01. janvier 2019 · Commentaires fermés sur Retour à Killybegs de Sorj Chalandon · Catégories: Le livre du mois · Tags: ,
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Cela démarre très fort avec la mention : “à ceux qui ont aimé un traître” et il est vrai qu’il est difficile de ne pas s’attacher à ce personnage de Tyrone Meehan.Sur fond de conflit fratricide, Sorj Chalandon sou suivre une version de plus de ses réflexions sur la guerre qui dévore les hommes . Belfast sert de cadre à ces événements tragiques tant sur le plan historique que sur le plan humain; Loin de tout manichéisme, le romancier brosse des portraits de personnages avec leurs petites fêlures et leurs grandes failles et même les seconds rôles ne vous laisseront pas indifférents. C’est une Irlande de patriotes et de buveurs de bières , de vent mauvais et d’ânes qui s’appellent Georges comme le roi d’Angleterre  , de prisonniers politiques et de haines ancestrales, de famines et de grèves de la faim. Emboîtons le pas aux héros de ce livre …

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Une maison de Killybegs

La porte opaque du Mullin’s s’ouvre sur un monde où chacun connaît les chants gaéliques , la guerre  perdue et l’honneur blessé. La bière brune, mélange de terre et de sang était leur eau de vie et leur eau de mort ,celle mêlée de larmes amères dans laquelle ils noyaient leurs chagrins durant les longues nuit brumeuses. Le père de Tyrone a servi dans l’armée républicaine irlandaise et a refusé en 1921 l’édification de la frontière qui scellait le déchirement de la nation irlandaise. Torturé par les anglais , il le fut tout autant par les irlandais  désormais “libres” qui poursuivaient les derniers membres de l’IRA. premier destin tragique de ce père surnommé “bastard “par les habitants de Killybegs et qui décidera de se suicider en 1940 laissant une famille dans la misère la plus noire . Sauvée d’une mort certaine  par un oncle providentiel, la famille s’installe à Belfast , dans un ghetto catholique cerné par les loyalistes protestants ; lorsque les premières bombes frappent la ville, Tyrone qui n’a que 16 ans, décide qu’il n’est plus un enfant et regarde la mort en face .

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Peu à peu il va écrire sa vie , d’épisodes meurtriers en épisodes guerriers mais il finira par revenir mourir sur le sol irlandais, dans la maison de son père qu’il a quittée en 1941; En 2006, il commence alors son Journal “parce qu’il est le seul à pouvoir dire la Vérité “et qu’après lui, il espère le silence . Suivez le dans ce parcours tragique qui finira par le ramener à ses racines; Un roman âpre est fort où souffle la colère du vent irlandais, de cette terre meurtrie et divisée qui abrite  ces hommes libres et sauvages , indomptables . Vous découvrirez également l’histoire de l’IRA ,cette armée secrète et clandestine qui se bat de toutes ses forces contre l’Empire Britannique en employant parfois des moyens qui ne servent pas sa cause. Mais la guerre se charge de tous les faire marcher au pas, ces hommes qui sont prêts à tout pour la servir elle  “sous ce casque de guerre, il ne pouvait pas y avoir un homme mais seulement un barbare ” . Penser le contraire, c’était faiblir, trahir.” C’est ainsi que leurs instructeurs formaient les jeunes qui rejoignaient les  brigades de l’IRA. On leur parle aussi de la misère ; “De la Grande Famine. des enfants sans chaussure dans la boue;De la lèpre du pain qui suinte au coin des bouches mal nourries. De mon père mort de givre ; Nous avions une colère commune . Et de la haine aussi . ”  Tyrone finira par être tué par cette haine qui irrigue encore en 2007 l’armée secrète appelée IRA.

