Le roman de Sorj Chalandon, Le quatrième mur porte un titre qui d’emblée précise l’un des thèmes majeurs du roman: la vie est-elle un songe ? quelle est la frontière qui sépare nos rêves de la réalité; En effet, le quatrième mur c’est celui qui au départ sépare les comédiens de la salle lors de la représentation théâtrale mais à la fin du récit, c’est celui qui “protège les vivants ” (p 326) et c’est celui que franchit le personnage principal, Georges au moment de choisir de mourir . Ce roman nous emporte , en compagnie de quelques personnages attachants comme Georges, son ami Samuel, son guide Marwan , au coeur d’une guerre terrible qui fait rage au Liban et en Palestine; le romancier nous montre jusqu’où la guerre emporte les hommes et comment elle les transforme : il est alors des régions d’où l’on ne revient jamais ….
Le roman se présente le plus souvent sous la forme d’un récit chronologique : l’histoire de Georges le héros, sa rencontre avec Aurore sa femme, la naissance de sa fille, son projet de mise en scène d’Antigone à Beyrouth pour accomplir les dernières volontés d’un ami gravement malade et son arrivée au Liban , ses découvertes de la réalité de cette guerre , des massacres des camps palestiniens de Sabra et Chatila, de sa blessure, de son retour à Paris et de sa décision de repartir mourir à Tripoli. L’écrivain ménage néanmoins un certain effet en plaçant à l’ouverture du roman le chapitre de la mort du héros qu’il reprend et termine 300 pages plus loin ,au chapitre 24. Lorsqu’il reconstitue le parcours de Georges , l’auteur motive chaque évolution de son personnage , à la manière des écrivains réalistes: il lui confectionne un passé, organise des rencontres décisives dans sa vie et nous place au centre de ses pensées auxquelles il nous donne souvent accès. Le récit des aventures de Georges constitue ,en quelque sorte, un roman d’initiation (Bildungsroman) mais le roman nosu permet aussi de nous interroger sur la place et le rôle de l’art dans le monde et notamment du théâtre;
En effet, le fil conducteur de l’intrigue, c’est avant tout le projet de mettre en scène la pièce de Jean Anouilh Antigone à Beyrouth même, au coeur des combats, avec des acteurs de chaque camp ennemi ; Sorj Chalandon revient à plusieurs reprise sur le projet de Anouilh, sur la réception de la pièce par les différents membres des communautés en présence et sur le sens même de cette tragédie; en tant que journaliste, le romancier décrit souvent les lieux dans lesquels ses personnages se déplacent avec beaucoup d’émotion et le registre patéhqtieu est présent dans de nombreux chapitres. Il sert sans doute à nous sensibiliser sur la tragédie qui es joue au Moyen-orient à cette époque ; l’action du roman se situe dans les années 80 et plus particulièrement en 1982, date de l’escalade de la violence au Liban et des représailles d’ Israël.
En plus de s’attacher à un parcours individuel, l’écrivain retrace des existences croisées qui dressent une sorte de panorama des idéologies qui se combattent en France à partir de Mai 68: de nombreux étudiants voulaient changer le monde et pensaient que l’engagement politique était une voie possible sur le chemin de la transformation de la société. Georges va se retrouver à la croisée des chemins, et il devra choisir entre deux voies, deux directions , deux mondes. La force de ce roman et son caractère atemporel vient des grandes questions existentielles qu’il soulève : jusqu’où l’homme est-il prêt à aller pour défendre ses idéaux et à quel prix ?
Bonne lecture et n’oubliez pas de prendre des notes au fur et à mesure …aidez-vous des titres des chapitres, du diaporama de cours et résumez l’intrigue, étape par étape sur une fiche; Vous pouvez aussi relever des citations que vous trouvez particulièrement intéressantes.
22. janvier 2018 · Commentaires fermés sur Antigone dans le Quatrième Mur : les préparatifs pour la pièce · Catégories: Première · Tags: Antigone, roman
L’édition originale
Le roman de Sorj Chalandon raconte l’histoire de deux metteurs en scène qui veulent monter l’Antigone d’Anouilh en plein coeur de Beyrouth en guerre avec des acteurs appartenant à chacune des factions en conflit ; Pari fou, pari osé ou chimère : pourquoi Samuel a-t-il choisi cette dernière volonté avant de mourir et qu’est-ce qui va pousser son jeune ami Georges à relever ce défi ? La pièce est au centre du roman et elle est évoquée sous différents aspects. “J‘ai souffert avec la petite maigre et elle a combattu à mes côtés ” (p 38 ) avoue Samuel à une terrasse de café à son ami Georges en 1974 lorsqu’il évoque pour la première fois son passé douloureux .Il tend alors un exemplaire de la pièce “éditée à la Table ronde en 1945 avec les lithographies terres d’ombres et noires de Jane Pécheur.”
Il est tout d’abord question des souvenirs de lecture de la tragédie d’Anouilh. Cette ouvert a beaucoup marqué Samuel qui en a monté une représentation à l’école polytechnique lors du coup d’Etat des colonels en Grèce en 1973. Il évoque cette expérience alors qu’il est invité au festival de théâtre de Vaison la Romaine pour assister à la représentation d’Antigone mise en scène par Gérard Dournel avec Liliane Sorval dans le rôle d’Antigone, et Jean-Roger Caussimon dans celui de Créon. Samuel raconte la pièce : “Souviens toi des premières secondes. Tous les acteurs sont présents, aucun n’est en coulisse. Il n’y a pas d’arrière scène, pas d’entrée fracassante, de sortie applaudie, pas de claquement de porte. Juste un cercle de lumière où entre celui qui parle. Et l’obscurité qui recueille celui qui vient de parler.Le décor ? Une volée de marches, un drapé de rideau, une colonne antique. c’est le dépouillement,la beauté pure ” (p 39)
Georges a lu Antigone adolescent mais cette pièce ne l’a pas vraiment marqué.Pour Samuel au contraire , elle a guidé sa vie. L’héroïne de Sophocle lui semble prisonnière des dieux et réduite au devoir fraternel alors que la petit maigre chez Anouilh représente , à son sens, “une héroïne du non qui défend sa liberté propre.” ( p 40) Sam offre alors le livre à Georges qui l’accepte comme “une lettre d’adieu“. Au mariage de Georges , Samuel qui est son témoin ajoute que la République, “c’est le respect des différences. ” et plus tard il dira en accueillant Georges blessé que la violence est une faiblesse .(p 67 ) Il lui rappelle à cette occasion qu’ils ne sont pas des résistants, que Giscard n’est pas Pétain et que les jeunes étudiants d’Assas contre lequels il s’est battu , les rats noirs, ne sont pas des nazis, juste des racistes dangereux .” (77)
En 1982, Georges rend visite à Samuel alors très malade et ce dernier lui arrache la promesse de continuer à travailler sur son projet d’Antigone à Beyrouth. “Le drame était un cadeau qu’il emballait de burlesque ” Sam voulait monter la pièce noire d’Anouilh dans une zone de guerre( 87) Faire la paix entre cour et jardin. Et il est question pour lui de terre et de fierté dans Antigone .Il choisit le Liban à cause du massacre palestinien de la Quarantaine suivi des représailles sur le village chrétien de Damour: il venait de trouver les tréteaux d’Antigone. (89) et a entrepris les premières démarches, contacté les acteurs et obtenu des autorisations officielles.
