
Pour mieux comprendre cette période importante dans l’évolution des idées, il faut tenter de se souvenir de l’état de nos connaissances sur le monde afin de mesurer les bouleversements liés aux grandes découvertes et aux nouvelles inventions . Si l’homme a pu commencer à repenser sa place dans le monde , c’est parce qu’il a pris conscience que les limites du monde qu’il imaginait n’étaient pas celles qu’on lui avait enseignées ( découverte de nouvelles terres, de nouveaux pays et de nouvelles religions ) ; ainsi dans des domaines aussi différents que la zoologie, les sciences et techniques, la philosophie, les mathématiques, les langues anciennes, la botanique , chaque découverte a eu un impact considérable . Prenons quelques exemples concrets en images…

Les peintres de la Renaissance continuent de s’inspirer de sujets antiques ou mythologiques comme ici la naissance de Vénus mais en même temps, ils représentent leur monde en insérant des détails vestimentaires d’époque ou en appliquant les lois de la perspective . Les sujets d’inspiration religieuse sont concurrencés par des sujets d’inspiration profane ; la mythologie est également la trace d’une réapropriation de la matière antique avec en France, la redécouverte des textes grecs par les poètes et traducteurs de la Pléiade comme Guillaume Budé (une collection de livres de grec porte d’ailleurs toujours son nom )
Dans le domaine des sciences, on commence à répertorier la diversité des espèces animales et végétales et peu

à peu, certaines croyances disparaissent; on découvre par exemple que la description de certains animaux monstrueux aux limites de l’univers correspond aux animaux comme

l’Autruche,les perroquets le zèbre ou les éléphants . Les savants ne sont pas encore spécialisés mais on voit apparaître à travers l’Europe, des échanges et des correspondances au sujet de la faune et de la flore des pays découverts; peu à peu , on va prendre l’habitude d’embarquer des savants à bord des bateaux afin qu’ils procèdent à un inventaire des espèces nouvelles . Un esprit scientifique voit ainsi progressivement le jour .

Une imprimerie
Dans le domaine de la diffusion des connaissances, la découverte de l’imprimerie va révolutionner les pratiques de l’époque.Alors que les moines recopiaient à la main au fond de leurs monastères les livres anciens pour de riches clients, les ouvriers vont effectuer en quelques heures le travail de plusieurs mois . la lecture va se développer avec le développement de la diffusion des livres imprimés et permettre ainsi à une grande partie de population (essentiellement l’aristocratie ) d’avoir accès aux connaissances .
Les progrès des sciences et des techniques vont avoir des conséquences sur la mesure du temps avec notamment l’invention de l’horlogerie mécanique : la mesure du temps devient mathématique et ne dépend plu sise éléments naturels comme le soleil (variable ) ou la lune . Les rythmes naturels vont donc être concurrencés par une mesure

immuable : ce qui va avoir des conséquences importantes sur le plan de la perception de notre existence et de notre condition mortelle. Le développement des Vanités et autres Mémento Mori reflète cette inquiétude de l’homme face à l’écoulement inexorable du temps , marqué par des instruments comme l’horloge ou la montre .
A cette époque, la notion de fantastique n’est pas la même qu’aujourd’hui mais l’esprit humain a toujours cherché à recomposer le monde et à l’imaginer autrement. Certains artistes vont développer une vision du monde très personnelle qui vont servir de modèles et de références pour les générations suivantes ; C’est le cas de ces portraits très particuliers d’Arcimboldo qui sont demeurés célèbres . Peintre italien, appartenant au duché de Milan, il rend hommage à des membres de la cour; la variété des fruits et légumes qu’il associe pour former ses têtes reflète la puissance de l’empire des Habsourgs auxquels ils sont dédiés.