17. septembre 2017 · Commentaires fermés sur L’orangeraie : un conte philosophique à découvrir · Catégories: Le livre du mois
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Larry Tremblay est un auteur canadien qui écrit pour un jeune public auquel il cherche à faire comprendre les enjeux du mode contemporain. Evoquer la guerre dans un cadre romanesque n’est jamais chose facile et parfois, les livres d’histoire ou les documentaires rendent bien mieux compte de la réalité que les livres qui sont des fictions ; Cependant les récits nous font vivre davantage d’émotions car il nous transportent , par l’intermédiaire justement  de la fiction, à l’intérieur d’un univers où nous avons l’impression de ressentir ce que ressentent les personnages; En tant que lecteur, nous avons ainsi  l’illusion d’être non pas de simples spectateurs des faits décrits mais de les vivre à travers notre esprit, de partager les émotions des personnages , ces “êtres de papier“. Partons ensemble à la découverte des personnages de l’Orangeraie et de leur auteur ..et découvrons le pouvoir de l’illusion romanesque  

Il était une fois dans un pays indéterminé,  deux jumeaux âgés d’une dizaine d’années : Aziz et Amed qui se ressemblent comme deux gouttes d’eau dans le désert ; Shahina leur grand-mère ne parvient pas à les distinguer et d’emblée, le récit s’ouvre sur une double piste : la gémellité et l ressemblance des enfants et  la tragédie de la mort des grand-parents , tués par le bombardement de leur maison. “un jour il y’ aura du sang ” avait prédit Shahina..p 13

 Premier chapitre : 13/21 Les enfants vivent avec leurs parents Zahed et Tamara loin de la ville ; Ils n’ont ni voiture, ni confort et Zahed cultive un champ d’orangers . Trois jours avant la tragédie qui va frapper la famille sous la forme de l’explosion

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d’une bombe, Zahed emmène Aziz qui se tord de douleur à l’hôpital de la grande ville : a priori, on lui annonce une mauvaise nouvelle mais il la cache à son fils; On devine  à certains indices qu’il s’agit d’une maladie grave ; Le père a les poings crispés, un regard qui fait peur et parle en cachette de son fils avec le médecin.  A l’hôpital, Aziz a rencontré une petit fille malade elle aussi qui se prénomme Naliffa et qui va jouer un rôle important dans la suite de l’histoire.  Le lecteur peut deviner qu’elle n’est pas vraiment rentrée chez elle …Un nouveau personnage fait son apparition p 18 , la soeur de Tamara, Dalimah ; Cette dernière vit en Amérique et incite Tamara à venir la rejoindre , dans ce pays où il n’y pas de guerre ; La guerre est un personnage important du roman et on devine sa présence tout au long du récit. D’ailleurs Dalimah a épousé un ennemi, un homme de l’autre camp et Zahed l’a reniée: il ne veut pas être souillé par un contact avec elle qu’il considère comme impure. On perçoit l’arrière plan religieux du conflit : Dieu seul le sait , répètent les mères à leurs enfants : “c’est comme ça depuis la nuit des temps

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Le second chapitre débute avec l’arrivée des hommes armés: l’hostilité de la mère est perceptible et elle cherche à protéger ses enfants. Ces guerriers barbus sont des combattants qui veulent venger  la mort des parents de Zahed : le contexte évoque la Palestine , le conflit qui l’oppose à Israel et les guerres islamiques en général . Soulayed est  présenté comme un homme pieux, instruit qui appelle à la vengeance  “ La vengeance est le nom de ton deuil Zahed ” Il prédit un avenir terrible ; leurs ennemis envahiront leurs terres, tueront les femmes et feront des enfants des esclaves ; Crois-tu que Dieu va permettre ce sacrilège  ? Soulayed  a déposé une ceinture d’explosifs et exige que Zahed sacrifie à Dieu pour mener ce combat, un de ses deux fils.

Chapitre 3 : la prière de Tamara …elle s’ adresse respectueusement à Dieu ; Que lui demande-t-elle ?

14. avril 2017 · Commentaires fermés sur Une terrible chanson douce · Catégories: Le livre du mois
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LeIla Slimani débute de manière abrupte son roman en plaçant le lecteur devant le fait accompli : une nounou à  “l’âme pourrissante ” assassine les deux enfants dont elle avait la garde au domicile des parents . Abasourdis nous pensons déjà à fermer le livre après avoir été témoins des cris sortis des profondeurs, ces cris de louve blessée de la mère, “cris qui font trembler les murs  ” mais nous allons lire jusqu’au boit, jusqu’à la reconstitution du crime , cette terrible histoire d’amours désaccordés . Tout débute par une banale histoire de recrutement : Myriam décide de reprendre son métier d’avocate à la naissance de leur deuxième enfant et ils se mettent en quête de la nounou idéale ; elle se présente  à eux sous la forme d’un fée du logis en la personne de Louise.”quand elle raconte ce premier entretien, Myriam adore dire que ce fut comme une évidence; Un coup de foudre amoureux .” (p 28) Ils ne savent pas encore qu’il ont introduit le loup dans la bergerie …