“Antigone était palestinienne et sunnite. Hamon son fiancé, un druze du chou. Créon roi de Thèbes et père d’héron, un maronite de Gemmayzé. Les trois gardes, chiites, pas été messager et Eurydice une vieille chiite; La nourrice une chaldéenne et Ismène, catholique arménienne. (95) ; Sam serait le choeur et Georges s’attaque au projet .
Il relit d’abord la pièce et découvre une Antigone qui refuse de pactiser avec la vie et qui attend la mort; Et il découvre ensuite les notes de mies en scène de Samuel ( p 106) : Pas de costume de scène: le public doit s’attendre à une répétition . Il compare alors avec la représentation de 1944 au théâtre de l’Atelier en février. Antigone était en robe de soirée noire avec une croix au cou et Créon en habit avec gilet et noeud paillon;Les gardes en gabardine et chapeaux mous (gestapo ? ) La pièce doit parler au présent ajoute Samuel.
“Ne pas confondre le Créon brutal de Sophocle et l’homme plein d’amertume dessiné par Anouilh; Chez Sophocle, Créon est le personnage tragique. Chez Anouilh, c’est Antigone qui porte la tragédie” p 107 Il a pensé à la musique de Duruflé et aux symboles : kappa, foulard, keffieh. Georges appelle Iman est constate que les travaux pour la pièce sont au point mort et qu’aucune rencontre n’a pu avoir lieu. Il ment alors à Samuel de plus en plus affaibli et repart avec le sachet de terre de Jaffa. Georges part alors pour Beyrouth. Voilà un extrait d’une mise en scène d’un face à face entre créons et Antigone : entraînez-vous à commenter la mise en scène …
21. janvier 2018 · Commentaires fermés sur La cérémonie des adieux dans le quatrième mur . Le dernier départ de Georges. · Catégories: Première · Tags: guerre, roman
Après son second retour de Beyrouth où il a été gravement blessé dans un bombardement israélien ,et sa découverte du massacre du camp palestinien de Sabra et Chatila dans lequel Imane a trouvé la mort , Georges ne parvient pas à se réadapter à sa vie d’avant la guerre : il cache à sa famille les morts , la guerre et devient dangereux pour lui et pour son entourage. Aurore se met à avoir peur de lui : il se nourrit uniquement de pain et de riz et se met à avoir des accès de colère ; une violence sourde le dévore de l’intérieur et il pense pouvoir mourir de colère. Après l’incident qui a lieu pour les 3 ans de Louise où il agresse la marionnettiste ventriloque , il accepte d’être hospitalisé. Le printemps 1983 se passe : Georges tente de mettre la guerre à distance mais en juillet il reçoit une lettre de Marwan qui lui annonce la mort de Nakad et peu après Sam décède. Georges sait alors qu’il va lui falloir les rejoindre tous . Un dernier incident dans le parc où Louise fait tomber sa boule de glace et où il la bouscule et la blesse, finit par le décider à faire ses adieux ; A sa famille d’abord et à la vie ensuite.
Quelle étape franchit ici le personnage de Georges et comment le romancier justifie-t-il sa décision de repartir à Beyrouth ?
Le passage débute juste après l’évocation par le personnage de ses souvenirs amoureux avec Aurore : ils installaient symboliquement une bougie sur un vieux chandelier qui était leur premier objet achat ensemble et ils l’emmènent partout avec eux; Ce soir là, la bougie s’est éteinte; Or, on sait que la flamme représente symboliquement la vie donc l’obscurité qui apparaît est annonciatrice de mort.
Quel sont les sentiments du personnage ? Georges se présente à nous comme une sort d’enveloppe vide : “je ne
ressentais rien ” (l 1 ) et il précise ensuite : “ni tristesse ni amertume ” ; Ce qui peut paraître étonnant car Georgse bouillonne d’une colère intérieure qui est bien plus que de l’amertume mais ici il évoque plutôt les sentiments liés à sa décision de partir et de quitter sa famille. L’énumération ” ni froid, ni chaud, ni faim, ni sommeil” tend à montrer qu’aucun de ses besoins essentiels n’a plus d’importance comme si la vie le quittait et cet assèchement du personnage se manifeste ensuite par l’image : “je n’entendais plus mon coeur ” à la fois symptôme de son arrêt du coeur et de la volonté de vivre qui le quitte progressivement. L’oxymore “le tumulte que fait le silence ” montre que le personnage se vide peu à peu de ses pensées comme s’il se répartissait de son humanité. D’ailleurs mon coeur est juxtaposé avec mes pensées comme pour attester qu’il ne s’agit pas seulement d’une mort physique mais également d’une mort sur le plan moral; Gerges est comme mort pour le monde qui l’entoure ce qui peut se traduire par un retrait complet des marques sensorielles ; Au sens propre, il ne ressent plus aucune émotion.
La fin du paragraphe évoque les causes de cette évolution tragique du personnage : sa fréquentation de la guerre. L’auteur rend en effet ici la guerre responsable de ces changements; d’abord il emploie le verbe décimer (11) qui littéralement signifie tuer un homme sur 10 et qui connote l’ampleur du massacre . Ensuite , Aurore est présentée comme “veuve ” alors que Georges est encore vivant : ce paradoxe révèle qu’il se considère déjà comme ne faisant plus partie des vivants. Ensuite la guerre est présentée comme une sorte de monstre qui dévore les hommes ; L’expression avoir faim l’animalise et indique la force de son désir ; La gradation “me réclamait”m’exigeait “avait vraiment faim de moi ” (traduit ce besoin irrépressible que ressent le personnage de repartir sur la zone de guerre ) Pour terminer , le romancier montre une sorte de relation d’égal à égal en rappelant que Georges effraie désormais sa famille : la guerre est la seule à pouvoir le comprendre ” elle ,’avait pas perdre mes cris, de mes coups ni même du mon regard ” ; En fait, la guerre semble offrir au personnage des conditions dans lesquelles il peut se laisser aller à déverser sa colère sa violence car les circonstances le justifient. Cette théorie selon laquelle le combat serait un exutoire à la violence existe depuis l’Antiquité; la guerre offre ainsi aux hommes un espace où il peuvent faire ressortir ce que Chalandon nomme “leur monstre intérieur “, tout simplement laisser libre cours à leurs pulsions meurtrières et à leurs bas instincts, toutes les émotions et les gestes qu’ils doivent réprimer tant bien que mal pour pouvoir vivre en société au milieu de autres hommes. L’homme dans la guerre se transforme et ici l romancier monter que son personnage a atteint une zone de non retour.
