En guise d’introduction
Autrice du XVIIIème siècle, continuatrice des combats des Lumières, Olympe de Gouges est le nom de plume de Marie Gouze, fille naturelle du marquis de Pompignac. Mariée à dix-sept ans, mère quelques mois plus tard et très vite veuve, elle ne se remariera pas afin de préserver sa liberté : elle n’aura, ainsi , pas besoin de demander l’autorisation d’un mari pour publier, comme la loi l’exigeait. N’ayant reçu qu’une éducation sommaire comme les jeunes filles bourgeoises de son époque, elle sait à peine lire et écrire: c’est donc une autodidacte. Elle dicte ses textes à des secrétaires et compose surtout des pièces de théâtre et des essais pour diffuser ses idées novatrices. Ecrivaine engagée, elle aborde des sujets controversés et partage les idées révolutionnaires comme la condamnation de l’esclavage ou des mariages forcés. Elle s’intéresse aussi à la politique et milite , dans son essai , pour d’importantes réformes sociales qui garantiront aux femmes leurs droits naturels .Sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne parue en 1791, dresse un constat amer de l’oppression masculine: l’ ’extrait que nous allons commenter , se situe après l’épître à la reine et avant les articles qui s’inspirent de la DDHC. L’autrice , sur un ton de défi , s’adresse aux hommes et les incite à réfléchir sur la manière tyrannique dont ils se comportent vis-à-vis des femmes. : Comment dénonce -elle ici les abus de pouvoir exercés par les hommes sur les femmes ? Nous pouvons distinguer 3 mouvements : des L. 1 à 4, O. de Gouges interpelle l’homme ;ensuite, dans le paragraphe suivant, elle compare le comportement masculin avec les autres espèces dans la nature et enfin, des lignes 10 à 13, elle dénonce l’ orgueil et l’ ignorance de l’espèce masculine.
Lecture linéaire
Premier mouvement
L. 1 à 4 O. de Gouges interpelle l’homme et lui demande de réfléchir à la tyrannie qu’il exerce sur la femme. Le texte s’ouvre sur une apostrophe à l’homme et une question rhétorique : « Homme, es-tu capable d’être juste ? » Le singulier « Homme » est généralisant : c’est à la gente masculine qu’elle s’adresse. Avec le pronom de 2ème personne « tu », elle ne met pas l’homme sur un piédestal mais s’adresse à lui comme à un égal. Elle semble le provoquer, lui lancer une sorte de défi avec l’expression « es-tu capable » qui fait référence à ses capacités, à ses facultés, lui qui se prétend supérieur à la femme. O. de Gouges souligne d’ailleurs aussitôt avec une phrase emphatique et le présentatif « c’est…que » qu’elle s’adresse à l’homme en tant que porte-parole de toutes les femmes comme le confirme ensuite « mon sexe » à valeur de généralisation. La 2ème phrase de rythme binaire est très construite et montre déjà que l’auteure maîtrise la rhétorique (=art du discours). Dans la 2ème proposition, elle dénonce implicitement l’abus de pouvoir des hommes qui privent les femmes de leurs droits : « tu ne lui ôteras pas du moins ce droit. » Il s’agit d’une forme d’ironie car elle sous-enetnd que la femme conserve , a minima , le droit de demander des comptes à ses homologues masculins. Ce qui revient à expliquer que l’homme prive la femme de tout autre droit. Elle l’interpelle à nouveau et l’exhorte à lui répondre toujours sur un ton de provocation, en continuant de le tutoyer: la phrase devientt injonctive avec l’impératif : « Dis-moi ? »
La dénonciation se précise dans la phrase interrogative suivante avec l’expression « opprimer mon sexe » l.2. O. de Gouges semble interroger l’homme sur l’origine de sa prétendue supériorité, son « souverain empire », l.2 formule pompeuse et un peu ridicule à laquelle fait écho « cet empire tyrannique » l.4: ce vocabulaire politique compare ici l’homme à un despote, qui commet des abus de pouvoir : le pronom interrogatif « Qui » supposerait un être supérieur, une transcendance, Dieu peut-être. Elle évoque d’autres hypothèses peu convaincantes qu’elle ne prend pas même la peine de développer, ce qui discrédite un peu plus les hommes : « Ta force ? Tes talents ? » l.2-3. Elle procède , là encore, de manière allusive mais ses propos sont réellement impertinents car ils remettent en cause le bien-fondé de la supériorité masculine . La phrase suivante est encore injonctive avec les impératifs « Observe » ; « parcours » et « donne-moi » et , elle termine , toujours sur le même ton de défi, avec « si tu l’oses », hypothèse qui traduit l’indignation . Elle incite l’homme à observer le monde autour de lui, évoque d’abord Dieu, « le créateur dans sa sagesse », qui dans sa perfection a forcément été équitable. Elle en souligne ironiquement « la sagesse » dont l’homme est, lui, dépourvu. Elle prend aussi pour référence la nature, une valeur importante des Lumières qui renvoie à l’innocence et à la mesure et qui du coup, s’oppose aux abus des hommes. La Nature , à l’époque des Lumières, est un élément souvent invoqué pour montrer le caractère déraisonnable de l’homme.. Le ton est ironique avec la proposition relative « dont tu sembles vouloir te rapprocher » : cela sous-entend que l’homme est loin de la grandeur à laquelle il prétend. Elle dénonce ses prétentions à vouloir égaler Dieu et la nature alors qu’il agit avec les femmes en despote capricieux.
