01. mars 2018 · Commentaires fermés sur Abécédaire des Faux-Monnayeurs · Catégories: Divers · Tags:
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Le roman de Gide ainsi que le Journal des Faux-Monnayauers abordent de nombreux thèmes en relation avec la création littéraire.  L’auteur y aborde notamment  son désir d’écrire un roman où il pourrait tout regrouper , tout ce que lui présente la vie ; empêtré dans cette vision idéaliste, il se demande techniquement comment faire et débute une sorte de carnet (son Journal de création, dans lequel on note à la fois l’avancée de son roman et les problèmes qu’il rencontre ) ; Gide inscrit au jour le jour ses sources d’inspiration : un roman où il serait question de deux soeurs,  (Laura et Rachel ou Laura et Sarah ) d’un séducteur (Vincent ), du conflit des générations (Bernard et son père, la famille Molinier ) ; L’écrivain se méfie des roman d’idées et compte sur ses personnages pour incarner des opinions variées ; Il cherche les meilleurs décors et les techniques de narration les plus adaptées à son projet de roman “total” ou roman “pur” . Il s’inspire également de plusieurs faits divers parus dans les journaux de l’époque comme celui du gang des faussaires et celui des suicides d’écoliers : deux anecdotes qu’il va fondre dans le roman. Il hésite longuement sur l’usage des points de vue conscient qu’il a besoin de différents narrateurs et s’interroge “peut être est-ce folie de vouloir éviter à tout prix le simple récit impersonnel ?  (Journal ) En effet, ce dernier est l’instrument favori de la majorité des  écrivains . Gide recherche des truchements : il pense à des notes de Lafcadio, ensuite à un carnet de notes d’Edouard  (qui deviendra  dans la version finale le journal d’Edouard ) mais aussi à un dossier d’avocat (qui es transformera en discussion entre Profitendieu et Molinier , un juge et un avocat. 

Ce que retient Gide , c’est la volonté que Lafcadio incarne dans le roman, le personnage de l’écrivain en recherche : “il essaierait en vain de nouer des fils; il y aurait des personnages inutiles,des gestes inefficaces , des propos inopérants et l’action ne s’engagerait pas ” .Gêné par l’emploi du Je , Gide s’efforce de ne pas faire raconter directement les événements par l’auteur mais plutôt de les faire apparaître légèrement déformés soit par des participants soit exposés par un journal, par exemple. En parlant de son Journal , il écrit “il faut que ce carnet devienne en quelque sorte le cahier d’Edouard; il contiendrait des remarques d’ordre général sur l’établissement, la composition et la raison d’être du roman”. De même lorsqu’il réfléchir à la base artistique de son roman, Gide reprend cette idée de la méditation d’Edouard. Dans son second carnet, il écrit “ce cahier où j’écris l’histoire même du livre,je le vois versé tout entier dans le livre,en formant l’intérêt principal, pour la majeure irritation du lecteur . 

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Edouard lui pose véritablement des problèmes insurmontables : il tente de produire un roman pur dont il défend la théorie et auquel il rêve mais, en même temps, “c’est un amateur, un raté.Et ce roman, il ne parviendra jamais à l’écrire ; Pourtant au fur et à mesure que Gide pense à certains aspects de son roman, il précise de plus en plus souvent qu'il faudra le faire dire par Edouard ; Par exemple, il souhaiterait donner l'impression que comme dans la vie, quantité d'amorces de drames se présentent mais il est rare que ceux-ci se poursuivent et se dessinent comme a coutume de les filer un romancier . Il refuse ici que la narration n’imite pas le mouvement naturel et comme inachevé de la vie . L’écrivain confie à ses amis  et note dans son Journal être davantage intéressé par la manière de présenter des figures que par l’invention de nouvelles figures . 

Amour/Amitié

Je crois que c’est le propre de l’amour de ne pouvoir demeurer le même ; d’être forcé de croître, sous peine de diminuer </b>; et que c’est là ce qui le distingue de l’amitié.

Dans le domaine des sentiments, le réel ne se distingue pas de l’imaginaire </b>; Et s’il suffit d’imaginer qu’on aime pour aimer, ainsi suffit-il de se dire qu’on imagine aimer un peu moins , pour aussitôt aimer un peu moins , et même pour se détacher un peu de ce qu’on aime ou en détacher quelques cristaux.

. « Il est l’ami de beaucoup de monde » (parle de Passavant)

. « Je retiens la définition que Méral me donnait de l’amitié : « un ami, disait-il, c’est quelqu’un avec qui on serait heureux de faire un mauvais coup » Le journal des faux-monnayeurs

Désir

Du rassasiement des désirs peut naître , accompagnant la joie, et comme s’abritant derrière elle, une sorte de désespoir.

Education /Instinct

La meilleure éducation du monde ne prévalait pas contre les mauvais instincts.

Famille

Ne pas savoir qui est son père, c’est ça qui guérit de la peur de lui ressembler.

L’égoÏsme familial, à peine moins hideux que l’égoïsme individuel.

Famille je vous hais.

« Les sentiments pour les progéniteurs, ça fait partie des choses qu’il vaut mieux ne pas chercher trop à tirer au clair »

Faux -Sentiments

“Chacun de ces jeunes gens, sitôt qu’il était devant les autres, jouait un personnage et perdait presque tout naturel”

– “Tant que Lucien ne cherche qu’a persuader les autres, il n’y a que demi-mal. C‘est le premier degré de l’hypocrisie”

– “Le véritable hypocrite est celui qui ne s’aperçoit plus du mensonge, celui qui ment avec sincérité”

Femmes :

« Au fond, je me demande quel pourrait être l’état d’une femme qui ne serait pas résignée ? J’entends : d’une « honnête femme »… Comme si ce que l’on appelle « honnêteté » chez les femmes, n’impliquait pas toujours de la résignation ! »

« L’exemple de ses deux sœurs l’avait instruite ; elle considérait la pieuse résignation de Rachel comme une duperie ; ne consentait à voir dans le mariage de Laura qu’un lugubre marché, aboutissant à l’esclavage. […] Elle ne voyait point en quoi celui qu’elle pourrait épouser lui serait supérieur. […] il lui semblait que, de la politique même au besoin, la femme fait souvent preuve de plus de bon sens que bien des hommes… »

« Rachel s’est effacée toute sa vie, et rien n’est plus discret, plus modeste que sa vertu. L’abnégation lui est si naturelle qu’aucun des siens ne lui sait gré de son perpétuel sacrifice. C’est la plus belle âme de femme que je connaisse. » Partie III chap 2 p.230

Journal/Roman

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Ce nouveau carnet, sur quoi j’écris ceci, ne quittera pas de sitôt ma poche. C’est le miroir qu’avec moi je promène. Rien de ce qui m’advient ne prend pour moi d’existence réelle, tant que je ne l’y vois pas reflété. »

«Je voudrais tout y faire entrer, dans ce roman. Pas de coup de ciseaux pour arrêter, ici plutôt que là, sa substance. Depuis plus d’un an que j’y travaille, il ne m’arrive rien que je n’y verse, et que je n’y veuille faire entrer : ce que je vois, ce que je sais, tout ce que m’apprend la vie des autres et la mienne »
 « Sur un carnet, je note au jour le jour l’état de ce roman dans mon esprit<font color="#000000"> ; oui, c’est une sorte de journal que je tiens, comme on ferait celui d’un enfant… C’est à dire qu’au lieu de me contenter de résoudre, à mesure qu’elle se propose, chaque difficulté (et toute œuvre d’art n’est que la somme ou le produit des solutions d’une quantité de menues difficultés successives), chacune de ces difficultés, je l’expose, je l’étudie. Si vous voulez, ce carnet contient la critique de mon roman ; ou mieux : du roman en général. »

Littérature

« Lettre à François Mauriac » de Gide :« C’est avec les beaux sentiments qu’on fait de la mauvaise littérature »

Notes prises par Gide dans son journal intime à propos de l’écriture et de la réception des faux monnayeurs :1921 : « Je crois que le majeur défaut des littérateurs et des artistes d’aujourd’hui est l’impatience. »

Mensonge

« Il ne pouvait pourtant pas raconter la vérité, livrer aux enfants le secret de l’égarement passager de leur mère »

 je reste ahuri devant l’épaisseur du mensonge où peut se complaire un dévot »

Morale

« Les bourgeois honnêtes ne comprennent pas qu’on puisse être honnête autrement qu’eux »

« Mais les préjugés sont les pilotis de la civilisation »

« Il suffit bien souvent, de l’addition d’une quantité de petits faits très simple et naturels chacun pris à part, pour obtenir un total monstrueux. »

« Il est bon de suivre sa pente, pourvu que ce soit en montant”

« On ne découvre pas de terres nouvelles sans consentir à perdre de vue, d’abord et longtemps, tout rivage. »

« Que sert d’interdire ce qu’on ne peut pas empêcher »

« Il y a beaucoup de choses très belles que nous verrions si nous étions moins méchants 

Passion

Les passions mènent l’homme non les idées.

Personnages

Edouard (dans le Journal des FM )

Je dois respecter soigneusement en Edouard tout ce qu’il fait qu’il ne peut écrire son livre. Il comprend bien des choses mais se poursuit lui même sans cesse; à travers tous, à travers tout. Le véritable dévouement lui est à peu près impossible. C’est un amateur, un raté.»

« Personnage d’autant plus difficile a établir que je lui prête beaucoup de moi.»

« Il y a eu maldonne : C’est Olivier qu’Edouard aurait du adopter ; et c’est Olivier qu’il aimait. »

Un vieillard, ça n’intéresse plus personne ” (à propos de La Pérouse)

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Vie /Existence

« La manière dont le monde des apparences s’impose à nous et dont nous tentons d’imposer au monde extérieur notre interprétation particulière, fait le drame de notre vie. La résistance des faits nous invite à transporter notre construction idéale dans le rêve, l’espérance, la vie future, en laquelle notre croyance s’alimente de tous nos déboires dans celle-ci »

« Dans la vie, rien ne se résout ; tout continue. On demeure dans l’incertitude ; et on restera jusqu’à la fin sans savoir à quoi s’en tenir ; en attendant, la vie continue, tout comme si de rien n’était »

 

16. janvier 2018 · Commentaires fermés sur Duo ou trio : quel est le principe dominant pour les Faux-Monnayeurs et le Journal ? · Catégories: Divers · Tags:

La difficulté de ce  sujet de dissertation est double; d’une part il faut définir avec précision ce que recouvrent les notions de duo et de trio  ; d’autre part, il est préférable d’éviter le plan qui oppose les deux entités parce qu’il mène , en quelque sorte à une impasse et que la troisième partie, synthétique, reprendra nécessairement des idées développées dans les deux autres; Pour éviter cet écueil, comment trouver un bon plan?  Des recherches préalables à la rédaction doivent interroger la notion même de duo;  on peut en effet penser au couple qui forme , de base une cellule importante du sytème des personnages du roman ; mais on pouvait également penser au travail de création gidien qui propose deux personnages au final au lieu d’un (dédoublement ) et surtout, la matière pour deux romans ; on pouvait également partir de la notion de relais de narration pour montrer qu’un personnage devient le lecteur d’un autre : la mise en abîme fonctionne  également pour le personnage de l’écrivain et pour le journal d’Edouard au sein du roman (Gide écrit deux livres en même temps ) qui reproduit le journal que Gide écrit en même temps qu’il rédige les FM. 

Le repérage de la notion de trio ne posait guère de problème au lecteur ; il était , une effet , facile de repérer que le roman est découpé en trois parties (et de se souvenir que Gide évoque comme l’une de ses préoccupations principales la recherche d’équilibre ); On pouvait aussi penser que le trio central des FM est bien constitué de 3 personnages indissociables qui forment, au passage, plusieurs couples ; l’amitié est illustrée au départ du roman par le duo Bernard Olivier mais l’arrivée d’Edouard va permettre à Bernard de partir avec ce dernier (relation maitre/élève? ); Bernard se substitue donc à Olivier sauf que la nature de la relation qu’il a avec Edouard est sensiblement différente.  Une nouvelle relation finira par apparaitre dans la dernière partie du récit : un amour entre Olivier et Edouard.(homosexualité impose le dédoublement de l’objet désiré) Grâce à cet exemple, on mesure à quel point un duo peut être remis en question par l’irruption d’un troisième personnage ; en effet, la relation entre Bernard et Olivier s'est modifié à cause de leur séparation et de ce que Bernard a appris dans le Journal d'Edouard;

Prenons un autre exemple de relation triangulaire : Vincent quitte Laura pour Lilian;  il quitte une femme mariée enceinte pour une intrigante riche et perverse; Le personnage de Vincent s’abaisse avec cette action  ; Laura elle, a quitté Felix pour Vincent  et c’est  vite au tour de Benard de tomber amoureux d’elle mais d’un amour chaste, platonique  qu’elle refusera de transformer en amour charnel; Laura était au départ amoureuse d’Edouard avant de comprendre que ce dernier préfère les hommes; et ils sont alors devenus amis.Laura a épousé Felix par dépit et la rencontre avec Bernard intervient comme une troisième péripétie ;  lorsque Lilian et Vincent formeront un couple, leur relation les détruira selon ce que Gide nomme la décristallisation qui dans leur cas, tourne à la haine de l’autre .  Lorsque Bernard tombe amoureux de Laura, c’est un amour à sens unique  mais lorsqu’il séduit Sarah (on notera ici grâce à la consonance identique des deux prénoms que ces deux jeune femmes forment en réalité les deux faces d’un même personnage ) Gide révèle à travers  ce  type de dédoublement  proche d’une opposition, deux facettes opposée du sentiment amoureux : l’amour platonique et le désir charnel qui ne parvient pas à s’unir dans la même femme ou à une femme, pour un homme qui préfère les hommes; cette dissociation structure le thème de l’amour et du couple dans les FM. 

Nous pourrions multiplier les exemples de duos ou de trios: présence de 3 batards dans le roman associés par leurs trois initiales Boris, Bronja et Bernard; trois personnages de purs : Rachel, Boris et Brojza;  Mais aussi trois soeurs Azaïs : Rachel la vertueuse qui se sacrifie, son double inversé donc son opposé : Sarah qui veut vivre libre et Laura qui culpabilise d’avoir cédé à l’adultère;  Trois soeurs pour trois variations du statut de la femme Laura elle même a aimé trois hommes avant de rencontrer Bernard : le premier Edouard ne lui a accordé que son amitié; le second l’épousé mais elle n’en est pas amoureuse et le troisième a fait d’elle une femme adultère et l’a abandonné de la plus lâche des façons, enceinte . Ici la succession des hommes permet de mieux définir la variété des sentiments amoureux et des liens qui peuvent unir un homme et une femme. Le trio permet donc souvent l’exposé de la variation quand il n’set pas triangle amoureux ; Mais les deux figures se rejoignent parfois avec le trio Bernard/ Laura/Sarah par exemple.