La mise en scène du départ
Le personnage a préparé son départ et effectué des opérations indispensables comme ” virer mon argent sur le compte de ma femme ” et “retirer du liquide ” mais il ne les prévient pas et les laisse partir le matin sans rien leur dire. Il évoque d’ailleurs ce que sera la première soirée sans lui au conditionnel “ce soir il y aurait pizza pour tout le monde ” comme s’il avait du mal à quitter cette scène, comme s’il faisait encore partie de la distribution; Dans l’expression “tout le monde ” ( 19 ) on peut penser qu’il s’est inclus et qu’ils forment encore à ce moment là, en pensée, un trio. Chaque geste quotidien accompli par le personnage résonne alors de manière symbolique …
20. janvier 2018 · Commentaires fermés sur La répétition inachevée : extrait n° 2 Le quatrième Mur · Catégories: Première · Tags: guerre, roman
De retour à Beyrouth pour continuer à diriger le projet de son ami mourant : faire jouer une représentation de la tragédie d’Anouilh, Antigone, avec des acteurs de chaque faction en guerre , Georges réunit pour la seconde fois sa troupe au centre culturel grec dans le quartier Bir Hassan, le 4 juin 1982; Il a demandé à chaque acteur d’apporter un objet symbolique qui définit son personnage et il entend bien, au cours de leurs lectures, leur indiquer comment jouer au mieux leurs rôles et diriger la répétition. Les acteurs échangent leurs points de vue sur le sens de la pièce et Georges leur rappelle les circonstances de sa création par le dramaturge français; Il en a eu l’idée après avoir lu une affiche de la gestapo qui présentait l’attentat d’un ouvrier français torturé et exécuté pour avoir tiré sur le ministre du gouvernement de Vichy, Pierre Laval. Anouilh a alors pensé à Antigone et à son face à face avec Créon . Image voit en l’héroïne qu’elle incarne l’image de la rébellion et Charbel demande des précisions pour jouer le roi Créon. Georges le laisse libre d’en faire un salaud ou un héros . A ce moment là, un avion israélien bombarde la ville . C’est la panique …
Quel rôle joue ce passage dans le parcours et l’évolution du personnage de Georges ? quelles est sa fonction dramatique? symbolique ? comment la guerre fait-elle irruption ici au coeur du théâtre et de la représentation ? Tout d’abord ce passage représente la véritable découverte de la guerre par Georges, leur premier véritable contact ; Le passage décrit d’abord les réactions des acteurs avant d’analyser ce que ressent Georges à ce moment précis ;
La guerre prend ici la forme de violentes explosions et se caractérise tout d’abord par un mouvement de panique : “ils hurlaient en arabe” : confrontés au danger à la mort, les hommes reviennent immédiatement à leurs langues natales. D’emblée le lecteur est plongé dans la mêlée par une successions de phrases courtes comme des notations des positions de chacun. Chaque prénom est associé à une position : George est “allongé” Yevkinée “blottie ” contre lui et “sanglotait”. Madeleine “pleurait” et Nabil “priait à genoux”; Le roman dresse une sorte de tableau où les corps se dessinent et se transforment sous l’effet du bombardement. Après avoir saisi les positions des acteurs ” mains sur la tête” “ tenant son nez à deux mains ” “dos tourné à la fenêtre ” “mains offertes au ciel “ , l’écrivain va brusquement animer ce tableau en y associant des sensations auditives notamment, qui tentent de rendre compte du fracas des bombes et de la violence de ce qui est subi ici ; “juste le choc terrible, répété, le fracas immense, la violence brute, pure, l’acier en tout sens, le feu, la fumée, les sirènes réveillées les unes après les autres, les klaxons de voitures folles les hurlements de la rue, les explosions encore encore encore ” ( l 14 à 20 ) Sous la forme ici d’une longue énumération, le romancier transcrit les différents bruits qui se succèdent avec d’abord des adjectifs hyperboliques comme “immense ” ou “ terrible ” ; Ensuite en utilisant simplement la juxtaposition des différents sons comme s’ils se déclenchaient les uns à la suite des autres ou quasiment en même temps; l‘allitération en f avec fracas folles, feu, fumée fait presque entendre le souffle de l’explosion. Et la répétition de encore à la fin de la période semble justement la rendre infinie.
Non seulement il nous fait entendre la guerre mais il tente de nous la faire visualiser avec les indications visuelles qui bouleversent nos repères habituels comme “acier en tout sens “(16) ; On peut imaginer ici à la fois les avions mais surtout les dégâts causés par les bombes au sol qui pulvérisent tous les objets qu’elles rencontrent
Georges vit son premier véritable contact direct avec la guerre à laquelle jusque là, il a pourtant beaucoup pensé et il va pouvoir confronter les images qui étaient les siennes à ce qu’il est en train de vivre. “j’étais en guerre ” dit-il (l 12 ) Cette fois vraiment.” Le passage ici se fait par cette formule: passage entre sa représentation de la guerre et son vécu sur le terrain . Ce n’est pas exactement son baptême du feu car il déjà eu une première approche de la guerre à Beyrouth en compagnie de Jospeh-Boutros durant une nuit. C’est d’abord son corps qui parle : ” Mon âmeétait entrée en collision avec le béton déchiré” Cette image traduit l’idée d’un terrible choc contre quelque chose qui nous dépasse ; Les murs sont ici personnifiés avec l’adjectifs déchirés qu’on emploie plutôt pour des corps ( l 20) C’est comme si une partie de lui demeurerait à jamais dans cet endroit: comme s’il venait de perdre un morceau de lui qui restera définitivement accroché à Beyrouth. “ Ma peau, mes os, ma vie , violemment soudés à la ville” L’énumération met sur le même plan le corps : l’enveloppe extérieure, et le squelette caché dessous et le verbe souder marque ici la force de ce lien qui désormais l’unit à cette ville et à son peuple. En même temps le terme souder rappelle l’acier utilisé comme métonymie pour illustrer la guerre.
A ce moment là, le personnage a une réaction paradoxale : il se met à sourire ( l 22) et il associe ce qu’il est en train de vivre à ses souvenirs récents ; Ses pensées sont traduites par l’anaphore du verbe pensais (l 23,24 27 ); L’écrivain superpose différentes images comme pour montrer que la guerre réussit à s’infiltrer partout et notamment rayonne de ce théâtre à Beyrouth toute entière représentée par différents lieux symboliques “ les snipers du Ring, de la tour Risk” ; La parenté des deux mots nous rappelle que même ennemis , ils sont touchés de la même manière ; La ville est remplie de tireurs qui sont “jetés sur les murs ” comme pour souligner la violence qui passe ici directement par les hommes en armes comme Joseph Boutros, le frère de Charbel qui se bat dans le camp chrétien ; Son arme est comparée à un “fusil d’enfant” et le bruit des coups de feu du snipper à “un couinement de souris grise ” (l 23 ) alors que quelques semaines auparavant les mêmes coups de feu semblaient à Georges d’une violence follle ” et il déclarait qu’à ce moment là il n’avait jamais vu la bataille d’aussi près.
