15. juin 2020 · Commentaires fermés sur Utopies : l’invention de mondes imaginaires au service de la connaissance de l’homme : des Humanistes aux Lumières · Catégories: Spécialité : HLP Première

Les premiers récits mythiques représentent des tentatives d’explication de certains phénomènes qui échappent, en partie, à notre connaissance; Notre espèce  a forgé depuis l’antiquité ,toutes sortes d’ histoires imaginaires afin de questionner sa connaissance du monde ; Les mythes continuent d’ailleurs à alimenter le réservoir de la science -fiction et font ressurgir leurs créatures imaginaires ou leurs mondes étranges; Ainsi Platon mentionne l’engloutissement en une nuit du royaume de l’Atlantide, devenu dès lors, un monde sous -marin peuplées d’espèces hybrides ou d’hommes qu’on retrouve dans de nombreuses dystopies . L’Atlantide a en fait été inventé dans un dialogue de Platon pour faire réfléchir les Athéniens sur les cause de la grandeur ou de la décadence d’une cité . Cette interrogation philosophique sera poursuivie par un juriste précurseur des Lumières , Montesquieu, dans un Essai sur les causes de la grandeur et de la décadence de Rome; Montesquieu reprend ainsi cette recherche philosophique  Dans La république de Platon, Socrate imagine une cité idéale qui garantirait à ses citoyens l’absence de conflits : pour cela, il faudrait que chacun s’interroge au préalable sur la véritable justice.

Les mondes merveilleux ou les Etats imaginaires proposent souvent des réflexions sur notre manière de gouverner ou plus largement sur notre mode de socialisation et notre capacité à vivre ensemble .

1. Les ouvrages des  Humanistes 

Thomas More propose en 1516 , sous la forme d’une île, une contrée imaginaire  et  idéale,  inspirée de certaines théories de Platon. Il la nomme Utopia et la décrit dans les moindres détails. On y mélange constamment jeunes et anciens afin que l’expérience des plus âgés serve de modèle aux plus jeunes. Les Anciens sont servis les premiers mais ils partagent leurs morceaux de choix avec leurs proches voisins . Chaque repas est précédé par une courte lecture morale et ensuite chacun peut s’exprimer et converser librement .Les  diners sont courts car le travail reprend juste après mais les soupers sont longs et accompagnés de musique car ils précèdent le temps du sommeil. On y sert des desserts et on dresse de belles tables , des mets parfumés; ” Rien n’est épargné pour le bien être et la jouissance des convives . Les utopiens ont pour principe “que la volupté qui n’engendre aucun mal est parfaitement légitime . ”

Ainsi, Campanella, un moine et philosophe italien, ami de Galilée , rédigea en prison, en 1602, un  récit  intitulé La Cité du Soleil . Le personnage principal est   un marin qui navigua avec Christophe Colomb  et qui découvrit une ile mystérieuse dirigée par un philosophe appelé Soleil. Les habitants de cette contrée partagent tous les biens selon une répartition réglée par des magistrats; le droit de propriété n’existe pas ce qui a pour conséquence de supprimer l’égoïsme . Chaque homme ne se préoccupe que du bien être de la communauté. Mais cette manière de vivre vertueuse n ‘est rendue possible  que par l’abondance des biens et les bienfaits de la science Les travaux et les loisirs sont répartis entre chaque citoyen de manière équitable et le temps de  travail n’excède pas 4 heures par jour. Le reste du temps est consacré à des études attrayantes, aux promenades, discussions et exercices agréables pour le corps et l’esprit. Les Solariens se méfient de la pauvreté qui mène à la bassesse, fourberie et conduit au vol et au mensonge; ils se méfient tout autant de la richesse qui engendre l’orgueil l’insolence, et l’égoïsme. ” Dans leur régime de communauté les Solariens sont à la fois riches et pauvres : ils sont riches puisqu’ils sont propriétaires, sous la forme collective, de tous les biens de la Cité;pauvres car rien ne leur appartient ne personne . Cette utopie ou cité idéale propose un modèle de vivre ensemble qui effacerait bon nombre de tensions .