 Les deux enfants, Mila et Adam l’adorent et les parents se reposent entièrement sur elle ; Elle leur devient très vite totalement indispensable . “Elle a le regard d’une femme qui peut tout entendre et tout pardonner. “Son visage est comme une mer paisible dont personne ne pourrait soupçonner les abysses. ” Pourtant sa vie est pleine de ténèbres ; et la fée va se transformer en une sorcière impitoyable . elle apprivoise les enfants et leur raconte sans cesse des histoires qui émane d’elle en flots continus, histoires de lacs noirs et de forêt profondes, conte cruels où les gentils meurent à la fin…le lecteur attend , au fil des pages, de saisir la métamorphose, le déclic qui va donner naissance au drame absolu. durant l’absence des parents, la nounou organise de terribles parties de cache-cache dont elle fixe les règles : même lorsque les enfants hurlent de panique en pensant qu’elle les a abandonnés, elle demeure terrée dans sa cachette et savoure sa toute-puissance. 

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Plus les semaines passent et plus Louise excelle à devenir à la fois invisible et indispensable: elle est devenue une silhouette noire en coulisses, une sort d’ombre qui sagrandit. Myriam commence à accepter de se faire elle aussi materner par la nounou et le fragile édifice de leur vie est déplacé surs les épaules de cette dernière, créature chétive mais néanmoins douée d’une force herculéenne.  Elle se met à leur organiser des dîners toute les semaines et leurs amis ne tarissent pas d’éloges sur la cuisine de Louise. Ils vont même l’emmener en vacances en Grèce avec eux et ce est pour elle un moment ensoleillé qui la rend encore plus triste de retrouver sa vie: un taudis dans une banlieue insalubre, des dettes qu’un mari brutal lui a laissé en mourant et une fille avec laquelle elle n’a plus aucun contact;  pourtant chaque lundi matin, elle se rend à son travail car “Louise est un soldat. elle avance coûte que coûte, comme une bête, comme un chien à qui de maclants enfants auraient brisé les pattes.” (p 91) 

Paul commence à se méfier de la nounou, à avoir peur d’elle et il ne la supporte plus .

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Cependant Myriam a du mal à envisager de se séparer de Louise même quand elle découvre les traces de morsure dans le cou d’Adam: la nounou accuse Mila; En leur absence, Louise vient s’installer chez eux : elle a peur de se retrouver expulsée et c’est ce qui finit par arriver . Un soir alors elle devient cette mère qui abandonne ses enfants aux ténèbres d’une forêt..Poupée vieillissante et maléfique . Un roman captivant qui dérange et nous entraîne très loin dans les profondeurs d’une âme pourrissante..

25. août 2016 · Commentaires fermés sur Le secret du mari · Catégories: Le livre du mois
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Dans un petit village australien, la jeune Jamie a été retrouvée étranglée un matin dans un parc et depuis les soupçons portent sur le professeur de sport de l’école , son ancien petit ami. Tess O Leary a découvert que son mari était tombé amoureux de sa cousine Felicity et elle décide de repartir chez sa mère à Melbourne. Cecilia découvre une mystérieuse lettre au grenier que son mari lui a écrite mais qui n’est à  ouvrir qu’après sa mort . Quel secret cache t-il ? 

Le secret du mari est un roman qui cache bien ses secrets : vous irez de surprise en surprise et le final du roman est particulièrement réussi .  “Nos vies sont pleines de secret pour nous-mêmes. Rachel Crowley ne saura jamais que le jour de la mort de Jamie, son époux n’était pas comme il l’avait prétendu avec des clients..”  Polly Fitzpatrick ne saurait jamais que sa tante Bridget lui aurait offert une raquette le jour de son septième anniversaire si elle n’avait pas eu son accident …Tess O Leary ne saura jamais si son mari Will est le père biologique de son second enfant …

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La particularité de ce roman consiste à rassembler les personnages dans le cadre de cette bourgade australienne où tout le monde se connaît et où le passé refait surface au moment où on l’attend le moins. Les apparences sont trompeuses et les coupables en sont pas ceux que vous pensez; Même les honnêtes gens cachent de bien lourds secrets..