Le personnage a donc franchi une étape supplémentaire dans son approche de la guerre et alors qu’au chapitre 10 lorsque Joseph-Boutros lui avait ordonné de rester auprès de lui, il se sentait à ce moment là déjà “au profond de la guerre” et ressentait quelque chose d’à la fois “terrible et vertigineux ” (p 159) . Cette sensation va être décuplée lors de ce bombardement. Car jusque là le personnage conservait la conscience de ne pas être venu pour cela, pour la guerre “ ce n’était pas le mandat queSam m’avait confié “dit-il (p 159) . Avec l’épisode du bombardement, nous voyons le personange de Georges entrer de tout son être dans la guerre; Il ne peut plus demeurer spectateur des événements mais devient l'un des acteurs du conflit. Déjà lorsqu'il avait passé la nuit avec le frère de Charbel, il avait été assailli par un sentiment de honte “j’ai eu honte ” et il secoue la tête pour chasser ce qu’elle contient car pour la première il a peur de lui-même; cette fois la honte demeure présente : l’expression “j’ai eu honte “revient trois fois en trois lignes ( 39 à 42 )et à chaque fois accompagnée par un sentiment paradoxal.
Ce que ressent,en effet, Georges à cet instant peut encore paraître confus : un mélange de joie et d’horreur qui le fait à l fois se sentir en enfer et se sentir terriblement bien ; Que se passe-t-il en lui ? Son esprit voyage et repart à Paris porté par les bruits qui lui rappellent d’autres bruits comme ceux qui célèbrent la victoire du 14 juillet et ceux de la nature “l’orage et la foudre ” l 29 qui sont qualifiés de “trop humains ” comme pour montrer que ceux qu’il entend durant les explosions ne le sont plus. En réalité, c’est plutôt l’inverse car les bruits de l’orage et de la foudre ne sont pas humains alors que ce sont des hommes qui larguent les bombe qui détruisent d’autre hommes.
Son corps parle pour lui : “je mâchais mes joues, j’ouvrais la bouche en grand, je la claquais comme on déchire ” ;( 30) Ce déchirement rappelle celui des murs autour de lui et du béton (l 20 ) et les tireurs de la ville jetés contre les murs sont les échos des avions qui se jetaient sur Beyrouth( l 9 ) ; L’emploi des mêmes verbes pour désigner à la fois l’action des hommes et les conséquences de ces actions renforce le caractère doublement destructeur de la guerre : elle détruit à la fois les hommes qu’on combat et les homme qui combattent. Nul n’en ressort indemne : vivant ou mort . Le corp sue Georges est lui aussi en panique et comme transformé sous l’effet des sensations : “mon ventre était remonté, il était blotti dans ma gorge.” Et pour amplifier la confusion : “ma jambe lançait des cris de rage de dents “ L’image ici de la jambe blessée du personnage mise en relation avec des douleurs dentaires peut faire penser notamment aux représentations picturales cubistes de la guerre qui montrent les corps disloqués et comme enchevêtrés: Guernica de Picasso par exemple offre un saisissant tableau des massacres de la guerre d’Espagne avec des morceaux de corps mêlés qui suggèrent la barbarie . En même temps ces images que le romancier emploie pour décrire les conséquences physiques de la guerre sur les corps ont été utilisées maintes fois dans les récits des guerres relatées notamment par les combattants : ces sensations violentes que leurs ventres et leurs estomacs remontent sont la manifestation de leur peur et provoquent de violentes nausées ; nausée dont est victime Nimer dans l’extrait : Nimer a vomi à la ligne 45 et cela ne surprend personne car tous ressentent les mêmes sensations physiques. Pourtant durant ces quelques secondes , chacun demeure concentré sur lui même : “Personne n’est allé à son secours. personne n’est venu au mien. ” Le parallélisme ici de la construction des deux phrases révèle, dans un premier temps, le temps de l’hébétement ” le tragique isolement des victimes. Cet hébétement est bien l’état qui laisse le personnage bouche ouverte, bouche bée, grande ouverte , c’est à dire sans que les mot puissent être utilisés, juste le silence ou les hurlements.
Mai d’où vient alors la joie féroce que ressent le personnage ? Il tente de préciser ce qu’est pour lui la guerre à ce moment précis : “un vacarme à briser les crânes, à écraser les yeux, à serrer les gorges jusqu’à ce que l’air renonce . ” (39 ) On retrouve bien l’idée d’un mélange de sensations et de fonctions vitales endommagées avec l’ouïe qui est touchée(le sang dans les oreilles est fréquent après les explosions ), la vue (Georges sera blessé au yeux ) et la respiration qui devient impossible (gorge serrée) . En dépit de cette souffrance multiple , le personnage est labouré par une “joie féroce “(40 ) . On note d’abord l’emploi au sens figuré du verbe labourer qui signifie remué en profondeur jusqu’au tréfonds de son être et l‘alliance de mots paradoxale : la joie est qualifiée de féroce alors qu’habituellement l’adjectif féroce qualifie plutôt la méchanceté ou la douleur ; On peut comprendre ici que féroce désigne peut être la dimension sauvage de cette joie incontrôlable qui, en même temps qu’elle surgit , fait mal. Parce qu’il s’agit bien d’ effroi et cet état le fait se sentir terriblement bien ; une des explications possible et que le personnage entre dans la tragédie où tout devient simple. Comment expliquer autrement cette transformation que par la sensation d’atteindre une dimension tragique celle qui fait que “toux ceux qui avaient à mourir sont morts ” comme le dit simplement le Prologue à la fin d’Antigone. On peut ici faire le lien avec la pièce et la définition que le dramaturge propose de l’univers tragique.
A la manière de la tragédie d’Anouilh, le romancier emploie des formules présentations simples : “La guerre c’était ça ” ( 34 ) et il fait entrer Georges dans un univers de tragédie , celui que dépeint justement Anouilh : ” J’étais tragique, grisé de froid, de poudre, ,transi de douleur ” Le personnage ressemble ici à un héros tragique : il a entamé la métamorphose qui le conduira au dénouement où il deviendra cette fois totalement le héros de la tragédie en mourant de manière théâtrale.
En conclusion, ce passage a une double fonction: tout d’abord il nous présente la formation d’un lien ambigu et de plus en plus étroit entre le personnage de Georges qui entame ici une sorte de transformation tragique; ce passage nous montre également les différentes perceptions des stades de la guerre :la brutalité de l’attaque et des sensations qui semblent d’abord pétrifier les hommes, les transformant en statues de sel mais aussi les étapes successives de la guerre avec les hurlements , la panique , le bruit et leurs conséquences immédiates ” le cri des hommes, le sang versé, les tombes..” pour finir par la douleur des vivantssous une forme métonymique avec “les larmes infinies qui suintent des villes ” et le constat global des destructions : “les maisons détruites, les hordes apeurées ” (37) ; cette formule généralisante présente d’ailleurs les survivants comme des animaux redevenus sauvages et se rassemblant en troupeaux comme pour mieux se protéger . Quant à Georges il a fait un pas de plus vers son destin de personnage tragique : la guerre a commencé à s’ emparer de lui et elle ne relâchera pas son étreinte mortelle.
