641, il entre au couvent pour devenir prêtre mais renonce à la vocation ecclésiastique et commence des études de droit à Paris.

Il lit beaucoup :  son livre préféré est un roman fleuve : l’Astrée qui raconte  en 5000 pages les amours  compliquées d’un berger Céladon et d’une bergère  nommée Astrée. Au coeur du quartier latin, il rencontre un groupe de jeunes provinciaux comme lui qui vont devenir ses amis : Furetière, Tallemant des Réaux, Maucroix . Le père de La Fontaine presse son fils de se marier et de trouver  enfin un travail car il a tendance à dépenser tout l’argent que lui donne ses parents . Mais le poète ne semble guère pressé de se ranger ..son père le contraint  pourtant à épouser une jeune fille de 14 ans, Marie, qui lui apporte une grosse dot  mais elle a , semble-t-il, un fort long nez… A 31 ans La Fontaine achète une charge de maitre des Eaux et Forêts mais surveiller ses terres et notamment lutter contre les braconniers ne l’amuse guère ..il doit juger les contentieux et tenir les registres des ventes de bois et de la pêche. Le poète va devoir se partager entre des séjours à Paris avec ses nouveaux amis Boileau, Molière et Racine et sa province natale. Il finit toujours par revenir sur ses terres à Château-Thierry où l’attend son épouse qui s’ennuie ferme et bientôt son fils pour lequel il ne sera pas un père présent. A Paris,  le poète vit sa vie..il  a de nombreuses maîtresses et  il trouvera normal que sa femme entretienne elle aussi  une liaision avec un soldat qui l’avaiit autrefois demandé en mariage; Il se montre très compréhensif et accueille même l’amant sous son toit  ce qui déclenche des rumeurs au village ; Il ne connait donc pas le sentiment de jalousie. 

A 36 ans et assez désargenté, La Fontaine a l’idée d’envoyer un long poème de 600 vers à Nicolas Fouquet, jeune surintendant des finances . Il le flatte au moyen d’hyperboles et obtient, grâce à son talent ou à ses louanges,  une généreuse pension. Fouquet va devenir son “soleil” et son mécène. Après la somptueuse fête que son ministre  donne dans son récent château de Vaux le Vicomte , Louis XIV décide de le faire arrêter car il lui fait de l’ombre et c’est d’Artagnan qui vient le mettre aux arrêts sur ordre du souverain, offusqué qu’un de ses serviteurs puisse briller avec autant d’éclat. Il restera 19 ans en prison et tous ses amis le trahiront pour aller servir Louis XIV à Versailles ; Tous sauf la Fontaine qui se retrouve sans un sou et doit vendre la maison de son père .. il a presque  40 ans lorsqu’il commence à écrire les fables . Le dictionnaire de cette époque propose la définition suivante : chose feinte inventée pour instruire et pour divertir.  Le fabuliste ajoutera dans sa préface : l‘apologue est composé de deux parties dont on peut appeler l’une le corps, l’autre l’âme. le corps est la fable; L’âme , la moralité. L’autre couple à l’oeuvre dans les fables est celui que forment le mensonge et la vérité. Le mensonge ( affabulation ) pour dire la vérité : c’est une définition qu’on pourrait donner de la fable sans doute. 

En 1667 le premier livre est édité : on y trouve  beaucoup d’animaux comme la cigale et la fourmi, le renard et le corbeau et la grenouille qui voulait se faire aussi grosse que le boeuf. La Fontaine va présenter son livre au roi qui donne un repas en son honneur et lui offre une grosse somme d’argent . Pour composer ses fables, le poète s’inspire d’Esope et de Phédre, qui tous deux dans l’Antiquité furent d’abord des esclaves avant de gagner leur liberté par leurs oeuvres , mais également de la tradition du récit animalier et notamment du roman de Renart, grand succès au Moyen-Age . D’ailleurs ce qui plait beaucoup lorsque nous lisons les fables, c’est ce dialogue qui s’instaure , à de nombreuses reprises, entre les hommes et les animaux . “Tout parle en mon ouvrage et même les poissons / Ce qu’ils disent s’adresse à tous tant que nous sommes / je me sers d’animaux pour instruire les hommes.” Mais quels enseignements tire-t-on , au juste de notre lecture des fables ? la question a traversé les siècles .

En écrivant plus de 240 fables, La Fontaine a créé un monde et pour reprendre une citation de Barbey D’ Aurevilly ; écrivain du dix-neuvième siècle : ” plus nous avons grandi, plus il a grandi avec nous . Plus nous avons avancé dans la vie, plus nous avons trouvé de charme et  de solidité dans ces fables qui sont la vérité, dans ces drames où les bêtes sont les personnages et qui racontent si délicieusement et si puissamment la vie humaine ”  Car enfin qui était vraiment La Fontaine? à la fois  un campagnard qui fréquentait les salons parisiens, un amoureux de la solitude qui aimait être entouré , un mari qui avait de l’amitié pour sa femme et qui collectionnait les aventures , un philosophe épris de sagesse et de plaisir, un homme qui a toujours couru après la Fortune tout en déplorant les dangers d’être riche ..

En 1670, La Fontaine accepte de préfacer un ouvrage d’un de ses anciens amis de l’Oratoire ; ce livre contient des poésies chrétiennes et son auteur M de Brienne, ancien ministre de Louis XIV, le destine à une certaine duchesse à laquelle il cherche à plaire .. plaire aux femmes : ce fut une mission pour le fabuliste . Madame de La Sablière fut l’une de ses amies… femme d’un collecteur général des impôts donc fort riche et très libérale,  elle était surnommée par Madame de Sévigné: la tourterelle car elle passait , soi disant, son temps à roucouler avec les Messieurs qui fréquentaient ses salons. Elle hébergera La Fontaine 20 ans dans sa maison  : elle fut pour lui une bonne fée, comme il le disait à ses amis. 