08. juillet 2016 · Commentaires fermés sur Mémoires d’une femme de ménage · Catégories: Le livre du mois
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Lectures estivales: vous avez l’embarras du choix; Le titre de ce petit récit écrit par Isaure et Bertrand Ferrier m’ a intrigué et j’ai voulu en savoir plus en lisant les 9 chapitres qui compilent les souvenirs de cette femme de ménage très observatrice. D’abord on apprend pourquoi cette étudiante est devenue travailleuse indépendante : pour l’argent on s’en doutait un peu mais aussi parce qu’elle a l’impression se rendre elles chose atour d’elle plus belle. Une sorte de fée du logis en somme !

Elle a eu envie de donner une voix à ces femmes qui demeurent souvent dans l’ombre mais sans pour autant “devenir le porte-voix d’une corporation”  Celle qui se définit plaisamment  comme une dompteuse d’aléas du quotidien raconte avec humour ces expériences et ces déceptions. Cette intermittente de la propreté tient à conserver ces grasses matinées et elle choisit des employeurs à proximité de son domicile le plus souvent . Il lui arriver pourtant de traverser tout Paris missionnée notamment par un centre d’aide sociale qui intervient auprès des gens malades ou seuls . L’héroïne narre ses entretiens d’embauche, détaille la maniaquerie des uns et le manque d’hygiène des autres . Et se plait à épingler , à la manière de Georges Pérec qu’elle cite d’ailleurs, le pouvoir des choses : “La vie , là, serait facile, serait simple. Toutes les obligations, tous les problèmes qu’implique la vie matérielle trouveraient une solution naturelle. Une femme de ménage serait là que matin  ” .

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L’auteure

Les bobos mettent des stylos aimantés sur leur réfrigérateur de luxe pour updater la liste de courses. Les fans du bio évoluent dans un décor connoté hindou avec statues de Shiva et remontées orientale-soixantehuitardes. Ce qu’aime Isaure,c’est surtout embellir l’espace: “j’adore quand les gens s’extasient parce qu’ils n’ont jamais vu leur intérieur aussi pimpant”  Parfois sa mission ressemble à mission impossible comme chez Kristin propriétaire d’un appartement sous les toits et de 5 adorables minous: “Des poils volent devant nous, un peu comme des pétales de rose mais pas du tout pareils. Devant les fenêtres sales, des stores à lamelles dont l’un est déglingué annoncent l’état général du lieu. Un parquet stratifié qui a beaucoup souffert ,meurt lentement dans la chambre et le salon; " L'appartement est à un stade de mochisme très très avancé et Isaure ne tiendra pas bien longtemps.

Elle travaille également en banlieue chez d’autre styles de bobo qui privilégient le faux chic et la soupçonnent de  vol; Elle acceptera même, un peu plus tard, un CDI pour l’Enfer dans un centre d’actions sociales de Seine- et- Marne mais démissionnera très vite; Elle se sent peu à peu professionnelle et se met à évaluer systématiquement la quantité de travail qu’il faudrait pour

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nettoyer la saleté qu’ elle voit. Elle en vient à s’interroger sur son incapacité à vivre dans une maison sale et diminue le nombre d’objets autour d’elle. Elle réfléchit à la manière d’une sociologue sur son lien avec son home sweet home. Drôle et cruel , ce récit vous fera découvrir l’envers du décor .

16. avril 2016 · Commentaires fermés sur Le bruit des Trousseaux · Catégories: Le livre du mois

De nombreux romans évoquent la prison et décrivent l’univers carcéral sous toutes ses formes. Il n’est pas toujours facile de faire comprendre ce monde à ceux qui sont de l’autre côté des barreaux ; c’est pourtant ce qu’a tenté de faire l’autre du récit que vous allez découvrir. Plus qu’un simple témoignage, ces quelques pages nous proposent également une réflexion autour des mots et des images  qui gravitent en prison. 

