08. septembre 2020 · Commentaires fermés sur Le langage, instrument de domination ? · Catégories: Spécialité : HLP Première

En philosophie, on peut réfléchir à différentes questions soulevées par l’usage et l’existence  de la langue : on peut se demander notamment si le langage est le propre de l’homme , si nos mots permettent exactement d’exprimer ce que nous pensons, si les mots nous rendent maîtres des choses et nous poser la question de la relation entre les mots et les choses . On peut aussi se demander si les mots et le langage peuvent devenir un instrument de domination . C’est ce point qui retient notre attention durant ce chapitre .

Le mot langue désigne à la fois l’instrument , l’organe qui nous sert à parler mais également  l’élément d’expression commun à un groupe . Au sens large, tout est langage : on peut parler de langage du corps, de langage des fleurs pour évoquer ses sentiments et même de langage entre les animaux. Cependant , au sens restreint, la langue va désigner l’aptitude des êtres humains à échanger des pensées à l’aide de signes . On parlera alors de langue écrite et de langue orale. Le phénomène de la parole ne désigne en fait qu’une mise en action de la langue oralement. 

La majorité des faits de langue ont pour but d’instaurer une communication entre les personnes : la langue sera alors un medium qui permet la transmission par le moyen de signes écrits ou oraux . Or cette communication est complexe : d’une part parce que la langue comporte un nombre limité de signes ( qui permettent toutefois de multiples associations  ou combinaisons) et d’autre part parce que chacun de ces signes ne renvoie qu’imparfaitement à la chose qu’on veut nommer. Nommer les choses suffit-il alors pour les connaître ? Demandons- nous alors si le langage peut devenir un instrument de contrôle sur autrui. ? Plus »

15. juin 2020 · Commentaires fermés sur Utopies : l’invention de mondes imaginaires au service de la connaissance de l’homme : des Humanistes aux Lumières · Catégories: Spécialité : HLP Première

Les premiers récits mythiques représentent des tentatives d’explication de certains phénomènes qui échappent, en partie, à notre connaissance; Notre espèce  a forgé depuis l’antiquité ,toutes sortes d’ histoires imaginaires afin de questionner sa connaissance du monde ; Les mythes continuent d’ailleurs à alimenter le réservoir de la science -fiction et font ressurgir leurs créatures imaginaires ou leurs mondes étranges; Ainsi Platon mentionne l’engloutissement en une nuit du royaume de l’Atlantide, devenu dès lors, un monde sous -marin peuplées d’espèces hybrides ou d’hommes qu’on retrouve dans de nombreuses dystopies . L’Atlantide a en fait été inventé dans un dialogue de Platon pour faire réfléchir les Athéniens sur les cause de la grandeur ou de la décadence d’une cité . Cette interrogation philosophique sera poursuivie par un juriste précurseur des Lumières , Montesquieu, dans un Essai sur les causes de la grandeur et de la décadence de Rome; Montesquieu reprend ainsi cette recherche philosophique  Dans La république de Platon, Socrate imagine une cité idéale qui garantirait à ses citoyens l’absence de conflits : pour cela, il faudrait que chacun s’interroge au préalable sur la véritable justice.

Les mondes merveilleux ou les Etats imaginaires proposent souvent des réflexions sur notre manière de gouverner ou plus largement sur notre mode de socialisation et notre capacité à vivre ensemble . Plus »

10. juin 2020 · Commentaires fermés sur Les bonnes, histoire d’une pièce et scène d’exposition · Catégories: Seconde · Tags: ,

 