25. octobre 2017 · Commentaires fermés sur Portrait naturalistes : l’influence du milieu dans Le ventre de Paris de Zola · Catégories: Seconde · Tags: roman, Zola
Le roman de Zola Le Ventre de Parisa pour cadre le vaste marché des Halles où viennent se ravitailler les Parisiens. Lisa Macquart , la charcutière, Louise Méhudin la poissonnière , La Sarriette, vendeuse de fruits et Mademoiselle Saget , la commère du quartier sont quatre des personnages féminins qui font plusieurs apparitions et occupent des rôles de premier et de second plan dans Le Ventre de Paris , troisième volume de la série des Rougon-Macquart. Pour décrire ses femmes, Zola utilise les techniques du roman naturaliste et notamment il met les éléments physiques en relation avec le milieu dans lequel ces personnages évoluent.
Le cadre du roman est composé des Halles , le plus grand marché de Paris et ces femmes sont souvent montrées en action, en lien direct avec leur travail et leurs gestes quotidiens; Dans Germinal, Zola montre également les personnages dans la mine, occupés à travailler et en liaison avec leur cadre de vie.
Lisa et Louise, les deux rivales , ont une forme de beauté inquiétante et leurs proportions mettent mal à l’aise le narrateur qui se montre également sensible à leur environnement; Ainsi Lisa se confond avec les plats qu’elle dispose dans la vitrine de la charcuterie et les termes qui sont employés pour la décrire pourraient correspondre à ceux qui qualifient la beauté d’une viande : “ce jour là, elle avait une fraîcheur superbe ” et Zola évoque même sa “forte encolure “, vocabulaire qui correspond à la description d’un animal, d’une vache ou d’un cheval, par exemple. Lisa est donc au final une belle charcutière et sa poitrine, attribut féminin et sensuel par excellence, ressemble à un “ventre “; La comparaison est peu flatteuse et on retient surtout de ce portrait ambivalent l'image de la "reine empâtée” qui sourit. Son “cou gras” à la ligne 17 et ses joues rosées font vraiment penser aux colorations des jambons; ce lien entre le personnage et son cadre de vie apparaît très fortement également dans le portrait de Louise, la belle Normande. Son métier de poissonnière lui confère un “parfum persistant” (l 12) qui évoque la “fadeur des saumons” “les âcretés des harengs et des raies” (l 16) et cette odeur qui l’imprègne, incommode fortement Florent le héros: “Florent souffrait ; il ne la désirait point; “il la trouvait irritante, trop salée, trop amère, d’une beauté trop large et d’un relent trop fort” ( ligne 22) Quand Zola décrit ce que ressent ici le personnage, on pourrait penser qu’il décrit la mer et non pas une femme . Dans les deux cas, Florent se montre intimidé et le narrateur ajoute qu’il “ne savait pas regarder les femmes” (ligne 3 ) ou qu’il les traitait “en homme qui n’a point de succès auprès d’elles” On pourrait presque dire que Florent se sent écrasé, menacé par leur carrure imposante et leur grosseur . Dans le monde des Halles, elles font partie des beautés grasses alors que Florent fait partie du clan des maigres comme Mademoiselle Saget par exemple.
Lorsqu’on compare le portrait de la Saget et celui de la Sarriette, on peut tout d’abord remarquer que l’une éveille le désir et la sensualité alors que l’autre exprime , à la fois la sécheresse du corps et du coeur. La Sarriette est décrite en harmonie avec un verger et les qualités des fruits de son étal, se retrouvent dans ses traits physiques : “à peine mûre et toute frâiche de printemps” ligne 9, on a presque envie de la croquer comme on croque un fruit ; elle évoque clairement l’idée d’une tentation charnelle : “elle inspirait des envies de maraude “ligne 10 et le mot volupté fait penser à l’amour qu’elle inspire: “ses ardeurs de belle fille mettait en rut ces fruits de la terre” ; tout, en elle matérialise la sensualité et les fruits caractérisent chaque partie du son corps dans une sorte de correspondances: “les lèvres” font penser aux cerises et à des baisers rouges ; les seins aux pêches et sa peau a la finesse de celle d'une prune . Son sang est même comparé à la groseille (23) . La vieille marchande affreuse qui travaille à côté d’elle, sert de contrepoint pour faire ressortir la beauté de la Sarriette; cette sensualité s’accompagne d’odeur enivrantes : les arômes des fruits se mélangent pour former un parfum qui est qualifié “d‘arôme de vie” ligne 28 et les effets de ce parfum sont perceptibles : ils évoquent des “griseries d’odeurs” et cela tourne la tête de la jeune femme. Aucune sensualité dans le portrait de Mademoiselle Saget bien au contraire mais un portrait réaliste, lui aussi , qui montre à la fois les détails physiques et le lien avec le milieu. Cette commère détestée par tous, ne vit pas dans un monde de couleurs mais en noir et blanc avec sa “face blanche au fond d’une ombre sournoise” (ligne 7) ; Ses vêtements sont aussi caractérisés par l’absence d’éclat : “robe déteinte” “cabas noir” jusqu’au chapeau de paille qui lui aussi est noir (ligne 6) ; véritable langue de vipère, Mademoiselle Saget passe son temps à espionner le quartier et les gens la redoutent (ligne 19) ; A son approche, les conversations cessent et Zola la montre constamment en mouvement “tout le long du jour” (20); Elle rôde à l’affut des moindres rumeurs et semble tout connaître de ses voisins jusqu’aux moindres détails ; “jusqu’à dire le nombre de chemises qu’ils faisaient blanchir par mois” . Le danger que constitue cette faiseuse d’histoires se lit à son ” ombre sournoise” et à son sourire pointu . (lien 9) ; Elle inspire de la défiance et les gens s’interrogent à son entrée alors que la Sarriette inspire du désir et de l’envie.
En résumé, les portraits des personnages dans les romans réalistes sont toujours en lien avec le milieu dans lequel ils évoluent car les personnages reflètent ainsi un partie du monde qui les entoure; On appelle cette théorie le déterminisme .
10. mai 2017 · Commentaires fermés sur Le personnage de Marianne dans Réparer les vivants : mater dolorosa · Catégories: Première · Tags: roman
Marianne et Sean
Marianne Limbres est interprétée dans le film par l’actrice française Emmanuelle Seigner qui avoue qu’elle a d’abord refusé le rôle car personne n’a envie d’intrepréter ça, cette douleur de perdre un enfant te de devoir faire le choix de donner ses organes alors même qu’il paraît encore vivant . Marianne c’est avant tout la mère, figure maternelle qui doit affronter un drame qui vient bouleverser l’ordre des choses : un parent qui enterre son enfant . Comment l’auteure a -t-elle construit ce personnage de mère ?