En 1683 , la mort de Colbert libère une place à l’académie Française et La Fontaine qui gardait rancune à Colbert d’avoir poussé le roi à faire condamner Fouquet , était heureux de pouvoir prendre son siège d’académicien. Hélas un de ses amis se met aussi sur les rangs pour obtenir le siège : c’est Nicolas Boileau; le vote  des académiciens est favorable au fabuliste à 13 voix contre 7 mais le roi le fait attendre et il ne deviendra académicien que lorsqu’un nouveau siège se libérera ; Le nouveau vote lui est encore favorable mais le roi, rancunier, exige que Boileau soit nommé. Et accepte que La Fontaine le rejoigne…le jour de son admission, il s’engage solennellement à devenir plus vertueux  et à servir le Prince..à 60 ans, La Fontaine semble renoncer à critiquer le pouvoir royal pour faire partie des  24 Sages et rejoindre ses collègues de l’Académie Française, lui qui n’a plus de maison et qui ne voit plus sa famille depuis longtemps.

L’amitié est un thème abordé dans les fables et La Fontaine savait de quoi il parlait car il a connu une amitié très forte avec Jean Racine : il est plus vieux de 18 ans que son jeune cousin (éloigné mais parents par leurs mères ) et a connu un succès moins spectaculaire que le sien. Au théâtre, les gens se lèvent pour applaudir les tragédies  et la gloire de Racine sera très rapide alors que La Fontaine connaîtra un succès plus limité à certains cercles mondains; Toutefois, une femme aurait pu les séparer : la Champmeslé, l’actrice dont Racine fut longtemps amoureux et qui se montrait fort infidèle; Elle eut, parait-il un penchant pour le fabuliste .. Racine n’en voudra pas à son cousin et tous deux continuèrent à briller, côte à côte .. cependant le fabuliste n’est pas aussi doué  pour faire carrière que le jeune dramaturge  qui deviendra historiographe du roi , travail illustre et fort bien payé surtout  !  La Fontaine pour vivre s’est mis au service de la veuve du frère de Lousi XIII, Marguerite du Lorraine dont il est le “gentilhomme ” c’est à dire le serviteur : il lui porte ses messages, lui fait ses course et même lui promène ses chiens. La Fontaine dog-sitter , ça lui va bien ! Il est plus cigale que fourmi ..vous l’avez bien compris ! 

laf127.jpgA la veille de sa mort, son confesseur l’abbé Pouget,  l’exhorte d’avouer ses fautes passées et le fabuliste, qui souhaite rejoindre le paradis et sauver son âme, s’exécute. Il faut l’imaginer sur son lit , en train de lire à ses amis, sa confession; Miracle aurait-il pensé  : la santé lui revient quelques temps .  Mais on sait qu’à la fin de sa vie, le poète s’infligera  même des châtiments corporels pour obtenir le pardon de ses fautes; Quand on le dévêtit pour le mettre en terre, on vit son corps lacéré par le port du cilice, une chemise de fer qui entaille les chairs et que portaient les religieux pénitents.

La Fontaine ne touchera jamais aucun droit d’auteur pour ses livres ; Il a dilapidé l’argent de sa famille , vendu tout ce qu’il pouvait et à la mort de Madame de La Sablière, il se retrouve sans toit . C’est alors qu’un banquier protestant M Herwarth lui offre l’hospitalité; Louis XIV qui connaissait son dénuement n’a pas levé le petit doigt pour l’aider : à l’époque le roi est sous la coupe de Madame de Maintenon qui a évincé Madame ed Montespan et qui fait régner à la Cour un vent de pudibonderie; Devenue femme de roi, elle ne lui pardonna jamais d’avoir écrit les  70 Contes érotiques  et  d’avoir vanté publiquement  les mérites de la Volupté.  

laf126.jpg
Madame de Maintenon 

Qui peut expliquer aujourd’hui la magie La Fontaine ?  les sourires que font naître les fables et les traces qu’elles laissent dans notre mémoire individuelle et collective ? Le poète a choisi ces quelques vers en guise d’épigraphe pour son tombeau : “Jean s’en alla comme il était venu/ mangea  le fonds avec le revenu / Tint les trésors chose peu nécessaire / Quant à son temps, bien  le sut  dispenser / deux parts en fit, dont il soulait passer / l’une à dormir et l’autre à ne rien faire . ”  Il donne volontiers de lui pour la postérité cette image de papillon du Parnasse  : “Je suis chose légère et vole à tout sujet; je vais de fleur en fleur et d’objet en objet. ”  Cet autoportrait ne dit pas les heures de travail passées à raturer, corriger les fables; pas plus qu’il ne dit les heures passées à observer, mettre en mots et en musique , faire chanter les mots et trouver une langue à chaque animal , une situation pour chaque circonstance de la vie, une morale qui résume sa pensée et demeure fidèle à ses convictions. 

L’auteur conclut son livre en disant ” depuis 60 ans que je lis et relis la Fontaine, c’est d’abord une leçon d’acquiescement que je retiens; Oui à la Nature malgré ses sauvageries. Oui aux frères et soeurs humains malgré leurs ridicules , malgré leur rapacité foncière. Oui à eux car nous sommes sur le même bateau, et pour le meilleur ou pour le pire, du même équipage” Et sourire, car sourire c’est encore acquiescer . ”  Pensez vous vous aussi , à la lecture des fables , qu’elles disent  oui à la vie….

laf.jpg
Vaux le Vicomte : demeure de Fouquet 

 

 

01. janvier 2019 · Commentaires fermés sur Retour à Killybegs de Sorj Chalandon · Catégories: Le livre du mois · Tags: ,
fich3.jpg
 