En 1657 Savinien de Cyrano de Bergerac compose lui aussi une utopie aux accents résolument modernes . Cet ouvrage intitulé l’Autre Monde ou Les Etats et Empires de la Lune; Arrivé sur la Lune, le narrateur observe les moeurs des habitants de ces contrées imaginaires. Il rencontre par exemple un homme qui mange seul , retiré des autres et cherche à savoir pourquoi; On lui répond que c’est un philosophe qui ne veut manger ni viande ni herbes si elles ne sont pas déjà mortes car il  pense  les végétaux capables de douleur. Ainsi il ne veut pas couper un chou de peur de blesser la plante . Le lien ci-dessous vous résume les arguments des antispécistes : ouvrez le et étudiez les différentes définitions ainsi que l’évolution de ce courant de pensée qu’on peut relier aux idées de Bergerac.

https://www.l214.com/antispecisme

Les utopies humanistes accompagnent les progrès des sciences et les grandes découvertes : les hommes de la Renaissance commencent à s’envisager comme des  citoyens du monde et privilégient des relations pacifiques .  

Le romancier , François Rabelais imagine lui aussi, dans son roman Gargantua,  un monde idéal dans un lieu de plaisirs appelé l’abbaye de Thélème et dont la devise est “fais ce que voudras ” ; les hommes et les femmes qui vivent dans cette abbaye n’obéissent pas à des lois mais uniquement à leur libre arbitre. Ils suivent uniquement leurs désirs mais ce sont tous des gens libres, bien nés, bien éduqués et qui possèdent “naturellement un instinct, un aiguillon qu’ils appellent honneur et qui les pousse toujours à agir vertueusement et les éloigne du vice ” ; Dans ce monde parfait, tous savent lire, écrire, chanter, jouer d’un instrument et parler 5 ou 6 langues .  Ils entrent ainsi spontanément en rivalité les uns avec les autres pour parfaire leurs aptitudes naturelles ; Ce système éducatif alternatif rompt avec la tradition monacale de l’austérité de l’étude ; On peut noter son caractère élitiste : il n’est réservé qu’aux gens bien nés . Mais ce modèle interroge les modalités de transmission du Savoir et remet en cause les systèmes éducatifs qui n’enseignent pas le goût des études et des humanités. A l’époque des Lumières , au siècle suivant, les réflexions se poursuivent, souvent sous le masque du roman ou du conte philosophique et les penseurs abordent volontiers la dimension politique . Leurs utopies constituent ainsi des critiques des principaux systèmes de gouvernement . 

2. Les réflexions des Lumières

Les philosophes des Lumières interrogent le monde qui les entoure et remettent en question, eux aussi, les représentations du monde en analysant notamment les relations entre les hommes et la nature du pouvoir politique ainsi que les fondements du pouvoir religieux. Leurs fictions contiennent ainsi des éléments utopiques , souvent insérés dans d’autres genres littéraires.

Ainsi Montesquieu, dans Les Lettres Persanes , un roman épistolaire, propose une réflexion sur la nature du pouvoir politique et sur la manière idéale de diriger une société pour que chacun donne le meilleur de lui-même . Il imagine que ses deux voyageurs persans, qui sont les auteurs des lettres du roman, découvrent en  Arabie un peuple qui vit idéalement; Voici un extrait du roman . 

Ils eurent bientôt la consolation des pères vertueux, qui est d’avoir des enfants qui leur ressemblent. Le jeune peuple qui s’éleva sous leurs yeux s’accrut par d’heureux mariages : le nombre augmenta, l’union fut toujours la même ; et la vertu, bien loin de s’affaiblir dans la multitude, fut fortifiée, au contraire, par un plus grand nombre d’exemples.
Qui pourrait représenter ici le bonheur de ces Troglodytes ? Un peuple si juste devait être chéri des dieux. Dès qu’il ouvrit les yeux pour les connaître, il apprit à les craindre ; et la religion vint adoucir dans les mœurs ce que la nature y avait laissé de trop rude.
Ils instituèrent des fêtes en l’honneur des dieux. Les jeunes filles, ornées de fleurs, et les jeunes garçons, les célébraient par leurs danses, et par les accords d’une musique champêtre ; on faisait ensuite des festins, où la joie ne régnait pas moins que la frugalité. C’était dans ces assemblées que parlait la nature naïve, c’est là qu’on apprenait à donner le cœur et à le recevoir ; ….
On allait au temple pour demander les faveurs des dieux : ce n’était pas les richesses et une onéreuse abondance ; de pareils souhaits étaient indignes des heureux Troglodytes ; ils ne savaient les désirer que pour leurs compatriotes. Ils n’étaient au pied des autels que pour demander la santé de leurs pères, l’union de leurs frères, la tendresse de leurs femmes, l’amour et l’obéissance de leurs enfants.
Le soir, lorsque les troupeaux quittaient les prairies, et que les bœufs fatigués avaient ramené la charrue, ils s’assemblaient ; et, dans un repas frugal, ils chantaient les injustices des premiers Troglodytes et leurs malheurs, la vertu renaissante avec un nouveau peuple, et sa félicité : ils chantaient ensuite les grandeurs des dieux, leurs faveurs toujours présentes aux hommes qui les implorent, et leur colère inévitable à ceux qui ne les craignent pas; ils décrivaient ensuite les délices de la vie champêtre, et le bonheur d’une condition toujours parée de l’innocence. Bientôt ils s’abandonnaient à un sommeil que les soins et les chagrins n’interrompaient jamais.
La nature ne fournissait pas moins à leurs désirs qu’à leurs besoins. Dans ce pays heureux, la cupidité était étrangère : ils se faisaient des présents, où celui qui donnait croyait toujours avoir l’avantage. Le peuple troglodyte se regardait comme une seule famille ; les troupeaux étaient presque toujours confondus ;