La présence maternelle est rappelée dès les premières lignes du roman par la mention de la naissance de Simon, ce moment où son coeur a subitement accéléré sous la pression de l’expulsion du corps maternel . Les trois adolescents subissent également les “sommations maternelles ” pour les tirer du lit ; on retrouve ici l’idée d’une mère qui veille. Marianne fait son apparition dans le récit à l page 47 lors de son arrivée à l’hôpital . L’appel de la gendarmerie a eu lieu vers 11h et le chapitre va alors s’organiser sous la forme d’un retour en arrière . On assiste d’abord à l’arrivée de Marianne paniquée : elle doit se rendre aux urgences et une infirmière lui indique la route à suivre. La page 48 détaille la réaction de Marianne lorsque le téléphone a sonné ; sa première réaction fut la peur. Notre premier extrait montre le regard de la petite Lou sur sa mère qui “enfile ses vêtements à la hâte” et peu à peu se défigure sous l’effet de la terreur . L’écrivain utilise alors la métaphore filée de l’éboulement pour rendre plus concret cet effondrement intérieur et le passage se termine par la pétrification de Marianne. Après avoir déposé Lou, elle prend sa voiture et au volant, concentre sur le trajet à parcourir, elle ressent peu à peu un changement d’atmosphère; Tout autour d’elle devient menaçant comme si une force de destruction inouïe ( p 52) se préparait. Marianne s’emploie à “conjurer l’intuition qui sédimentaire en elle depuis l’appel téléphonique” comme si elle ressentait intuitivement la mort de Simon ou du moins, son départ . arrivée sur le parking de l;hoîtal qui est comparé à une forêt immobile, close, Marianne tente de joindre à nouveau le père de Simon. Son parcours jusqu’au service de réanimation lui parait interminable et dès qu’il croies son regard, Pierre Révolu sait qu’elle est la mère de Simon : “regard vrillé, joue mordues de l’intérieur” Marianne attend la phrase par la quelle le malheur va s’engouffrer et elle voudrait s’enfuir, disparaitre ; Le médecin sait qu’elle sait ( 62) ; L’auteure nous présente cette intuition maternelle comme si les mots n’allaient que confirmer ce qu’elle a déjà compris et ressenti dans sa chair; Marianne est désormais une statue de pierre .
Maylis de Kerangal
Elle n’a pas l’autorisation de voir Simon et les souvenirs de son enfance se mettent à lui revenir en mémoire par bribes : d’abord les maladies infantiles et ensuite un souvenir de séjour en classe de neige; elle quitte l’hôpital toujours sans nouvelles de Sean et se dirige vers un café: elle cherche un lieu pour attendre, un lieu pour épuiser le temps . Dans la rue, l’univers semble transformé sous l’effet de sa douleur : “la catastrophe s’est propagée sur les éléments , les lieux, les choses, un fléau comme si tout se conformait à ce qui avait eu lieu ce matin .” (87) . Rien ne vient injurier la détresse de Marianne qui avance tel un automate, la démarche mécanique et l’allure floue. Elle se met à prier à voix haute et entre dans un café où elle commande un gin. elle ne se reconnaît pas dans le miroir et tente de faire barrage aux images de Simon qui se fomcent à tout allure et foncent sur elle par vagues successives .( 89) . Sa douleur fait écho à une chanson d’Alain Bashung qu’on entend ; “Les bouffées mémorielles survenues alors qu’elle évoquait Simon dans le cagibi de révolu ont logé dans sa poitrine une douleur qu’elle est impuissante à contrôler, à réduire. ” L’auteure décrit la chimie de la douleur et ses pleurs au téléphone quand elle entend la voix de Sean : “elle pleure traversée par l’émotion que l’on ressent parfois devant, ce qui, dans le temps, a survécu d’indemne et déclenche la douleur des impossibles retours en arrière.” (91)
Les parents unis dans la douleur sont présentés comme des naufragés; Au chevet de leur fils, Marianne a bien du mal à ne pas s’évanouir : “elle chancelle, jambe molles, s’agrippe au lit à roulettes.” (99) A l’annonce par le médecin de l’état de mort cérébrale deSimon, les parents accusent le coup. Marianne pense qu’il peut se réveiller du coma mais révolu affirme que c’est impossible. accablés les parents ne réalisent pas “comme si ces deux-là lentement se dissociaient du reste de l’humanité, migraient vers les confins de la croûte terrestre, quittaient un temps et un territoire pour amorcer une dérive sidérale. ” (108) A la fois coupés d’eux-mêmes et coupés du monde qui les entoure . Marlis de Kerangal observe ici les effet sue la douleur et le fait qu’elle nous retranche du monde réel .
Sean et Marianne apparaissent comme frappés par un météore noir qui venait de les percuter de plein fouet et ils suivent Thomas Rémige l’infirmier , dans le dédale des couloirs de l’hôpital. Pris dans une onde de choc, ils concentrent dans leur tête à cet instant, la pleine tragédie du monde . (125) A l’annonce de la possibilité du don d’organes, Marianne et Sean sont assomés: “Bouches bées, regard flottant au ras de la table basse, mains qui se tordent, et ce silence qui s’écoule, épais, noir, vertigineux, mélange l’affolement à la confusion. ” ( 127) Thomas Rémige fait son travail pour tenter d’arracher le consentement des parents mais il est conscient des vagues de douleur que cela provoque sur “leurs visages torchonnés de souffrance”. Marianne pleure mais désormais parle de Simon à l’imparfait ce qui est le signe qu’elle parvient à réaliser sa mort . Thomas pense qu’elle pourrait accepter les prélèvements mais pas le père.
Sean et Marianne vont faire un tour en voiture et Sean a alors un accès de violence contre lui-même ; Marianne tente de l’arrêter et sent la folie les menacer ; Ils se sentent responsables d’avoir donné à leur fils ce goût du surf et de ne pas avoir su le protéger . ” Marianne songe, c’est trop, on va crever.” ( 157) Leurs visages finissent par se caresser au bord du fleuve et les mots de Marianne forment une empreinte dans l’air statique. ” ils ne lui feront pas mal, ils ne lui feront aucun mal” Elle réussit avec ces mots à obtenir le consentement du père pour les dons d’organes. Ils se retrouvent alors une dernière fois autour de Simon , corps contre corps. Au moment de sortir de la chambre, Marianne se retourne une dernière fois vers le lit et ce qui la fige sur place est la solitude qui émane de Simon, désormais aussi seul qu’un objet , comme s’il était délesté de sa part humaine . ( 175)
L’auteure montre dans ce roman un lien très fort entre la mère et le fils et une conscience près que physique de la mort de Simon éprouvée dans sa chair avant même que l’idée fasse son chemin dans son esprit.Ce personnage est rendu patéhtqioue car sa conscience est saisie à la fois au moyen d’une narration anonyme et de plongées dans ses pensées souvent sous la forme de bribes de monologues ou même de dialogues; De retour chez eux , Marianne et Sean récupèrent Lou et doivent ensuite prévenir leurs proches . La mère pense ensuite à Juliette : “que deviendra l’amour de Juliette une fois que le coeur de Simon recommencera de battre dans un corps inconnu, que deviendra tout ce qui emplissait ce coeur ? “
Au moment où les équipes prélèvent les organes sur le corps de Simon, Marianne imagine le voyage fantastique de ce coeur dans l’espace : il est 23 h 50 et “la douleur la défonce ” : après avoir visualisé l’envol du coeur de son fils dans la nuit polaire, à l manière d’un objet merveilleux, elle trouve enfin le sommeil : “elle ressent un calme profond ” . Le roman se ferme sur le corps de Claire qui reçoit son nouveau coeur et le corps de Simon sera rendu ad integrum à sa famille le lendemain matin .