Jean Genet a choisi de mettre en scène une histoire tragique de domination et d’humiliation. Avez-vous été  attentifs à la mise en scène ? Deux domestiques, Claire et Solange s’accusent mutuellement d’être responsables de l’échec de leur tentative . Le coup de fil apprend au public que Monsieur est sorti de prison : ce qui provoque la colère de Solange contre la justice corrompue; En effet, pour éloigner son patron, elle  a écrit une lettre de dénonciation qui a conduit à son arrestation et à son emprisonnement. Genet rappelle ainsi les accusations anonymes et les nombreuse délations auxquelles se livrèrent certains français durant la seconde guerre mondiale ; L’absence de Monsieur devait leur permettre d’organiser le crime de Madame mais Solange n’a pas réussi à empoisonner sa patronne; Elle a préparé du tilleul mais Madame n’a pas voulu le boire comme on peut le voir dans l’extrait précédent.  Le texte de la pièce contient des allusions au jeu théâtral avec par exemple la phrase .. reprendre le jeu ” Les deux bonnes pensent que leur forfait va être découvert car elles ont laissé des traces  ; elles avaient pris l’habitude de mettre les robes de Madame, de se déguiser en enfilant les belles tenues de leur patronne et en l’imitant ; En effet, la pièce commence par un numéro des deux soeurs : l’une est déguisée en Madame et l’imite  . Ce dispositif permet au dramaturge de nous faire réfléchir sur l’identité et sur la relation ambivalente qui unit les trois personnages .

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08. juin 2020 · Commentaires fermés sur Les bonnes de Jean Genet : la mise en scène de la relation de domination · Catégories: Seconde · Tags: ,

Voici un extrait de la pièce de Jean  Genet , écrite en 1947 .  Elle met en scène un duo de domestiques , deux soeurs, Claire et Solange, toutes les deux au service d’un personnage appelé Madame. Cette dernière affiche une attitude volontairement condescendante qui parodie la manière dont les membres de la grande bourgeoisie traitent leurs employés de maison. Pour composer cette pièce, le dramaturge s’est inspiré d’un fait divers tragique : Christine et Léa Papin ont tué leurs patronnes en 1933 en les empoisonnant et leur procès a fait la une de tous les journaux de l’époque. 

Pourtant la pièce de Genet n’est pas simplement la reconstitution d’un drame : c’est aussi une réflexion sur cette relation ambigüe qui lie le domestique son maître; Genet puise dans la tradition théâtrale de la comédie de moeurs et poursuit l’exploration du potentiel comique du couple maître /valet ; ici les deux domestiques se font le miroir des complexités du crime ancillaire. Etudions , à travers les différents extraits ,comment la mise en scène peut traduire cette relation dominé/dominant . 

 

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Symboliquement comment construire visuellement cette relation à travers un couple maître /domestique ? Comment les différentes mises en scène mélangent-elles le comique et le tragique ?
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Voilà maintenant un extrait du texte de la pièce : comment apparait alors , à travers les mots, la relation de domination ? Comment le langage peut il traduire la domination d’un personnage sur un autre ? Qu’est -ce qui vous frappe dans cette première scène ?  Cherchez des éléments  pour rédiger l’introduction du commentaire  littéraire de ce texte ?
CLAIRE
Disposez mes toilettes. La robe blanche pailletée. L’éventail, les émeraudes.
SOLANGE
Tous les bijoux de Madame ?
CLAIRE
Sortez-les. Je veux choisir. (Avec beaucoup d’hypocrisie.) Et naturellement les souliers vernis. Ceux que vous convoitez depuis des années.
Solange prend dans l’armoire quelques écrins qu’elle ouvre et dispose sur le lit.
Pour votre noce sans doute. Avouez qu’il vous a séduite ! Que vous êtes grosse ! Avouez-le !
Solange s’accroupit sur le tapis et, crachant dessus, cire des escarpins vernis.
Je vous ai dit, Claire, d’éviter les crachats. Qu’ils dorment en vous, ma fille, qu’ils y croupissent. Ah ! ah ! vous êtes hideuse, ma belle. Penchez-vous davantage et vous regardez dans mes souliers. (Elle tend son pied que Solange examine.) Pensez-vous qu’il me soit agréable de me savoir le pied enveloppé par les voiles de votre salive ? Par la brume de vos marécages ?
SOLANGE, à genoux et très humble.
Je désire que Madame soit belle.
CLAIRE, elle s’arrange dans la glace.
Vous me détestez, n’est-ce pas ? Vous m’écrasez sous vos prévenances, sous votre humilité, sous les glaïeuls et le réséda. (Elle se lève et d’un ton plus bas.) On s’encombre inutilement. Il y a trop de fleurs. C’est mortel. (Elle se mire encore.) Je serai belle. Plus que vous ne le serez jamais. Car ce n’est pas avec ce corps et cette face que vous séduirez Mario. Ce jeune laitier ridicule vous méprise, et s’il vous a fait un gosse…
SOLANGE : Oh ! mais, jamais je n’ai…
Jean Genet, Les Bonnes (1947), éditions gallimard.
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01. juin 2020 · Commentaires fermés sur Quand le théâtre fait débat : petit tour d’horizon · Catégories: Seconde · Tags: ,
01. juin 2020 · Commentaires fermés sur Jean de Léry et les Toüoupinambaoults : sauvage, vous avez dit sauvage ? · Catégories: Spécialité : HLP Première · Tags: , ,