Ce récit de Philippe Claudel paru en 2002 retrace son expérience de professeur de français en prison, auprès des détenus de la maison d’arrêt Charles III (aujourd’hui démolie), à Nancy, ville où il résidait alors. La page de garde donne une définition de la prison : logis où l’on ferme ceux qu’on veut détenir qui donne à réfléchir sur l’usage de l’emprisonnement dans notre société et sur ses conséquences. L’auteur commence par décrire ce qu’il ressent la première fois où il sort de prison après avoir donné un cours : “la jouissance d’une liberté dont j’ignorais l’étendue” écrit-il p 12. Il évoque elles odeurs de la prison : “une odeur faite de sueurs mijotées, d’haleines de centaines d’hommes, sers les uns contre les autres, qui n’avaient le droit de se doucher qu’une ou deux fois par semaine. Relents de cuisine aussi, où l’ail, le lard frit te le chou dominaient.”  les bruits et les odeurs revient, parfois insupportables comme  “l’absence totale d’hygiène de certains mineurs qui portaient de jour en jour les mêmes vêtements.” p 34 Tout au long du roman, il passe en revue de nombreuses définitions et s’attaque au vocabulaire carcéral; 

gardien d’hommes : un drôle de métier ? p 13

Le livre se compose de sensations et de rencontres, d’émotions et de témoignages.L’auteur  y décrit aussi bien l’état des cellules “vétuste, peinture écaillée ” que l’état d’esprit de certains pensionnaires ; Le pantalon et la veste de jogging étaient le nouvel uniforme du prisonnier. p 17 ; Dans la plupart des cellules, la télé fonctionnait plus de vingt heures par jour.” L’écrivain évoque le quotidien dans toute sa trivialité et s’efforce de ne pas porter de jugement sur les comportements qu’il dépeint. 

Il expose la hiérarchie des différents crimes par ordre de gravité p 27, les gestes qu’on accomplit lorsqu’on arrive en prison ,p 28 , la politesse ou au contraire le mépris de certains gardiens, l’état de délabrement de vétusté des locaux p 29; 

Il évoque aussi la violence parfois gratuite et animale de certains détenus, l’homosexualité consentie ou forcée (les plus forts violent parfois les plus faibles ) ou certains se prostituent pour obtenir des faveurs des caïds;p 36

La prison ressemblait à une usine. Une grande usine qui ne produisait rien, sinon du temps limé, broyé, réduit, des vies étouffées et des mouvements restreints.” p 41

Philippe Claudel construit son récit en faisant alterner des passages descriptifs avec des passages narratifs , centrés sur un fait ou sur la situation d’un détenu.

Ce récit nous fait réfléchir et nous transmet l’expérience d’un homme qui découvre l’univers carcéral et sa dureté, ses souffrances, ses préjugés également.  “on pouvait trouver de tout en prison si on y mettait le prix : cannabis, alcool, permis de conduire.” p 50. Parfois je sentais une  odeur d’herbe dans les couloirs.

Les couleurs de la prison; Les murs étaient repeints assez fréquemment mais on avait toujours l’impression qu’il étaient sales. La prison était vieille , sale, surpeuplée. p76

Le mot cellule: la plus petite unité du vivant; L’espace de l’enfermement. p 63

Le romancier tente de ne rien dissimuler de ce qu’il a pu entrevoir durant les années où il a enseigné en prison: le racisme de certains surveillants, l’inhumanité du sytème carcéral notamment face à l’ accès aux soins; “La prison déjoue toutes les statistiques, les stéréotypes, les colonnes de chiffres rassurants. Elle ne fait que refléter le monde. Elle change avec lui.”  p 92 

A  lire et  à méditer sans restriction 

23. décembre 2015 · Commentaires fermés sur Trois grands fauves · Catégories: Le livre du mois

Qu’y a-t-il de commun entre Danton, Victor Hugo et Churchill ? Rien a priori et pourtant ces trois portraits révèlent trois grands fauves. Hugo Boris, jeune écrivain quadragénaire , signe ici son quatrième roman en 2013. 