L’heure tourne et vous ne pourrez penser à tout mais plus vous connaîtrez les détails du roman , plus les idées en rapport avec la problématique donnée viendront rapidement et il ne vous restera plus qu’à trouver un plan pour les organiser; je vous conseille de d’abord jeter toutes vos idées sur le papier avant de chercher à les agencer au sein d’une organisation; Voilà une liste non exhaustive des applications possibles avec ces notions de duo ou de trio ….

un livre au lieu de deux 

Bernard devient lecteur du journal d’Edouard : un lecteur dans un roman 

mort des duos : Boris et Bronja meurent tous les deux ; Les La Pérouse sont séparés;  les Molinier divorcent; Profitendieu séparés. Vincent  tue LiIlian; Olivier quitte Robert ..les couples menacés dans les FM ; On rejoint les thèmes de l’échec des couples et des modèles familiaux .

l’adultère ; Gide montre que  le troisième personnage est l’ élement perturbateur du triangle amoureux; à l’origine des bâtards et des relations adultères et donc des conflits familiaux?  l’amour hors du mariage conserve un statut dangereux.

des trios révélateurs : trois figures de l’homosexuel (Robert, Edouard, Olivier ) ou + ?  quid de Caloub? La Pérouse amoureux d’Edouard ? cas de Georges ? 

la figure du mauvais garçon connaît elle aussi des variations : Georges maître chanteur, Vincent habité par le démon et Robert,le diable incarné , symbolise la tentation … et Armand, ? 

combien de figures d’écrivains ? 

les thèmes principaux relèvent à la fois du double (la fausse monnaie s’oppose à la vraie et les faux -sentiments à la sincérité  ) et du triple à cause de l’utilisation de certaines techniques de relais de narration.

Au final, pour faire le plan le plus complet possible , il était sans doute plus simple de ne pas partir de l’opposition entre le duo et le trio mais de trouver trois grandes parties des oeuvres où trios et duos se concurrencent  en cherchant à expliquer pourquoi . 

Vous pouviez commencer soit par les personnages soit par le cadre du roman, sa construction 

Partie 1 Amour et personnage 

Les couples en échec : les duos ne résistent pas (décristallisation) 

Les triangles amoureux : adultère et naissance des batards, déstabilisation des modèles familiaux 

L’impossible union :  désir charnel et amour “platonique” toujours séparés donc nécessité de deux partenaires 

Partie 2  Création et modèles de bases (Cadre et construction) 

Gide dédouble son écriture avec Journal et roman, avec division des personnages (trop de matière à répartir donc division inévitable) 

La dualité permet l’opposition mais Gide se méfie de cette tendance donc brise les couples d’opposés (l’écrit dans Journal ) ; un fonctionnement par paires qu’il s’efforce de combattre  en créant des variations 

 

 et Les triangulatiosn permettent d’apporter les variations : 3 soeurs, 3 batards, 3 figures de femmes, 3 homosexuels , plusieurs écrivains ; au lieu de seulement opposer amour sensuel et amour platonique, Gide invente les situations triangulaires qui introduisent des nuances intermédiaires 

Ecrivain en recherche constante d’équilibre avec 3 parties mais eulement 2 endroits ( Paris, départ   et retour ) 

Partie 3 La résolution des équations ;  (Ecriture ) 

Un trio central donne lieu à plusieurs essais de couples : Bernard/Edouard/Olivier ; des interactions et des relations qui évoluent dans les duos qui se forment, se défont et se reforment (la matière ainsi ne s’épuise jamais, cette structure mime l’inachèvement constitutif ..exemple de l’absence de dénouement avec Caloub 

Division et dédoublement des instances narratives : la mise en abime  dédouble et l’ajout d’un narrateur ou d’un dialogue ou d’un journal nous fait passer du deux au trois 

Roman de la fausse monnaie et des faux sentiments donc roman de la dissociation, de la lecture à deux niveaux (réception de l’oeuvre elle-même duelle et a divisé les lecteurs  ) ; un roman du double jeu donc structure nécessairemment duelle prédominante.

08. décembre 2017 · Commentaires fermés sur La Pérouse dans Les Faux Monnayeurs · Catégories: Divers · Tags:
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Saisir un personnage mineur dans un roman nécessite d’abord et c’est la difficulté principale de se souvenir des passages où il apparait et de se montrer précis dans les références à l’oeuvre; Si Gide ne mentionne qu’une seule fois le personnage de La Pérouse dans son Journal ,  il insère cet pensée dans le cadre d’une réflexion sur les personnages ; En date du 23 février , dans le second Cahier, il se livre à une analyse de ses caractères , commençant par Bernard : “son caractère encore incertain; Au début , parfaitement insubordonné. Se motive , précise et se limite tout le long du livre à la faveur de ses amours….Olivier : son caractère peu à peu se déforme. Il commet des actions profondément contraires à sa nature et à se goûts – par dépit et par violence Un abominable dégoût de lui-même s’en suit. Vincent se laisse lentement pénétrer par l’esprit diabolique. Il se croit devenir le diable et c’est quand tout lui réussit le plus qu’il se croit le plus perdu. ” 

Quant à La Pérouse , Gide se désole d’avoir raté son portrait ; Dix mois plus tard, dans son Journal cette fois en date du 3 novembre , il écrit : “les meilleures parties de mon livre sont celles d’invention pure . Si j’ai raté le portrait du vieux Lapérouse, ce fut pour l’avoir trop rapproché de la réalité;je n’ai pas su, pas pu perdre de vue mon modèle. Le récit de cette première visite est à reprendre. La Pérouse ne vivra et je ne le verrai vraiment que quand il aura complètement pris la place de l’autre. Rien encore ne m’a donné tant de mal;Le difficile c’est d’inventer là ou le souvenir vous retient.”  

Le sujet retenu pour cette dissertation était double : tout d’abord il faisait référence à ce sentiment de ratage exprimé par l’écrivain; Il fallait donc se demander dans un premier temps pourquoi Gide avait le sentiment d’avoir raté ce personnage et ensuite établir un lien avec le fait que ce vieux Lapérouse peut être considéré d’un certain point de vue comme un raté . 

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La seconde difficulté du sujet consistait donc à relier les deux éléments qui forment la problématique et de les associer dans une réflexion autour de la notion de ratage ; beaucoup d’entre vous ont eu accès à un travail publié sur digischool qui porte sur la construction du personnage de La Pérouse (ce document intégral  en trois volets est reproduit et  commenté par mes soins ) ; ce travail extrêmement complet ne permettait de répondre qu’à une dimension de la question: celle des ratés de la vie du personnage; mais attention , un personnage n’est pas une véritable personne et vous devez donc vous demander non pas pourquoi a-t-il raté sa vie mais pourquoi l’écrivain a choisi de construire ce personnage et quel rôle joue-t-il dans le roman ?  Un roman est une sorte d’édifice dont vous ne percevez parfois qu’une façade ou un pan: tentez d’enlever le personnage de Lapéroues des Faux-Monnayeurs et vous constaterez que l’économie du récit est profondément altérée : plus d’intrigue avec Boris , plus de départ à Saas-Fée , plus de diatribe contre Dieu te Diable qui trompent tout le monde , plus de modèle de couple au stade terminal , plus de victime à la pension Vedel du gang des FM… ce qui vous le voyez bien, modifie les lignes narratives du roman et même son architecture. 

Comment pouvait -on s’en sortir ? 

Reprenons les élements donnés par les recherches sur internet et essayons de les exploiter en les mettant en relation avec le sujet proposé..

Je vous reproduis ici les documents …que j’annote en rouge pour pouvoir exploiter leurs informations en lien avec le sujet de dissertation 

Le personnage de La Pérouse n’apparaît pas, a priori, comme l’un des personnages les plus importants des Faux-Monnayeurs d’André Gide… En effet, il apparaît moins  à six reprises seulement et nous ne le rencontrons que par l’intermédiaire de la narration d’ Edouard extraite de son Journal, parfois même lue par Bernard . Pourtant, ce protagoniste du vieux professeur de piano joue un rôle crucial dans le roman.Quelle est l’importance du personnage de La Pérouse ? Comment ce personnage est-il construit ?

Le premier document répond  uniquement à la question : Qui est La Pérouse ?. Il est donc incomplet pour répondre à la  question posée dans la dissertation 

Le personnage de La Pérouse

La Pérouse est le vieux professeur de piano d’Edouard. Il réside à Paris, dans un petit appartement près du boulevard Haussmann, en compagnie de son épouse, Madame de La Pérouse, avec qui il entretient des relations très tendues. Le vieil homme vit dans le dénuement.La Pérouse souffre de solitude, étant donné qu’il ne s’entend plus avec sa femme ; il souffre également de la perte de son frère et de son fils, ainsi que de l’absence de son petit-fils, Boris, qu’il n’a jamais vu : il demandera à Edouard de lui ramener Boris. Dans la troisième partie du livre, La Pérouse a retrouvé Boris, mais ne semble pas s’entendre avec son petit-fils : il assistera d’ailleurs, impuissant, à son suicide. ( à retenir : un vieillard, ami d’Edouard triste, se sent seul et inutile , pauvre et dont la vie paraît ratée ; les traits du personnage valident vraiment  l’idée du raté) 

Présence du personnage de La Pérouse dans le roman

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Le personnage de La Pérouse est présent dans deux chapitres de la première partie du roman, et dans quatre chapitres de la troisième partie du roman.

Partie I, chapitre 13, page 118 à 125

Citation en exergue du chapitre : “On tire peu service des vieillards” – Vauvenargues. ( à exploiter dans la dimension symbolique du personnage ) Le récit de la rencontre d’Edouard avec La Pérouse est raconté dans le journal d’Edouard, et lu par l’intermédiaire de Bernard, qui lit indiscrètement le journal du romancier, trouvé dans la valise qu’il a récupérée à la consigne. Cette rencontre entre Edouard et La Pérouse est datée du 8 novembre.Edouard se rend pour la première fois dans le nouvel appartement du couple La Pérouse, un appartement en entresol, plutôt dénué. Le vieux professeur vit dans le dénuement, il confesse ne plus avoir beaucoup d’élèves, et ne pas se faire payer par les élèves avec qui il aime travailler, comme cette élève qu’il prépare au conservatoire. Il sous-entend qu’il mettra fin à ses jours prochainement.La Pérouse avoue ne plus s’entendre avec son épouse, et confie à Edouard l’existence de son petit-fils, Boris, fils de son fils et d’une de ses élèves russes, qu’il ne connaît pas.Edouard part après lui avoir promis de revenir le voir souvent.

Partie I, chapitre 18, page 156 à 163

La rencontre entre Edouard et La Pérouse est relatée dans son nouveau journal, en date du jeudi, 7 heures.Le conflit entre les époux La Pérouse est étalé au grand jour : Madame de La Pérouse ouvre la porte à Edouard, et se plaint de son époux, qui mange à toute heure du jour et de la nuit, et se relève la nuit pour lire en pleurant des lettres de feu son frère. Monsieur de La Pérouse les interrompt et se plaint de son épouse : elle ouvre toujours les fenêtres, elle mange trop, elle a séparé les meubles entre eux.La Pérouse parle à nouveau de son suicide prochain, et remet à Edouard un titre de rente qu’il veut voir remettre à son petit-fils Boris.Edouard promet d’aller à Saas-Fée, en Suisse, où réside le petit Boris, pour l’amener à La Pérouse avant sa mort.L’ancien élève et le vieux professeur se quittent après une conversation sur l’art : La Pérouse a détesté assister à une représentation d’Hernani de Victor Hugo il y a peu, il décrie également la musique moderne, dissonante, à laquelle il préférerait un accord parfait continu : “Un accord parfait continu ; oui, c’est cela : un accord parfait continu… Mais tout notre univers est en proie à la discordance” (p. 162)

Troisième partie, chapitre 1, pages 221 et 222

Dans le journal d’Edouard en date du 22 septembre : Edouard raconte avoir laissé le petit Boris chez son grand-père ; lorsque Madame Sophroniska est revenue le chercher une heure plus tard, l’enfant boudait seul dans un coin. Edouard note que c’était une erreur de les laisser seuls. (peu utile ) 

Troisième partie, chapitre 3, pages 240 – 247

Journal d’Edouard en date du 29 septembre. Visite d’Edouard à La Pérouse, qui paraît très abattu. Il révèle qu’il a tenté de se suicider le mercredi dernier, après avoir vu Boris, mais qu’il n’a pas trouvé le courage d’appuyer sur la gâchette. Madame de La Pérouse est partie en maison de retraite, mais il lui en veut toujours, notamment d’avoir brûlé les lettres de feu son frère. Edouard propose à La Pérouse d’aller vivre à la pension Azaïs, près de Boris, et annonce qu’il reviendra le chercher le lendemain.

Troisième partie, chapitre 15, pages 342 à 346

Narration extérieure, puis récit d’une visite d’Edouard à La Pérouse, à la pension Vedel, extrait du Journal d’Edouard.La narration extérieure nous informe que La Pérouse, à présent devenu surveillant d’étude à la pension Vedel, est moqué par les élèves de la pension.Edouard trouve que le vieux professeur de piano est affaibli. Il se plaint d’entendre, la nuit, un bruit dans le mur de sa chambre, et de ne pas avoir réussi à lier de véritable relation avec Boris. Il semble craindre les élèves. (dégradation du personnage pour mimer la dégradation de la vieillesse ?