La question de corpus se proposait d’étudier quatre portraits de mère dans des romans du XX et XXI siècle . Daniel Picouly, Hervé Bazin et Philip Roth ont créé des récits autobiographiques qui relatent des souvenirs d’enfance marquants centrés autour de la figure maternelle alors que Maylis de Kerangal a construit une fiction qui interroge l’évolution de la figure maternelle à l’annonce de la mort du fils. Il s’agira d’abord de montrer que le point de vue est celui d’un enfant avant de nous interroger sur les pouvoirs de cette figure maternelle.
Bazin est celui qui dresse le portrait le plus critique de sa mère surnommée Folcoche, contraction de folle et cochonne. Ce portrait se démarque des autres dans la mesure où il est nettement critique. On ressent de la haine et de souffrance également à travers ce bilan de la relation entre le fils et sa mère : la comparaison avec la
vipère d’abord et son venin, mais également le “jus de pieuvre” et les paroles blessantes et dévalorisantes pour ce fils auquel elle prédit un avenir sinistre attestent d’une relation marquée par l’incompréhension et la colère. Cependant, à l’approche sans doute de la mort de cette dernière, on note une certaine ambivalence du narrateur , devenu adulte avec la mention l 30 “ toi qui asdéjà tant souffert pour nous faire souffrir .” Sans accorder le pardon à cette mauvaise mère, il montre quel horrible héritage il a reçu. C’est également une question d’héritage dans l’admiration que voue le narrateur de 5 ans à sa mère qu’il redoute autant qu’il l’adore mais qui en revanche semble beaucoup moins aimer sa fille qu’elle dévalorise “cettepetite n’est pas un génie” alors qu’elle considère son fils comme un “ Albert Einstein II ” Le petit garçon voue une admiration sans borne à cette figure maternelle qui se caractérise par la toute puissance et l’a conduit , par peur, sur le chemin de l’honnêteté.
Picouly et de Kerangal ont choisi de montrer deux moments importants où la figure maternelle se transforme sous les yeux de l’enfant : dans le premier cas, le petit garçon découvre une cicatrice sur le dos de son père et la mère surprend ce regard et das le second cas, la petite fille est témoin de la transformation de sa mère sous l’effet du coup de fil qui annonce l’accident mortel de son grand frère. Dans les deux cas, on vit l’événement à travers les yeux de l’enfant qui remarque, par exemple, que sa mère “enfile ses vêtements à la hâte” ( l 15 ) : la petite a “le regard fixé sur sa mère qui ne la voit pas ” (10 ) et elle est attentive aux changements de son comportement “elle halète comme un chien, gestesprécipités et visage tordu ” ( ‘l 11) sous l’effet de la peur . Ensuite, le lecteur , grâce au changement de point de vue, pénétrera dans l’intimité du personnage qui sera alors décrit de l’intérieur. La m’am de Picouly, elle, a surpris le regard de l’enfant et elle se “fige comme si elle avait déjà compris ce qui allait se passer ” ; Le narrateur raconte des souvenirs de l’époque où il mesurait un mètre vingt et il avoue son impossibilité de “retrouver le même angle ” pour décrire notamment ce que fut la relation mère / fils.
Dans les quatre portraits, les mères sont présentées, en partie , à travers les yeux des enfants et elles sont dotées de nombreux pouvoirs ; Roth et Bazin sont ceux qui accordent le plus d’importance à la domination de la figure maternelle qu’on pourrait presque qualifier de toute -puissante . Pour le petit garçon de cinq ans, il a l’impression de vivre sous la surveillance constante de sa mère qui peut changer de forme à volonté ou devenir invisible; elle l’accompagne partout et c’est avec humour qu’il raconte qu’elle lui apparaissait déguisée sous les traits de chacun de ses professeurs. Il ne parvient pas à se détacher de la figure maternelle et lui accorde le don d’ubiquité . Bazin reconnait également que Folcoche possède de nombreux pouvoirs ; elle aussi a un don de seconde vue ( l 24 ) par moments et surtout elle a le pouvoir de moduler son avenir car il ne peut se détacher des valeurs qu’elle lui a transmises et de cette haine tenace : “haïr c’est s’affirmer ” écrit -il et on mesure à quel point il est demeuré prisonnier de son éducation. La mère est dotée de pouvoirs quasi divins où on retrouve encore l’ambivalence : “ange ou démon “. En effet, dans la pensée des enfants, leurs mères sont toujours omnipotentes et Picouly choisit l’image de la déesse Shiva dans la religion hindoue , qui possède des dizaines de paires de bras afin d’illustrer ainsi l’efficacité de cette mère de famille très nombreuse. Seule la mère de Simon paraît au contraire totalement en perdition: pétrifiée par la douleur et on mesure à quel point elle est terrorisée à la pensée de perdre son fils ; Le lecteur a ainsi conscience de la force de l’amour maternel mais du point de vue cette fois de la mère.
Pour conclure, la mère est souvent décrite par son enfant comme un être fascinant et auquel il demeure profondément rattaché, bien au delà de l’enfance, parfois même en dépit des mauvais traitements subis.Ce lien mère/enfant fait l’objet de nombreux romans .
31. décembre 2015 · Commentaires fermés sur Florent dans Le ventre de Paris : un exemple de personnage dans un roman réaliste. · Catégories: Seconde · Tags: roman
Les romanciers réalistes s’ingénient à fabriquer des personnages qui ressemblent le plus possible à de vraies personnes ; ils les dotent donc d’un nom, d’un passé, d’une histoire et les font agir de manière réaliste, en motivant leurs actions et leurs déplacements. Voyons comment Florent est construit dans Le ventre de Paris
Il est présent dès le début du roman : d’abord présenté comme “un homme” épuisé, qui se rend à Paris;” il était lamentable avec son pantalon noir, sa redingote noire, tout effilochés, montrant l sécheresse de ses os.” p 14 La première impression n’est guère flatteuse; A bord de la charrette de la mère François, il finit par donner son prénom “Florent” et c’est le narrateur qui prend en charge le récit de son passé : échappé du bagne de Cayenne où il a été déporté par erreur, après avoir été arrêté dans une émeute lors du coup d’Etat de 1851 au bas de la rue Montorgueil. (p 20) .Les souvenirs de Florent font état d’une sensation de faim permanente car il a été privé de nourriture en prison et il est devenu méfiant; il craint la police par -dessus tout (24) Fier, refusant l’aide de la maraîchère, il vole une carotte et accompagne Claude rue Pirouette mais se méfie de lui et n’ose pas lui dire ce qui l’amène à cet endroit ;(32); En chemin, Claude lui présente les principaux habitants du quartier qui vont former l’ensemble des personnages secondaires du roman.
