05. février 2024 · Commentaires fermés sur Andromaque : portrait d’une héroïne tragique · Catégories: Première · Tags:

 Pourquoi Andromaque est-elle selon vous, une héroïne tragique ? 

Qui est Andromaque ?  Femme d’Hector et princesse troyenne, elle survivra à la disparition de sa ville et deviendra la prisonnière du fils d’Achille , Pyrrhus;  Racine au dix-septième siècle, la choisira pour en faire l’héroïne de la tragédie qui porte son nom et  il la fait devenir reine d’Epire; Il a imaginé , en effet, un dénouement tragique plutôt heureux pour elle car victime d’un odieux chantage de la part de Pyrrhus, elle s’en sort saine et sauve et réussit à sauver son fils Astyanax , seul survivant de la famille royale troyenne. Pour Racine, elle représente la femme qui doit faire un choix impossible entre sa fidélité à son mari défunt et le devoir de sauver sa lignée en se sacrifiant.  Quant à  Jean Giraudoux, dans sa pièce La Guerre de Troie n’aura pas lieu , il en fait une femme valeureuse, enceinte d’Hector et  prête à tout pour empêcher la guerre : comparons ces deux univers et ces deux représentations de l’héroïne tragique .

Racine , dramaturge classique, puise ses sujets dans l’histoire grecque et il se place ici du côté des vainqueurs , le camp grec avec ses héros notamment ce jeune roi, fils d’Achille qui a reçu comme prix de sa bravoure lors du saccage de Troie, la femme d’Hector tué par son père ; cette dernière représente donc les victimes de cette guerre et son fils Astyanax est la seule chance pour la lignée troyenne de renaître car tous les hommes ont été tués au combat. Cette ancienne reine devenue esclave se retrouve face à un dilemme poignant : sauver son fils en trahissant la mémoire de son époux ou sacrifier le jeune Astyanax et lui faire ôter la vie en refusant l’amour de Pyrrhus. Elle paraît s’enliser face à ce choix impossible et décide de se donner la mort le jour des noces : elle pense ainsi  pouvoir sauver son fils mais elle  désire s’ôter la vie pour se punir d’avoir été infidèle à son défunt époux.

Examinons ensemble l’évolution du personnage d’Andromaque : elle fait sa première apparition à la scène 4 de l’acte I : c’est d’emblée  la mère qui cherche à embrasser son fils retenu prisonnier par Pyrrhus. Ce dernier l’informe qu’Oreste vient d’arriver pour faire périr Astyanax : il cherche avant tout à lui faire peur / “mais il me faut tout perdre et toujours par vos coups ” ; Elle accuse directement le roi d’Epire d’être responsable de tous ses malheurs et se présente sous les traits d’une victime d’un sort cruel ; elle se décrit comme “captive, toujours triste, importune à moi-même ” vers 50 . Elle refuse que Pyrrhus venge les siens et désire s’exiler seule, loin du monde  “votre amour contre nous allume trop de haine ” ( v 341)  reproche-t-elle à Pyrrhus .  Elle parait résolue , à la fin de l’acte I, à voir mourir son fils et à le suivre dans la mort ” sa mort avancera la fin de mes ennuis ” au vers 376. Andromaque n’apparait pas dans le second acte 

Nous retrouvons Andromaque dans l’acte III confrontée à Hermione qui cherche d’ailleurs à éviter de la rencontrer. Cette fois elle se définit par la périphrase “veuve d’Hector pleurante à vos genoux ” ( vers 860) ; Elle évoque sa flamme amoureuse, morte avec son époux et rappelle à la fille d’Hélène qu’elle est intervenue pour protéger sa mère lorsque elle fut enlevée et amenée à Troie par le frère d’Hector, le prince Paris . Andromaque tente ici de faire intervenir Hermione en faveur d’Astyanax; Elle souhaite partir et se cacher avec lui sur une île déserte ; Hermione lui suggère de s’en remettre à Pyrrhus et elle se retrouve face à lui dans la scène suivante .  Elle apparait cette fois comme une reine qui regrette de s’être montrée trop fière et lorsque le roi évoque sa haine tenace ” vous me haïssez plus que tous les grecs ensemble ” , ( vers 922)  elle s’efforce de s’adoucir . Elle rappelle cependant ses malheurs passés “mon père mort, nos murs embrasés, mon époux sanglant trainé sur la poussière, son fils réservé pour les fers ” La liste de ses malheurs a pour but de susciter la pitié des spectateurs. Le roi va la placer face à un dilemme : “je vous le dis, il faut périr ou régner” vers 968 et la laisse avec sa confidente qui tente de la convaincre d’accepter la proposition de Pyrrhus. Les tirades de la scène 8 témoignent de ses hésitations et trahissent son agitation intérieure : elle se déclare “éperdue ” et finit par se résoudre à sauver son fils. 

Auparavant, Andromaque doit consulter  son époux décédé en se rendant sur sa tombe : c’est le début de l’acte IV 


Dans la pièce de Giraudoux, l’amour entre Hector et Andromaque semble lui aussi extrêmement fort et sur scène, le couple représente l’amour indestructible : rien ne paraît pouvoir les menacer ; enceinte d’Astyanax, Andromaque combat de toutes ses forces cette guerre qui menace sa cité , aidée dans cette lutte par son époux , l’ancien général cette fois dégoûté de la guerre. Giraudoux a choisi de se placer non pas après le conflit comme l’avait fait Racine mais juste avant, pour pouvoir montrer son caractère inéluctable . La tragédie est ici celle de l’impuissance des hommes à arrêter le cours du Destin ; néanmoins, Giraudoux ne les montre pas passifs; bien au contraire, Hector et Andromaque conjuguent leurs efforts pour faire pencher la balance du côté de la paix. C’est justement  parce que leur efforts semblent dérisoires au final que leur tragédie nous frappe de plein  fouet et nous fait penser à notre Histoire ; ces  force qui dépasseraient l’individu seraient donc la marque du tragique dans notre société . En choisissant également de mêler une dimension comique au tragique de sa pièce et de son sujet, Giraudoux a voulu montrer que le rire avait cette faculté de pouvoir desserrer un peu l’étau du tragique .   

Mais la différence fondamentale entre les deux pièces réside peut être  dans la nature du sentiment amoureux montré sur scène  : l’amour de Pyrrhus est un désir jaloux, avide, s’attachant à l’être aimé comme à une proie , une agressivité violente ; les héros se lamentent beaucoup face à leur destin alors que la pièce de Giraudoux, nulle déploration, un simple assentiment forcé au destin et une lutte en actes, au nom de l’amour 

 ” Rois , empereur, princes, généraux d’armée, principaux chefs de république, il n’importe. mais il faut toujours dans la tragédie des hommes élevés au dessus du commun: non seulement parce que le sort des Etats dépend du sort de ces personnages importants . mais parce que les malheurs des hommes illustres exposés au regard des nations font sur nous une impression plus grande que les infortunes du vulgaire . ”  Voltaire