Troisième partie, chapitre 18

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Poussé par ses camarades, Boris se suicide en pleine étude, avec le pistolet de son grand-père que les autres élèves lui ont fourni, et alors que La Pérouse surveille l’étude. Edouard raconte alors sa rencontre suivante avec le vieil homme : La Pérouse ne lui a pas parlé du suicide de Boris ; mais il vivait une crise mystique, se demandant qui, de Dieu ou du Diable, parle, est le moins cruel.Cet épisode clôt quasiment le livre : c’est dire l’importance du personnage dans l’économie du roman (remarque fondamentale ) 

Les modèles du personnage de La Pérouse

Qui a inspiré André Gide pour la création du personnage de La Pérouse ?( ces informations sont importantes pour évoquer les ressemblances avec des modèles qui existent mais elles en sont pas indispensables pour traiter le sujet : il suffit de mentionner les difficultés de Gide à créer ce personnage ) 

Pas Saint-Simon : Gide réfute cette hypothèse (passez assez vite sur ce point peu d’intérêt d’encombrer votre mémoire )

Tout d’abord, notons que dans deux lettres présentées en appendice du Journal des Faux-Monnayeurs, André Gide rejette une source possible du personnage de La Pérouse : le modèle qu’aurait été Monsieur le Prince, tel qu’il est décrit par Saint-Simon dans ses Mémoires. (un premier modèle littéraire En effet, une lectrice, Suzanne-Paul Hertz, écrit à Gide dans ces termes : “L’analogie frappante qui existe entre le mal dont est atteint La Pérouse dans les dernières années de sa vie, et celui dont souffrait Saint-Simon dans ses Mémoires, prouve que Saint-Simon vous a fourni la matière du chapitre III de la troisième partie de votre livre Les Faux-Monnayeurs” (JFM p. 109)Gide reproduit également la réponse qu’il donne à cette lettre, en niant l’influence de Saint-Simon sur la construction du personnage de La Pérouse, et en affirmant que ce personnage a été forgé sur le modèle de son professeur de piano : “Le cas de Monsieur le Prince offre en effet une saisissante analogie avec celui de mon vieux La Pérouse, mais c’est la réalité qui m’en avait fourni le modèle. La Pérouse a été inspiré, et jusque dans son suicide manqué, par un vieux professeur de piano, dont je parle longuement dans Si le grain ne meurt (…)” (JFM pp. 111 – 112)

L’image de Marc de Lanux, le professeur de piano (à citer , modèle plus intéressant) 

Ce “vieux professeur de piano, dont [Gide] parle longuement dans Si le grain ne meurt” (JFM, p. 112), c’est Marc de Lanux. Plusieurs traits de La Pérouse sont inspirés directement de l’ancien professeur de piano de Gide : le “suicide manqué” du personnage, qui ne trouve pas le courage d’appuyer sur la gâchette ; mais aussi son trouble, lorsqu’il vit à la pension Vedel, et qu’il croit entendre un bruit dans le mur.Un autre épisode semble être en partie inspiré par l’histoire de Marc de Lanux : il s’agit de l’épisode des lettres brûlées par Madame de La Pérouse. En effet, La Pérouse se relève la nuit pour lire les lettres de feu son frère, et Madame de La Pérouse, exaspérée, décide un jour de brûler cette correspondance : “Savez-vous ce qu’elle a fait, avant de partir ? Elle a forcé mon tiroir et brûlé toutes les lettres de feu mon frère. Elle a toujours été jalouse de mon frère ; surtout depuis qu’il est mort. Elle me faisait des scènes quand elle me surprenait, la nuit, en train de relire ses lettres (…) On l’aurait dite pleine d’attentions ; mais je la connais : c’était de la jalousie. Elle n’a pas voulu me laisser seul avec lui.” (p. 245)Cet épisode est inspiré de deux événements :Une expérience de Marc de Lanux : dans son Journal, Gide raconte que son professeur de piano aimait relire la correspondance qu’il entretenait avec son frère ; un jour, en trouvant les lettres en désordre, il se rendit compte que sa femme avait lu la correspondance, et il résolut de la brûler.Une expérience de Gide lui-même : au retour d’un voyage en Angleterre avec son amant Marc Allégret, Gide réalisa que son épouse, Madeleine, jalouse, avait brûlé toute leur correspondance ; il vécut cette révélation comme un drame.Le personnage de La Pérouse s’inspire donc du professeur de piano d’André Gide... Mais aussi d’André Gide lui-même ! En fait l’écrivain s’est servi d’anecdotes personnelles et a fondu en un personnages à la  fois des éléments de sa biographie et des souvenirs ” Il a l’impression que c’est un portrait raté peut être parce que ce portrait reste trop marqué justement par les souvenirs mais pour le lecteur qui ignore les détails de le vie de l’écrivain, cet effet n’est pas du tout le même ; On pouvait donc construire une partie de la dissertation sur l’existence de ses ouvenirs personnels (le point de vue de Gide ) et ensuite le point de vue du lecteur 

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La Pérouse, héritier de Gide ? (les ressemblances entre le personnage et l’écrivain sont intéressantes à citer  mais on pourrait presque faire ce travail sur n’importe lequel des personnages du roman  en partant du principe simple qu’un auteur met toujours un peu de lui dans ses personnages ; Cette enquête a donc un intérêt limité ) 

En effet, le personnage de La Pérouse pourrait s’inspirer, au moins en partie, de l’auteur lui-même.Tout d’abord, rappelons l’épisode des lettres brûlées, qui, nous l’avons vu, est inspiré autant de Marc de Lanux que de Gide lui-même.De plus, comme le note Pierre Masson dans Lire les Faux-Monnayeurs, “La Pérouse (…) rêve que la vie soit “un accord parfait continu”, un peu comme Gide qui, dépossédé de ses lettres, s’écriait : “Mon oeuvre ne sera plus jamais que comme une symphonie où manque l’accord le plus tendre”” (Masson, P. ; Lire les Faux-Monnayeurs, p. 19) : ainsi, chez Gide comme chez La Pérouse, on retrouve non seulement l’intérêt pour la musique, mais aussi l’adéquation entre le thème de la musique et celui de la vie.Enfin, comme le rappelle encore Pierre Masson, le mysticisme de La Pérouse à la fin du roman “pourrait rappeler celui que Gide ressentit pendant la guerre.” ; On pourrait retirer cette partie : les ressemblances enter Gide et Lapérouse. 

La difficulté de créer un personnage nouveau= un leitmotiv dans le Journal 

Malgré les modèles du personnage de La Pérouse, Gide a également taché de créer un personnage indépendant ; en témoigne ce passage du JFM où il explique devoir réécrire le portrait de La Pérouse, pour le séparer davantage de ses modèles : “Si j’ai raté le portrait du vieux Lapérouse (sic), ce fut pour l’avoir trop rapproché de la réalité ; je n’ai pas su, pas pu perdre de vue mon modèle. Le récit de cette première visite est à reprendre. Lapérouse ne vivra et je ne le verrai que quand il aura complètement pris la place de l’autre. Rien encore ne m’a donné tant de mal. Le difficile c’est d’inventer, là où le souvenir vous retient.” (JFM pp. 75 – 76) (ce travail finit donc sur la citation alors que votre dissertation prenait justement appui sur cette dernière ) 

La Pérouse second volet: ils abordent dans cette seconde fiche les échecs du personnage et ses liens avec les thème principaux du roman ...

La critique de la famille d’André Gide

Le thème de l’échec du modèle familial est très présent dans l’œuvre d’André Gide. Ainsi, il écrivait dans les Nourritures terrestres (1897) : “Familles ! Je vous hais ! Foyers clos ; portes refermées ; possessions jalouses du bonheur.” Cette thématique est aussi présente dans les Faux-Monnayeurs : ainsi, Edouard envisage d’intituler l’un des chapitres de son roman “Le régime cellulaire”, et se propose pour épigraphe : “La famille… cette cellule sociale” de Paul Bourget.Pour Gide, la famille est un endroit clos, dans lequel le bonheur ne peut s’accomplir. Ceci s’illustre chez nombre de personnages du roman, mais particulièrement, peut-être, dans le personnage de La Pérouse, qui échoue en tant que mari, en tant que père, et en tant que grand-père.

La Pérouse : l’échec d’un mari

Le couple La Pérouse

La Pérouse dit avoir aimé sa femme, dans les premiers temps de leur mariage : “Les premiers temps de notre ménage avaient été charmants. J’étais très pur quand j’avais épousé madame de La Pérouse. Je l’aimais avec innocence… oui, c’est le meilleur mot, et je ne consentais à lui reconnaître aucun défaut. Mais nos idées n’étaient pas les mêmes sur l’éducation des enfants.” (p. 123)C’est donc l’éducation de leur fils qui sépara les époux La Pérouse. Il est fait par La Pérouse un portrait très dur de son épouse : “Elle devient complètement folle. Elle ne sait plus quoi inventer” (p. 122). Le vieil homme fait à Edouard le récit de leurs disputes : Madame de La Pérouse espionnerait Monsieur de La Pérouse, lui reprochant de manger de nuit, tandis qu’il lui reproche de trop manger ; elle aurait partagé les meubles de l’appartement ; elle ouvre toujours les fenêtres en prétendant étouffer… et elle finira par brûler les lettres du défunt frère de La Pérouse. La rupture du couple est consommée dans la troisième partie du roman : Madame de La Pérouse part en maison de retraite, tout en pensant que son mari l’a faite enfermer dans un asile d’aliénés. Le portrait de Madame de La Pérouse est donc extrêmement péjoratif, d’autant qu’Edouard commente également : “Ses traits m’ont paru plus durs, son regard plus aigre, son sourire plus faux que jamais” (p. 156) (on note ici qu’Edouard prend le parti de son professeur de piano mise lecteur peut s’interroger sur son objectivité car la scène est toujours vue à travers son Journal ) 

La critique du modèle conjugal

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L’échec du couple participe à la critique du modèle conjugal, comme le commente Edouard : “Il reste que voici deux êtres, attachés l’un à l’autre pour la vie, et qui se font abominablement souffrir. J’ai souvent, remarqué chez des conjoints, quelle intolérable irritation entretient chez l’un la plus petite protubérance du caractère de l’autre, parce que la “vie commune” fait frotter celle-ci toujours au même endroit. Et si le frottement est réciproque, la vie conjugale n’est plus qu’un enfer” (FM, p. 157)Cette critique participe bien sûr du thème de la décristallisation de l’amour, présent dans le Journal des Faux-Monnayeurs : “Si la “cristallisation” dont parle Stendhal est subite, c’est le lent travail contraire de décristallisation, le pathétique ; à étudier. Quand le temps, l’âge, dérobe à l’amour, un à un, tous ses points d’appui (…)” (JFM, p. 35)

La Pérouse : l’échec d’un père

La Pérouse a échoué en tant que père. Son fils est absent du roman : il est déjà mort quand on parle de lui, un mystère semble entourer son existence, son prénom n’est pas mentionné, Edouard lui-même ignorait que son vieux professeur de piano ait eu un fils : “Je fis un geste d’étonnement, car je croyais le ménage La Pérouse sans enfants. Il releva son front, qu’il avait gardé dans ses mains, et, sur un ton plus calme : “Je ne vous ai jamais parlé de mon fils ? … Ecoutez, je veux tout vous dire. Il faut aujourd’hui que vous sachiez tout. Ce que je vais vous raconter, je ne puis le dire à personne…” (FM, p. 123)Le fils de La Pérouse aurait conspiré contre lui, avec son épouse : “C’est maintenant seulement que je comprends que toute ma vie j’ai été dupe. Madame de La Pérouse m’a roulé ; mon fils m’a roulé ; tout le monde m’a roulé (…)” (p. 120) ; “Ils se concertaient contre moi. Elle lui apprenait à mentir…” (p. 123).Le fils de La Pérouse a entretenu une liaison avec l’une des élèves du professeur, une jeune Russe ; et le couple illégitime est parti en Pologne et a vécu avec elle plusieurs années, avant de mourir. 

La Pérouse : l’échec d’un grand-père

L’absence de Boris

La Pérouse est aussi un grand-père : de l’union entre son fils et son élève est né le jeune Boris, alors âgé de treize ans. Dans la première partie du roman, le vieil homme ne connaît pas son petit-fils, et il en souffre : “Ses yeux s’étaient de nouveau remplis de larmes ; il tendait la main vers la photographie, comme désireux de la reprendre vite” (p. 124)Aussi à la fin de la première partie du roman Edouard promet-il à La Pérouse de lui amener son petit-fils, dont il avait appris le lieu de résidence : à Saas-Fée, en Suisse.

Une rencontre stérile :  mais une fausse piste réussie 

Cependant, la rencontre entre le vieil homme et Boris se passe mal, ce qui est d’autant plus tragique que le vieil homme a attendu de nombreuses années ces retrouvailles, et a même reculé la date de son suicide, afin de pouvoir rencontrer l’enfant.Ainsi, Edouard a laissé seul le petit Boris avec son grand-père pendant une heure, pour leur première rencontre : “Sophroniska a trouvé le vieux assis devant une paire de dames ; l’enfant, dans un coin, à l’autre bout de la pièce, boudait. “C’est curieux, a dit La Pérouse tout déconfit ; il avait l’air de s’amuser ; mais il en a eu assez tout à coup. Je crains qu’il ne manque un peu de patience…” C’était une erreur de les laisser seuls trop longtemps.” (p. 222) La distance entre Boris et La Pérouse ne cesse de croître, même lorsqu’ils habitent sous le même toit, puisque La Pérouse surveille l’étude de la pension Azaïs, où Boris étudie : “(…) Vous savez, il ne me parle pas beaucoup. Il est très renfermé… Je crains que cet enfant n’ait le cœur un peu sec” (p. 345). La Pérouse raconte encore comment son petit-fils ne se retourne pas pour lui dire au revoir, quand il part au lycée.L’échec de cette rencontre est d’autant plus tragique que La Pérouse semble n’être retenu à la vie que par Boris : ainsi, au chapitre III de la partie III, il prétend ne plus vivre, avoir voulu se suicider le jour de sa rencontre avec Boris, et seule cette évocation lui rend le sourire : “”Depuis mercredi soir, Monsieur de La Pérouse a cessé de vivre” (…) “N’est-ce pas précisément mercredi que le petit Boris est venu vous voir ?” Il tourna la tête vers moi ; un sourire, comme l’ombre de celui d’autrefois, au nom de Boris, éclaira ses traits (…)” (p. 241).

La mort de Boris

La mort du petit Boris est, en quelque sorte, le point d’orgue de l’échelle des valeurs familiales, incarnées dans le personnage de La Pérouse.

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Les circonstances de la mort de Boris : une responsabilité de La Pérouse ?

Tout d’abord, rappelons les circonstances de la mort du petit Boris : celui-ci se donne la mort, en pleine étude, poussé par ses camarades de la “confrérie des hommes forts.”Si La Pérouse n’est pas directement responsable de cette mort tragique, mi-suicide, mi-meurtre, les circonstances accentuent une impression de culpabilité :Tout d’abord, La Pérouse surveillait l’étude lors de la mort de son petit-fils, et lui adressa les dernières paroles qu’il entendit : “La Pérouse se pencha. Et d’abord il ne comprit pas ce que faisait son petit-fils, encore que l’étrange solennité de ses gestes fût de nature à l’inquiéter. De sa voix la plus forte, et qu’il tâchait de faire autoritaire, il commença : “Monsieur Boris, je vous prie de retourner immédiatement à votre…” (p. 374)De plus, Boris met fin à ses jours avec son pistolet, le pistolet qu’il réservait à son propre suicide : “Mais soudain il reconnut le pistolet ; Boris venait de le porter à sa tempe.” (p. 374)La Pérouse demeure immobile : “La Pérouse comprit et sentit aussitôt un grand froid, comme si le sang se figeait dans ses veines. Il voulut se lever, courir à Boris, le retenir, crier… Une sorte de râle rauque sortit de ses lèvres ; il resta figé, paralytique, secoué d’un grand tremblement” (p. 374)Enfin, rappelons que l’échec des relations entre La Pérouse et son petit-fils est également une des raisons du drame : si la communication avait été possible, peut-être le grand-père aurait-il réalisé les circonstances dans lesquelles Boris se trouvait (désespoir après la mort de Bronja, influence néfaste des camarades de classe).