Second mouvement
L. 5 à 9 Le second paragraphe se fonde justement sur une observations des relations entre les espèces . L’autrice établit le constat d’une coopération entre les deux sexes. O.de Gouges utilise ensuite un raisonnement par analogie : elle demande à l’homme de comparer la relation entre les deux sexes dans l’espèce humaine et dans les autres espèces vivantes. On peut remarquer encore sa maîtrise de la rhétorique avec une longue phrase qui constitue presque tout le 2ème paragraphe : les parallélismes de construction donnent plus de force à ses propos : « Remonte aux animaux, consulte les éléments, étudie les végétaux » l.5. La phrase est toujours injonctive avec les verbes du champ lexical de la réflexion à l’impératif « Remonte » l.5, « étudie » l.5 « jette enfin un coup d’oeil » l.5, « rends-toi à l’évidence », « cherche, fouille, distingue » l.7. O. de Gouges guide ainsi l’homme dans sa réflexion puisqu’il ne semble pas pouvoir trouver seul ou nie les faits : elle établit une sorte de parcours progressif de tout ce qu’il devrait faire pour enfin se rendre compte qu’il a tort de se croire supérieur à la femme : « rends-toi à l’évidence » finit-elle par lui asséner, ajoutant « quand je t’en offre les moyens » Elle prend ainsi le pouvoir par les mots et montre qu’elle est , par son raisonnement, à l’origine de cette prise de conscience nécessaire . Elle se moque de l’homme et de ses prétentions injustifiées à dominer le sexe féminin. Un peu plus loin « si tu peux », équivaut à lui dire implicitement qu’il n’a pas été capable de réfléchir par lui-même. La conclusion arrive enfin avec le parallélisme de construction « Partout tu les trouveras confondus, partout ils coopèrent », les verbes au futur de l’indicatif et au présent de vérité générale la présentent comme une certitude fondée en raison, reposant sur l’observation : on retrouve là la méthode scientifique chère aux Lumières et qui s’oppose aux préjugés hâtifs et aux idées reçues . La domination de l’homme sur la femme irait ainsi à l’encontre de la Raison et ne se vérifierait pas dans la Nature.
La thèse d’O.de Gouge précise que l’homme et la femme sont égaux en droit et se complètent comme le souligne le sens du verbe « ils coopèrent » ainsi que les métaphores mélioratives hyperboliques « un ensemble harmonieux » et « ce chef-d’oeuvre immortel » l.9. Seule une coopération équitable entre les sexes aménera l’Humanité au Bonheur alors que si les hommes continuent à exercer une domination injuste, ils déclencheront la colère des femmes et leur ressentimment : Ce sera donc une source de discorde dans la société civile.
Troisième mouvement
L. 10 à 13 Pour conclure sa démonstration, O.de Gouges dénonce la tyrannie que l’homme exerce sur la femme en raison de son orgueil et de son ignorance. Elle donne en effet les raisons de son égarement. Le ton est accusateur : « L’homme seul s’est fagoté un principe de cette exception. » Le verbe « s’est fagoté » est péjoratif et souligne un défaut de raisonnement : la femme serait inférieure à l’homme, telle serait « l’exception » ici, devenue pour l’homme « un principe », c’est-à-dire une règle. L’homme ne s’est pas dit qu’il se trompait dans son raisonnement, il a préféré y décréter une exception dont il a fait un principe. Et l’auteur dénonce l’orgueil masculin avec « l’homme seul », l’homme se pensant toujours au-dessus de tous, même de toutes les espèces du règne vivant. L’accumulation d’adjectifs péjoratifs « Bizarre, aveugle, boursouflé de sciences et dégénéré » dénonce la suffisance de l’homme qui le pousse à l’erreur et au déni. L’antithèse « ce siècle de lumières et de sagacité » / « l’ignorance la plus crasse » l.11 souligne son égarement, son manque de clairvoyance et de lucidité, d’autant plus impardonnable qu’il se proclame éclairé et que la science, le savoir ont progressé. Les modalisateurs dénoncent la vanité de leurs prétentions dans les expressions « il veut commander en despote » « il prétend jouir ». C’est finalement la Révolution même qu’il met en péril puisqu’il se comporte « en despote » et ainsi en ennemi de la liberté. De même il invoque « ses droits à l’égalité » l.13 mais en prive la moitié de l’humanité. A l’opposé, la femme est mise en valeur avec la périphrase « un sexe qui a reçu toutes les facultés intellectuelles » comme en atteste à elle seule l’exhortation et la DDFC qui suit. Les derniers mots « pour ne rien dire de plus » sonnent comme une conclusion : tout est dit.
Pour conclure , ……
Dans ce début du postambule, l’autrice donne une autre image de sa personnalité et prouve qu’elle est déterminée à se faire entendre car ses idées sont portées par des arguments recevables, empruntées à l’esprit scientifique des Lumières. Elle donne l’image d’une femme combative qui n’hésite pas à défier l’homme et à remettre en cause la légitimité du pouvoir qu’il exerce sur les femmes ; ce texte polémique fait clairement entendre ses récriminations. Elle critique les prétentions de l’homme, le ridiculise en dévoilant ses nombreux défauts et démontre que son prétendu pouvoir se fonde sur une exception aux règles de la nature . Grâce à son raisonnement construit , elle parvient à remet en cause l’idée même d’une domination “naturelle ” du sexe masculin sur le sexe féminin : comme elle le rappelle , la collaboration des deux sexes, à égalité, afin d’établir une harmonie , permettra à l’Humanité d’accéder au progrès et au bonheur , qui est une grande idée des Lumières .
Ouvertures possibles : les avancées féministes avec l’évolution des mentalités , les femmes ont acquis des droits ( vote, parité ) mais il demeure des formes de sexisme parfois latentes dans les mentalités : c’est l’homme qui devrait travailler et pas la femme, c’est la femme qui doit s’occuper de la maison et des enfants . On peut souligner aussi que dans certains pays, les femmes n’ont pas le droit de conduire, de travailler, de sortir sans être accompagnées par un homme. A vous de jouer….