   Il choisit de présenter trois facettes de la vie de ces trois grands hommes, facettes pour le moins inattendues. De Danton, il trace un portrait attachant en peignant les drames de l’enfance du jeune Danton, défiguré par la charge d’un taureau,  atteint gravement par la vérole qui lui laisse des cicatrices sur le visage; Rien pourtant ne semble pouvoir l’atteindre et  il rejoint Paris a l’âge de 21 ans avec un visage palimpseste ; Remarqué par son tale,t d’orateur,il devient avocat au parlement en 1786. En dépit de sa laideur, il attire les filles et devient un homme célèbre : “le tocsin qu’on va sonner n’ est point un signal d’alarme, c’est la charge sur les ennemis de la patrie. Pour les vaincre, il nous faut de “l’audace,encore de l’audace, et la France est sauvée.”  Avril 1794, assis dans sa cellule de la Conciergerie, Danton attend l’issue de son procès . Comment réagira-t- il à l’annonce du verdict ? Autre grand homme et autre parcelle de sa vie; Nous sommes en  1802 : Sophie Hugo met au monde un bébé , son troisième fils, un bébé  tout petit et qui semble si fragile.  Les années passent et le bébé a grandi; En  1843: Hugo est célèbre lui aussi et voyage avec Juliette Drouet lorsque de retour à Paris place Royale, il apprend la mort de Leopoldine sa fille aînée. Cette blessure le poursuivra . Exilé à Jersey, il devra encore survivre à la folie d’Adèle sa seconde fille et au décès de son autre fils Francois Victor qui a suivi celle de Charles. Il a donc survécu à tous ses enfants comme si sa force les avait anéanti, comme un ogre qui dévorerait ses petits. 

Le dernier fauve, c’est le jeune Churchill qui grandit seul, en 1883, dans le château familial de Lord Randolph Marlborough, sans amour et sans attention.Son père est le leader conservateur de la Chambre des Communes et il ne croit pas en son fils. Winston échouera deux fois au concours d’entrée d’ une école de cavalerie ,celle de Sandhurst ,avant de partir guerroyer en Afrique où il s’illustre par son courage. Le jeune homme semble ignorer la peur  et tous les hommes se mettent à lui obéir, effrayés par son courage. Il va très vite découvrir que la guère le fascine. Élu député à 26 ans, il marche alors dans les traces de son père . Durant la première guerre, au front, il lance à ses officiers : ” La guerre est un jeu qu’il faut jouer avec le sourire. Si vous êtes incapables de sourire,grimacez. Si vous êtes incapable de grimacer,tenez- vous à l’écart jusqu’à ce que vous en soyez capables.” (p144) Son black dog, c’est ainsi qu’ il appelle l’ombre qui descend sur lui, une ombre dangereuse qui le pousse à boire et à noyer ses humeurs sombres. Un jour de 1945, un sommelier débouchera pour lui et pour fêter la victoire,un flacon inestimable Après avoir lu ces trois portraits, vous comprendrez mieux ce que ces trois fauves ont finalement en commun.

30. octobre 2015 · Commentaires fermés sur 22 personnages en quête de roman : Peine perdue par Olivier Adam. · Catégories: Le livre du mois

Olivier Adam a composé une histoire touchante autour de 22 personnages et chacun des chapitres de son dernier roman a comme titre un prénom. Au lecteur de recomposer le kaléidoscope de ces 22 morceaux de vies le plus souvent  brisées par des vents contraires. Antoine, Marion, Jeff, Louise et Sarah ont grandi ensemble dans ce petit coin de paradis au bord des calanques mais leur vie leur file entre les doigts..

La construction du roman est particulièrement originale car les 22 personnages participent chacun à leur manière au déroulement de cette intrigue; Un soir, un fort coup de vent va bouleverser l’existence des ces êtres déboussolés , que la vie a déjà tellement malmenés; Antoine est un jeune footballeur qui vit de petits boulots et qu’une rage intérieure précipite vers la violence; sa jeune femme Marion l’a quitté pour un autre et leur fils Nino est la seule chose qui le rattache désormais à la vie. Son meilleur ami Jeff qui se défonce tellement qu’il en perd la mémoire va l’entraîner vers des  eaux troubles : lorsqu’il découvre qu’il cache une arme sous son lit , Antoine pense : “certains ont la chance d’être assez forts pour être sûrs qu’ils n’en feraient rien. Lui n’en est pas convaincu. parfois il vaut mieux savoir ce dont on est capable ou pas.”  Un soir, Antoine est laissé pour mort dans le camping où il vit, le crâne fracassé à coups de batte de base ball. Le lendemain matin, Nino attend son papa qui lui avait promis de l’emmener voir les dauphins et Marion s’inquiète : elle repense au temps om ils étaient heureux, avant le chômage et le manque d’argent, avant les reproches et la rancœur ; “ Ces images qui reviennent, ces petits bouts d’eux qui se sont évaporés mais qui étaient comme de la lumière brute, c’est des morceaux de verre en plein cœur.”