L’ironie tragique de la mort de Boris

La mort de Boris pourrait relever de l’ironie tragique, c’est-à-dire qu’elle aurait pu être précipitée par La Pérouse… alors même que ses intentions étaient absolument contraires !La Pérouse voulait une véritable relation familiale avec Boris, mais l’échec de leur rencontre a renforcé la solitude et la vulnérabilité de Boris…… et surtout, La Pérouse a été incapable de mettre fin à ses jours alors qu’il le désirait (“Et je n’ai pas tiré. Je n’ai pas pu… Au dernier moment, c’est honteux à dire… je n’ai pas eu le courage de tirer” p. 243), et c’est finalement son petit-fils qui meurt, par l’arme qui devait être l’instrument de la mort de La Pérouse, alors même qu’il voulait préserver sa vie.(on peut y voir une réussite du diable et également de l’écrivain avec cette ironie tragique ) 

La Pérouse, anéanti par la mort de Boris

La mort de Boris sacre l’échec des valeurs familiales pour La Pérouse : il est anéanti par la mort de son petit-fils, non pas anéanti de douleur, mais bien anéanti en tant qu’homme.Ainsi, lorsqu’Edouard lui rend visite, La Pérouse ne lui parle pas du suicide de son petit-fils, alors même qu’il s’est produit sous ses yeux : il évoque la fin du bruit qu’il entendait dans le mur, et la lutte entre le divin et le démon.La Pérouse, personnage qui se définit régulièrement par ses relations familiales, est réduit à néant par leur échec. Le roman se clôture sur l’image du vieil homme détruit, soulignant ainsi son importance dans le roman.

Le personnage de La Pérouse représente donc l’échec des valeurs familiales traditionnelles : il s’agit donc bien volontairement de faire le portrait d’un homme quia raté sa vie familiale notamment et qui s’est montré incapable de nouer ou de conserver des relations avec son fils et son petit-fils ; l’échec de sa relation avec Boris redouble l’échec qu’il a essuyé avec son fils. La tentative de réparation avec la génération suivante  se solde à nouveau par un cuisant échec. De plus l’élement féminin dans le roman apparaît ici de manière presque caricaturale comme un facteur de séparation entre les hommes de la famille . Madeleine, la femme de Gide lui a fait plusieurs scènes terribles quand il l’a quittée pour vivre avec Marc Allégret. 

La troisième partie de cette étude aborde la dimension symbolique du personnage . 

La Pérouse, seul protagoniste d’homme âgé des Faux-Monnayeurs de Gide, est l’incarnation, dans le roman, de la vieillesse.

Le portrait de la vieillesse 

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La Pérouse est le seul personnage de vieillard du roman : il est caractérisé par son âge, et ce dès la première description dont il fait l’objet, dans le récit du mariage de Laura, où il joue de l’orgue : “Le vieux La Pérouse à l’harmonium ; son visage vieilli, plus beau, plus noble que jamais, mais son œil sans plus cette flamme admirable qui me communiquait sa ferveur, du temps de ses leçons de piano” (FM, p.101). La vieillesse de La Pérouse est rattachée à la noblesse, mais aussi à la perte de l’élan, du personnage. Dans son Journal, Gide caractérise également toujours La Pérouse par son âge : il l’appelle ainsi le “vieux Lapérouse” (JFM, p. 75), ou encore, plus affectueusement, “mon vieux” (JFM, p. 111). Enfin, la vieillesse de La Pérouse est soulignée par la citation mise en exergue au début du chapitre XIII de la première partie : “On tire peu de service des vieillards” (Vauvenargues, FM p. 118) ; une citation qui rappelle l’inutilité des vieillards dans la société ; ce que rappelle La Pérouse lui-même.Le personnage de La Pérouse souligne l’originalité qu’est la présence d’un personnage de vieux dans un roman, et explique cela par le désintérêt des jeunes, et donc des écrivains, envers la vieillesse : “Pourquoi est-il si rarement question des vieillards dans les livres ?… Cela vient, je crois, de ce que les vieux ne sont plus capables d’en écrire et que, lorsqu’on est jeune, on ne s’occupe pas d’eux. Un vieillard ça n’intéresse plus personne…” (FM, p. 120) En outre, La Pérouse met en scène cette vieillesse, en s’illustrant comme quelqu’un de véritablement conformiste : il raconte ainsi à Edouard avoir été scandalisé par l’immoralité d’une pièce de Victor Hugo à laquelle il a assisté, Hernani, une pièce qui avait été jugée immorale et choquante lors de sa première représentation en…1838. Ce personnage incarne donc également  un monde révolu et des valeurs désuètes qui appartiennent aux générations précédentes ; on peut souligner son originalité dans la mesure où les romans ne donnent généralement que très peu de place au vieillards ; Sur ce point on pourrait parler de réussite ; Gide a réussi à se montrer original en faisant  le choix de ce portrait de vieillard.

La déchéance physique Cette déchéance physique est marquée dès la première visite d’Edouard à son ancien professeur : la tenue de La Pérouse est très négligée : “Il était en bras de chemise et portait sur la tête une sorte de bonnet blanc jaunâtre, où j’ai fini par reconnaître un vieux bas (de madame de La Pérouse sans doute) dont le pied noué ballottait comme le gland d’une toque contre sa joue” (FM, p. 118). Cette déchéance se ressent, plus généralement, dans l’attitude du vieillard : il “trott[e] à petits pas” (p. 119).

La déchéance sociale Cette déchéance physique est à liée à une déchéance sociale : plus personne ne vient voir les époux La Pérouse. Ainsi, voici l’échange qu’il a avec Edouard, lorsque celui-ci le croise au mariage de Laura : “Il m’a dit un peu tristement, mais sur un ton où n’entrait nul reproche : “Vous m’oubliez un peu, je crois.” Prétexté ne sait quelles occupations pour m’excuser d’être resté si longtemps sans le voir ; promis pour après-demain ma visite” (FM, p. 103)Edouard se rend compte de la solitude du couple La Pérouse : “C’est madame de La Pérouse qui est venue m’ouvrir. Il y avait plus de deux ans que je ne l’avais revue ; elle m’a pourtant aussitôt reconnu. (Je ne pense pas qu’ils reçoivent beaucoup de visites)” (FM, p. 156).

La déchéance professionnelleLa Pérouse n’a plus besoin de s’habiller ou de bien se tenir, car il n’a plus d’occupation professionnelle. Le professeur de piano a perdu ses élèves, ses méthodes d’enseignement sont démodées : “C’est comme pour les leçons que je donne : les élèves trouvent que mon enseignement les retarde ; elles veulent aller plus vite que moi. Elles me lâchent… (…)” Il ajouta à voix si basse que je l’entendis à peine : “Je n’en ai presque plus…”” (FM, p. 119) Cette déchance professionnelle amène La Pérouse à reconsidérer son utilité dans la société, et par conséquent à envisager le suicide : “Je sais qu’il sera temps bientôt. Je commence à gagner moins que je ne coûte ; et cela m’est insupportable. Il est un certain point que je me suis promis de ne pas dépasser” (FM p. 121)Effectivement, La Pérouse apparaît comme un homme profondément désespéré, voire dépressif – une situation à relier à sa vieillesse.

Un homme dépressif

La tristesse

Dans les Faux-Monnayeurs, La Pérouse est d’emblée qualifié de triste : “j’ai senti, dans le sourire qu’il m’adressait, tant de tristesse (…)” (p. 101), “il m’a dit un peu tristement (…)” (p. 103). La Pérouse est effectivement un homme profondément malheureux : lorsqu’Edouard lui rend finalement visite, il ne peut que constater son profond désespoir : “Le soir tombait. Je ne distinguais déjà presque plus les traits de mon vieux maître ; mais soudain a jailli la lueur du réverbère voisin, qui m’a montré sa joue luisante de larmes” (FM, p. 120).Cette tristesse est à rapprocher de la grande solitude de La Pérouse : il ne s’entend plus avec sa femme, il a perdu son fils, il n’a jamais connu son petit-fils Boris, dont on lui a longtemps caché l’existence… Après les retrouvailles avec Boris, la tristesse du vieil homme naîtra de leur impossibilité à s’entendre.

La méfiance envers les autres

Si La Pérouse est un homme seul, cette solitude est encore accentuée par la méfiance qu’il entretient envers les autres : ainsi, il est persuadé d’une conspiration générale envers lui. “C’est seulement maintenant que je comprends que toute ma vie j’ai été dupe. Madame de La Pérouse m’a roulé ; mon fils m’a roulé ; tout le monde m’a roulé ; le Bon Dieu m’a roulé…” (FM, p. 120). Il sombre alors dans une paranoïa qui es rapproche de la folie et qui motivera les hallucinations auditives dans la pension. 

Un comportement caricatural

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La Pérouse met en scène son mal-être avec un comportement pour le moins caricatural, qui s’illustre à plusieurs reprises dans le roman. Ainsi, lorsqu’Edouard lui rend visite après lui avoir amené le petit Boris, La Pérouse s’obstine à parler de lui-même à la troisième personne, comme s’il était quelqu’un d’autre, et en prétendant être mort – à tel point qu’Edouard doit “entrer dans son jeu”, comme s’il était un enfant, pour communiquer avec lui : “”Monsieur de La Pérouse n’a pas de fièvre. Il n’a plus rien. Depuis mercredi soir, Monsieur de La Pérouse a cessé de vivre.” J’hésitais si le mieux n’était pas d’entrer dans son jeu” (p. 241).Cette mise en scène caricaturale de son mal-être ne fait que s’accentuer dans la troisième partie du roman : par exemple, lorsqu’Edouard lui rend visite au chapitre XV, il montre son mal-être physique en assurant aller très bien :“Il s’est replié sur un des bancs, tout de biais, après de vains efforts pour introduire sous le pupitre ses jambes trop longues. “Non, non. Je suis très bien, je vous assure.” Et le ton de sa voix, l’expression de son visage, disaient : “Je suis affreusement mal et j’espère que cela saute aux yeux ; mais il me plaît d’être ainsi ; et plus je serai mal, moins vous entendrez ma plainte.”” (p. 343 ) Il continue à se comporter ainsi avec Edouard : “J’ai taché de plaisanter, mais n’ai pu l’amener à sourire. Il affectait une manière cérémonieuse et comme gourmée, propre à maintenir entre nous de la distance (…)” (p. 343). Ce comportement caricatural ne cessera de s’accentuer jusqu’à la crise mystique de La Pérouse, dans le dernier chapitre du roman.Gide a réussi à construire la dégradation du personnage pour aboutir à cette crise mystique essentielle dans le roman . 

Le désir de la mort : un thème essentiel 

En outre, le mal être profond du personnage s’illustre également dans son désir de mettre fin à ses jours.

La volonté de se suicider

Le thème du suicide parcourt les Faux-Monnayeurs, mais c’est La Pérouse qui l’introduit. Ce désir de mort est la conséquence du sentiment dépressif du personnage.Ainsi, dès qu’Edouard lui rend visite pour la première fois dans les FM, La Pérouse évoque son suicide prochain, en s’interrogeant également sur sa moralité : “Est-ce que vous trouvez, vous aussi, que c’est mal ? Je n’ai jamais pu comprendre pourquoi la religion nous interdisait cela” (FM p. 121).Dans la troisième partie du roman, La Pérouse raconte à Edouard ne pas avoir eu le courage de se suicider, alors même qu’il avait arrêté la date de sa mort ; suite à cela, Edouard demande à ce qu’il lui remette ses pistolets, mais La Pérouse s’y refuse, prétextant le souvenir de son frère : “Vous n’avez plus de crainte à avoir. Ce que je n’ai pas fait ce jour-là, je sais que je ne pourrai jamais le faire. Mais ils sont le seul souvenir qu’il me reste à présent de mon frère, et j’ai besoin qu’ils me rappellent également que je ne suis qu’un jouet entre les mains de Dieu” (FM p. 246) Ces paroles rappellent l’ironie tragique du dénouement du roman, puisque c’est finalement Boris, le petit-fils bien-aimé de La Pérouse, qui mettra fin à ses jours devant son grand-père, avec ces mêmes pistolets. Des trois personnages ayant un lien avec le suicide dans le roman, La Pérouse est le seul qui ne met pas en acte ses pensées suicidaires – Olivier fait une tentative de suicide ratée, Boris meurt d’un suicide qui est aussi un meurtre – et pourtant, c’est bien lui le plus malheureux.

L’étrange maladie

Dans le Journal des Faux-Monnayeurs, André Gide rapproche la tentative de suicide de La Pérouse du mal dont il souffre à la fin du roman – en rappelant que les deux éléments, qui rappellent la déchéance du vieil homme, viennent du personnage de Marc de Lanux. En effet, La Pérouse entend un bruit dans le mur, près de son lit, qui reste inaudible à Edouard : “On dirait un grignotement. J’ai tout essayé pour ne plus l’entendre” (FM, p. 345)Ce n’est qu’après la mort du petit Boris que La Pérouse cessera d’entendre ce bruit.

La Pérouse incarne, également  dans le roman, le thème de la vieillesse ; vieil homme triste et solitaire, il sombre dans la dépression tout au long du roman. Pourtant, si la tristesse montrée par La Pérouse touche parfois à la caricature, le vieux professeur de piano n’accomplira pas son désir de suicide : c’est Boris, la seule lumière dans la vie du vieil homme, qui, ironiquement, se suicidera sous ses yeux. André Gide clôt le roman les Faux-Monnayeurs sur une description de La Pérouse, qui semble avoir perdu tout sens de la réalité, puisqu’il n’évoque même pas la mort terrible de Boris, et qu’il paraît être en proie à un délire mystique. La déchéance du vieil homme s’est donc poursuivie tout au long du roman. Le portrait ne semble pas du tout raté pour le lecteur; Au contraire, il a pu entrevoir à travers le personnage les thèmes essentiels du roman et un certain nombre de réflexions philosophique sur la relation de l’homme avec sa mort et les conséquences du très grand âge, la décristallisation amoureuse , la difficulté des relations familiales ; C’est un portrait particulièrement réussi pour le lecteur car il concentre véritablement la plupart des thèmes du roman qu’il montre à leur paroxysme.   Le vieux Lapérouse illustre à la fois L’homme face à sa famille, l’homme face à l’amour et l’homme face à Dieu là où justement la plupart des personages gidiens n’incarnent qu’un de ces trois aspects;, en 6 apparitions et  à lui seul, il réunit les trois dimensions . 