Au lever du jour, Florent se retrouve seul sur un banc, toujours affamé et comme il redoute le regard des sergents de ville, il décide de s’éloigner des Halles (p 42) : “gris de misère, de lassitude, de faim” , il est comparé à un chien perdu qui peut crever seul sur le pavé (46) il finit par revenir sur ses pas et s’en veut d’avoir refusé l’aide qu’on lui proposait ; c’est alors qu’il retrouve Gavard, un marchand de volailles qui le conduit jusqu’à la charcuterie de son frère Quenu. ( 54) Le second chapitre débute par un retour en arrière, sur l’enfance de Florent : à la mort de sa mère, il recueille l’enfant qu’elle a eu de son second mari; le petit est âgé de 12 ans , il le ramène à Paris avec lui et doit abandonner ses études pour gagner sa vie (56); Gavard, alors rôtissier va diner à queux le goût de la cuisine; Florent , pauvre professeur crotté, mange peu, est souvent triste et trop fier : il devient aigri et “il lui fallut de longs mois pour plier les épaules et accepter ses souffrances d’homme laid, médiocre et pauvre.” (59) ; C’est alors qu’ il devint républicain: pour se créer un “refuge de justice et de vérité absolues” Il voulait changer cette ville souffrante en une ville de béatitudes,; c’est alors qu’il est arrêté et envoyé au bagne; Quenu rencontre Lisa Macquart et finit par l’épouser.(63) après avoir découvert les économies du vieux Gradelle. ils ont une fille et Florent arrive un matin de septembre. Lisa lui propose immédiatement sa part d’héritage qu’il refuse . Il leur propose de la place dans leur affaire et en échange , il reçoit le gîte et le couvert.(75)Il a récupéré des papiers au nom de Florent Laquerriere et se fait passer pour un cousin de Quenu. Désœuvré, on lui conseille de trouver du travail. Gavard lui trouve un poste d’inspecteur à la marée ,en remplacement de Monsieur Verlaque, souffrant.Florent commence par refuser. Un soir, il a la désagréable sensation d’être importun. ” il avait conscience de la façon malapprise dont il était tombé dans ce monde gras, en maigre naïf” Un jour, Florent raconte son histoire à la petite Pauline, sa nièce. On découvre alors ses souffrances de bagnard (105/ 115). Florent découvre au chapitre III son nouveau métier et le fonctionnement du pavillon de la marée qui lui rappelle sa fuite de Guyane. Il s’en veut d’avoir accepté ce travail et se sent lâche. (126) L’hostilité des vendeurs est perceptible et il lui semble se déplacer en terrain ennemi. ( 142) De plus, Florent se sent intimidé par les femmes et sa patience Angélique est mise à rude épreuve. Suite à une dispute, il interdit aux Mehudin la vente pendant 8 jours. Ensuite il se prend d’affection pour le fils de Louise Mehudin, le petit Muche et sa relation mère se détend.(156) Florent souffre de cet entassement de nourriture et se sent écœuré en permanence. Il souffre également de ce milieu grossier. Son malaise nerveux est aggravé par son retour à la politique. ( 159 ) La mère Mehudin se méfie de lui. Elle lui rouge l’oeil faux et sa maigreur l’inquiète. Florent es en danger de plus en plus souvent chez Lebigre où il est question de renverser le gouvernement .(177) Effrayée par l’implication de Florent dans l’opposition au régime, Lisa réussit à convaincre son mari que son frère devient un danger pour leur commerce et l’ambiance chez les Quenu va se dégrader assez rapidement, à tel point que Florent va choisir de prendre ses repas ailleurs.
Au début du chapitre IV, deux jours après la discussion avec son mari, Lisa apprend de Gavard qu’ils sont sur le point d’exécuter leur projet révolutionnaire de renverser le gouvernement et elle prend peur. À table, elle se montre glaciale avec Florent qui comprend qu’elle veut le mettre à la porte. Florent en compagnie de Claude Lantier se rendent à Nanterre chez la mère François et Claude explique sa théorie du combat entre les Gras et les Maigres.De retour à Paris, Florent se sent effrayé :” les odeurs étaient suffocantes. Il baissa la tête , en rentrant dans son cauchemar de nourritures gigantesques, avec le souvenir doux et triste de cette journée de santé Claude, toute parfumée de thym.” p 244
Le chapitre V marque une dramatisation des événements . Lisa fouille la chambre de Florent et le dénoncera finalement quelques mois plus tard à la préfecture de police en tant que conspirateur . (308) Les commérages se propagent aux Halles et arrivent aux oreilles de Louise Mehudin qui souhaite épouser Florent, conquise par sa tendresse avec les enfants. Quand il lui raconte son histoire, elle le trouve lâche et mou de ne pas réclamer sa part d’héritage . Comme elle est la rivale de Lisa, elle cherche à l’atteindre en se servant de Florent. (282) À cette époque , Florent fut parfaitement heureux . Il ne marchait plus à terre comme soulevé par cette idée intense de se faire le justicier des maux qu’il avait vu souffrir. Il était d’une crédulité d’enfant et d’une confiance de héros.(288).Il regrette toutefois de ne pouvoir rallier Claude à ses idées politiques. Florent le soir de la mort de Monsieur Verlaque ressent un malaise nerveux qui es poursuit par des cauchemars. ” S’ il souffrait de ce milieu gras et trop nourri, il méritait cette souffrance. Et il revit l’année mauvaise qu’il venait de passer, la persécution des poissonnières , les nausées des journées humides , l’indigestion continue de son estomac de maigre, la sourde hostilité qu’il sentait grandir autour de lui. Toutes ces choses, il les acceptait en châtiment .” ( 313 ). Les Halles se transforment alors en paysage funeste . La catastrophe est proche pour le personnage qui semble la pressentir et attribuer son malheur à la fois à sa lâcheté mais également au milieu dans lequel il évolue.
Le dernier chapitre a lieu 8 jours après cette soirée d’orage. La police vient arrêter les conspirateurs. Gavard est arrêté le premier. Florent se laissa pendre comme un mouton et alla juste libérer l’oiseau qu’il gardait dans une cage dans sa chambre (338) ” ce dénouement ne semblait pas le surprendre; il était un soulagement pour lui.” Quenu s’en veut de ne pas avoir aimé assez son frère qui s’était montré si bon pour lui, dans son enfance. Florent , deux mois plus tard, est à nouveau condamné à la déportation. Claude se scandalise de la tournure du procès . ” un garçon doux comme une fille que j’ai vu se trouver mal en regardant saigner les pigeons.” (343) et il prononce le mot de la fin : ” quels gredins que les honnêtes gens”
Quelques repères pour travailler sur les personnages.