Le terme Sauvage est souvent employé à tort et à travers : qui sont les vrais Sauvages ?

En 1558, ils ne sont pas très nombreux les Européens qui ont traversé l’Atlantique pour accoster sur les rives du Nouveau-Monde.Jean de Léry fait partie de ces voyageurs aventureux et , simple artisan, s’il a choisi d’aller au bout du Monde,  c’est pour échapper aux guerres de religion. Beaucoup de protestants comme lui, par peur des représailles qu’on exerçait déjà en Europe sur ceux que l’on surnomme les  huguenots,  ont fui l eterritoir e français . En 1572 de nombreux  protestants  seront massacrés persécutés lors de la Saint Barthélémy.

Jean de Léry  n’a pas fait d’études mais pourtant il va trouver les mots justes pour défendre les  habitants du Brésil  et louer leur mode de vie. Il  utilise la rhétorique de l’éloge pour dresser un portrait flatteur des Sauvages et combattre ainsi les préjugés des Européens. Il commence , dans le texte étudié ,par comparer leur constitution physique à celle des Européens (ligne 4) et la comparaison tourne à l’avantage des Brésiliens comme l’indiquent les comparatifs de supériorité : plus robustes, replets et dispos.  De ces trois qualités physiques, toutes en rapport avec la robustesse de leur constitution, découlent la quatrième partie de l’énumération de leurs propriétés: leur santé est bien meilleure. Et logiquement, ils vivent plus longtemps.  Leur longévité , mesurée en lunes selon leurs coutumes, est donc la conséquence logique de leur bonne  santé.En effet, aujourd’hui encore, le facteur de longévité d’un population demeure un marqueur important pour les ethnologues. Jean de Léry développe méthodiquement une argumentation rationnelle en montrant d’ailleurs dans les parenthèses de son récit les articulations de sa pensée (je poursuive par ordre l 1) Plus »

01. juin 2020 · Commentaires fermés sur La rencontre avec l’Autre : un face à face troublant; De la Renaissance aux Lumières · Catégories: Spécialité : HLP Première · Tags: ,

Fait avec Padlet

 

01. juin 2020 · Commentaires fermés sur Un dialogue constructif entre un colon et un brésilien : le témoignage de Jean de Léry · Catégories: Commentaires littéraires, Spécialité : HLP Première · Tags:

Jean de Léry  est un ouvrier  et explorateur français  protestant qui s’est exilé à cause des guerres de religion qui ont eu lieu en France et durant lesquelles de nombreux protestants appelés huguenots , furent massacrés sur ordre du roi.   L’auteur  a publié, après son retour en France un livre de souvenirs de voyage dans lequel il  relate sa rencontre avec les indigènes brésiliens.  Il emploie les techniques de la maieutique pour faire prendre conscience aux Français de ce que pensent les Indiens de leurs pratiques commerciales.

Lorsqu’il relate son voyage en terre du Brésil et sa relation avec les Indiens de la tribu Toupinambas, Jean de Léry peint un portrait élogieux des Sauvages et les présente comme des hommes sages qui tirent de leur saine constitution physique et   de leurs vertus  morales, leur exceptionnelle longévité. Dans le texte précédent, il oppose leur absence de vices à la corruption qui , à la manière d’un poison, détruit la santé des Français. Le dialogue qu’il met en scène retrace les interrogations d’un vieillard à propos des exportations massives de bois”arabotan” ; ce dernier, grâce à de multiples questions orientées parvient à faire dire à l’auteur que les Français sont fous de vouloir enrichir leur descendance après leur mort. Quelle stratégie argumentative pouvons-nous repérer à travers ce dialogue ? Dans un premier temps, nous étudierons la construction du dialogue avant d’évoquer l‘utilisation du regard de  l’étranger et pour terminer, nous montrerons comment l‘auteur intervient dans son propre récit pour nous persuader de la justesse des propos du vieillard . Plus »