En arrivant à l’hôtel où elle est femme de manage, Marion croise Coralie dont le mari est partie avec une autre , la laissant avec deux boulots à mi-temps pour régler les factures et une ado qui ne lui adresse plus la parole. Elle rêvait de devenir une star de la chanson mai selle n’a pas réussi son audition face au jury de la Nouvelle Star, quelques années plus tôt. Coralie va prévenir Marion qu’Antoine est à l’hôpital et elle découvre que durant la tempête un couple de personnes âgées a tenté de se suicider; Hélène est morte noyée et son mari qui s’en est sorti, n’a qu’une envie : la rejoindre. Sa fille va venir le rechercher. Pendant ce temps , Sarah nettoie les dégâts du coup de mer de la nuit et fait défiler se souvenirs leurs 17 ans : “un monde de sel et de résine. De peau; De danse. d’herbe et d’alcool. Une vie tendue. Une vie magnétique.” Ils ne s’intéressaient pas à l’école “elle ne connaît personne de ce temps-là qui ait même songé un jour à devenir un bon élève” et n’imaginaient pas vivre ailleurs ni différemment. Delphine, elle , exerce le métier d’assistante sociale et elle prend son travail un peu trop à cœur : jeune couples avec enfants, ex taulardes junkies en réinsertion, elle tente de réconforter des existences fragiles mais c’est bien souvent peine perdue. Et tous les autres :ces jeunes sans avenir qui sombrent dans la délinquance et font honte à leurs parents,  ces hommes et ces femmes brisés par les deuils, les séparations, les trahisons, le vague à l’âme; la sensation d’être passés à côté de leur vie. Et au delà de cette ambiance triste et sombre, les dernières lueurs d’espoir: un beau-père qui chante une berceuse à son beau-fils, une adolescente en rupture qui accepte de se poser aux côtés d’une vieille dame, un homme qui fait un choix douloureux . Des bribes d’humanité comme autant de lueurs dans la nuit ..et tant d’autres destins entrelacés : frères et sœurs, parents et enfants, amants et amours se croisent , les liens se tissent et se dénouent, aussi fragiles que le fil de nos existences; Au final, qui a voulu tuer Antoine ? Léa va -t-elle s’en sortir ? Clémence réussira-t-elle à sauver son père du chagrin ?  Eric fera-t-il le bon choix ?  Tony trouvera-t-il sa place ? Au final, c’est peut-être ce que réussit le mieux à nous faire partager ce romancier : la fragilité de nos existences et, paradoxalement, la force de surmonter le pire comme le fait au quotidien Louise dans sa maison de retraite : ” Presque tous les patients sont seuls  quasi abandonnés. Ils souffrent. Vont mourir dans quelques mois, semaines , jours, heures. Elle est là pour les soigner. Les écouter. Les accompagner. C’est son rôle. Sa place. Et d’une certaine manière, elle mesure sa chance. Elle sait quel est son rôle. Où est sa place.”

20. septembre 2015 · Commentaires fermés sur Cannibale de Didier Daeninckx · Catégories: Le livre du mois

Le 15 janvier 1931 un navire quitte Nouméa à destination de Paris, où va se tenir l’exposition Universelle. A son bord, des Kanak, représentants de la culture ancestrale de l’océanie.

Gocéné raconte à son petit fils son éprouvant voyage à Paris où il a été envoyé pour représenter son peuple ” en voie de civilisation” aux Français . Après un éprouvant voyage en bateau, les kanak arrivent à Paris et découvrent qu’on leur a menti : ils sont ” parqués derrière des grilles dans un village reconstitué au milieu du zoo de Vincennes entre la fosse au lions et le marigot des crocodiles.” ( p 21) 

Devant leur enclos, un simple panneau : “Hommes anthropophages de Nouvelle-Calédonie. Gocéné est séparé de Minoé qu’ils emmènent soi- disant visiter la ville ; ce dernier qui a juré au village de veiller sur elle , se lance à sa poursuite et découvre qu’elle est partie en Allemagne pour servir d’attraction exotique dans un cirque. Le numéro s’intitule les cannibales français. Leur tentative d’évasion échoue et le compagnon de Gocéné est tué par un policier mais un français s’interpose entre Gocéné et les  forces de l’ordre.  C’est  ‘un homme qui ne supportait pas qu’on tue des innocents noirs ou blancs. ” A la mort de sa femme, cet homme Francis Caroz décide de partir vivre à Nouméa et il devra affronter d’autres combats et d’autres injustices en compagnie de celui à qui il  a sauvé la vie.