Cela démarre très fort avec la mention : “à ceux qui ont aimé un traître” et il est vrai qu’il est difficile de ne pas s’attacher à ce personnage de Tyrone Meehan.Sur fond de conflit fratricide, Sorj Chalandon sou suivre une version de plus de ses réflexions sur la guerre qui dévore les hommes . Belfast sert de cadre à ces événements tragiques tant sur le plan historique que sur le plan humain; Loin de tout manichéisme, le romancier brosse des portraits de personnages avec leurs petites fêlures et leurs grandes failles et même les seconds rôles ne vous laisseront pas indifférents. C’est une Irlande de patriotes et de buveurs de bières , de vent mauvais et d’ânes qui s’appellent Georges comme le roi d’Angleterre  , de prisonniers politiques et de haines ancestrales, de famines et de grèves de la faim. Emboîtons le pas aux héros de ce livre …

fich5.jpg
Une maison de Killybegs

La porte opaque du Mullin’s s’ouvre sur un monde où chacun connaît les chants gaéliques , la guerre  perdue et l’honneur blessé. La bière brune, mélange de terre et de sang était leur eau de vie et leur eau de mort ,celle mêlée de larmes amères dans laquelle ils noyaient leurs chagrins durant les longues nuit brumeuses. Le père de Tyrone a servi dans l’armée républicaine irlandaise et a refusé en 1921 l’édification de la frontière qui scellait le déchirement de la nation irlandaise. Torturé par les anglais , il le fut tout autant par les irlandais  désormais “libres” qui poursuivaient les derniers membres de l’IRA. premier destin tragique de ce père surnommé “bastard “par les habitants de Killybegs et qui décidera de se suicider en 1940 laissant une famille dans la misère la plus noire . Sauvée d’une mort certaine  par un oncle providentiel, la famille s’installe à Belfast , dans un ghetto catholique cerné par les loyalistes protestants ; lorsque les premières bombes frappent la ville, Tyrone qui n’a que 16 ans, décide qu’il n’est plus un enfant et regarde la mort en face .

fich4.jpg
 

Peu à peu il va écrire sa vie , d’épisodes meurtriers en épisodes guerriers mais il finira par revenir mourir sur le sol irlandais, dans la maison de son père qu’il a quittée en 1941; En 2006, il commence alors son Journal “parce qu’il est le seul à pouvoir dire la Vérité “et qu’après lui, il espère le silence . Suivez le dans ce parcours tragique qui finira par le ramener à ses racines; Un roman âpre est fort où souffle la colère du vent irlandais, de cette terre meurtrie et divisée qui abrite  ces hommes libres et sauvages , indomptables . Vous découvrirez également l’histoire de l’IRA ,cette armée secrète et clandestine qui se bat de toutes ses forces contre l’Empire Britannique en employant parfois des moyens qui ne servent pas sa cause. Mais la guerre se charge de tous les faire marcher au pas, ces hommes qui sont prêts à tout pour la servir elle  “sous ce casque de guerre, il ne pouvait pas y avoir un homme mais seulement un barbare ” . Penser le contraire, c’était faiblir, trahir.” C’est ainsi que leurs instructeurs formaient les jeunes qui rejoignaient les  brigades de l’IRA. On leur parle aussi de la misère ; “De la Grande Famine. des enfants sans chaussure dans la boue;De la lèpre du pain qui suinte au coin des bouches mal nourries. De mon père mort de givre ; Nous avions une colère commune . Et de la haine aussi . ”  Tyrone finira par être tué par cette haine qui irrigue encore en 2007 l’armée secrète appelée IRA.

07. juillet 2018 · Commentaires fermés sur Florilège de citations : les cris de cris de Gaudé.. · Catégories: Le livre du mois · Tags: ,
soldats6.jpg
 

La lecture du roman de Laurent Gaudé a été l’occasion pour les élèves de réaliser un florilège de citations. Comment devaient -il s’y prendre ? La méthode la plus simple consistait à prélever des citations au fur et à mesure de la lecture et à les noter sur un document . Relevez les numéros des pages permettait ensuite de les classer par thèmes et de réaliser une compilation organisée des phrases qui paraissaient définir la guerre et son cortège d’horreurs. 

 

« Si on n’arrive pas à percer quand on se lève tous comme ça, si on ne passe pas quand on est des milliers à courir en gueulant, je me demande bien où on reculera. »

« Je ne pensais pas que la mort pouvait avoir le visage d’un gamin de dix-huit ans. Ce gamin-là, avec ses yeux clairs et son nez d’enfant, c’était ma mort. »

« C’est comme une dernière éruption de vie et puis plus rien. Plus rien. La mort. »

« Je me demande bien quel visage a le monstre qui est là-haut qui se fait appeler Dieu, et combien de doigts il a à chaque main pour pouvoir compter autant de morts »

« Corps à corps pour la vie. J’étais une bête et je ne m’en souviens plus. J’étais une bête et je n’oublierai jamais. »

« Nous avions appris à décliner la peur dans toutes ses formes. Mais celle-ci nous était encore inconnue et je n’ai pas su m’en défendre. C’était la peur de l’attente. »

« Il fallait être vif. Ne pas penser. Ne pas faiblir. Percer et tirer sans cesse. Je n’ai plus vu personne. Corps à corps pour la vie. J’étais une bête et je ne m’en souviens plus. J’étais une bête et je n’oublierai jamais. »

« Tire et tue. Plus que cette seule idée en tête. Sois rapide. Plus rapide que les autres. Tire et tue. »

« La mort s’est joué de lui. Elle l’a pris de plein fouet. Pour sa première charge. C’était un homme et il méritait mieux que cela. »

« Nous n’avons pas le temps. Le sang nous est compté. »

« Fils de la guerre, père des tranchées. »

Jules : une petite armée d’hallucinés qui n’a plus peur et ne sait plus dormir

Marius : Alors nous sommes retournés vers cette immense bande de terre, dans ce terrain pelé qui n’est à personne, où personne ne s’arrête que les morts 

Jules : Personne ne peut se soustraire à la pluie d’obus

Castellac : Il aurait dû avancer vers la mort comme le commandant du navire en perdition qui va bientôt être englouti par les flots

Boris : Le grand pays rasé du champ de batailles, ce n’est qu’une succession terreuse de trou et d’amas, un pays barbelé.