Voilà un plan détaillé possible 
 I Le personnage La Pérouse peut sembler à Gide un portrait raté ...car (recherche des causes ..) 

1, Il n’ apas totalement réussi à s’affranchir des modèles 

s’est inspiré de son prof de piano et de certains de se souvenirs (citer ce que vosu pouvez )  : n’a pas réussi à se détacher, à innover suffisamment 

2. il n’a pas réussi à créer un personnage indépendant : n’est qu’un liant avec Edouard 

Les rencontres ne sont vues que par Edouard , dans son Journal et le personnage n’a pas d’existence autonome ; il est juste imbriqué dans une narration qui  ne relate que des bribes éparses de son existence ( narration de la visite d’Edouard , crise mystique ) ; il ne laisse pas vraiment de souvenir marquant pour certains lecteurs qui le détestent 

3. Il n’a pas réussi à créer un personnage auquel on s’attache (discutable ) 

personnage agaçant, pathétique mais dépressif et geignard : mésentente conjugale sordide, a des côtés d’enfant capricieux ; la dimension pathétique est parfois concurrencée par une forme de comportement caricatural qui laisse peu de place à l’émotion 

 II En fait c’est vraiment le portrait total  d’un immense ratage , un véritable naufrage voulu par Gide pour les besoins de sa démonstration 

1. Une vie entièrement marquée par les échecs ; 

(citer tous les échecs )  

le domaine professionnel, (n’a plus d’élèves et ensuite en sera pas respecté mais moquée il  est devenu manifestement impropre à ce qu’on attendait de lui (phrase très dure à la fin du roman quand les parents retirent leurs élèves de la pension ) 

  le domaine familial : mari aigri, couple qui traduit la décristallisation , père et grand-père qui échoue à nouer le lien 

2. un homme dégradé par sa vieillesse 

Gide a surtout réussi le portrait d’un homme rongé par la vieillesse : c’est une longue dégradation pour le personnage et une réflexion sur la place des vieux dans la société; un portrait original car rare dans les romans (citation de Vauvenargues) 

3. un homme tenté par le désir d’en finir 

il rate son suicide (encore un échec peut être mai peut- être pas ) car cela peut aussi  être le signe que la vie le retient pourtant en dépit de ses malheurs ; Gide très préoccupé par cette question qui es reflète dans le roman .

III Et c’est pour cela que c’est une véritable réussite d’avoir concentré autant de choses importantes dans un seul personnage mineur 

1. Lapérouse est un concentré des thèmes essentiels du roman : 

on le voit peu mais il véhicule des idées essentielles au yeux de l’auteur notamment l’ironie du sort avec la scène du suicide de Boris sous ses yeux : il réunit à leur paroxysme des interrogations sur la famille et la difficulté des relations intergénérationnelles; le thème du batârd est également convoqué avec les circonstances de la naissance de Boris  

2. C’est un instrument déterminant pour la construction du récit : 

la visite d’Edouard génère le départ à Saas-fée  et le changement de cadre, l’arrivée de nouveaux personnages et le retour à Paris avec le passage obligé par la pension Vedel qui devient alors centrale dans l’intrigue   : il éclaire le personnage d”Edouard d’un jour nouveau et sera l’instrument du destin ; son rôle dans l'architecture narrative est primordial ; 

<p>3; c’est le personnage de clôture qui rappelle le rôle  central du démon 

la crise mystique qui marque le dénouement nous rappelle que l’auteur l’a choisi lui  pour le final : il  a donc le mot de la fin alors que Bernard et même Edouard passent au second plan ; il considère que son petit-fils a été plus courageux que lui ..il est devenu manifestement impropre à ce qu’on attendait de lui mais il sourit quand Edouard vient le retrouver à la pension après la mort de Boris (Edouard s’attendait à des larmes ) ; là encore Gide a réussi à éviter l’évolution prévisible du personnage (thème de la fausse piste ) ; Lapérouse semble apaisé dans le silence : il s’exprime comme un musicien “Nous n’avons pas d’oreilles pour écouter la voix de Dieu ..le diable et le bon Dieu ne font qu’un ..il s’amuse avec nous comme un chat avec la souris qu’il tourmente.La cruauté voilà le premier des attributs de Dieu .. Edouard y voit “une indirecte expression de sa douleur, trop étonnante pour pouvoir être contemplée fixement ” Cette dernière phrase à elle seule atteste de l’importance du personnage 

 

 

 

 

 

25. novembre 2017 · Commentaires fermés sur La notion de héros pour Gide dans Les Faux-Monnayeurs · Catégories: Divers · Tags: ,
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Pour interroger la notion de héros, encore faut-il la définir et définir ses variations . L’un des moyens les plus simples consiste à revenir sur l’histoire littéraire et notamment sur l’histoire de l’évolution des personnages de roman; Alors qu’au Moyen-Age le héros épique se définit par son courage et sa capacité à surmonter les obstacles , dès l’âge classique, la notion d’héroïsme est inséparable de la possession de valeurs morales comme l’honnêteté et l’esprit . Les Philosophes des Lumières définissent le héros comme un homme qui cherche à s’élever dans la société par différents moyens ; Cet idéal se poursuit au siècle suivant: Le courant réaliste multiplie les modèles de héros qui désormais pourront provenir de toutes les couches sociales et ne se limitent plus à un type unique et uniforme; Il faudra attendre le début du siècle suivant pour voir apparaître la notion de anti-héros; Il désigne les personnages qui ne se démarquent plus par leurs actions hors du commun mais qui , au contraire,  se fondent dans la masse des anonymes .

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 Quelques idées et réflexions variées Le roman gidien représente un tournant dans l’évolution du genre ; Les personnages y sont multiples et peu caractérisés par leurs actions et il est bien difficile de déterminer leur héroïsme si l’on se base sur la définition historique du mot; On adoptera donc pour simplifier les analyses la distinction entre le premier sens d’héroïque qui tend à se confondre avec la valeur d’un personnage et le second sens de protagoniste plus ou moins central au sein d’une intrigue.

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Examiner la valeur du héros gidien revient en fait à sonder le statut du personnage. Il était possible de partir des différentes réflexions de Gide dans son Journal autour de la notion même de héros; Lafcadio pouvait représenter l’état initial de la pensée de l’écrivain autour de cette notion. Il considérait ce personnage comme le héros idéal : ” orphelin, fils unique, célibataire et sans enfant ” . Pourtant , ce personnage s’est dédoublé dans le roman et s’est en quelque sorte subdivisé en s’incarnant à la fois en Bernard, le bâtard révolté et en Edouard l’écrivain ; Cette segmentation de Lafcadio témoigne de la volonté de l’auteur de fragmenter et de déconstruire  l’image du héros initial ; cette idée nous conduit à réfléchir à un éparpillement de l’image du héros à travers une multiplicité de personnages : chacun d’eux contiendrait un micro- héros au sein d’une des intrigues secondaires . Cette tendance va de pair avec la fragmentation de la notion même de personnage et la disparition de la notion de héros dans le Nouveau-Roman . Ainsi cet éparpillement nous conduirait à voir de l’héroïsme dans l’attitude de Boris, dans le sacrifice de Rachel et pourquoi pas dans la mort de Bronja, figure de martyre et victime innocente dans le roman; Cependant ces personnages ne sont que des comparse et jouent des rôles restreints dans la trame événementielle : de là à penser que les véritables héros sont souvent des perdants et que le monde moderne condamné l’héroïsme d’autrefois; Pour tenir une place de haut rang, désormais, il faut être cynique comme Robert de Passavant que tout le monde admire alors que c’est le diable incarné, manipulatrice comme lilial Griffith dont la victoire sera de courte durée et que le romancier finit par condamner, victime du démon qui s’est emparé de l’âme du Vincent dès le début du roman; D’ailleurs, dans son Journal, Gide reprend l’idée de donner au démon un rôle de premier plan, voir le premier rôle du récit; On pourrait donc d’une certaine manière dire que le véritable héros du livre, c’est l’esprit diabolique: celui qui pousse Bernard à voler, Vincent à trahir, Edouard à se taire et Olivier à faire les mauvais choix. 

Une possibilité d’organisation 

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 I Un roman où on retrouve des héros aux 3 premières places : 3 héros au lieu d’un ? 

<p style="text-align: justify;">1; Bernard le héros initial du roman d'apprentissage

 le récit débute avec lui, suit son parcours, montre ses épreuves , ses victoires et ses défaites 

2, Edouard le héros central , l’axe principal du roman

il est un lien avec toutes les intrigues et tous les personnages, une sorte de ciment de l’oeuvre, son Journal en fait un personnage à part 

3, Olivier : le héros idéal, une projection de l’auteur à travers la fiction 

il est tenu à distance mais finit toujours par revenir sur le devant de la scène, il est le lien enter Bernard et Edouard, c’est un coeur pur 

mais aucun ne correspond vraiment aux critères définis par soit l’histoire du roman soit Gide lui-même (Edouard agaçant, Olivier mou et faible, Bernard voleur et menteur) 

II En fait le roman est construit sur a volonté de ne pas placer de héros dans le roman : un roman sans aucun héros 

1. La règle des personnages de céder la place aux autres 

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gide63.jpg, nov. 2017

Gide tient à ce qu’aucun des personnages ne soit au premier plan et il organise leurs apparitions et leurs disparitions : une sorte d’équilibre nouveau du roman kaléidoscope de visions 

2. La construction par micro récits donc micro- héros de certaines séquences (La Pérouse, Armand, Madame Molinier ) 

chaque personnage devient le héros de certaines séquences , d’anecdotes qui tournent autour de lui et de ses aventures : Georges héros du récit de son vol, Armand un héros cynique qui cache un homme blessé…) 

3. le refus des règles du réalisme : pas de description et pas de connaissance complète des personnages : une sorte de héros collectif l’image du gang 

III En fait, des touches d’héroïsme éparpillées dans les différents personnages : l’individualisme cède la place à la déconstruction 

1. les victimes du monde “faux ” : les véritables héros au sens d’autrefois ?

2. des héros négatifs ou des anti-héros peu admirables : la part des noms au profit de l’anonymat des forces collectives (identités masquées et faux -semblants ) 

3. Le diable= le modèle d’organisation ; le seul qui finit toujours par triompher de tout .? 

CCL :  Un roman qui signe l’échec des modèles traditionnel des héros car le monde a changé et le roman se doit d’enregistrer les changements liés à la modernité et au triomphe des fausses valeurs . Dans un monde dévoyé où règne la fausse monnaie et les faux sentiments, les véritables héros disparaissent au profit d’esprits pervers ou diaboliques qui perdent leur humanité mais triomphent justement là où règne l’hypocrisie.  

 

15. novembre 2017 · Commentaires fermés sur Gide face à la critique · Catégories: Divers · Tags:
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fauxm7.jpg, nov. 2017

Lors de sa parution, le roman de Gide Les faux -Monnayeurs souleva des réactions diverses et fut d’ailleurs diversement apprécié par la critique littéraire; Que pouvait-on au juste reprocher à Gide ? Plusieurs aspects de la composition littéraire ont été abordés et ont fait l’objet d’avis circonstanciés.

Le plan moral peut tout d’abord être abordé : on se souvient qu’en 1857 Flaubert, romancier réaliste et Baudelaire, poète précurseur du symbolisme, furent tous deux victimes d’un procès retentissant où on leur reprochait, pour l’un de peindre avec complaisance une femme adultère Madame Bovary, qui conduit son mari à la mort  et pour l’autre, de composer des sonnets où il est questions d’amours scandaleusement sapphiques.  A t-on raison de juger de la qualité littéraire d’une oeuvre au nom de la morale qui y est exprimée par des personnages fictifs ? Baudelaire a du publier une version expurgée de son recueil Les Fleurs du Mal et Flaubert a gagné son procès contre Maitre Pinard : ce parfum de scandale au passage, lui a permis de vendre davantage de roman car les lecteurs étaient curieux de lire les amours interdites de cette femme de médecin de campagne. 

 

On n’a pas oublié non plus que Molière fut censuré et ses pièces interdites parce que des personnages tels que  Tartuffe ou Don Juan y tenaient des propos que l’on pourrait qualifier de diffamatoires envers la religion . En résumé, littérature et morale doivent-elles  être jugées sur un pied d’égalité ?

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Zola accusé

L’auteur de cette critique condamne donc , dans un premier temps, les atteintes à la morale avec une verve ironique : “on regrettera qu’Edouard, à qui la pure seule importe, en mette si peu dans ses moeurs ” ; Après avoir habilement présenté l’idéal gidien de roman pur :  “un roman qui voudrait “dépouiller le roman de tous les éléments qui n’appartient pas spécifiquement au roman” , le journaliste établit la confusion entre les moeurs d’un personnage fictif et celles de l’auteur dont il réprouve fortement l’homosexualité ; De plus, il conteste le bien- fondé de la tentative de Gide en objectant que la pureté du roman, selon lui, ne “paraît compromise ni par les dialogues, ni par les événements extérieurs, ni même par la description des personnages dont il se dispense, mais il a peut être tort;” Autrement dit, le journaliste déplore ici l’absence de description des personnages qui est justement un des traits majeurs de l’innovation de l’écriture romanesque gidienne. L’auteur associe cette absence de descriptions, de détails sur les personnages à un manque de concret; Le lecteur paraît frustré de ne pouvoir imaginer la “figure” des personnages et selon l’auteur de l’article, la précision des détails  n’st nullement réductrice pour l’imaginaire et ne bride pas l’imagination du lecteur  ; elle “laisse le champ libre à l’imagination ” ; En effet, on peut penser qu’à la différence des images qui fixent les traits des personnages, au cinéma,notamment quand nous allons voir une adaptation d’une oeuvre littéraire, les descriptions romanesques ne sont pas aussi contraignantes pour noter imaginaire; Simplement, Gide les juge inutiles car selon lui, elles alourdissent le propos du roman .