On retrouve , dans ce passage, des éléments déjà mentionnés chez les Humanistes comme l’importance de la vertu et la nécessité d’un partage équitable des biens ; Il est également question de savoir limiter ses désirs pour être heureux; Les Lumières cherchent à définir la notion de Bonheur et ils considèrent l’accord avec la Nature comme fondamental . Pour atteindre le Bonheur, les hommes doivent savoir se contenter de choses simples ; La frugalité est l’art de modérer son appétit et dans ce monde parfait, la religion adoucit les moeurs .

 

Sur scène, à la même époque, le dramaturge Marivaux imagine une comédie à partir d’un état utopique : celui de l’ île des Esclaves; Un valet et son maître font naufrage ua début du spectacle, sur une île mystérieuse dans laquelle les anciens domestiques ont tué leurs maîtres; un personnage nommé Trivelin explique leur nouvelle philosophie : ”  Quand nos pères, irrités de la cruauté de leurs maîtres, quittèrent la Grèce et vinrent s’établir ici, dans le ressentiment des outrages qu’ils avaient reçus de leurs patrons, la première loi qu’ils y firent fut d’ôter la vie à tous les maîtres que le hasard ou le naufrage conduirait dans leur île, et conséquemment de rendre la liberté à tous les esclaves: la vengeance avait dicté cette loi; vingt ans après, la raison l’abolit, et en dicta une plus douce. Nous ne nous vengeons plus de vous, nous vous corrigeons; ce n’est plus votre vie que nous poursuivons, c’est la barbarie de vos cœurs que nous voulons détruire; nous vous jetons dans l’esclavage pour vous rendre sensibles aux maux qu’on y éprouve; nous vous humilions, afin que, nous trouvant superbes, vous vous reprochiez de l’avoir été. Votre esclavage, ou plutôt votre cours d’humanité, dure trois ans, au bout desquels on vous renvoie, si vos maîtres sont contents de vos progrès; et si vous ne devenez pas meilleurs, nous vous retenons par charité pour les nouveaux malheureux que vous iriez faire encore ailleurs, et par bonté pour vous, nous vous marions avec une de nos citoyennes. 

Marivaux propose ici un moyen de corriger certains défauts de la nature humaine, simplement en les exposant sur scène pour y faire réfléchir le public; Cette utopie est combinée au principe d’inversion des rôles, souvent utilisé pour faire naître la vérité .

Voltaire, quelques années plus tard, en 1759,  inventera, lui aussi , dans son conte philosophique Candide,  un Etat utopique : le pays de l’Eldorado ; Lorsque les voyageurs arrivent en Eldorado, ils sont surpris du bonheur qui règne parmi ce peuple . Dans ce petit pays que personne ne quitte, l’argent n’a aucune valeur  et on se moque des étrangers quand ils veulent payer un repas ou un service ; les portes des maisons sont en or  et rien ne s’achète : tout est offert par le gouvernement. Les gens vivent heureux et en harmonie grâce notamment à leur conception de la religion “naturelle ” celle pour laquelle milite Voltaire et qu’il définit ainsi :