Jules : La terre ici a perdu son visage vérolé.

Castellac : Nous avions appris à décliner la peur sous toutes ses formes.

Messard : Ils ont décidé de l’heure de l’apocalypse, ils ont fumé une dernière cigarette et puis, après avoir regardé leur montre, ils ont chargé leurs mortiers

26. février 2018 · Commentaires fermés sur Cris de Laurent Gaudé · Catégories: Le livre du mois · Tags:

Des romans sur la guerre 14/18 , on ne les compte plus ; Alors pourquoi écrire encore en 2001 un récit sur cette guerre qui a tant  marqué les esprits ? Cris est avant tout un récit contemporain: par sa forme éclatée, polyphonique, qui fait entendre toutes les voix des personnages et par les thèmes abordés également, universels mais tellement actuels ; Cris nous fait réfléchir , au delà des descriptions de la guerre et de ses horreurs, à la manière dont le langage humain peut survivre à la guerre et transformer ces expériences humaines en récits, les mettre en voix. En effet, les Cris des soldats se mêlent aux cris de la guerre personnifiée en une sorte de  monstre infra-humain. Comment décrire avec des mots, les expériences de la terreur, les bruits assourdissants du feu lorsqu’on se trouve en première ligne, le fait de voir mourir ses compagnons dans d’atroces souffrances et d’entendre les hurlements des mourants, des fous et de ceux qui seront à jamais transformés et marqués dans leur chair par ce qu’ils ont vu et entendu ? 

En effet , l’auteur a cherché avant tout à faire entendre les voix des hommes dans la guerre, au milieu des combats. Bien sûr le lecteur averti peut aisément reconnaître des  indices des affrontements de 14/18: guerre de tranchées, guerre dans la boue et  le froid, avec des lignes de front et la relève des soldats, les permissions à l’arrière; mais il ne s’agit pas d’un roman autour de la guerre ou d’un récit qui chercherait à montrer toute  la guerre, c’est plutôt une tentative de mettre en mots ce qui ne peut être dit ou entendu; chacun des soldats, chaque personnage imaginé par l’écrivain, représente symboliquement une attitude possible de l’homme sous la mitraille; il y avait ceux qui se taisaient et ceux qui hurlaient, ceux qui couraient et ceux qui tremblaient, ceux qui priaient et trouvaient refuge dans la foi et ceux qui mouraient en maudissant Dieu et les hommes.

Gaudé a ainsi inventé autant de personnages que de possibilités de faire entendre la voix de la guerre à travers l’homme et à travers l’art en général et l’écriture en particulier; En lisant ce roman, vous ne pourrez pas vous empêcher de penser à celui auquel vous auriez pu ressembler. Quels cris auriez -vous poussés durant l’assaut ? Comment inscrire ces voix dans notre espace actuel sans penser qu’elles furent sans doute réelles ? La fiction donne ici à voir autant qu’à entendre ce qui fut et ce que l’homme vécut.

 Quelques voix : Jules ouvre la marche et c’est sa voix qui débute le récit mais Jules marche tête basse et sans “rien dire à personne”; D’où il vient , il ne veut rien en dire et lorsqu’il se remémore ce qu’il  a vu et ce qu’il  a fait , il ne sait pas comment le dire aux autres ; d’ailleurs les hommes de la vieille garde n’ont même plus la force de parler et se contentent d’ ” un grognement parfois. Pour dire qu’ils m’ont reconnu. ” Marius lui , a fait comme tout le monde durant l’attaque : il a gueulé et couru. Boris lui a failli mourir et Jules lui a sauvé la vie. Le médecin entend trop de cris autour de lui et ne sait pas nommer “les cris que poussent  les hommes qui se débattent ” Les souffrances qu’endurent les hommes n’ont pour lui, pas de nom . L’homme qui meurt est au- delà des cris : c’est ce que pense Marius quand il contemple le corps de Boris , tué par l’homme cochon : ” j’ai voulu pleurer. Mes lèvres tremblaient mais aucun liquide, aucun son ne sortait de mon corps.” (101)

L’homme- cochon est un des personnages les plus mystérieux du récit : on prétend qu’il s’agit d’un soldat devenu fou et qui ne sait plus parler; “certains affirment qu’il s’agit du fantôme écorché du champ de bataille” et que ses hurlements rappellent aux hommes leurs meurtres quotidiens. Une chose est sûre , c’est que personne ne supporte les cris horribles qu’il pousse : lamentations ou fou rire d’une bête sauvage, certains disent même que c’est le cri de la guerre elle-même, le chant démembré des morts. Pourtant quand il pousse ses cris fauves, on  l’impression qu’il prête sa voix aux hommes pour pleurer leurs morts . ” (102) “Je crois que c’est la terre qui hurle par cet homme ” dira le médecin .