Un récit qui révèle le racisme sous plusieurs formes.

12. septembre 2015 · Commentaires fermés sur Ce qu’il advint du Sauvage blanc · Catégories: Le livre du mois

Ce roman est basė sur une histoire vraie qui paraît extraordinaire et qui vous fera réfléchir à ce qui fonde notre identité d ‘homme.

Inspiré d’une histoire vraie, ce roman de Français Garde raconte l’histoire de Narcisse Pelletier, un jeune matelot français de 17 ans, abandonné par l’équipage de son navire sur une plage d’Australie. ” Alors seulement il prit conscience de sa situation et eut peur: abandonné sur une côte sans ressources, environné peut-être de bêtes fauves ou de sauvages anthropophages qui n’attendent que la nuit pour le dévorer. Il n’avait rien à voir ni à manger, rien pour faire du feu.” p 16 . 

Sur le point de mourir , il est recueilli par une tribu aborigène qui le soigne et dont il s’efforce , peu à peu, de comprendre les moeurs; “Qu savait-il des Sauvages du Pacifique ? les récits que l’on partageait dans l’entrepont étaient imprécis, contradictoires, parfois incroyables.” (p 63) ” des tribus barbares à la peau noire comme l’enfer, toujours en guerre, défendant pied à pied avec des case-têtes et des sagaies leurs laiderons, leur poulets et leurs légumes.” (p 63) Narcisse va devoir lutter contre ses préjugés et notamment sa hantise du cannibalisme :  “la  terreur de servir de repas dans une grande fête de sauvages l’envahit.”  

Au fil des mois,Narcisse s’intègre à sa nouvelle famille tout en espérant qu’un bateau viendra le rechercher. Il se lie d’abord d’amitié avec un enfant  prénommé Waiakh qui lui sert de guide pour apprendre la langue aborigène et qui l’initie aux coutumes australiennes.Vingt ans plus tard, Narcisse est recueilli par des marins australiens et revient en France; Il doit alors réapprendre à être “blanc” et le parcours de cette réadaptation sera douloureux. ” Au fond de ses yeux , j’avais lu une peur absolue, la terreur d’un animal traqué.“(p 52), dira le jeune explorateur français qui prend la décision de le ramener avec lui à Bordeaux.

L’originalité de ce récit repos sur l’alternance des chapitres qui racontent la vie de Narcisse en Australie, rebaptisé Amglo par les membres de la tribu, et ceux qui, sous forme de lettres écrites par Octave de Vallombrun, le protecteur de Narcisse, témoignent de l’incompréhension des Occidentaux, déconcertés par ce Sauvage Blanc qui refuse de parler leur langue .Les lettres évoquent, de manière chronologique, son  retour en France ainsi que son installation sur l’île de ré, comme gardien du Phare des baleines;Les iliens le prennent pour un fou parce qu’il pêche au harpon et qu’il passe se journées à observer l’horizon. “Là où les autres voyaient un phénomène de foire ou une source de différend, je commençais à le considérer comme un sujet de pitié.”(p 42) Les scientifiques de la société de géographie, ancêtres des ethnologues, aimeraient que Narcisse leur raconte comment il vivait chez les aborigènes mais ce dernier s’y refuse : “Il avait paru souffrir dès que je l’avais interrogé sur ces deux moments où il avait été contre son gré projeté d’un monde vers l’autre – et plus mes questions se rapprochaient de ce basculement ,plus il semblait éprouvé, déchiré anéanti. Sa mémoire, son corps tout entier refusaient ardemment de se souvenir.” (p 349), précise le narrateur qui  a recueilli Narcisse et cherche à comprendre ce qu’il a vécu. Narcisse s’enfuit , Octave meurt en laissant des notes qui attestent qu’il a compris l’âme de Narcisse et le combat intérieur du  Sauvage blanc.

Ce qui a commencé sur une plage déserte d’Australie oblige à penser autrement l’Homme (p 335) ; le risque majeur pour le personnage est celui de “Mourir de ne pas pouvoir  être en même temps  blanc et sauvage.” (p 350) . Un très beau récit qui ne vous laissera pas indifférent et où les Sauvages ne sont pas ceux que l’on pourrait  croire.

ils en parlent ..