Le journaliste paraît néanmoins séduit par les objectifs de Gide de concevoir et “réaliser le roman à l’état pur ” Mais ce sont les moyens employés pour atteindre cet objectif qu’il conteste : il préconise l’emploi d’un certain réalisme qu’il définit par un “souci de vérité directe ”  : il semble en effet, reconnaissant à Gide d’avoir su exclure les  “interventions fantaisistes “, d’avoir introduit “un grand nombre de personnages ” et une “complexité de l’action” ou plutôt des actions ; Il souligne toutefois le risque de paraître embrouillé mais ce danger est en partie, évité, selon lui, par le fait que divers épisodes du roman tournent court . Il reproche également au personnage d’ Edouard-l’écrivain ,son goût pour la provocation gratuite et le considère à la fois comme un esprit chimérique et dévoyé ; toujours cette condamnation morale qui s’applique à un personnage fictif et qui vient rompre la barrière entre l’art et la réalité . 

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Marcel Proust 

Lorsqu’il critique directement l’homosexualité de certains personnages, il fait allusion à un autre écrivain , Marcel Proust avec lequel il établit une comparaison ; en effet, son personnage elle baron de Charlus s’affiche clairement comme un homosexuel honteux de son inversion (c’était le mot qui était employé à l’époque pour désigner ce qui paraissait à beaucoup comme une forme de corruption des moeurs sexuelles ) ; A noter que Marcel Proust obtint la récompense la plus prestigieuse pour un écrivain, le prix Goncourt pour le premier volet de son oeuvre magistrale: A la recherche du Temps perdu en 7 volumes . La valeur littéraire d’une oeuvre ne doit  donc pas se confondre avec sa capacité à respecter la morale dominante . Circonstance aggravante pour le critique: cette homosexualité  semble feutrée “point ici de crudité dans les termes” admet-il mais “cela devient insupportable surtout avec ce sérieux et cette fade sentimentalité”; On a presque l’impression qu’il reproche à Gide d’inclure des sentiments dans un amour “dévoyé” et c’est ce mélange qui irrite le critique . On peut également rappeler que les auteurs réalistes du siècle précédent furent également taxés d’immoralité et Zola , en premier lieu, fut taxé d’obscénité et d’outrage aux bonnes moeurs; On jugeait son langage et ses propos orduriers alors qu’il tentait justement de dépeindre la crudité de la misère ; Confondrait -on les moyens et les fins?

 

Le journaliste reproche également à Gide de faire un portrait sévère des adolescents , d’avoir glissé des injures dans la lettre de Bernard à son père adoptif , d’avoir construit un personnage “immoraliste ” avec Edouard et surtout d’avoir critiqué l’institution familiale qui est pour beaucoup l’un des piliers de la société ; En, effet, Gide dépeint la famille comme un “régime cellulaire ” ; et le journaliste souligne alors les risques encourus par les jeunes gen qui seraient tentés d’imiter le modèle proposé par Bernard: devenir des voleurs : s’évader certes mais avec “effraction “ .  Il déplore que Gide, avec son personnage de La Pérouse “vieillard à moitié gâteaux et plus ennuyeux encore “  se soit montré un peu léger en tentant d’évoquer le mystère de la rédemption ; Autrement dit, pour ce journaliste, il ne faut ni toucher à la morale bourgeoise , ni à l’institution familiale respectable et encore moins aux dogmes religieux ; Lorsque Gide tente de démontrer, dans son roman, en utilisant notamment le personnage d’Armand, les ravages qu’une éducation rigoriste et puritaine peut provoquer chez un individu, la plupart des critiques n’y voient que des atteintes à la religion là où il est question des bienfaits d’une éducation bienveillante et tolérante;

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Le tableau paraît donc fort sévère et pourtant le critique accorde à Gide le statut d’ écrivain majeur de son époque en dépit de  “quelques erreurs et de quelques négligences ” !! Il reconnaît avoir pris plaisir et un  intérêt soutenu  à lire ce gros roman et conclut sur l’absence de sujet véritable : il reprend alors une définition donnée par Edouard pour répondre à ceux qui l’interrogent sur la nature du sujet de son dernier  roman  :  “la lutte entre les faits proposés par la réalité ,et la réalité idéale ” ou entre la matière brute de la réalité et l’effort pour la styliser ; Pour le romancier, la tension créatrice repose sur l’écart entre “ce que la réailté lui offre,et ce qu lui, prétend en faire ” ou pour le formuler autrement: le véritable sujet du roman serait “la rivalité du monde réel et de la représentation que nous nous en faisons”  Au moins sur ce point, le journaliste a retenu le plus important et ne s’est pas fourvoyé dans des interprétations psychologisantes qui reposent sur la confusion entre auteur et personnage, réalité  des intentions et moyens mis en oeuvre par la  fiction  pour y parvenir. 

 

17. octobre 2017 · Commentaires fermés sur Les faux-Monnayeurs : le résumé du résumé · Catégories: Divers · Tags:
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Composé de 3 parties chacune située soit à Paris soit à Saas-Fée , la trame du roman gidien laisse au final peu de place au fil conducteur d’une intrigue ; on a plutôt l’impression de suivre différentes intrigues qui se mêlent tel un écheveau de fils ; Résumons les principales étapes du cadre événementiel et suivons ainsi les évolutions croisées des personnages qui, selon un principe cher à l’auteur, occupent le devant de la scène par intermittences. Soyez attentifs à leurs allées et venues et aux relations entre eux car l’intrigue est le meilleur moyen trouvé par l’auteur pour rassembler ses personnages, les faire se rencontrer, voire les confronter.

 

Le roman s’ouvre sur la découverte de la bâtardise de Bernard (1) qui quitte le domicile parental après avoir écrit une lettre insultante pour son père adoptif (2) ce dernier rentre du tribunal en compagnie du père d’Olivier et tous deux évoquent l’affaire des faux-monnayeurs dans laquelle sont impliqués Georges, le petit frère d’Olivier  et ses amis; Drame familial chez les Profitendoieu .(3) Nous suivons Bernard qui dort chez son ami Olivier  : dans la conversation surgissent Vincent et sa maîtresse (Laura ) et Edouard ; comme au théâtre les personnages sont d’abord décrits par d’autres avant de faire leur entrée ( 4) Il est déjà  question du rdv Edouard /Olivier à la gare Saint Lazare qui sera raconté au chapitre 9. Georges le petit frère d’Olivier asssite à la conversation des deux amis.

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Nous suivons alors Vincent chez Passavant et sommes informés de la liaison Vincent/ Laura et de la manière dont Vincent dépense l’argent qui devait servir à ses études : il s’encanaille au jeu pour pouvoir verser de l’argent à sa maîtresse enceinte et qui a quitté son mari.(5) Lilian et Robert évoquent Vincent et  cette dernière raconte les circonstances de sa rencontre avec Laura Douviers : Vincent devient son amant à la fin du chapitre et nous quittons l’appartement pour découvrir Bernard endormi qui se prépare à de grandes aventures (6) ;Au même moment, Vincent est lui aussi endormi   et Lilian fait le récit de sa vie et de son naufrage sur le Bourgogne  qui constitue une première digression dans le roman; Vincent doit choisir entre les 2 femmes (7) ; Edouard le même matin est  lui,assis  dans le train et  lit (8) d’abord le roman de Passavant; ensuite la lettre de Laura qui éclaire sous un nouveau jour son histoire avec Vincent et il prend ensuite son Journal , ébauche du roman qu’il compose ; les dates vont du 18 octobre au 28 octobre; Il y aborde le domaine des sentiments en affirmant qu’il n’y a pas de différence entre le réel et l’imaginaire et entreprend de décrire la décristallisation (c’est à dire la fin de l’amour ) ; Il note ses pensée dans un carnet; (9) La rencontre à la gare  entre l’oncle et le neveu se passe mal ; Bernard qui les a suivis récupère la valise d’Edouard à la consigne grâce au ticket et installé dans une chambre d’hôtel , lit le Journal d’Edouard (10) ; Au 01 novembre, Edouard décrit la rencontre avec un jeune voleur de livre, Georges le petit frère d’Olivier et le chantage que lui fait ce dernier (11) ; Bernard continue sa lecture et le journal en date des 02 et 05 novembre, décrit cette fois  le mariage de Laura, présente Armand, le frère cynique et désabusé de Laura et le cadre de la pension Azais/Vedel; Bernard, toujours lecteur non autorisé, apprend qu’Olivier a pris la main d’Edouard et ressent du dépit (12) ; (13) Le 8 novembre, Edouard relate sa première visite chez son vieux professeur M de La Pérouse qui lui parle de son petit fils Boris; Edouard décide alors de repartir pour Londres déçu par l’indifférence d’Olivier à son égard. (14) Bernard lit alors la lettre de Laura et découvre qu’elle est la maitresse de Vincent: il décide d’aller la retrouver pour l’aider ; Leur rencontre rocambolesque (épisode du tabouret cassé)  est marquée par l’arrivée d’Edouard qui les convie le lendemain à la même heure au même endroit; Bernard veut rejoindre Olivier qui est alors chez Passavant ; ce dernier lui fait des avances et lui propose un poste dans sa revue littéraire; Au moment où Olivier part, Strouvilhou arrive (16) Vincent fait part à Lilian de son choix et Laura lui retourne son argent; Départ pour Monaco du couple pour l’été.(17) Robert en profite pour demander à Vincent de convaincre ses parents de laisser Olivier le rejoindre en Corse pour l’été.  (18) Edouard poursuit son Journal : il y raconte sa découverte de Bernard et sa visite à La Pérouse : il a promis à ce dernier de retrouver Boris en Suisse à Saas-Fée.

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La deuxième partie du roman s’ouvre donc sur un nouveau décor mais poursuit les éléments de l’intrigue amorcée dans la première partie.

Bernard raconte à Olivier dans une lettre pourquoi il a suivi Edouard et Laura en Suisse (1) dan son Journal Edouard raconte les journées passées avec Boris, Bronja et la mère de cette dernière , le médecin  Sophroniska; (3) Laura apprécie la compagnie de cette femme mais elle s’en veut d’être à la charge d’Edouard; Bernard la réconforte et Edouard évoque longuement sa théorie du roman ; il avoue tout noter dans un journal et vouloir choisir pour son récit un romancier comme personnage central; Bernard sort alors une fausse pièce d’or et s’étonne du titre choisi par Edouard qui évoquait plutôt la fausseté des sentiments. (4) Laura laisse Bernard lui déclarer un amour pur et sincère  et ce dernier a désormais honte de la lettre qu’il a laissée en partant, à son père adoptif; Laura lui montre alors la lettre que son mari lui a fait parvenir ; Bernard, à la demande de Laura,  offre à celle- ci  la fausse pièce d’or. Dans son Journal Edouard rapporte les souvenirs de ses conversations avec le docteur à propos des troubles de Boris, de son talisman emporté par Strouvilhou lors de son passage et il est question de ramener Boris à Paris.(6) Bernard et Edouard lisent la lettre d’Olivier qui raconte ses vacances avec Robert ; Le retour à Paris se se décide: Bernard sera surveillant à la pension pour veiller sur Boris et gagner sa vie (7) Le narrateur semble dépassé par ses personnages et avoue que ces derniers lui échappent : il en dresse un bref portrait et termine par ses préférés : Bernard et Olivier. 

La troisième partie comporte 18 chapitres exactement comme la première et se déroule à Paris souvent dans les mêmes endroits. 

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Le journal d’Edouard nous relate le 22  septembre la rencontre entre Boris et son grand-père : déception de part et d’autre; Le père d’Olivier se confie à Edouard  le 27 septembre et avoue sa liaison; retour sur l’affaire du gang des mineurs entrevue au chap 2 de la première partie ; Monsieur Molinier croit que Bernard est impliqué alors qu’il s’agit en réalité de son propre fils, Georges que le juge Profitendieu cherche à protéger.  Edouard est invité à passer à la pension par un mot de Rachel ;(2) cette dernière a besoin d’argent pour sauver la pension qui va accueillir des petits nouveaux: Gondran Passavant, Boris, Georges Molinier et Bernard ; Armand se fait remarquer (3) Le 29 septembre Edouard réussit à convaincre La Pérouse de déménager à la pension: ce dernier avoue ne pas avoir le courage d’en finir avec la  catastrophe qu’est devenue sa vie . (4) Le jour de la rentrée, le lecteur découvre le gang composé de jeunes élèves insolents et débauchés : Léon Ghéridanisol , Philippe Adamantin et Georges Molinier; Boris et Gontran sont isolés et Bernard s’apprête à passer son bac. (5) Olivier et Bernard se retrouvent et ce dernier essaie de fanfaronner devant son ami qui démasque ses pensées superficielles; Léon force Georges à utiliser de la fausse monnaie pour acheter des cigarettes : il est le chef du gang, soutenu par Strouvilhou, son cousin. On apprend que Georges a volé les lettres de son père à sa maîtresse et le soir même, Olivier et Bernard se retrouvent à une soirée littéraire ; Bernard a refusé d’écrire pour la revue de Passavant . (6) Edouard recueille les confidences de Pauline Molinier sa soeur qui sait beaucoup de choses sur son mari et ses fils. (7) Olivier n’a pas trouvé Edouard chez lui et il va retrouver Armand  à la pension qui se confie à lui; Olivier l’invite à la soirée mais il envoie Sarah à sa place.(8) Lors de cette soirée, Bernard rencontre Passavant qui fait également la connaissance d’ Edouard et de Sarah ; c’est une soirée mouvementée car Jarry tire au pistolet sur Lucien Bercail ; Olivier se confie à Edouard et demande à  son frère Georges d’aller  rechercher ses affaires chez le Comte qu’il désire quitter; Sarah et Bernard passent la nuit ensemble. (9) Olivier qui a dormi chez Edouard a tenté de se suicider “de bonheur” et Passavant ne veut pas lui rendre ses affaires; (10) Le lendemain Bernard révise auprès d’Olivier convalescent et lit une lettre de Laura qui annonce la venue de son mari désireux de provoquer Vincent en duel; Edouard dans son Journal raconte la visite de Pauline à son fils; cette dernière accepte la relation entre son demi-frère et Olivier. Ce dernier avoue à Bernard qu’il est heureux.(11) Edouard se rend chez Robert pour reprendre les affaires d’Olivier et ce dernier lui lit une lettre de Lilian qui raconte qu’avec Vincent, ils se détestent désormais; Strouvilhou succède à Edouard chez le Comte et se lance dans un discours où il laisse éclater sa misogynie et sa haine de la littérature. (12) Edouard raconte dans son Journal son entretien avec Félix le mari de Laura qu’il juge sévèrement; il poursuit ses réflexions sur l’évolution des personnages de roman qui se doit d’être surprenante ;  Venu lui parler de ses soupçons concernant la participation de Georges au gang ,le juge Profitendieu laisse éclater sa tristesse d’avoir perdu son fils adoptif; la mère de Bernard l’a quittée et Edouard lui parle de la pièce d’or  de Saas -Fée qui va le mener à Strouvilhou.(13)

Bernard décroche son bac et reçoit la visite d’un ange au jardin du Luxembourg.