 Pas de récit de guerre sans évoquer les combats et les combattants ; Certains ne feront qu’une courte apparition dans le roman. Le lieutenant Rénier va mourir lors de la première charge et sa mort va le priver définitivement de sa voix : bouche ouverte et yeux écarquillés ” il semble encore crier à l’attaque alors qu’il gît dans la boue, que son corps est froid et que plus jamais personne n’entendra sa voix. ”  Le narrateur ajoute qu’il méritait mieux que cela; (67) et évoque la fin tragique de tous ces jeunes gens qui pensaient mener une autre guerre , une guerre du siècle passé.  “ils tombent une belle phrase sur les lèvres qu’ils n’ont pas le temps de prononcer” (69)   Durant ce premier assaut de la relève, certains soldats comme Messard, se mettent à hurler : “il gueule à plein poumons; Je l’entends hurler et je le bénis pour ces exhortations lancées au ciel . Car dans la mêlée de l’attaque, ces cris si violents, si bestiaux, je les écoute et je les suis . ” (64) 

Durant la mêlée, certains hommes craquent et se retournent contre Dieu ou sombrent dans la folie; c’est le cas de Barboni qui prononce le De profundis avant d’exécuter un jeune messager allemand d’une balle à bout portant en plein visage. Pendant ce temps, Jules roule vers la vie après avoir déserté et trahi les siens et la prière qu’il prononce est en quelque sorte l’inverse de celle de Barboni, c’est un hymne à la vie , c’est un Je vous salue Marie ou plutôt je vous salue Margot, d’un genre très spécial ;

Les morts contre les vivants : qui va l’emporter ? quels cris vous hanteront le plus longtemps ? et si au final, tout le monde sortait perdant de cette guerre en ayant certes gagné des combats mais perdu une part de son humanité . Ils furent pourtant de braves petits soldats parfois…

14. avril 2017 · Commentaires fermés sur Une terrible chanson douce · Catégories: Le livre du mois
douce1.jpg
 

LeIla Slimani débute de manière abrupte son roman en plaçant le lecteur devant le fait accompli : une nounou à  “l’âme pourrissante ” assassine les deux enfants dont elle avait la garde au domicile des parents . Abasourdis nous pensons déjà à fermer le livre après avoir été témoins des cris sortis des profondeurs, ces cris de louve blessée de la mère, “cris qui font trembler les murs  ” mais nous allons lire jusqu’au boit, jusqu’à la reconstitution du crime , cette terrible histoire d’amours désaccordés . Tout débute par une banale histoire de recrutement : Myriam décide de reprendre son métier d’avocate à la naissance de leur deuxième enfant et ils se mettent en quête de la nounou idéale ; elle se présente  à eux sous la forme d’un fée du logis en la personne de Louise.”quand elle raconte ce premier entretien, Myriam adore dire que ce fut comme une évidence; Un coup de foudre amoureux .” (p 28) Ils ne savent pas encore qu’il ont introduit le loup dans la bergerie …

 Les deux enfants, Mila et Adam l’adorent et les parents se reposent entièrement sur elle ; Elle leur devient très vite totalement indispensable . “Elle a le regard d’une femme qui peut tout entendre et tout pardonner. “Son visage est comme une mer paisible dont personne ne pourrait soupçonner les abysses. ” Pourtant sa vie est pleine de ténèbres ; et la fée va se transformer en une sorcière impitoyable . elle apprivoise les enfants et leur raconte sans cesse des histoires qui émane d’elle en flots continus, histoires de lacs noirs et de forêt profondes, conte cruels où les gentils meurent à la fin…le lecteur attend , au fil des pages, de saisir la métamorphose, le déclic qui va donner naissance au drame absolu. durant l’absence des parents, la nounou organise de terribles parties de cache-cache dont elle fixe les règles : même lorsque les enfants hurlent de panique en pensant qu’elle les a abandonnés, elle demeure terrée dans sa cachette et savoure sa toute-puissance. 

douce3.jpg
 
 

Plus les semaines passent et plus Louise excelle à devenir à la fois invisible et indispensable: elle est devenue une silhouette noire en coulisses, une sort d’ombre qui sagrandit. Myriam commence à accepter de se faire elle aussi materner par la nounou et le fragile édifice de leur vie est déplacé surs les épaules de cette dernière, créature chétive mais néanmoins douée d’une force herculéenne.  Elle se met à leur organiser des dîners toute les semaines et leurs amis ne tarissent pas d’éloges sur la cuisine de Louise. Ils vont même l’emmener en vacances en Grèce avec eux et ce est pour elle un moment ensoleillé qui la rend encore plus triste de retrouver sa vie: un taudis dans une banlieue insalubre, des dettes qu’un mari brutal lui a laissé en mourant et une fille avec laquelle elle n’a plus aucun contact;  pourtant chaque lundi matin, elle se rend à son travail car “Louise est un soldat. elle avance coûte que coûte, comme une bête, comme un chien à qui de maclants enfants auraient brisé les pattes.” (p 91) 

Paul commence à se méfier de la nounou, à avoir peur d’elle et il ne la supporte plus .

douce2.jpg
 

Cependant Myriam a du mal à envisager de se séparer de Louise même quand elle découvre les traces de morsure dans le cou d’Adam: la nounou accuse Mila; En leur absence, Louise vient s’installer chez eux : elle a peur de se retrouver expulsée et c’est ce qui finit par arriver . Un soir alors elle devient cette mère qui abandonne ses enfants aux ténèbres d’une forêt..Poupée vieillissante et maléfique . Un roman captivant qui dérange et nous entraîne très loin dans les profondeurs d’une âme pourrissante..

06. février 2017 · Commentaires fermés sur Charles Pépin: la joie … · Catégories: Le livre du mois
camus4.jpg
 

Albert Camus fut connu du grand public pour avoir écrit l’Etranger , un roman dont le héros n’a justement absolument rien d’un héros au sens où la plupart des gens l’entendent.  La citation liminaire du récit crée un horizon d’attente : “la joie annonce toujours que la vie a réussi,qu’elle a gagné du terrain, qu’elle a remporté une victoire: toute grande joie a un accent triomphal ” que les événements narrés vont s’empresser de déjouer , ou plutôt de rejouer. 