Montaigne, Léry et Diderot font tous trois appel à un regard étranger qui va leur servir d’instrument dans leur démarche critique. Montaigne et Diderot se servent d’un événement historique attesté pour conférer une forme d’authenticité à leur fiction : en effet, Monsieur Bougainville a réellement découvert Tahiti et trois indiens d’Amérique se sont vraiment rendus à Rouen pour venir y témoigner de leur civilisation. Quant à Léry, il a pu véritablement vivre cette rencontre avec un sage indien de la tribu Topinambas durant l’année passée au Brésil. Le degré d’authenticité est ,en effet, un facteur important pour que l’argumentation soit efficiente. L’échange entre l’auteur et l’étranger fait l’objet de différents traitements : Montaigne se sert d’un récit et joue le rôle du témoin qui rapporte des faits ; Léry met en scène un dialogue socratique entre un sage Brésilien qui parvient à faire avouer la vérité au colon : les Européens sont vraiment “de grands fous” de venir au bout du monde en escompter une forme de profit; Quant au Sage tahitien imaginé par Diderot, il s’adresse sur un ton accusateur au chef de l’expédition, Monsieur Bougainville sous la forme d’un véritable réquisitoire. L’auteur n’est donc pas cette fois un personnage du texte à la différence des deux écrivains de la Renaissance. Si Diderot s’efface et utilise un porte-paroles , c’est peut-être parce que la critique est beaucoup plus explicite au cours de cette confrontation.
Les trois auteurs sont à la recherche d’un efficacité maximale dans leur argumentation et on va donc trouver des procédés communs car ils poursuivent un but identique : les questions rhétoriques, par exemple, sont une technique recherchée par les orateurs car elles impliquent le lecteur ; lorsque Léry fait dire à l’indien, à propos du bois, : “N’y en a-t-il point en votre pays” ou Diderot au Tahitien : ” quel droit as-tu sur lui qu’il n’ait pas sur toi ?”, ces deux questions font réfléchir le lecteur et provoquent son indignation. Montaigne , quant à lui, pratique une fore de dénonciation beaucoup plus implicite. Il passe par la confrontation des pratiques des deux civilisations afin de démontrer que les coutumes indigènes reposent sur du bon sens alors que les Français, qui se prétendent plus civilisés ont des usages étonnants pour un homme du Nouveau-Monde. C’est cette fausse naïveté du regard étranger qui est le vecteur de la dénonciation; nous sommes alors dans le domaine de l’implicite : la surprise, l’étonnement , servent de révélateurs pour le lecteur et Montaigne ne peut s’empêcher de conclure sur une note ironique : “mais quoi ils ne portent point de hauts de chausse” . Il feint ici de s’indigner à propos des usages vestimentaires des indigènes et ce jugement est l’écho de ce qu’il entend à la Cour; C’est une manière implicite de dénoncer les propres jugements de se contemporains qui s’en tient à l ‘apparence vestimentaire pour juger de la valeur d’un homme. Un dernier point sur lequel nous pouvons rapprocher ces trois textes, c’est celui de la présence du jugement de l’auteur et sur se propres commentaires. Diderot est totalement absent de son texte et ses idées sont celles qu’il prête au Tahitien; Léry joue son rôle de narrateur et produit un éloge soutenu des Sauvages, comme Diderot d’ailleurs, pour mieux, par comparaison, critiquer les colons














Ce qu’on oppose souvent : la solidarité et l’indifférence des populations urbaines où les gens cotaient la misère sans sembler s’émouvoir, la recherche du bonheur par le biais de la consommation qui conduit à la cupidité et la recherche d’un bonheur simple qui repose sur une vie naturelle et la satisfaction des besoins primaires. L’idée qu’on se fait du bonheur peut constituer un critère important; On oppose souvent également l’hospitalité et la gentillesse des Indigènes à l’aspect belliqueux des colons qui souhaitent imposer leurs valeurs et leurs normes.
Un dialogue constructif entre un colon et un brésilien : le témoignage de Jean de Léry
Lorsqu’il relate son voyage en terre du Brésil et sa relation avec les Indiens de la tribu Toupinambas, Jean de Léry peint un portrait élogieux des Sauvages et les présente comme des hommes sages qui tirent de leur saine constitution physique et de leurs vertus morales, leur exceptionnelle longévité. Dans le texte précédent, il oppose leur absence de vices à la corruption qui , à la manière d’un poison, détruit la santé des Français. Le dialogue qu’il met en scène retrace les interrogations d’un vieillard à propos des exportations massives de bois”arabotan” ; ce dernier, grâce à de multiples questions orientées parvient à faire dire à l’auteur que les Français sont fous de vouloir enrichir leur descendance après leur mort. Quelle stratégie argumentative pouvons-nous repérer à travers ce dialogue ? Dans un premier temps, nous étudierons la construction du dialogue avant d’évoquer l‘utilisation du regard de l’étranger et pour terminer, nous montrerons comment l‘auteur intervient dans son propre récit pour nous persuader de la justesse des propos du vieillard . Plus »