24. mai 2020 · Commentaires fermés sur Ecriture pour le théâtre : les particularités de l’écriture pour le théâtre · Catégories: Fiches méthode, Seconde · Tags:
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Plus l’histoire du théâtre se rapproche de nous et plus les dramaturges utilisent les didascalies, ces indications scéniques précieuses pour le metteur en scène ; Dans les tragédies classiques ou dans les comédies de Molière, peu de traces de ce type d’écriture ; La plupart des didascalies en effet, sont internes (elles sont mentionnées à l’intérieur des échanges des personnages ) ; En revanche, des écritures comme celles d’Eugène Ionesco ou de Samuel Beckett, deux dramaturges du théâtre de l’absurde, sont basées sur une large utilisation des didascalies externes ; Voyez cela par vous-même ….avec les extraits suivants …

Il s’agit du début de la pièce de Ionesco Le roi se meurt  qui met en scène le destin tragique d’un roi qui refuse de mourir mais dont le royaume rétrécit peu à peu au fur et à mesure que sa maladie augmente …les indications scéniques à elles seules méritent d’être analysées ..

Salle du trône, vaguement délabrée, vaguement gothique. Au milieu du plateau, contre le mur

du fond, quelques marches menant au trône du Roi. De part et d’autre de la scène, sur le devant, deux trônes plus petits qui sont ceux des deux Reines, ses épouses.

A droite de la scène, côté jardin, au fond, petite porte menant aux appartements du Roi. A gauche de la scène, au fond, autre petite porte. Toujours à gauche, sur le devant, grande porte. Entre cette grande porte et la petite, une fenêtre ogivale. Autre petite fenêtre à droite de la scène, petite porte sur le devant du plateau, du même côté. Près de la grande porte, un vieux garde, tenant une hallebarde.

Avant le lever du rideau, pendant que le rideau se lève et quelques instants encore, on entend une musique dérisoirement royale, imitée d’après les Levers du Roi du XVIIe siècle.

LE GARDE, annonçant. Sa majesté, le Roi Bérenger Ier. Vive le Roi ! 

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Le roi se meurt 

Le Roi, d’un pas assez vif, manteau de pourpre, couronne sur la tête, sceptre en main, traverse le plateau en entrant par la petite porte de gauche et sort par la porte de droite au fond.

LE GARDE, annonçant. Sa Majesté, la reine Marguerite, première épouse du Roi, suivie de Juliette, femme de ménage et infirmière de Leurs Majestés. Vive La Reine !

Marguerite, suivie de Juliette, entre par la porte à droite premier plan et sort par la grande porte. 

Ionesco précise tout d’abord quelques éléments de décor symboliques pour désigner la royauté : les trônes des personnages et la mention  de musique royale  ainsi que le costume symbolique pourpre , sceptre et couronne ; l’accessoire la hallebarde nous renvoie plutôt à une époque médiévale ainsi que la fenêtre ogivale qui rappelle celle des châteaux ; En revanche le délabrement de la salle et l’adverbe dérisoirement peuvent nous faire penser que la royauté va être un objet de dérision de la part du dramaturge; L’écriture théâtrale cherche à rendre visible la dimension symbolique  d’un cadre; 

Application pratique : si vous voulez faire visualiser une maison à la campagne  ou un appartement en ville ,quels éléments de décor pourront référer symboliquement à cet univers ? quels costumes connotent l’opulence et la richesse ou au contraire le dénuement et la pauvreté ?

Examinez ce second exemple tiré de la scène d’exposition de En attendant Godot de Beckett : la pièce montre deux vagabonds Vladimir et Estragon qui attendent en vain un mystérieux personnage nommé Godot, dont on peut penser qu’il s’agit de Dieu ; Pour tromper le vide de leur existence , ils passent leur temps à se quereller pour rien .