Avec ce court roman au titre qu’on pourrait penser ironique : La joie, Charles Pépin a choisi lui aussi un personnage central hors du commun . Charles , en effet, n’ a rien de joyeux et sa vie ne prête ni à sourire , encore moins à rire. Au fur et à mesure du roman, le lecteur a impression de s’enfoncer au creux d’une tempête qui gronde sans jamais éclater . Charles aime la vie te la vie ne  l lui rend pas forcément ; Au début du récit il conduit  avec “ce bonheur dans mes muscles, cette chaleur dans mon sang ” sous le soleil de septembre qui réchauffe les coeurs; il s’apprête à rendre visite à sa mère à l’hôpital qui se bat contre le cancer qui la ronge.

camus2.jpg
 

Alors qu’il se gare sur le parking du centre hospitalier il observe “une petite fleur violette, éclose dans une fêlure du bitume”; le médecin lui annonce que ce n’est plus qu’une question de jours et son banquier que son prêt est refusé..pourtant, quelques heures plus tard ,  accoudé au comptoir , il savoure son express et  il “se sent traversé d’une force nouvelle, un plaisir d’exister qui donne envie de chanter ” . fair un footing, marcher à vive allure lui ont souvent permis de dissiper ses maux mais la peine de son père et de son frère alourdissent encore son propre chagrin ; avec Louise sa maîtresse , il a parfois l’impression de ne pas savoir s’il veut avoir un enfant avec elle ou poursuivre sans elle ..après la mort de sa mère , il organise l’enterrement seul  et décide d’emprunter de l’argent à un vieil ami corse qu’il soupçonne d’être mêlé à des opérations plus ou moins louches .

Lors d’une altercation avec une bande de jeunes des cités qui l’ont racketté quelques temps auparavant , il se retrouve avec le flingue d’Ange son ami corse et soudain tire

camus3.jpg
 

dans le tas : ” je tire pour éteindre le tumulte et je sais qu’il n’y aura plus jamais de silence ” (p 69) ; La seconde partie du roman raconte son séjour en prison et ses passages au tribunal où il comparait pour  meurtre: le portrait qui est fait de lui ne correspond pas vraiment à la réalité que le lecteur a pu percevoir; “peu à peu je m’absente ” pense l’accusé au milieu des plaidoiries et des réquisitoires; Il se dit prêt à payer mais refuse cette mise en scène au tribunal ; sous cet angle, il fait vraiment penser à l’Etranger de Camus. L’avocat le soupçonne d’avoir voulu se venger en tuant Rédoine; ils évoquent la colère liée à la mort de sa mère et cherchent à comprendre pourquoi il est devenu un meurtrier alors qu’il était un bon fils et un ami sincère . Dans sa cellule, il tente de retrouver des moments de joie : ” on peut se replier dans sa vie intérieure mais à condition de n’avoir que soi comme souci “, d’être en paix avec son passé et de profiter des quelque rares moments de bonheur en prison et ensuite en centre psychiatrique  : un rayon de soleil, une plante qui pousse; il décide de s’évader en sautant par la fenêtre et  part finalement rejoindre le vol des oies sauvages : “soudain elles sortent des nuages et c’est comme un triomphe, une marche que rien n’arrête .”  Une vie brisée par les préjugés et l’incompréhension des bien pensants…

05. décembre 2016 · Commentaires fermés sur Génutopium : un univers qui ne tourne pas rond … · Catégories: Le livre du mois

Génutopium retrace le parcours d’ Oukade , une jeune fille au destin extraordinaire. Si sa naissance ravit sa mère , une ombre semble menacer sa famille. Oukade grandit dans un univers où chaque individu est enregistré dans le Génos , un système informatique qui comporte les empreintes génétiques des membres des quatre segments : le Trium, le Bium, le Quantium et l’Unium. Au sein du Trium , segment auquel appartient l’héroïne, tous  croient en l’existence de l’Être Suprême et se rendent régulièrement dans leur lieu de culte surnommé Le Triangle: c’est en 977 que sera célébrée la cérémonie de baptême de la jeune femme.

 

Le protocole du baptême lui adjoint deux référents; une ellipse de 16 ans nous entraîne  au chapitre suivant : Oukade est un élève très douée et elle a pour objectif d’intégrer la célèbre école Pi qui peut la rendre membre du gouvernement qu’on appelle le Cercle. Lors d’une révélation, le Guide du Trium apprend à la population l’existence d’une élue ce qui provoque un certain émoi dans la foule. Oukade part étudier au pensionnat où elle fait la connaissance de ses colocataires : Clara du Bium et Saphare de l’Unium. La jeune femme découvre que certains élèves remettent en cause les croyances héritées de leurs segments respectifs ; “dans la vie, il faut choisir , pense Oukade, adhérer à un système ou être rejeté par le système” ; Clara lui fait des confidences et on découvre peu à peu que “ceux qui n’adhèrent à aucun segment sont présentés comme des marginaux toxiques et nocifs. ” On les nomme des diagonaux.

Durant sa seconde année à l’internat, Oukade découvre de nombreuses divergences entre les élèves et surtout l’existence antérieure d’un cinquième segment  détruit par le gouvernement ; Un groupe de résistants organise des réunions secrètes dans le grenier de la pension. Durant la semaine qui précède le concours, le Cercle organise des jeux quadratiques qui font s’opposer des équipes des quatre segments. Les cubes qui transportent les spectateurs se posent au Finus, le dôme qui accueille les jeux et les banquets réservés au public sont alléchants. 

Oukade est reçue à l’école Pi : ils ne sont que 4 extredis; ce sont les élèves qui ne sont pas originaires du Cercle mais qui proviennent du Carré ; leurs camarades les méprisent d'emblée à l'exception de Matis qui devient l'ami d'Oukade et qui lui dévoile les façons de penser des héraldistes. Lors d’un cours avec un nouveau professeur, M Geek, Oukade découvre que son père n’est pas enregistré dans le Génos . Elle se pose alors des questions sur ses véritables origines d’autant que M Geek lui révèle qu’elle a des capacités cérébrales largement au-dessus de la moyenne . Elle n’utiliserait son cerveau qu’à environ 40 % .

