Petites histoires et sources d’inspiration des poèmes
Quelques pistes biographiques pour compléter les analyses pour les lectures linéaires extraites des Fleurs du Mal
sources : Comptoir littéraire
a) L’histoire et les origines de l’Albatros poème
b), Emmeline, Dorothée ,
c) Jeanne Duval, la Vénus noire
d) Marie Daubrun
e) Apollonie Sabatier la Vénus blanche
Synthèse : place de la femme, composition du recueil
Au cours du voyage qu’il effectua à destination des Indes en1841-1842 à la demande de son beau-père le général Aupick, Baudelaire fut le témoin de plusieurs incidents ou événements qu’il retranscrit ensuite dans ses compositions poétiques .
a) il vit un albatros malmené par les membres de l’équipage du bateau; cet incident le marqua si fortement qu’il y consacra un poème intitulé ‘‘L’albatros” ; Poème où il détaille la douleur de l’oiseau , sa majesté dans les airs et il se sert du symbole de l’albatros pour développer une analogie avec la figure du poète , malmené par la société mais impérial dans le monde des idées.
b) Une des étapes du périple l’amena à découvrir l’ile Maurice appelée alors Île de France : il fut charmé par les paysages exotiques aux éblouissantes couleurs, leurs lourds parfums capiteux qui enivrent , et les corps sculptés des jeunes femmes noires ou métisses. Il fut reçu sur l’ile par un colon français M. Autard de Bragard, et par son épouse, Emmeline de Carcénac; Pour remercier ses hôtes, il composa un sonnet intitulé ‘’À une dame créole’’, tandis que leur jeune servante nommée Dorothée et qu’il voyait comme «l’idéal de la beauté noire», lui inspira deux autres poèmes ‘’À une Malabaraise’’et ‘’La belle Dorothée’’.
Tes pieds sont aussi fins que tes mains, et ta hanche
Est Large à faire envie à la plus belle blanche ;
A l’artiste pensif ton corps est doux et cher ;
Tes grands yeux de velours sont plus noirs que ta chair.
Aux pays chauds et bleus où ton Dieu t’a fait naître,
Ta tâche est d’allumer la pipe de ton maître,
De pourvoir les flacons d’eaux fraîches et d’odeurs,
De chasser loin du lit les moustiques rôdeurs,
Et, dès que le matin fait chanter les platanes,
D’acheter au bazar ananas et bananes.
Tout le jour, où tu veux, tu mènes tes pieds nus
Et fredonnes tout bas de vieux airs inconnus ;
Et quand descend le soir au manteau d’écarlate,
Tu poses doucement ton corps sur une natte,
Où tes rêves flottants sont pleins de colibris,
Et toujours, comme toi, gracieux et fleuris.
Pourquoi, l’heureuse enfant, veux-tu voir notre France,
Ce pays trop peuplé que fauche la souffrance,
Et, confiant ta vie aux bras forts des marins,
Faire de grands adieux à tes chers tamarins ?
Toi, vêtue à moitié de mousselines frêles,
Frissonnante là-bas sous la neige et les grêles,
Comme tu pleurerais tes loisirs doux et francs,
Si, le corset brutal emprisonnant tes flancs,
Il te fallait glaner ton souper dans nos fanges
Et vendre le parfum de tes charmes étranges,
L’oeil pensif, et suivant, dans nos sales brouillards,
Des cocotiers absents les fantômes épars !
c) Sa liaison avec Jeanne Duval,une Haïtienne à la peau sombre,à à la démarche féline, lui fit célébrer en de nombreux poèmes (qui allaient constituer«le cycle de la Vénus noire») le «beau corps poli comme le cuivre», la«gorge aiguë»de «ce tigre adoré»(dans son poème ‘’Le Léthé’’),la beauté de cette «bizarre déité brune comme les nuits» (dans ‘’Sed non satiata’’-. Elle éveilla en lui un monde de sensations et d’images ensoleillées comme dans ’Parfum exotique’. En 1842, il avait déjà donc composé une vingtaine des futurs poèmes des ‘’Fleurs du Mal’’en relation avec cette escapade maritime.
d) Le cycle de Marie : Une nouvelle passion va donner naissance à de nouvelles pièces poétiques : En août 1847 , il s’éprit de la comédienne Marie Daubrun qui incarnait pour lui l’amour idéalisé quoique baigné de sensualité. Elle aurait été pour lui plus une sœur qu’une amante; il lui déclara d’ailleurs: «Mon enfant, ma sœur / Songe à la douceur / D’aller là-bas vivre ensemble» (dans ‘’L’invitation au voyage’’ . Il sembla chercher en elle l’oubli de ses précédents tourments amoureux et lui consacra un cycle de poèmes où il critique une certaine froideur .Il composera Chant d’automne pour elle, en 1859 où il lui demandait d’être la douceur de son arrière-saison. Comme elle lui préféra Théodore de Banville, un mouvement de jalousie lui inspira un poème qu’il intitula ‘’À une madone’’
e) En 1850, il tomba amoureux d’ Apollonie Sabatier, une femme de trente ans qui, du fait de sa beauté opulente et fascinante, de son anatomie parfaite,tenait un salon à la mode, où, soucieuse de sa respectabilité, elle recevait avec une grande amabilité peintres et écrivains. Il voulait voir en elle la femme idéalisée, spiritualisée, planant entre le ciel et la terre, étant«l’Ange gardien, la Muse et la Madone». Il lui envoya, pendant plus de trois ans de nombreuses épîtres amoureuses. Anonymement , il lui rendait hommage avec des poèmes qui célébraient sa grâce, sa beauté, son charme mystérieux. Ces poèmes forment le cycle de la Vénus blanche»: ’Harmonie du soir’’‘’L’aube spirituelle’’, ‘’Confession’’, ‘’Réversibilité’’ ‘’Le flambeau vivant’’ ,‘’Que diras-tu ce soir, pauvre âme solitaire?’‘, ‘‘Hymne’.
