Waterloo, morne plaine ..ce vers célèbre l’un des plus hauts faits d’arme de l’armée française sous la conduite du général Bonaparte … Dans le cadre de cette séquence qui évoque l’image des hommes confrontés à la guerre ,nous verrons comment Hugo retrace, à sa manière, épique et hyperbolique, le récit d’une des plus cuisantes défaites de la France : la déroute de Waterloo . Comment le poète matérialise-t-il le combat et de quelle manière représente-il ces soldats de la vieille garde napoléonienne dont , dans la légende, le nom suffisait à faire trembler leurs ennemis? Quelques précisions d’abord sur le cadre historique des événements et le contexte d’écriture des Châtiments . Napoléon revient au pouvoir le 1er mars 1815 après une marche à travers la France qui s’acheva triomphalement à Paris. Aussitôt, Louis XVIII s’étant enfui à Gand, les puissances européennes, Angleterre, Prusse, Autriche, relancèrent la guerre contre l’Empereur, considéré comme un usurpateur. Napoléon rassembla une nouvelle armée et gagne la Belgique.
Après quelques succès – à Ligny où il parvint à vaincre les Prussiens, aux Quatre-Bras où Ney remporta une demi-victoire contre les Anglais (16 juin) –, il affronta les Britanniques du duc de Wellington à Waterloo le 18 juin 1815. C’était la première fois qu’il se trouvait en face de son grand adversaire : jamais encore il n’avait combattu directement les Anglais.
Reprenant sa tactique habituelle, Napoléon confie une partie des troupes au général Grouchy, créé maréchal pour l’occasion, afin d’empêcher le feld-maréchal Blücher de rallier le champ de bataille. Il espérait ainsi remporter une victoire décisive face aux Anglais. En effet, la bataille ayant commencé à 11 heures en raison du terrain détrempé par les pluies, il eut l’initiative toute la journée malgré la belle résistance britannique.
Malheureusement, Grouchy ne rallia pas le lieu du combat comme il l’aurait dû pour prendre les Anglais en tenaille, bien que poussé par le général Vandamme, jaloux de son maréchalat. Ce furent les Prussiens qui arrivèrent sur la droite française. La jeune garde fit des prouesses pour les contenir pendant que Ney cherchait à percer les lignes anglaises au centre. À 7 heures, Napoléon envoya sa vieille garde dans un suprême sursaut. Mais Blücher et Wellington firent leur jonction. La bataille était perdue. Avec elle s’envolait l’espoir d’une restauration impériale durable.
Le poète montre d’emblée le champ de bataille comme un véritable enfer à travers notamment les transformations du cadre naturel .
I Un décor apocalyptique
a) un cadre infernal
La plaine du vers 1 se transforme en un gouffre qui s’apprête à engloutir les hommes à l’image de la terre qui s’ouvre sous les pieds des pêcheurs pour leur infliger un châtiment divin; Le poète présente d’emblée cette défaite comme une sorte de punition divine ; c’est pourquoi il utilise des références bibliques comme le gouffre flamboyant au vers 3 ou l’horrible gouffre au vers 27 dans lequel vont fondre les régiments . Le poète se sert également des images de lieux souterrains souvent associés à l’enfer : la comparaison du vers 3 rouge comme une forge peut évoquer la demeure du Dieu vulcain, le forgeron auquel les Dieux commandaient leurs armes ; Située sous un volcan, sa forge est associée à un contexte épique; Les notations auditives rappellent au lecteur le bruit des armes et ces bruits sont évidemment amplifiés : ils deviennent des tonnerres et se mêlent aux cris des mourants ; ce qui forme ainsi un vacarme infernal .
b) Un cataclysme “naturel “
Le poète utilise également des références aux éléments naturels : la guerre est ainsi vu comme un cataclysme ; les canons sont comparés au tonnerre qui gronde au vers 15; L’empereur lui-même veille à rester debout dans la “tempête” au vers 19 .Et les hommes fauchés par les boulets de canons sont comparés à des épis mûrs au vers 5 qui se couchent sous l’effet d’un vent violent. L’épi symbolise peut être ici la mort comme une sorte de moisson funèbre ; Pour évoquer l’ampleur de la catastrophe le poète utilise la force des éléments déchaînés ; Hugo compare aussi les soldats qui tombent à la chute de véritables pans de mur au vers 4 . Cette image donne une idée du bruit de leur effondrement. Ces références font partie des clichés qui servent à peindre la guerre . Nombreux sont les auteurs à insister sur le bruit infernal qui provient du champ de bataille : cri des mourants, des blessés, chocs des corps , crépitement des armes, hurlements des troupes qui donnent l’assaut .