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Ce dernier est une sorte de guide qui lui montre différents chemins. Boris est triste car il vient de recevoir une lettre de Bronja qui lui annonce qu’elle va mourir; cette nuit là, Boris croit voir Bernard  en prière alors qu’il lutte avec l’ange. (14) Bernard demande à Edouard la permission d’être son hôte durant quelques jours; surah repart en Angleterre furieuse que Rachel ait demandé à Bernard de quitter la pension. (15) La détresse du personnage de La Pérouse est manifeste; Edouard réussit à prévenir Georges des soupçons que le juge Profitendieu fait peser sur lui et les jeunes décident de mettre un terme à leurs activités de faux-monnayeur. (16) Armand a été engagé par Passavant et avoue qu’il a remplacé Strouvilhou et un voyou du nom de Cob-Lafleur. Il avoue également mépriser le Comte et confie avoir prévenu sa soeur Rachel de la liaison de Sarah et Bernard; Il a reçu une lettre de son frère Alexandre qui raconte une anecdote tragique de femme noyée et d’homme qui évoque des mains coupées; Le lecteur comprend qu’il est question de Vincent  devenu  fou et de Lilian morte. (17 ) Boris apprend la mort de son amie Bronja …les événements vont alors se précipiter sans pour autant qu’on parvienne à un véritable dénouement . Boris se sent de plus en plus seul et devient la victime de la bande des faux-monnayeurs ; le talisman qui le protégeait enfant exhibé par Ghéri va le conduire à chercher désepérèment l’amitié des autres jeunes qui organisent un jeu cruel : lui faire croire qu’il va rallier leur confrérie des hommes forts s’il accepte d’affronter la mort . ( 18 ) Borsi prend le pistolet de La Pérouse chargé par Géhri et se tire une balle en pleine tête ; Georges choqué décide de se repentir et de cesser de fréquenter les faux-monnayeurs. Edouard dans son Journal avoue ne pas comprendre le geste de Boris  . Un dîner chez Profitendieu réunit Bernard, Edouard, les parents d’Olivier et Caloub ,le petit frère d’Olivier auquel Edouard semble s’intéresser.

 

16. avril 2017 · Commentaires fermés sur Diableries et bondieuseries : anges et démons dans les Faux-Monnayeurs · Catégories: Divers · Tags:
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Edouard et Robert de Passavant

Lorsque Gide entreprend d’écrire le Journal des Faux-Monnayeurs, il nous fait part de ses interrogations et des pistes qu’il envisage de suivre pour rédiger et composer son roman Les Faux-monnayeurs; A plusieurs reprises , dans son Journal, il mentionne un personnage particulier : le démon et décrit sa manière d’agir en restant dans l’ombre des personnages ; Comment a t-il intégré cet élément dans son roman et doit-on y voir la marque du diable ou une sorte d’intervention divine proche de l’ange ? Dans une première partie, nous montrerons en quoi consiste cet esprit diabolique qui observe et parfois même  pousse des personnages à agir; Ensuite nous verrons qu’il s’agit d’une  sorte d’alibi pour le narrateur et enfin nous examinerons les interventions de l’ange dans la troisième partie du roman. 

Le démon au sens grec de daimon, d’esprit, se manifeste dès les premières lignes du récit comme la figure de la tentation ; Gide évoque le démon de la curiosité qui pousse Bernard Profitendieu  à trouver la cachette des lettres d’amour de sa mère Marguerite, prénom aux consonances  diaboliques car il est celui de la femme pour laquelle le docteur Faustus se damne, poussé par le pacte que lui propose un démon appelé Méphistophélès ; Peu après , dans le chapitre suivant, Bernard sera à nouveau tenté par un démon et volera la valise d’Edouard en dérobant au préalable le ticket de consigne que ce dernier a jeté par erreur; le narrateur souligne habilement ce trait en mentionnant le geste du personnage  qui retrouve une pièce de 10 sous oubliée au fond d’une poche : “le démon ne permettra pas qu’il se perde ” et peu après “il n’est pas un voleur que diable ”  

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Olivier Molinier 

Vincent Molinier , le frère d’Olivier est également une des victimes du démon : la culture positive de Vincent le retenait de croire au surnaturel; ce qui donnait au démon de grands avantages; le diable va , en effet, s’acharner sur ce personnage et ruiner son destin; d’abord en le faisant tomber amoureux de  Lilian; il délaisse Laura qu’il a pourtant mois enceinte, dépense l’argent de sa famille et va devenir un meurtrier; Mais le diable procède par étapes et le narrateur monter comment il agit de manière progressive; Simple observateur au départ, il se contente de l’observer  comme le note le narrateur :” laissons le , tandis que le diable amusé le regarde glisser sans bruit la petit clé dans la serrure ” ( p 60) ; Ensuite le démon va  s’attaquer à lui de manière retorse ne lui faisant fléchir ses parents pour obtenir la permission qu’olivier parte avec le Comt edu Passavant en vacances  avant de, finalement , le transformer en meurtrier : le démon de l’ennui va le pousser, dans la troisième partie vers la folie et le meurtre de Lilian . C’est par un lettre d’Alexandre, le grand frère d’Armand , que nous retrouvons Vincent Molinier , fou qui se croit possédé par le diable .

Le Comte Robert de Passavant est lui aussi une âme damnée et un suppôt de Satan: le prénom même de Robert fait peut être référence au diable amoureux  , le roman de Cazotte. Il manipule Vincent , se montre cynique avec son père et avec son jeune frère Gontran et parait sans cesse en représentation en public; Il verse du poison et de la perfidie sur le bonheur des autres . Le romancier mentionne ses interventions divines comme pour se dédouaner d’agir avec ses personnages  à sa guise ; Les interventions du diable pourraient ainsi se lire comme des tentatives de justifier, de manière en quelque sorte surnaturelle, les agissements des personnages et l’enchainement des événements au sein de la trame narrative du roman. Au lieu de se nommer comme le créateur de cette fiction, Gide désignerait ainsi le surnaturel comme un principe actif du récit. Toutefois, on distingue des interventions diaboliques qui jouent un rôle dans l’action mais aussi des discussions où il est question de religion de manière plus générale.

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 Le personnage de La Pérouse, par exemple,  est celui qui nous permet de bien saisir cette ambivalence entre le démon et l’ange, tous deux au service de dieu apparemment : en effet, lorsqu’il évoque la religion, Monsieur de La Pérouse décrit Dieu comme une sorte de démon qui lui a menti et lui a fait prendre pour de la vertu son orgueil: “dieu s’est moqué de moi”, s’écrie t-il: il nous envoie des tentations auxquelles il sait que nous ne pourrons pas résister , et quand nous résistons, il se venge de nous encore plus ” explique -t-il à Edouard; dans le dernier chapitre du roman, La Pérouse se désole du silence de Dieu  et déclare : ce n’est jamais que le diable que nous parvenons à entendre . “Nous n’avons pas d’oreille pour écouter la voix de Dieu ” ( 377)  et il pense que désormais le bruit du diable couvre la voix de Dieu ; Il fait par avouer en sanglots que “le diable te le bon dieu ne font qu’un ; ils s’entendent. Nous nous efforçons de croire que tout ce qui est mauvais sur la terre vient du diable; mai c’est parce qu’autrement nous ne trouverions pas en nous la force de pardonner à Dieu . Il s’amuse avec nous comme un chat avec la souris qu’il tourmente . ” La cruauté , dit -il , voilà le premier des attributs de Dieu . 

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La bande des  Faux-Monnayeurs 

Dans la troisième partie du roman, un ange se fait voir à Bernard et le guide pour choisir son chemin : cette intervention est très importante et s’étend sur un chapitre entier . (le chapitre XIII) Etymologiquement,nous retrouvons le sens d’envoyé de Dieu, de messager . Bernard médite pour savoir quelle route il doit suivre quand l’ange fait son apparition dans le jardin du Luxembourg. ” ( p 332) il le suit docilement : il n’était pas plus étonné qu’il ne l’eût été dans un rêve ” L’ange le guide vers l’église de la Sorbonne  et es met à prier; Bernard sent alors son coeur envahi d’un besoin de don et l’ange lui rappelle qu’il ressentait la même chose pour Laura; A la sortie du l’église l’ange a disparu et Bernard se retrouve au restaurant ; à la fin du repas l’ange lui dit : “le temps est venu de faire tes comptes ” Il l’entraine alors vers une estrade sur laquelle défilent des orateurs qui défendent l’engagement patriotique .Bernard renonce à signer un engagement et l’ange l’entraine dans des quartiers miséreux où il s’émeut; L’ange pleure et le soir venu, il rentre avec Bernard dans sa chambre où il luttèrent  toute la nuit. “sans qu’aucun des deux ne fut vainqueur”; mais le lendemain, sa lutte avec l’ange l’a mûri et il trouve refuge auprès d’Edouard qu’il interroge sur le sens à donner à sa vie .Il raconte alors à ce dernier les événements de la veille et avoue qu’ alors poussé par un démon, il avait failli signer un engagement mais que quelque secret instinct l’a dissuadé; Edouard ne peut répondre aux interrogations de ce dernier lais lui conseille de  “suivre sa pente pourvu que ce soit en montant ” (340) 

Pensant ce temps là, chez les Vedel, Sarah décide de repartir en Angleterre et crie à sa soeur Rachel : “je ne peux pas croire à ton ciel. Je ne veux pas être sauvée.” comme si elle acceptait son destin 

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Dieu apparaît dans le roman comme une possibilité évoquée par certains personnages, les plus purs comme Boris ou Rachel ou les plus vieux comme La Pérouse de trouver un sens à leur existence et  à leurs malheurs mais le romancier semble leur répondre en évoquant, comme contrepoids  la part du diable; il n’hésite pas à transformer dieu en un être cruel qui joue avec les hommes comme un chat joue avec les souris qu’il s’apprête à tuer; face à ce Dieu trompeur mais inaccessible, Gide construit la figure d’un démon partout présent et dissimulé dans les moindres gestes du quotidien ; à la fois observateur caché et parfois instigateur sous la forme d’un personnage retors, il serait une sorte de voix de la conscience qui rappellerait au lecteur les limites vacillantes entre le Bien et le mal . Ange ou démon, parfois les deux , le principe spirituel chez Gide n’est pas un guide mais plutôt un garde-fou. L’ange ne répond pas aux questions de Bernard mais l’invite à chercher seul le sens de son existence et le démon ne peut être pris comme une excuse pour justifier l’existence du mal car la plupart de ceux qui ruinent leurs vies ne croient pas au diable. Au sein du roman, anges et démons s’agitent autour des personnages et remplacent   la toute-puissance de l’écrivain ou l’ironie du sort qui semble ainsi ne pas émaner de l’auteur mai d’un principe éthique indépendant . 

 

27. mars 2017 · Commentaires fermés sur Les personnages gidiens : Edouard en maître de cérémonie ? · Catégories: Divers · Tags:
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Notons tout d’abord que Gide refuse les descriptions physiques et caractérise ses personnages par leur langage: ce sont des êtres de parole .  Le romancier déclarer chercher l’expression directe  “révélatrice de son état intérieur ”  ( journal p 82 )  Ensuite , il entend leur faire jouer un rôle dans l’intrigue et les classe en catégories : le jeune héros qui découvre le monde (Olivier , Bernard)  , les maîtres à penser (, les garants de l’ordre (les pères Molinier et Profitendieu et Vedel) , les rebelles ou faux rebelles comme Bernard , le suppôt de Satan (Robert  et sa comparse Lilian ) , la jeune femme éplorée  (Laura) . Comme beaucoup de romanciers, il fabrique ensuite un système des personnages avec des doublons, des opposés et des variations; Quel rôle joue Edouard au sein de ce sytème ? Est-il vraiment un personnage comme les autres ? 

Edouard semble avoir une place bien particulière dans l’édifice du roman car se carbets constituent une sort edu récit dans le récit qui li donner du relief et nous permettent , à la fois, d’avoir de nouvelles informations et une sorte de conscience centrale différente de celle du narrateur. Edouard serait-il l’incarnation du pédagogue, maître à penser qui formerait les esprits ; Il exerce en effet une influence considérable sur Olivier et Bernard ; il es montre attentif et encourage leurs progrès; A bernard qu’il a accepté d’engager et qu’il conseille, il dira : “il est bon de suivre sa pente pourvu que ce soit en montant ” : leçon de morale destinée à l’engager dans la voie du Bien et du Naturel; Il représente l’opposé du comte Robert de Passavant, lui aussi écrivain mais homme d’artifice , manipulateur et à travers lequel Gide critique la futilité de certains hommes de lettres .

Edouard reçoit dans la dernière partie la visite de plusieurs personnages dans son atelier de Passy : ils viennent lui demander conseil ; C’est surtout avec Olivier qu’il va donner la pleine mesure de son art d’éduquer : leur relation commence par une série de malentendus; chacun se méprend sur les intentions de l’autre et décode à l’envers les signaux émis par son vis à vis; C’est la scène de leur rencontre à la gare Saint-Lazare; Le départ d’Edouard en Suisse où il va “sauver “Laura et transmettre la lettre de La Pérouse à son petit-fils Boris (il sert alors d’intermédiaire, de messager ) nous permet de mieux le découvrir et à son retour, il rat encore Olivier qui le cherche chez lui alors qu’il est auprès de al mère de ce dernier . D’où le commentaire ironique du narrateur : “Pauvre Olivier ! Au lieu de se cacher de ses parents , que ne retournait-il chez eux simplement , Il eût trouvé son oncle Edouard prés de sa mère “

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Cette relation d’ oncle-neveu , mêlée à une histoire d’amour homosexuelle , a pu choquer les lecteurs de l’époque d’autant qu’elle faisait écho à une autre publication scandaleuse de Gide Corydon, dans laquelle il vantait les mérites de la relation grecque. Olivier tente alors de se suicider “par excès de bonheur ” et le couple après avoir affronté leur démon en la personne de Robert de Passavant, le débaucher, semble s’installer dans une relation harmonieuse. Un amour respectueux mais qui prend les traits d’un amour paternel : “ je le berçais sans rien dire comme un enfant” note Edouard dans son carnet à propos d’Olivier .Cependant la dernière ligne du roman est terriblement ambigüe; Invité à dîner chez les Molinier, Edouard se réjouit de rencontrer le petit Caloub; Le romancier a-t-il voulu créer une dernière ouverture ou souligner le risque d’infidélité d’Edouard qui serait juste attiré par les jeunes adolescents ? 

