07. mai 2018 · Commentaires fermés sur Comment décrire un combat ? éléments de topographie d’un champ de bataille … · Catégories: Fiches méthode · Tags:
bata2.jpg
 

Les hommes plongés au coeur de la mêlée sont pris dans un tourbillon de sensations parfois paradoxales . La plupart des écrivains qui cherchent à montrer le soldat en action mettent en évidence différents points ; tout d’abord le soldat est frappé par l’ambiance sonore autour de lui . En effet, les champs de bataille sont le plus souvent bruyants : cri des hommes, cri des mourants, hennissements des chevaux quand il s’agit de la cavalerie, tonnerre des canons lors des assauts ou crépitements des fusils d’assaut, tirs de grenade, de mortier; les détonations se succèdent et forment un vacarme infernal au milieu duquel les voix humaines semblent bien ténues. Pensez à décrire ces notations auditives car elles font partie de l’imagerie de la guerre . Mais les soldats  sont également le centre d’émotions très violentes…

L’assaut peut les galvaniser et ils agissent presque de manière mécanique comme des sortes de machines ou de bêtes sauvages : ils tuent sans avoir le temps de réfléchir l’ennemi qui se met en travers de leur route ou qui menace leurs compagnons d’armes et agissent parfois même en se fiant à une forme d’instinct animal. En effet, de nombreux témoignages de soldats survivants mentionnent la rapidité avec laquelle les actions sont menées et une sorte de force animale qui les pousse à frapper, courir, escalader les tranchées , partir à l’assaut, faire des choses dont ils ne se seraient jamais crus capables . Evidemment la conscience du soldat est la proie d’un combat intérieur entre la peur de mourir , le désir de fuir le plus loin possible ces atrocités et l’envie de tuer, d’anéantir l’Ennemi qui à ce moment représente le Mal absolu . Des soldats ont fait état d’une  forte montée d’adrénaline qui les pousse à commettre des actions incroyables . Certains se sentent à l’égal des Dieux , invincibles , surhumains. D’autres voient surgir leur animalité et décrivent la monstruosité des actes commis : monstrueux , bestial, animal sont des qualificatifs fréquemment utilisés pour décrire certaines scènes d’affrontement .

bata5.jpg

 

Certains rescapés évoquent justement au coeur des combats, ces moments de flottement de l’esprit où tout peut basculer ..et où tout se joue; Ils apparaissent déchirés entre l’envie d’échapper à cette tuerie et l’idée de mourir en héros..ou tout simplement de tuer et de se battre pour ne pas mourir. Le roman de Laurent Gaudé “Cris  ” décrit bien tous ces moments à travers les pensées des différents personnages.

bata3.jpg

 

Mais plongé au coeur de la bataille le soldat enregistre les moindres détails : il contemple la mort de très près et doit être spectateur de celle de ses proches; la vue des cadavres, des mutilations, des corps démembrés..blessures difformes, carnage affreux ..membres encore palpitants, femmes éventrées ..tout ce lexique du corps, ces notations parfois hyper- réalistes , font partie des récits de batailles à tous les siècles. Le soldat devient une sorte de réceptacle de sensations et comme dans le roman de Gaudé, il enregistre les moindres sensations; Tout semble s’imprimer, se graver dans sa mémoire qu’il nous fait ensuite partager . Le sang coule parfois à flots et certains romanciers montrent les conséquences des affrontements à trappes des tableaux apocalyptiques  : destructions en tous genres , sols jonchés de morts, évacuation des corps, identification des cadavres. La Nature n’est pas épargnée et apparaît elle aussi comme une victime : cratères des obus, arbres calcinés, terre ravagée, dégâts des blindés, récoltes détruites; les soldats peuvent être décrits comme des insectes : termites, taupes dans les tranchées , fourmis . 

La peur est l’une des constantes et nombreux sont les témoignages des transformations qu’elle fait subir à l’homme : paralysie, tremblements, cris , désir de mourir, suicide parfois, perte du contrôle de son corps; les récits décrivent avec beaucoup de précisions les ravages de la peur et la menace de la folie n’est jamais très loin.Sous l’effet de la peur, les soldats peuvent perdre leurs moyens, décider de s’enfuir ou se mettre à courir en hurlant . La peur est d ‘ailleurs considérée comme l’ennemi principal du soldat, à toutes les époques. Elle est particulièrement marquée dans l’attente des assauts , du choc , des corps à corps; On devine la présence de l’ennemi, on la redoute: on l’imagine plus grand, plus fort, sauvage, cruel et on se retrouve parfois face à des hommes désarmés, des enfants, des femmes… le soldat peut alors être pris de court et refuser de tuer. 

Qui dit combat dit bien sûr armes et chocs: pensez à utiliser un vocabulaire précis et en relation avec l’époque choisie; armes de jet, armes à feu, armes blanches; ne vous trompez pas  et donnez des références si vous en connaissez..pensez aussi à décrire les uniformes car la guerre est également vue comme un spectacle. Employez là encore un vocabulaire spécialisé : képi, galons, barrettes, casques, bottes, vareuse, barda, cantine en fer blanc,gabardine, bleu horizon, tuniques rouges, sabre prussien … la description de la bataille n’en paraîtra que plus réaliste. N’oubliez pas non plus le vocabulaire de la stratégie militaire : flanc,  front, avant, arrière, colonnes, blindés, artillerie, aviation, infanterie, régiment , bataillon, escouade, formation en ligne… en effet, une bataille est orchestrée par des stratèges et se base le plus souvent sur des déplacements de troupes. 

bata4.jpg
 

Enfin choisissez un point de vue ou alternez les angles de description : l’attaque ne sera pas décrite de la même façon par un général de loin qui observe les mouvements de troupes avec sa longue -vue , les lignes arrières qui s’organisent et es préparent à recevoir les blessés et à fournir la relève, le poste médical, les soldats au front , le camp ennemi. La subjectivité d’un personnage peut également aller à l’encontre de la vérité  historique . Waterloo en 1815 fut une très lourde défaite française mais un spectateur ignorant , héros naïf  comme le construit Stendhal dans son roman, le jeune Fabrice del Dongo, pourrait y voir une victoire pour Napoléon. Le romancier montre par ce procédé, l’ignorance de son héros incapable de reconnaître, par exemple, les officiers ; Avec le regard de Fabrice , cette bataille semble incompréhensible. Hugo poète et grand admirateur de Napoléon la montre dans toute sa tragédie et illustre le sacrifice héroïque de la garde de l’Empereur ainsi que la panique qui s’empare ensuite des hommes et fait s’évanouir la grande armée . Céline montre l’absurdité des ordres donnés en 14/18 et le sentiment de révolte qui s’empare de certains hommes de troupe alors que Laurent Gaudé adopte différents points de vue pour décrire cette première guerre mondiale. 

Héros ou martyr, déserteur ou brute sanguinaire, la guerre fait ressortir ce que l’homme a déjà en lui : le pire comme le meilleur ; elle le pousse au delà de ses limites et lui fait entrevoir en même temps sa part d’immortalité et sa condition humaine de simple mortel. Elle peut transformer le destin d’un homme et le traumatiser durablement. Elle marque  aussi durablement la mémoire d’un pays et fédère tout autant qu’elle peut diviser . Objet de vénération et de répulsion, elle ne cessera de diviser les hommes .