Route à la campagne, avec arbre.
Soir.
Estragon, assis sur une pierre, essaie d’enlever sa chaussure. Il s’y acharne des deux mains, en ahanant. Il s’arrête, à bout de forces, se repose en haletant, recommence. Même jeu.
Entre Vladimir.

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Vladimir et Estragon 

ESTRAGON (renonçant à nouveau) : Rien à faire.
VLADIMIR (s’approchant à petits pas raides, les jambes écartées) : Je commence à le croire. (Il s’immobilise.) J’ai longtemps résisté à cette pensée, en me disant, Vladimir, sois raisonnable. Tu n’as pas encore tout essayé. Et je reprenais le combat. (Il se recueille, songeant au combat. A Estragon.) Alors, te revoilà, toi.
ESTRAGON : Tu crois ?
VLADIMIR : Je suis content de te revoir. Je te croyais parti pour toujours.
ESTRAGON : Moi aussi.
VLADIMIR : Que faire pour fêter cette réunion ? (Il réfléchit.) Lève-toi que je t’embrasse. (Il tend la main à Estragon.)
ESTRAGON (avec irritation) : Tout à l’heure, tout à l’heure.
Silence. 
VLADIMIR (froissé, froidement) : Peut-on savoir où monsieur a passé la nuit ?
ESTRAGON : Dans un fossé.
VLADIMIR (épaté) : Un fossé ! Où ça ?
ESTRAGON (sans geste) : Par là.

Cette exposition est déroutante pour le spectateur car les indications données sont parfois vagues  , parfois même contradictoires ; elles traduisent les difficultés de communication entre les deux personnages qui du coup paraissent étranges ; cependant le dramaturge nous fait visualiser un jeu avec la chaussure d’un des vagabond et cet élément visuel sera repris durant toute la pièce.

Voici un troisième exemple toujours pour le théâtre moderne : il s’agit de la première scène de la pièce La Leçon de Ionesco; Un professeur très étrange, d’abord extrêmement gentil et patient,devient  de plus en plus exaspéré par la bêtise de son élève et les cris de douleur de la jeune fille qui a très mal aux dents : il  devient fou de rage et la tue sur scène; On apprend à la fin de la pièce qu’il assassine, en fait, plusieurs élèves chaque jour.

Au lever du rideau, la scène est vide, elle le restera assez longtemps. Puis on entend la sonnette de la porte d’entrée. On entend la voix de

LA BONNE (en coulisse): Oui. Tout de suite.

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La leçon 

précédant la Bonne elle-même, qui, après avoir descendu, en courant, des marches, apparaît. Elle est forte; elle a de 45 à 50 ans, rougeaude. La Bonne entre en coup de vent, fait claquer derrière elle la porte de droite, s’essuie les mains sur son tablier, tout en courant vers la porte de gauche, cependant qu’on entend un deuxième coup de sonnette.

Patience. J’arrive.

Elle ouvre la porte. Apparaît la jeune élève, âgée de 18 ans. Tablier gris, petit col blanc, serviette sous le bras.

Bonjour, Mademoiselle.
L’ÉLÈVE: Bonjour, Madame. Le Professeur est à la maison?
LA BONNE: C’est pour la leçon?
L’ÉLÈVE: Oui, Madame.
LA BONNE: Il vous attend. Asseyez-vous un instant, je vais le prévenir
L’ÉLÈVE: Merci, Madame.
Elle s’assied près de la table, face au public; à sa gauche, la porte d’entrée; elle tourne le dos à l’autre porte par laquelle, toujours se dépêchant, sort la Bonne, qui appelle