c) la souffrance
Beaucoup d’écrivains cherchent aussi à montrer les souffrances des hommes sur le champ de bataille et le poète insiste particulièrement sur l’atmosphère de désolation qui règne: au vers 1, les drapeaux déchirés sont la métonymie qui marque la violence des affrontements et elle suggère les blessures des hommes aussitôt attestées par le vers suivant : “les cris des mourants qu’on égorge ” Les notations se font réalistes avec , par exemple, les blessures difformes du vers 7 ; la bataille dans son ensemble est désignée comme un affreux carnage et un moment fatal; Le terme carnage connote les dégâts physiques , les blessures mortelles de la chair alors que le second groupe nominal marque davantage l’approche de la mort ; en effet, l’adjectif fatal a le sens ici de qui est mortel et le champ lexical de la mort est extrêmement présent dans le poème tout entier . Cependant , pour dire la mort, Hugo a recours à différents procédés qui tendent parfois à la rendre plus acceptable . Le lecteur ne peut que partager les souffrances de ces soldats qu’ils soient héroïques ou de simples hommes désireux de sauver leur vie et le poète nous présente la situation sous un aspect pathétique
II Dire la mort et la tragédie
a) le registre pathétique
La bataille est une catastrophe sur le plan humain et les nombreuses précisions nous font vivre les événements avec beaucoup d’émotion. Hugo montre d’abord les soldats prêts à se sacrifier, dignes et fiers: “comprenant qu’il allaient mourir dans cette fête /saluèrent leur Dieu debout dans la tempête . ” Le terme fête peut sembler ici inapproprié pour désigner le combat mais il peut traduire une sorte de célébration de la guerre comme une divinité à laquelle on offre des vies humaines . De même l’adjectif tranquille au vers 22 et la précision sans fureur accentuent la dimension pathétique de la mort de ces soldats, victimes consentantes, expiatoires. Le poète nous fait partager sa tristesse avec hélas au vers 24 qui est placé , en tête de vers. Le poète prend fait et cause pour les soldats et les transforme en héros Le second hémistiche du vers 31 illustre leur mort glorieuse : “Dormez ,morts héroïques “ et la présente comme une sorte d’accomplissement naturel . La souffrance du combat est ici remplacée par l’apaisement du trépas. Mais le tournant de la bataille marque véritablement le moment le plus pathétique : en effet, le sacrifice de la garde aura été totalement inutile dans la mesure où derrière eux, les soldats sont pris de panique et s’enfuient
b) un retournement de situation tragique : l’apparition de la Déroute
Le poète construit un retournement de situation qui correspond à l‘arrivée de l’allégorie de la Déroute; telle une femme fatale, elle fait son apparition au vers 40 comme un spectre effrayant ; Le terme spectre au vers 38 marque sa dimension surnaturelle;elle est décrite comme une créature infernale qui terrorise les soldats et les rend fous de peur; elle les épouvante littéralement comme le précise le poète au vers 36 ; Il la décrit également sous les traits d’une “géante à la face effarée ” et montre les fumées qui l’entourent et rendent son surgissement évanescent ; On retrouve, très présentes à cet endroit du poème , les allitérations en f qui marquaient le caractère infernal de ce spectacle terrible. L’harmonie imitative se poursuivra avec des mots tels que affront vers 42, farouche 43, souffle 44 fourgons 45 , fossé 46 , fusils 47. Le poète tente de restituer la panique qui s’empare des bataillons dont on peut suivre l’éparpillement ;
c) une fuite éperdue
Le passage que nous étudions se clôt sur des images de fuite éperdue : les soldats cèdent à la panique et ne pensent plus qu’égoïstement , à sauver leur vie; D’ailleurs la formule Sauve qui peut qui traduit ce branle- bas de combat est répétée aux vers 41 et 42 ; Le rythme du poème s’accélère avec de nombreuses énumérations qui produisent un effet saccadé comme aux vers 42, 47 et 50 avec la litanie des verbes d’action: “tremblaient,hurlaient,pleuraient, couraient ” ! Le bel ordonnancement des troupes est brisé et le spectacle n’en est que plus effrayant ; Les hommes sont comparés à de vulgaires fétus de paille pour montrer ici leur fragilité et l’expression du vers 50 ” en un clin d’oeil ” traduit la rapidité avec laquelle se déroule cette fulgurante catastrophe . Au vers 52, le verbe s’évanouit atteste de la disparition brutale de la grande armée et le chiasme achève le tableau : “vit fuir ceux devant qui l’univers avait fui.” On revient alors à la plaine nue désormais caractérisée par l’adjectif “funèbre ” au vers 55 qui rappelle les nombreuses pertes humaines.
III Célébrer la guerre ?
a) le grandissement épique
Hugo ne fait jamais dans la demi-mesure et avec lui,nous passons souvent instantanément de l’ombre à la lumière ; Poète animé par un souffle épique, il transforme ce combat en affrontement mythologique . Les comparaisons et les métaphores donnent à cet affrontement historique devenu légendaire, l’image d’une sorte de choc des titans avec des forces surhumaines qui s’affrontent : tout est plus grand que nature dans la description ; Les panaches des tambours-majors sont énormes au vers 6; les soldats semblent tout droit sortis des légions de Rome au vers 14; Tout est amplifié : le bruit des canons est semblable aux tonnerres; ici le pluriel poétique leur confère une force supplémentaire; Napoléon lui-même est devenu un Dieu cruel au vers 19 et la garde est avalée par une fournaise qui rappelle l'Enfer , au vers 23. Les régiments fondent, tombent mais ne reculent pas . Du moins une partie d'entre eux: les plus braves.
b) des braves ou des lâches ?
