Lorsque le roman -feuilleton qui pour titre Les Trois Mousquetaires paraît au cours de l’année 1844 dans le Journal Le Siècle, c’est un succès tel qu’il faut immédiatement faire imprimer le roman afin de satisfaire un public plus large. Alexandre Dumas y raconte, avec de multiples rebondissements, les aventures de quatre vaillants soldats du roi qui défendent l’honneur de la reine Anne d’Autriche qu’un complot du cardinal de Richelieu, alors premier ministre , menace de déshonorer. Les mousquetaires doivent se rendre en Angleterre afin de retrouver des bijoux que la reine a offerts à Lord Buckingham, son amant. Pour mener à bien leur mission, ils devront vaincre la redoutable espionne du cardinal, la belle et mystérieuse Milady de Winter qui se nomme en réalité Anne de Breuil .
Cette dernière possède un passé trouble : elle a conduit au suicide son premier fiancé, un jeune prêtre qui a renoncé à sa foi pour elle ; Marquée au fer rouge par le frère de cet homme,devenu bourreau, elle séduira ensuite le Comte de la Fère , plus connu dans le roman sous son nom de mousquetaire: Athos; Il la fera exécuter lorsqu’il découvrira qu’elle est une meurtrière , marquée par la fleur de lys . Ce dernier fou de douleur rejoindra alors le régiment des Mousquetaires. Mais cette aventurière a survécu mystérieusement à la pendaison et s’est enfuie en Angleterre où elle a épousé lord Winter avant de l’empoisonner pour hériter de sa fortune. Emprisonnée par le frère de son défunt mari, elle cherche, dans cet extrait , à s’enfuir et compte séduire Felton, son gardien réputé incorruptible . Elle va devoir déployer tout son talent de manipulatrice .
Comment le personnage de Milady apparait -il dans le roman ?
Sylvain Venaire
Nous verrons qu’elle est dépeinte comme une femme au fort tempérament avant de montrer qu’elle n’hésite pas à utiliser ses nombreux atouts pour séduire les hommes . Nous verrons finalement qu’elle incarne une forme de Génie du Mal .
En effet, Milady est dépeinte comme une femme guerrière et déterminée à vaincre ; dès la première ligne, on remarque que sa victoire parait assurée : ” il n’était pas difficile de vaincre , ainsi qu’elle l’avait fait jusque là ” : le champ lexical du combat est omniprésent dans le texte avec notamment le verbe l’emporter : Elle est décrite comme une femme habile et experte en stratégie : “assez adroite pour l’emporter sur tous les obstacles de l’esprit “; Alexandre Dumas note qu’elle prépare soigneusement son plan de bataille pour affronter Felton: elle “put dresser ses batteries pour le lendemain “; Ce terme désigne la préparation par l’artillerie des canons sur un champ de bataille . Milady est donc présentée comme une sorte d’amazone, une femme guerrière , qualité souvent masculine . Il est précisé également qu’elle a réussi à faire “une brèche ” dans l’opinion de Felton . Ses attributs sont donc plutôt des qualités au service de ses ambitions; C’est une adversaire de taille à pouvoir rivaliser contre des soldats même entrainés, comme par exemple les Mousquetaires, et elle dispose d’atouts plus spécifiquement féminins comme sa beauté maléfique et l’attrait qu’elle exerce sur les hommes.
Déterminée à vaincre , elle peut compter sur ses qualités en effet et en premier lieu sur sa beauté; En effet, les charmes de Milady semblent puissants : “elle était assez belle pour charmer les sens ; Le verbe charmer a un sens très fort et désigne à l’origine l’envoutement des magiciennes. Elle connaît son pouvoir de séduction qui lui permet de manipuler les hommes; Dumas note que l’amour est un sentiment qui peut pervertir car il ” se nourrit de loisir et grandit par la corruption ” et il associe donc le sentiment amoureux à quelque chose qui va potentiellement corrompre l’homme; Il évoque d’ailleurs le “piège “d’une éducation galante de la cour” ; Mais Milady n’est pas simplement belle, elle est également très intelligente et son habileté, alliée à ses charmes, lui confère une dangerosité importante.
Sa nature est qualifiée d’ “agissante et ambitieuse ” et sa force est traduite, à plusieurs reprises dans le récit , par l’image de l’orage intérieur : ” l‘orage qui grondait en elle doublait sa force et elle eût fait éclater les murs de sa prison si son corps eût pu prendre un seul instant les proportions de son esprit. ” La métaphore montre bien que son principal pouvoir réside dans sa capacité à intriguer, à manipuler .