Cacambo demanda humblement quelle était la religion d’Eldorado. Le vieillard rougit encore : « Est-ce qu’il peut y avoir deux religions ? dit-il. Nous avons, je crois, la religion de tout le monde ; nous adorons Dieu du soir jusqu’au matin. — N’adorez-vous qu’un seul Dieu ? dit Cacambo, qui servait toujours d’interprète aux doutes de Candide. — Apparemment, dit le vieillard, qu’il n’y en a ni deux, ni trois, ni quatre. Je vous avoue que les gens de votre monde font des questions bien singulières. » Candide ne se lassait pas de faire interroger ce bon vieillard ; il voulut savoir comment on priait Dieu dans Eldorado. « Nous ne le prions point, dit le bon et respectable sage ; nous n’avons rien à lui demander, il nous a donné tout ce qu’il nous faut ; nous le remercions sans cesse. » Candide eut la curiosité de voir des prêtres ; il fit demander où ils étaient. Le bon vieillard sourit. « Mes amis, dit-il, nous sommes tous prêtres ; le roi et tous les chefs de famille chantent des cantiques d’actions de grâces solennellement tous les matins, et cinq ou six mille musiciens les accompagnent. — Quoi ! vous n’avez point de moines qui enseignent, qui disputent, qui gouvernent, qui cabalent, et qui font brûler les gens qui ne sont pas de leur avis ? — Il faudrait que nous fussions fous, dit le vieillard ; nous sommes tous ici du même avis, et nous n’entendons pas ce que vous voulez dire avec vos moines.

Voltaire dénonce également à travers cette utopie la cupidité , source de nombreuse guerres et l’intolérance religieuse ; les troglodytes sont heureux car ils ont su renoncer à l’argent et chacun remercie Dieu pour ce qu’il lui a donné .

 

 

Les interrogations des philosophes ne proposent pas toutes les mêmes réponses et Voltaire notamment n’est pas d’accord avec les idées du philosophe genevois  Jean-Jacques Rousseau, auteur d’un ouvrage de réflexion politique majeur intitulé Le Contrat social . Rousseau y  pose, en 1762, les définitions du pouvoir politique légitime,   qui ,selon lui, doit être fondé sur l’expression de  la volonté générale .Les deux hommes vont s’affronter durant de longues années car ils ne partagent pas les mêmes explications  sur ce qui rend les hommes mauvais et comment leur permettre d’être heureux . Rousseau invente un concept : celui de Bon Sauvage , pour pouvoir réfléchir aux vertus d’une vie simple et naturelle; Il considère que la société est un facteur de corruption pour les hommes qui naitraient tous naturellement bons .

Dans son Discours sur l’origine des inégalités parmi les hommesRousseau développe une longue réflexion  sur l’état de nature,qui précède la naissance de la civilisation. Il décrit cette période de l’humanité comme étant la plus heureuse en reprenant notamment le mythe de l’âge d’or . Dans l’état de nature selon Rousseau, l’homme est autosuffisant et cultive son bout de terre librement. L’homme naturel vit aussi dans un état pré-moral, ne connaît ni le bien ni le mal et vit au présent. Les théories de Rousseau s’opposent notamment à celles du philosophe Thomas Hobbes, qui décrit, à l’inverse, l’état de nature comme un état de guerre permanent, où règne la violence ; Ce qui l’amènera à écrire et à penser que l’homme est un loup pour l’homme.   Rousseau  préfère imaginer   l’état pré-civilisationnel  comme une époque de paix et défend le mythe du bon sauvage, être pur et doux, face à l’homme civilisé perverti.

Cet état de nature idyllique étant posé, Rousseau décrit comment cet état a été corrompu par l’invention de la notion de propriété. Un beau jour, raconte Rousseau, il se trouve quelqu’un pour affirmer son droit sur une terre cultivable : la propriété est née, et avec elle la déchéance de l’humanité. L’avènement de la propriété génère des inégalités et une concurrence nouvelle entre les hommes. La société civile est instituée, volant à l’homme son innocence première . Pour construire ses concepts philosophiques, Rousseau invente donc une utopie: celle d’un état de Nature dans lequel l’homme est un Bon Sauvage.

Siècle de toutes les interrogations majeures qui ont fondé nos démocraties et nos réflexions sur le Bonheur, le siècle des Lumières a été riche en utopies . Le motif  de l’utopie consiste essentiellement dans ce contexte , à devenir  un moyen de penser le monde en l’imaginant autre .L’utopie est souvent en rapport avec l’histoire : pays situé ailleurs ou à une autre époque, cette délocalisation imaginaire offre un miroir aux hommes et y reflète leur rêves et leurs croyances en un monde meilleur et  en une humanité meilleure. 

utopie1
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