A la fin de sa formation et de son étude du circulaire, Oukade entre au Cercle et découvre la demeure du Centre, le chef de cet Etat. Elle est affectée à la surveillance du réseau de transport qu’elle pilote à distance sur son écran de contrôle. Sa relation  sentimentale avec Matis est fréquemment perturbée par les préjugés du frère de ce dernier qui voit d’un très mauvais oeil un membre de sa famille avec une extrédie. Un beau matin, Oukade est présentée au Centre qui l’affecte au Parlement parce qu’il prétend avoir besoin “de jeunes gens intelligents et motivés pour préserver la paix et le bon fonctionnement du Génutopium” (p 260) . Son tuteur Clovis, le père de Matis, lui conseille de ne jamais critiquer les valeurs quadraturiennes sous peine d’être bannie du Cercle. 

Oukade est chargée par sa Révérence d’organiser un débat parlementaire sur la répartition des biens et des services car les révoltes des Diagonaux se multiplient et leur nombre ne cesse de croître. Oukade découvre alors que certains parlementaires complotent pour détruire le Carré et faire porter la responsabilité des attaques sanglantes qu’ils préparent , aux Diagonaux. Elle en parle à Matis qui semble préoccupé.  Suite au débat qu’elle devait organiser au Parlement et au cours duquel elle a critiqué l’absence de rationnement du Cercle, Oukade est emmenée en cellule , accusée d’apologie de la révolte.  

 Elle se met alors à réfléchir et se sent, paradoxalement, libre d’agir selon son coeur. Elle est persuadée qu’elle doit agir pour transformer la quadrature. Délivrée par un homme mystérieux qui la somme de s’enfuir, elle retrouve Navago, son ami du pensionnat ,  qui la met à l’abri . Talonnés par les patrouilleurs , ils plongent au fond d’un lac pour rejoindre une grotte sous-marine . Oukade, durant la descente,  a des visions et imagine le visage de son père . Les deux fugitifs rejoignent les souterrains où les attendent les Diagonaux : “Nils le chef de la Révolution annonce à Oukade qu’elle est “le signe de la Révélation, celle qui va enfin libérer le Génutopium de l’oppression et du maléfice comme la prophétie le mentionne. ” ( p 291 )

Oukade retrouve Clara et Nils qui la nomme Chef des diagonaux. Un coup d’Etat semble imminent . 

 

25. août 2016 · Commentaires fermés sur Le secret du mari · Catégories: Le livre du mois
155x225
 

Dans un petit village australien, la jeune Jamie a été retrouvée étranglée un matin dans un parc et depuis les soupçons portent sur le professeur de sport de l’école , son ancien petit ami. Tess O Leary a découvert que son mari était tombé amoureux de sa cousine Felicity et elle décide de repartir chez sa mère à Melbourne. Cecilia découvre une mystérieuse lettre au grenier que son mari lui a écrite mais qui n’est à  ouvrir qu’après sa mort . Quel secret cache t-il ? 

Le secret du mari est un roman qui cache bien ses secrets : vous irez de surprise en surprise et le final du roman est particulièrement réussi .  “Nos vies sont pleines de secret pour nous-mêmes. Rachel Crowley ne saura jamais que le jour de la mort de Jamie, son époux n’était pas comme il l’avait prétendu avec des clients..”  Polly Fitzpatrick ne saurait jamais que sa tante Bridget lui aurait offert une raquette le jour de son septième anniversaire si elle n’avait pas eu son accident …Tess O Leary ne saura jamais si son mari Will est le père biologique de son second enfant …

livremois2.jpg

 

La particularité de ce roman consiste à rassembler les personnages dans le cadre de cette bourgade australienne où tout le monde se connaît et où le passé refait surface au moment où on l’attend le moins. Les apparences sont trompeuses et les coupables en sont pas ceux que vous pensez; Même les honnêtes gens cachent de bien lourds secrets..

08. juillet 2016 · Commentaires fermés sur Mémoires d’une femme de ménage · Catégories: Le livre du mois
livres1.jpg
 

Lectures estivales: vous avez l’embarras du choix; Le titre de ce petit récit écrit par Isaure et Bertrand Ferrier m’ a intrigué et j’ai voulu en savoir plus en lisant les 9 chapitres qui compilent les souvenirs de cette femme de ménage très observatrice. D’abord on apprend pourquoi cette étudiante est devenue travailleuse indépendante : pour l’argent on s’en doutait un peu mais aussi parce qu’elle a l’impression se rendre elles chose atour d’elle plus belle. Une sorte de fée du logis en somme !

Elle a eu envie de donner une voix à ces femmes qui demeurent souvent dans l’ombre mais sans pour autant “devenir le porte-voix d’une corporation”  Celle qui se définit plaisamment  comme une dompteuse d’aléas du quotidien raconte avec humour ces expériences et ces déceptions. Cette intermittente de la propreté tient à conserver ces grasses matinées et elle choisit des employeurs à proximité de son domicile le plus souvent . Il lui arriver pourtant de traverser tout Paris missionnée notamment par un centre d’aide sociale qui intervient auprès des gens malades ou seuls . L’héroïne narre ses entretiens d’embauche, détaille la maniaquerie des uns et le manque d’hygiène des autres . Et se plait à épingler , à la manière de Georges Pérec qu’elle cite d’ailleurs, le pouvoir des choses : “La vie , là, serait facile, serait simple. Toutes les obligations, tous les problèmes qu’implique la vie matérielle trouveraient une solution naturelle. Une femme de ménage serait là que matin  ” .

livres3.jpg
L’auteure

Les bobos mettent des stylos aimantés sur leur réfrigérateur de luxe pour updater la liste de courses. Les fans du bio évoluent dans un décor connoté hindou avec statues de Shiva et remontées orientale-soixantehuitardes. Ce qu’aime Isaure,c’est surtout embellir l’espace: “j’adore quand les gens s’extasient parce qu’ils n’ont jamais vu leur intérieur aussi pimpant”  Parfois sa mission ressemble à mission impossible comme chez Kristin propriétaire d’un appartement sous les toits et de 5 adorables minous: “Des poils volent devant nous, un peu comme des pétales de rose mais pas du tout pareils. Devant les fenêtres sales, des stores à lamelles dont l’un est déglingué annoncent l’état général du lieu. Un parquet stratifié qui a beaucoup souffert ,meurt lentement dans la chambre et le salon; " L'appartement est à un stade de mochisme très très avancé et Isaure ne tiendra pas bien longtemps.