Ces femmes admirées, aimées ou simplement croisées furent des sources d’inspiration, des muses et le poète composa pour les poétiser, pour les magnifier, et faire d’elle , des fleurs nouvelles qui nous font désormais rêver.
La femme : sa place dans l’oeuvre
On distingue donc trois grandes figures féminines.
-Les poèmes du cycle de Jeanne Duval ou de la «Vénus noire»dont il célébra la «ténébreuse beauté»,en mêlant des souvenirs de la poésie baroque, et la tradition du romantisme à une expérience vécue ; On note déjà des allusions à la froideur de cette femme mystérieuse, ambiguë,de cette«fille de marbre»voluptueuse et glacée, de cette «statue aux yeux de jais», de cette déesse de la volupté dont il célèbre la «ténébreuse beauté»: ‘’Les bijoux’’, où il disait avec audace les plaisirs qu’il avait d’abord trouvés près d’elle-‘’Parfum exotique’’, où il essayait d’expliquer l’enivrement et le vertige de sa passion -‘
-les poèmes du cycle de Marie Daubrun et les poèmes du cycle de Mme Sabatier ou de I’amour spirituel constituent un ensemble cohérent parce que le sentiment qui s’y exprime reste celui d’un amour tendre, mais équivoque, paternel et fraternel à la fois («Mon enfant, ma sœur…») et en même temps d’une trouble sensualité.
L’amour est un remède impuissant qui ne parvient pas à dissiper définitivement le spleen, dont la tyrannie finit par écraser l’âme vaincue comme on le voit dans ‘’La cloche fêlée’’et les quatre poèmes consécutifs intitulés ‘’Spleen’’:
L’image du poète : histoire d’une âme
Baudelaire voulut illustrer l‘histoire de son âme dans les divers moments de son expérience intérieure. Les sections du recueil sont des tentatives du poète pour échapper à son spleen. La première partie compte plus de soixante-dix poèmes, . Elle a reçu le titre de‘’Spleen et idéal’’ : l’âme du poète semble déchirée entre, d’une part,son enlisement dans les tourments du quotidien qu’il nomme «ennui»,«guignon», «tristesse», en un mot, «spleen», , et, d’autre part,son aspiration à s’élever vers une pureté perdues,vers un idéal multiforme(paradis perdu, beauté surnaturelle ou intimité amoureuse).Le poète est d’abord présenté, dans‘’Bénédiction’’, comme un déshérité, «étranger» parmi les êtres humains,et torturé par la foule quine le comprend pas ; pourtant,il accepte cette infortune : «Soyez béni, mon Dieu, qui donnez la souffrance / Comme un divin remède à nos impuretés» ; c’est que «la douleur est la noblesse unique», la rançon contre laquelle Dieu permet au poète d’accéder au monde supérieur de la beauté, reflet de la perfection divine. Dans notre univers déchu,où l’âme est engluée dans le péché,et soumise à l’attirance infernale, le poète est celui dont l’esprit ne se plaît que dans les hautes sphères de I’idéal, à qui ses intuitions permettent de comprendre les secrets de la nature,et d’atteindre à une connaissance de l’au-delà . Le poète peut ainsi pénétrer dans le domaine mystérieux des correspondances entre le matériel et le spirituel (dans ‘’Correspondances’’).
Voulant guérir son âme de l’ennui qui règne ici-bas, il s’adresse à la poésie, cherchant à définir la mission de celle-ci (dans ‘’Les phares’’) et sa condition à lui, le poète (dans ‘’La vie antérieure’’). Cette évasion hors du réel le guérit de son spleen,et il s’efforce à son tour de communiquer aux autres la vision extatique du beau(dans ‘’La beauté’’).
Mais,à ces élans vers I’idéal viennent s’opposer les obstacles du réel: la maladie (dans ‘’La muse malade’’), la pauvreté qui contraint le poète à avilir son art (dans ‘’La muse vénale’’),l‘oisiveté qui stérilise l’inspiration (dans ‘’Le mauvais moine’’), et le Temps, cet «ennemi» qui «mange la vie» (dans ‘’L’ennemi’’).
Et sur le plan formel : l’alexandrin,le vers pair(seuls six poèmes comportent des vers impairs : tandis qu’un seul poème, ‘’L’invitation au voyage’’, est écrit uniquement en vers impairs [heptasyllabes]), le sonnet (on en trouve quarante-deux), qui est marqué toutefois par une certaine variété métrique.