Hugo admirait Napoléon et écrit ici une partie de la légende de ce chef de guerre en montrant notamment à quel point ses hommes sont déterminés à mourir pour lui. Ces braves sont présentés comme ne formant plus qu’un seul corps, parlant d’une seule et même voix ; Le vers 20 évoque leur cri à l’unisson et ils meurent sachant ce qui les attend avec le sourire aux lèvres. Leur bravoure contraste avec l’épouvante qui règne ensuite et qui souffle un vent de panique sur le reste des soldats ; ces derniers tentent de fuir et même de se cacher, de se jeter dans les fossés; Leur défaite tourne à l’humiliation ; elle est également marquée de manière symbolique au vers 48 par la chute des aigles, symboles des légions romaines et emblème repris par Napoléon qui périssent sous les sabres prussiens. Ce n’est pas tant la défaite en elle même qui semble faire souffrir le poète mais plutôt l’humiliation subie avec cette débandade des “vétérans ” Ainsi le poème se conclut par la terrible image de la fuite des géants . et cette défaite semble orchestrée par une intervention divine comme le suggère le vers 56 : Dieu mêla tant de néants ; On peut rapprocher cette mention du titre même Expiation qui désignerait une forme de vengeance divine pour punir l’orgueil de l’Aiglon.
Erreur de stratégie pour les historiens, punition divine pour le poète, la défaite de Waterloo restera un événement marquant au siècle suivant . Elle aurait du servir le dessein de l’empereur de reconquérir durablement son pouvoir et son prestige, et elle se transformera en camouflet qui mènera à l’abdication de l’Empereur désormais déchu; Hugo reconstitue d’abord l’ambiance du champ de bataille et le déroulement précis des événements historiques avant de montrer le sacrifice des braves et la panique qui s’empare du reste des troupes ; Il fait ressortir son admiration pour ces nobles soldats et sa tristesse devant les dégâts provoqués ; La bataille est aussi l’occasion d’un grandissement épique qui montre l’énormité des forces en présence . Le poète y célèbre à la fois la grandeur des héros et la petitesse des hommes quand la peur s’empare d’eux et les rend pathétiques .
Vous trouverez en pièce jointe un commentaire composé rédigé de cet extrait d’Expiation …
Ruy Blas : une scène d’aveu
Cet extrait de l’acte I du drame romantique de Hugo avait été retenu pour servir de base au commentaire littéraire de ce bac blanc; Le héros y avoue à son ami et aristocrate qu’il est amoureux de la reine et jaloux du roi d’Espagne alors qu’il n’est qu’un laquais. La question de corpus vous a mis sur la piste de la scène d’aveu et la gent edu la pièce pouvait également vous donner des indications sur la position du personnage et les points communs entre la tragédie ; si les introductions en général montrent bien que vous avez identifié le drame romantique , l’une des difficultés principales consiste à trouver une problématique qui permette d’étudier les thèmes essentiels de ce passage. Certains d’entre vous sot partis sur une lecture politique critique : en effet, Hugo a chois dans cette pièce qui se déroule en Espagne de critiquer la monarchie espagnole mais le public de son époque perçoit , au delà du jeu des acteurs et du cadre de la fiction, la satire du gouvernement de Napoléon III . Voyons quels étaient les axes à privilégier !
Il s’agira d’étudier en quoi cette scène d’aveu remplit sa fonction dramaturgique (poursuivre l’exposition de la pièce) tout en annonçant déjà la fatalité qui pèse sur la destinée du héros.
1. Une scène de confidence : un aveu surprenant
2. Une libération progressive de la parole: des révélations successives
3. L’amplification de la gravité de l’aveu
Ces détours, ces effets d’attente qui captent l’attention du lecteur/spectateur, mettent aussi en évidence la difficulté du personnage à avouer son amour insensé et douloureux pour la reine.
II. L’expression d’un amour impossible et douloureux
1. Un lyrisme exalté : le héros romantique sur scène
2. La puissance de la passion amoureuse
La violence de l’amour est suggérée par des images terrifiantes :
3. La conscience de la fatalité
L’amour impossible de Ruy Blas pour la reine est donc l’un des aspects que prend la fatalité qui pèse sur sa destinée. Cette fatalité est étroitement liée à la condition sociale du personnage.
III. Ruy Blas, une incarnation de la fatalité sociale
2. La vision du roi par Ruy Blas, entre fascination et terreur
3. Ruy Blas, un être déclassé
Ainsi, cette scène d’aveu est essentielle à la pièce puisqu’elle prolonge l’exposition en mettant en place l’intrigue. La révélation par Ruy Blas de sa passion insensée pour la reine est également l’occasion pour Victor Hugo de nouer étroitement deux thèmes essentiels du drame, celui d’un amour exacerbé par la conscience tragique de son impossibilité et celui de la fatalité sociale qui pèse sur le héros.
Les ouvertures possibles : la fatalité amoureuse au théâtre ( comparaison avec Phèdre ou d’autres tragédies qui reposent sur une passion funeste ou un amour impossible ); un amour condamné par la différence de statut sociale des amants .