Toutefois, pour rendre sa victoire plus difficile, l’auteur lui a choisi un adversaire à sa hauteur car Felton est un “homme inaccessible aux séduction ordinaires “ . Ce personnage pourrait bien résister aux armes habituelles de l’espionne mais c’est sans compter sur sa farouche soif de pouvoir . Et Milady agit avec Felton comme s’il était un sujet d’étude et fait sur lui une expérience “ l 11 : elle apprend à le combattre avec des armes inédites et notamment la “fausse vertu ” . L’auteur montre ainsi qu’elle est capable de s’adapter à toutes les circonstances et qu’elle constitue une ennemie redoutable et retorse . On retrouve l’usage de la fausse vertu avec le personnage de Manon qui parvient à duper le jeune et naïf chevalier Des Grieux.
Dévorée par l’ambition, elle parait cependant totalement dépourvue de la moindre qualité humaine : insensible, sans pitié , elle écrase quiconque se met en travers de sa route . C’est à ce titre qu’on peut parler d’antihéros . Elle apparaît ainsi comme une sorte de génie du mal ; Dumas précise d’ailleurs, à la ligne , qu’elle n’a foi que “dans le génie du mal.” Femme égoïste et méchante , elle fait preuve d’une grande lucidité et d’une bonne connaissance d’elle-même ; “ Milady connaissait le milieu qui convenait à sa nature, à ses moyens. La pauvreté lui répugnait; Elle n’était reine que parmi les reines .” On a l’impression ici qu’elle fait preuve de noblesse dans la nuisance et qu’elle atteint une certaine forme de grandeur dans le mal . Sa lucidité et sa connaissances des moeurs ainsi que des façons de penser des hommes de son époque , paraissent également des atouts non négligeables: de nombreux verbes traduisent cette lucidité du personnage : elle était préparée , “elle savait aussi , elle connaissait, elle n’en doutait pas . Dans cette aventurière , l’écrivain réussit l’alliance du charme vénéneux et de l’intelligence hors du commun . C’est parce qu’elle possède des qualités exceptionnelles qu’on peut la considérer comme une héroïne
Ce personnage met donc toute son énergie à dominer les autres et cela lui procure une terrible satisfaction : ” il fallait à sa domination le plaisir 
de l’orgueil satisfait” . Méprisante autant qu’elle est méprisable, elle incarne la femme fatale et , à ce titre, elle est donc rapprochée de la figure du Serpent ; ” murmurant au fond de sa pensée le nom de Felton.; comme un serpent qui roule et déroule ses anneaux pour se rendre compte à lui-même de sa force ” . Milady incarne la femme tentatrice . Depuis l’Antiquité, c’est l’image du Serpent qui s’impose à nous , à cause d’Eve qui fit chasser Adam du paradis terrestre . Au Moyen-âge , Mélusine la femme- serpent est déjà un archétype dérivé des sirènes de l’Antiquité ; La femme-fée ou sorcière, cause la perte des hommes qui se laissent hypnotiser par sa vue ou sa voix. Milady est prête à étouffer sa proie comme un serpent et elle l’enveloppe “dans les mille replis de son inventive imagination”; L’expression hyperbolique désigne sa capacité à inventer des mensonges pour mieux tromper ses adversaires.
Dumas compose donc une figure d’héroïne féminine ambivalente : dominée par des qualités masculines, son ambition démesurée l’amène à dépasser les limites de l’humanité et à transgresser les valeurs défendues par ses ennemis: les Mousquetaires. Figure secondaire du roman, ses apparitions et ses mystérieuses disparitions constituent une sorte de fil rouge dans la trame de l’action ; à elle seule, elle est le vecteur de nombreux rebondissements et le roman accordera une place particulière à sa mort tragique . En effet, la totalité de ses crimes et de ses méfaits sera rappelée juste avant qu’on la décapite, après un procès expéditif . Femme infidèle, femme parjure, femme ambitieuse et prête à tout , même à tuer , pour l’argent et la gloire et parfois par vengeance , comme lorsqu’elle assassine Constance Bonacieux, la fiancée de d’Artagnan, elle a choisi de mettre ses nombreux talents au service du Mal. Elle a l’étoffe d’une héroïne mais elle représente également la principale opposante des héros ; Ses vilaines actions et ses coups d’éclat viennent se mettre en travers de la trajectoire des Mousquetaires, ces défenseurs de la Patrie et de la solidarité . Leur combat, à l’intérieur du roman, est celui de deux univers de valeurs ; il est manichéen à l’image du monde quelque peu simplifié, des romans de cape et d’épée . Pas de demi- teinte ni de demi- mesure pour Milady !
Lisez cette synthèse récente parue dans le journal La Croix pour mieux connaître cette femme fatale
Maintenant vous savez tout sur cette femme fatale et vous pouvez ensuite répondre aux questions du QCM .. intitulé Milady