: LA BONNE: Monsieur, descendez, s’il vous plaît. Votre élève est arrivée.
Voix du PROFESSEUR (plutôt fluette): Merci. Je descends … dans deux minutes
La Bonne est sortie; l’Élève, tirant sous elle ses jambes, sa serviette sur ses genoux, attend, gentiment; un petit regard ou deux dans la pièce, sur les meubles, au plafond aussi; puis elle tire de sa serviette un cahier, qu’elle feuillette, puis s’arrête plus longtemps sur une page, comme pour répéter la leçon, comme pour jeter un dernier coup d’œil sur ses devoirs. Elle a l’air d’une fille polie, bien élevée, mais bien vivante gaie, dynamique; un sourire frais sur les lèvres; au cours du drame qui va se jouer, elle ralentira progressivement le rythme vif de ses mouvements, de son allure, elle devra se refouler; de gaie et souriante, elle deviendra progressivement triste, morose; très vivante au début, elle sera de plus en plus fatiguée, somnolente; vers la fin du drame sa figure devra exprimer nettement une dépression nerveuse; sa façon de parler s’en ressentira, sa langue se fera pâteuse, les mots reviendront difficilement dans sa mémoire et sortiront, tout aussi difficilement, de sa bouche; elle aura l’air vaguement paralysée, début d’aphasie; volontaire au début, jusqu’à en paraître agressive, elle se fera de plus en plus passive, jusqu’à ne plus être qu’un objet mou et inerte, semblant inanimée, entre les mains du Professeur si bien que lorsque celui-ci en sera arrivé à accomplir le geste final, l’Élève ne réagira plus; insensibilisée, elle n’aura plus de réflexes; seuls ses yeux, dans une figure immobile, exprimeront un étonnement et une frayeur indicibles; le passage d’un comportement à l’autre devra se faire, bien entendu, insensiblement.

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LE PROFESSEUR entre. Il porte une longue blouse noire de maître d’école, pantalons et souliers noirs, faux col blanc, cravate noire. Excessivement poli, très timide, voix assourdie par la timidité, très correct, très professeur. Il se frotte tout le temps les mains; de temps à autre, une lueur lubrique dans les yeux, vite réprimée.

Au cours du drame, sa timidité disparaîtra progressivement, insensiblement; les lueurs lubriques de ses yeux finiront par devenir une flamme dévorante, ininterrompue; le Professeur deviendra de plus en plus sûr de lui, nerveux, agressif, dominateur, jusqu’à se jouer comme il lui plaira de son élève, devenue, entre ses mains, une pauvre chose. Evidemment la voix du Professeur devra elle aussi devenir de plus en plus forte, et, à la fin, extrêmement puissante et éclatante, tandis que la voix de l’Élève se fera presque inaudible. Dans les premières scènes, le Professeur bégaiera, très légèrement, peut-être. 

On note , dans cette présentation, l’importance des didascalies qui non seulement nous renseignent sur le décor et les personnages mais également nous présentent l’évolution de l’action sur scène ; pour le metteur en scène, on peut noter la difficulté à représenter fidèlement les idées du dramaturge ; D’ailleurs Ionesco sera mécontent la plupart du temps de l’adaptation de se pièces sur scène car il jugera que les metteurs en scène déforment ses intentions et ne respectent pas ses notes.  Il s’est exprimé à ce sujet dans son ouvrage théorique dont je vous livre ci-dessous un extrait :

Ionesco Notes et contre-notes, 1966.

Si l’on pense que le théâtre n’est que théâtre de la parole, il est difficile d’admettre qu’il puisse avoir un langage autonome. Il ne peut être que tributaire des autres formes de pensée qui s’expriment par la parole, tributaire de la philosophie, de la morale. Les choses sont différentes si l’on considère que la parole ne constitue qu’un des éléments de choc du théâtre. D’abord le théâtre a une façon propre d’utiliser la parole, c’est le dialogue, c’est la parole de combat, de conflit. Si elle n’est que discussion chez certains auteurs, c’est une grande faute de leur part. Il existe d’autres moyens de théâtraliser la parole : en la portant à son paroxysme, pour donner au théâtre sa vraie mesure, qui est dans la démesure ; le verbe lui-même doit être tendu jusqu’à ses limites ultimes, le langage doit presque exploser, ou se détruire, dans son impossibilité de contenir les significations.

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Mais il n’y a pas que la parole : le théâtre est une histoire qui se vit, recommençant à chaque représentation, et c’est aussi une histoire que l’on voit vivre.

Le théâtre est autant visuel qu’auditif. Il n’est pas une suite d’images, comme le cinéma, mais une construction, une architecture mouvante d’images scéniques.

Tout est permis au théâtre : incarner des personnages, mais aussi matérialiser des angoisses, des présences intérieures. Il est donc non seulement permis, mais recommandé, de faire jouer les accessoires, faire vivre les objets, animer les décors, concrétiser les symboles.