Elle travaille également en banlieue chez d’autre styles de bobo qui privilégient le faux chic et la soupçonnent de  vol; Elle acceptera même, un peu plus tard, un CDI pour l’Enfer dans un centre d’actions sociales de Seine- et- Marne mais démissionnera très vite; Elle se sent peu à peu professionnelle et se met à évaluer systématiquement la quantité de travail qu’il faudrait pour

livres2.jpg
 

nettoyer la saleté qu’ elle voit. Elle en vient à s’interroger sur son incapacité à vivre dans une maison sale et diminue le nombre d’objets autour d’elle. Elle réfléchit à la manière d’une sociologue sur son lien avec son home sweet home. Drôle et cruel , ce récit vous fera découvrir l’envers du décor .

16. avril 2016 · Commentaires fermés sur Le bruit des Trousseaux · Catégories: Le livre du mois

De nombreux romans évoquent la prison et décrivent l’univers carcéral sous toutes ses formes. Il n’est pas toujours facile de faire comprendre ce monde à ceux qui sont de l’autre côté des barreaux ; c’est pourtant ce qu’a tenté de faire l’autre du récit que vous allez découvrir. Plus qu’un simple témoignage, ces quelques pages nous proposent également une réflexion autour des mots et des images  qui gravitent en prison. 

Ce récit de Philippe Claudel paru en 2002 retrace son expérience de professeur de français en prison, auprès des détenus de la maison d’arrêt Charles III (aujourd’hui démolie), à Nancy, ville où il résidait alors. La page de garde donne une définition de la prison : logis où l’on ferme ceux qu’on veut détenir qui donne à réfléchir sur l’usage de l’emprisonnement dans notre société et sur ses conséquences. L’auteur commence par décrire ce qu’il ressent la première fois où il sort de prison après avoir donné un cours : “la jouissance d’une liberté dont j’ignorais l’étendue” écrit-il p 12. Il évoque elles odeurs de la prison : “une odeur faite de sueurs mijotées, d’haleines de centaines d’hommes, sers les uns contre les autres, qui n’avaient le droit de se doucher qu’une ou deux fois par semaine. Relents de cuisine aussi, où l’ail, le lard frit te le chou dominaient.”  les bruits et les odeurs revient, parfois insupportables comme  “l’absence totale d’hygiène de certains mineurs qui portaient de jour en jour les mêmes vêtements.” p 34 Tout au long du roman, il passe en revue de nombreuses définitions et s’attaque au vocabulaire carcéral; 

gardien d’hommes : un drôle de métier ? p 13

Le livre se compose de sensations et de rencontres, d’émotions et de témoignages.L’auteur  y décrit aussi bien l’état des cellules “vétuste, peinture écaillée ” que l’état d’esprit de certains pensionnaires ; Le pantalon et la veste de jogging étaient le nouvel uniforme du prisonnier. p 17 ; Dans la plupart des cellules, la télé fonctionnait plus de vingt heures par jour.” L’écrivain évoque le quotidien dans toute sa trivialité et s’efforce de ne pas porter de jugement sur les comportements qu’il dépeint. 

Il expose la hiérarchie des différents crimes par ordre de gravité p 27, les gestes qu’on accomplit lorsqu’on arrive en prison ,p 28 , la politesse ou au contraire le mépris de certains gardiens, l’état de délabrement de vétusté des locaux p 29; 

Il évoque aussi la violence parfois gratuite et animale de certains détenus, l’homosexualité consentie ou forcée (les plus forts violent parfois les plus faibles ) ou certains se prostituent pour obtenir des faveurs des caïds;p 36

La prison ressemblait à une usine. Une grande usine qui ne produisait rien, sinon du temps limé, broyé, réduit, des vies étouffées et des mouvements restreints.” p 41

Philippe Claudel construit son récit en faisant alterner des passages descriptifs avec des passages narratifs , centrés sur un fait ou sur la situation d’un détenu.

Ce récit nous fait réfléchir et nous transmet l’expérience d’un homme qui découvre l’univers carcéral et sa dureté, ses souffrances, ses préjugés également.  “on pouvait trouver de tout en prison si on y mettait le prix : cannabis, alcool, permis de conduire.” p 50. Parfois je sentais une  odeur d’herbe dans les couloirs.

Les couleurs de la prison; Les murs étaient repeints assez fréquemment mais on avait toujours l’impression qu’il étaient sales. La prison était vieille , sale, surpeuplée. p76

Le mot cellule: la plus petite unité du vivant; L’espace de l’enfermement. p 63

Le romancier tente de ne rien dissimuler de ce qu’il a pu entrevoir durant les années où il a enseigné en prison: le racisme de certains surveillants, l’inhumanité du sytème carcéral notamment face à l’ accès aux soins; “La prison déjoue toutes les statistiques, les stéréotypes, les colonnes de chiffres rassurants. Elle ne fait que refléter le monde. Elle change avec lui.”  p 92 

A  lire et  à méditer sans restriction