Edouard est-il vraiment le double de Gide ? Tout comme lui,il cherche à écrire un roman et ses carnets sont en fait la quasi transposition des questions que Gide note dans son propre journal des Faux-Monnayeurs . seulement Edouard va échouer là où Gide lui réussira comme en témoigne la publication du roman ; Edouard ne parvient pas à choisir entre toute les idées qui le tentent et toute les techniques qu’il souhaiterait expérimenter. Gide représenterait donc le dépassement d’Edouard et le triomphe sur l’indécision et l’incapacité à choisir . Que savons nous d’Edouard ? 

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Agé de 38 ans, c’est un écrivain et il est amoureux d’Olivier , son neveu; cet amour est décrit comme une saisie de l’âme “j’ai senti que ce regard s’emparait de moi  et que je ne disposais plus de ma vie ” Cependant ce qui est troublant, c’est que les termes employés sont les mêmes qu ceux qu’Edouard utilise pour décrire ce qu’il ressent pour Laura : “j’abandonne mon émotion et ne connait plus que la sienne ” Et à propos d’elle encore, Edouard insiste sur son désir de l’instruire, de al convaincre, de la séduire . Elle a 16 ans lorsqu’il la rencontre (lui 28 )  et il la trouve tout naturellement enfantine . Il est troublant de constater cette similitude dans les termes ; Edouard disserte alors sur l’amour dans son carnet et conclut : “par un étrange croisement d’influence amoureuse, nos deux êtres se déformaient .Invonlontairement, inconsciemment, chacun des deux êtres qui s’aiment se façonne à cette idole qu’il contemple dans le coeur de l’autre; Quiconque aime vraiment renonce à la sincérité . ”  Nous sommes tous en quelque sorte des faux-monnayeurs de l’amour ou plutôt l’amour est de la fausse monnaie..

 

Edouard possède une forme d’aisance financière : vit-il de son métier ? Il a les moyens d’avoir un secrétaire particulier te es montre généreux avec Laura et Bernard qu’il aidera à se réconcilier avec Monsieur Profitendieu; d’ailleurs il reçoit les confidences de ce dernier  qui vient lui rendre visite à Saas- Fée et fait passer le message pour son fils  ; Il rend service et visite à son ancien professeur M La Pérouse dont il comprend la détresse et il écoute les confidences de Pauline , malheureuse en ménage. Il  possède donc des qualités humaines mais également certains côtés troubles

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Il évoque l’amour en termes chastes mais ne pense qu’à fréquenter les lieux troubles dès son arrivée à Paris car il a été sevré de plaisir en Angleterre, note -il dans son carnet  . Lorsque Olivier dort chez lui, il n’ose appeler un médecin de peur d’une enquête: son homosexualité n’est pas totalement assumée et il a parfois des allures qui pourraient évoquer un homme attiré par les jeunes hommes. Il se prétend amoureux de Laura avant de la repousser et de la  pousser, désespérée  dans les bras de Félix. Avec le comte Robert de Passavant, ils forment un étrange duo : il est jaloux de son succès et le critique : “Passavant prétend éclairer l’opinion; c’est à dire qu’habilement il l’incline. (partie 1 chap 8 ) Il le trouve charmant mais ses livres lui déplaisent et il voit en lui un faiseur donc un faux-monnayeur des sentiments qui trompe ses  lecteurs .

Edouard est le personnage clé : il est le lien entre toutes les sphères du roman et ses carnets constituent une voix centrale. 17 chapitres sur les 45 que compte le roman contiennent des extraits des  carnets d’Edouard ; Il écrit un journal intime mais ce dernier ne mentionne pas les années ; juste des dates et des notations variées ,essentiellement sur l’art d’écrire . On ne connaît pas le nom de ces livres mais il a , déjà, semble t-il des lecteurs et une certaine réputation même s’il n’a pas très envie de voir son roman publié dans les boutiques des gares . On sait qu’il travaille sur un projet de roman qu’il intitule : Les Faux-Monnayeurs. Il est tentant d’y voir, effectivement, une projection de Gide lui-même car comme l’écrit ce dernier dans son journal : “ je lui prête beaucoup de moi d’ailleurs ” Journal, p 67, 1922 . mais le lecteur sait également qu’il échouera à terminer ce livre ou il peut peut-être imaginer que Les faux-Monnayeurs sont l’aboutissement de son projet initial. 

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Personnage central car il va liaisonner les différentes intrigues et nous faire découvrir l’intérieur des familles Molinié et Profitendieu . Il va rencontrer fortuitement Bernard l’ami d’Olivier (et son rival au départ dans le coeur du jeune homme ) et va aller trouver Laura qui lui a écrit une lettre où elle l’appelle au secours. Par les parents de Laura il est lié à la pension Vedel où il  travaillé durant deux ans et il va y faire admettre le jeune Boris qui va ainsi devenir la victime des jeunes faux-monnayeurs dirigés par Strouvilhou ;nous allons y retrouver  Georges qui  occupe une place importante au sien de al confrérie des rubans jaunes ..

Edouard n’est donc pas tout à fait un personnage comme les autres : il est à la fois le lien par sa position de médiateur entre les différents personnages , le liant par l’adjonction de son journal dans la trame même des faux-monnayeurs et une sorte de regard qui double celui du narrateur de même que de nombreux traits de son personnage doublent des pensées de Gide . Il constitue un projection de l’auteur à la fois idéalisée et redoutée. 

25. mars 2017 · Commentaires fermés sur Les faux-Monnayeurs : principes de composition du roman · Catégories: Divers · Tags:
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 Un point d’abord sur ce qui existe : En 1925, quelles sont les attentes des lecteurs de roman et qu’est-ce que Gide entend en prétendant vouloir renouveler le genre romanesque ? Avec la naissance du courant surréaliste, le roman est montré du doigt à cause de se artifices et de certains choix esthétiques ; Ainsi  André Breton, le fondateur du courant surréaliste  affirme que : “le roman avec se descriptions inutiles et sa psychologie rationaliste ne relève que les moments nuls dans la vie. ” On lui reproche d’être un genre facile et de chercher à copier la vie ou au contraire de s’en écarter trop artificiellement. Gide rêve d’un roman pur et il prend modèle sur la littérature étrangère, russe et anglaise qu’il apprécie et sur laquelle il travaille. Certaines de se techniques seront reprises et retravaillées ;  20 ans plus tard par le courant littéraire du Nouveau-Roman qui ira encore plus loin dans la contestation du réalisme.

En effet, Gide va fortement s’inspirer de ses lectures pour imaginer des principes de composition romanesques novateurs en France . Il réfléchit beaucoup dans son Journal des FM à l’élaboration des différentes catégories du récit et notamment aux principes de composition des intrigues.Il cherche à imiter de nombreux éléments empruntés à Dostoïevsky comme : 

  • l’oeuvre naît de la rencontre des idées et des faits
  • les personnages sont encore informes, en construction et en évolution intérieure
  • l’auteur doit créer le plus de relations et de réciprocités possibles entre les différents personnages 
  • des personnages restent parfois longtemps dans l’ombre 

Gide a cherché dans son roman à imiter certaines de ses techniques romanesques par volonté de se démarquer réalisme et également par désir de réfléchir à ce qu’est le roman . La multiplicité des points de vue et des perceptions nous empêche ainsi de saisir une pensée ou une vérité unique.

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Que pouvons-nous dire à propos de l’organisation du roman ?  Ce qui frappe au premier abord, c’est l’absence de continuité et l’impression de déséquilibre de l’ensemble.

Gide a utilisé différents modèles comme le roman d’apprentissage mais il y glisse quatre intrigues sentimentales qui vient se greffer sur les aventures de Bernard et Olivier ; et surtout il ajoute le personnage d’Edouard et ses carnets qui permettent de fabriquer une dimension supplémentaire et un regard décentré. Il place également en arrière -plan une intrigue policière avec cette bande de jeunes faussaires mêlés à des affaires de moeurs plus ou moins louches et qui forment une sorte du secte.

Ainsi si l’on suit l’itinéraire séparément de chaque personnage, on perçoit les jonctions avec les différentes formes prises par le roman. Au premier plan dès le chapitre 1 : Bernard ; l’adolescent révolté qui aimera deux femmes et reniera son milieu . Au départ Gide avait souhaité que ce soit ce regard (il appelait ce personnage Lafcadio ) qui découvre la plupart des événements du roman comme une sorte de touriste curieux.On retrouve certains de ses aspects chez Bernard notamment quand il épie Olivier, le suit, vole la valise à la consigne de la gare après avoir dérobé le billet. 

Quand Bernard quitte le premier plan, on voit apparaître Edouard qui est secrètement amoureux de son neveu Olivier mais n’ose lui avouer cet amour et le dissimule derrière une fausse indifférence à la limite de la froideur. Edouard va faire le lien avec Laura et Vincent du coup qui est le grand frère d’Olivier; on voit avec cet exemple à quel point Gide s’efforce multiplier les liens entre les différents personnages . Alors qu’il rdv d’avoir Olivier à ses côtés, c’est d’abord Bernard qu’il engage comme secrétaire et emmène avec lui à Saas-Fee : les rôles sont mal distribués de même que le couple Vincent / Lilian et le couple Edouard/ Laura ou Bernard /Laura. 

Ce principe de mal assortir les couples de personnages permet ainsi au roman de procéder à des réajustements, à des redistributions et permet de faire évoluer les intrigues qui sont toutes entrecroisées. Ainsi tout semble pourtant découler du choix originel d’Edouard : en ne choisissant pas Laura, il la condamne à se marier avec un homme qu’elle n’aime pas Félix Douviers , à ensuite avoir un amant qui la délaisse pour une autre femme Lilian qui, elle, ne l’aime pas …  et Laura recueillie par Edouard dont elle est toujours amoureuse, éprouvera l’amour de Bernard sans le partager..poussant ce dernier dans les bras de Sarah , sa soeur ….autant de combinaisons, de substitutions et de redistributions amoureuses toutes imbriquées le unes dans les autres. 

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Edouard et Olivier 

Cela pourrait déjà donner le tournis au lecteur mais ce qui contribue encore davantage à lui emmêler l’esprit et qui rend parfois la lecture du roman difficile, voire rebutante, ce sont les choix de Gide de multiplier les points de vue et de relater les mêmes événements sous des angles différents et au moyen de techniques d’insertions de points de vue. Ce principe d’emboîtement des niveaux de narration peut paraître un peu artificiel aujourd’hui mais à l’époque , il imite les techniques des romanciers anglais. Ainsi Bernard a accès à des lettres qui relatent une partie inconnue de son passé et une partie de celui d’Edouard lui est connu grâce à la lettre de Laura; Lilian raconte à Robert de Passavant, au cours d’une conversation avant l’arrivée de Vincent, une anecdote dont elle a été la victime autrefois et Georges et Olivier racontent chacun comment ils ont découvert l’intrigue amoureuse entre Vincent et Laura. 

Toutefois Gide complique encore les choses car pour donner l’impression de quelque chose de naturel, il ébauche des intrigues dont il semble ensuite se désintéresser et qui n’aboutiront pas .  Ce sentiment d’inachevé peut parfois dérouter le lecteur qui cherche d’instinct à renouer les fils entre tous les récits, à la manière d’une construction intellectuelle. Pour décrire l construction du roman , plusieurs termes peuvent convenir par métaphore. 

  • une composition nébuleuse : un livre qui ne s’achève pas par épuisement du sujet mais par au contraire, son élargissement et son absence de contours: un livre qui doit “s’éparpiller, se défaire ” écrit Gide dans son Journal des FM; à la mort de Boris, tous les liens entre les personnages semblent ainsi se défaire . 
    • une composition symphonique : Gide utilise la comparaison avec l’art de la fugue en musique pour qualifier la composition de son roman. Lorsqu’Edouard affirme qu’il souhaiterait composer un livre qui imiterait l’art de la fugue, il fait référence à un livre qui explique qu’en musique, dans une fugue, les thèmes  et leurs imitations successives doivent se  fuir et se poursuivre en même temps. Le roman reprendrait donc cette idée en associant les intrigues amoureuse qui renvoient les unes aux autres et en entrelaçant les différents sujets . Trois suicides, deux duels, trois adultères et deux naufrages : ces motifs sont orchestrés à travers les différentes intrigues et les différentes parties du roman. “je suis comme un musicien qui cherche à juxtaposer et imbriquer un motif d’andante et un motif d’allegro.” (journal des FM juin 1919 ) 
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    • une composition symétrique : en plus des références musicales , l’écrivain construit ses personnages et leurs intrigues autour de principes de ressemblances et d’oppositions; On pourrait presque parler de glissements ou de variations autour de certains principes. On peut aussi évoquer un  désir de décentrement car Gide a longtemps explique qu’il avait tenté d’associer la matière de deux livres différents : “il n’y a pas à proprement parler un seul centre à ce livre, autour de quoi vient converger mes efforts.c’est autour de deux foyers, à la manière des ellipses , que ces efforts es polarisent. ”  (Journal des FM août 1921 ) 
    • une technique de contrepoint : le journal d’Edouard peut être considéré comme un élément majeur de la composition du récit car il introduit une ligne différente qui converge avec l’intrigue pris en charge par la voix narrative centrale. Cette présence duelle ainsi que l’introduction de différents points de vue au moyen des lettres par exemple crée une composition tournoyante et complexe. 

 

 

24. mars 2017 · Commentaires fermés sur Les faux -Monnayeurs : Un film de Benoit Jacquot · Catégories: Divers · Tags:

Le réalisateur français Benoit Jacquot a déjà adapté au cinéma de nombreuses oeuvres littéraires et notamment le roman très

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romantique  de Benjamin Constant : Adolphe; Ici il se lance dans l’adaptation du roman de Gide écrit en 1925: Les FauxMonnayeurs.  Gide écrivait de son roman qu’il était composé comme une fugue de Bach. Le livre raconte l’histoire de deux jeunes lycéens (Bernard et Olivier) et celle d’un écrivain (Edouard) durant les quelques mois d’un été et d’un automne des années 20.  Gide adopte une forme romanesque (l’histoire est en partie racontée dans le journal intime d’un des personnages) qui, à l’époque, bouleversa les lois du genre.  Pour la critique de télérama, le film respecte dans l’esprit et souvent à la lettre le roman.  “Benoît Jacquot n’oublie pas non plus de conserver la beauté sulfureuse du livre. , les acteurs y sont pour beaucoup. Melvil Poupaud, Patrick Mille, Jules Angelo Bigarnet, Maxime Berger, Laurence Cordier sont beaux, excellents mais aussi d’une troublante sensualité. ” Regardez la bande annonce …

 

 

 

LES FAUX MONNAYEURS par optimalefr_4f141