De même que la parole est continuée par le geste, le jeu, la pantomime, qui, au moment où la parole devient insuffisante, se substituent à elle, les éléments scéniques matériels peuvent l’amplifier à leur tour. L’utilisation des accessoires est encore un autre problème. (Artaud en a parlé.)

À propos de Rhinocéros aux États-Unis

“Le succès public de Rhinocéros à New York me réjouit, me surprend et m’attriste un peu, à la fois. J’ai assisté à une répétition seulement, à peu près complète, avant la générale, de ma pièce. Je dois dire que j’ai été tout à fait dérouté.

J’ai cru comprendre qu’on avait fait d’un personnage dur, féroce, angoissant, un personnage comique, un faible rhinocéros : Jean, l’ami de Bérenger. Il m’a semblé également que la mise en scène avait fait d’un personnage indécis, héros malgré lui, allergique à l’épidémie rhinocérique, de Bérenger, une sorte d’intellectuel lucide, dur, une sorte d’insoumis ou de révolutionnaire sachant bien ce qu’il faisait (le sachant, peut-être, mais ne voulant pas, nous expliquer les raisons de son attitude).

J’ai vu aussi, sur le plateau, des matches de boxe qui n’existent pas dans le texte et que le metteur en scène y avait mis, je me demande pourquoi. J’ai souvent été en conflit avec mes metteurs en scène: ou bien ils n’osent pas assez et diminuent la portée des textes en n’allant pas jusqu’au bout des impératifs scéniques, ou bien ils « enrichissent » le texte en l’alourdissant de bijoux faux, de pacotilles sans valeur parce que inutiles. Je ne fais pas de littérature. Je fais une chose tout à fait différente; je fais du théâtre. Je veux dire que mon texte n’est pas seulement un dialogue mais il est aussi « indications scéniques ». Ces indications scéniques sont à respecter aussi bien que le texte, elles sont nécessaires, elles sont aussi suffisantes.

Si je n’ai pas indiqué que Bérenger et Jean doivent se battre sur le plateau et se tordre le nez l’un à l’autre c’est que je ne voulais pas que cela se fît.

Ce texte polémique de Ionesco soulève donc un certain nombre de problèmes liés aux difficultés d’adaptation et de mise en scène de la parole théâtre et du respect des didascalies; Pour le dramaturge, la parole théâtrale est non seulement dialogue mais tout autant didascalies.

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16. mai 2020 · Commentaires fermés sur Un face à face et une controverse: retour à Valladolid · Catégories: Spécialité : HLP Première · Tags:

1 Le rappel des faits

Le roman se fonde sur une dispute historique, c’est à dire un affrontement philosophique, entre Las  Casas et Sepulveda vers 1550. Le romancier s’est inspiré de documents officiels mais il a resserré l’intrigue et a inventé le personnage du légat du pape qui joue, en quelque sorte, le rôle d’un arbitre entre les deux contradicteurs. La première question qui sert de point de départ aux discussions concerne la nature des Indiens ” Qui sont-ils ? une espèce nouvelle ? les gardiens redoutables des pommes d’or des Hespérides ? sont -ils des créatures infernales , puisque la plupart du temps , ils vont tout nus, sans aucune  pudeur? ou des habitants du Paradis ? des petits cousins d’Adam et d’Eve ? Et surtout sont- ils des hommes ou des sous-hommes , des infra humains, des types d’humains inférieurs aux Espagnols ” 

Ces interrogations peuvent vous paraître aujourd’hui bien naïves mais elles reflètent les préoccupations des hommes de la Renaissance, confrontés, grâce aux progrès des explorations, notamment maritimes,  à des  catégories de populations différentes de ceux qu’ils ont connus jusque là . Humains sans aucun doute car la naissance des premiers enfants issus des unions ( des viols surtout ) entre les conquistadors et les femmes indigènes en fut la preuve incontestable. Il s’agit plutôt de préciser si tous les humains sont égaux… en humanité; Dieu a -t-il créé différentes espèces d’hommes dont certains seraient faits pour être les maîtres et d’autres les esclaves, par sa volonté, ou simplement tous les hommes ont ils les mêmes droits et notamment celui d’être libre ? Plus »