01. novembre 2024 · Commentaires fermés sur Combattre contre les inégalités : femmes et hommes de couleur, même combat ? Lecture linéaire 3 oral de bac · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags: ,

Si le nom d’Olympe de Gouges restera associé dans l’histoire aux combats féministes , en faveur notamment de l’égalité des droits entre les citoyens,  indépendamment de leur appartenance à un sexe, on risque d’oublier qu’elle fut également admise dans la société des amis des Noirs; Ce mouvement abolitionniste fut créé en 1788 et défend notamment l’unité des lois et des droits entre métropole et colonies.  En effet, combattre pour l’égalité des droits entre les hommes  sous l’égide du grand courant intellectuel animé par l’esprit des Lumières , implique de prendre en considération, tous les hommes , indépendamment de leur couleur de peau . Elle va donc s’engager fortement contre l’esclavage et au- delà, contre les préjugés qui feraient de certains hommes des “sous-hommes ” ou des êtres d’une catégorie inférieure : autant d’idées reçues qui font le lit du racisme .

L’extrait que nous allons présenter se situe à la fin du postambule de la DDFC et ODG y aborde justement le sort des hommes de couleur dans un essai intitulé “forme du contrat social de l’homme et de la femme  . La transition avec ce qui précède , la réforme notamment du mariage et de l’adoption des enfants naturels , est établie grâce à l’expression “ il était bien nécessaire ” L‘adverbe bien associé à l’adjectif nécessaire  ici ,marque l’obligation qu’elle ressent d’aborder ce sujet qui lui tient à coeur et sur lequel elle a déjà pris position, notamment en écrivant un pièce de théâtre en 1789 sous- titrée  De L’esclavage des noirs. ». Le premier mouvement du texte décrit les faits, expose la situation et signale   l’injustice dont sont victimes les hommes de couleur. Le second mouvement est unevirulent edénonciation des cruaués commises par les colons. Le dernier mouvement évoque la nécessité de lois justes qui garantissent les droits fondamentaux dse individus et notamment leur liberté.

Olympe de Gouges rappelle la publication d’un décret de mai 1791 qui accorde l’égalité des droits aux hommes de couleur dans les colonies françaises  ( on désigne par cette expression les métis ) ; Pour obtenir les mêmes droits que les colons blancs, il leur faut être nés  libres  de parents libres ; Ainsi les affranchis de première génération sont exclus de ce processus d’égalité. On dénombre 500 000 esclaves noirs à Saint Domingue contre seulement 4000 “hommes de couleur ”   Ce décret, de fait, qui constitue une avancée dans la prise de conscience de l’égalité des droits,    accorde une égalité de droits restreinte sous certaines conditions.( nés libres de parents libres ). Il provoque, à la fois, l’hostilité des colons et le mécontentement des esclaves noirs.  Un nouveau décret , promulgué par le gouvernement provisoire ,  ira plus loin et rendra libre tout homme de couleur sur le sol français; il s’agit de l’affranchissement par le sol. Sous la Terreur ,  l’esclavage sera aboli une première fois dans les colonies en 1794 avant d’être réinstauré par Napoléon en 1802 et définitivement supprimé en 1848 par Victor Schoelcher .En pleine période révolutionnaire ,  on constate que certains français , conscients de la nécessité d’abolir les privilèges  entre les différentes catégories qui composent la société , se préoccupent aussi du sort des esclaves et souhaitent étendre les nouvelles libertés à tous les êtres humains qui partagent le même territoire , sans tenir compte de leur genre ou de leur couleur de peau .

ODG évoque ainsi   les “troubles ”  qui ont lieu dans les colonies : il s’agit ici d’un euphémisme car de violentes révoltes ont éclaté dans les colonies qui forment les Antilles françaises dans la région des Caraïbes , le long des côte d’Amérique du Sud ; Les esclaves prennent, en effet , les armes en Martinique et prendront même le pouvoir comme à Saint- Domingue en 1791 . Les arguments utilisés par ODG pour lutter contre l’esclavage se fondent sur le pathétique : “c’est là où la Nature frémit d’horreur ” ; Elle personnifie la nature qui devient l’allégorie du monde et, dans un mouvement hyperbolique , l’univers tout entier ressentirait ainsi un sentiment de dégoût à la simple pensée de l’existence de l’esclavage.  De plus, l’expression frémir d’horreur indique une véritable réaction physique L’anaphore ou parallélisme de construction , permet de relier les deux étapes de son raisonnement et de sa critique ” c’est là où la raison et l’humanité n’ont pas encore touché les âmes endurcies. ” Une fois encore, elle se place sur le terrain éthique avec des références à des valeurs morales incontestables telles que la raison, valeur suprême des Lumières .; On connait, en effet, l’importance de la raison pour les Lumières ; C’est la faculté de discernement dont dispose l’homme grâce à son intelligence ; elle doit lui permettre de juger en toute objectivité  et d’exercer pleinement son libre-arbitre ; Quant à l’humanité ,ce mot désigne un ensemble de qualités et de valeurs positives associées à l’amour de son prochain, à la tolérance et à la bienveillance envers autrui.On retrouve une idée proche dans la notion de fraternité.

La périphraseâmes endurcies ” fait référence aux partisans de l’esclavage et montre leur cruauté, leur absence de coeur . ODG souligne ensuite les conséquences de ces mouvements insurrectionnels  qui sont des facteurs de “division et de discorde ” :deux mots quasi- synonymes ; Cette redondance met en évidence le danger pour la paix sociale .Les accusations désignent ceux qui, en France , luttent contre l’abolition de l’esclavage dans les colonies et exercent une forme de pression économique.La périphrase “instigateurs de ces fermentations incendiaires ” permet de ne pas les  nommer directement  mais ce sont bien  : les colons  qui sont clairement visés par l’accusation .  L’expression ” il n’est pas difficile de deviner “ qui est une litote , contribue à faire des colons les principaux responsables des émeutes dans les colonies.   Ainis, l’autrice se range du côté de ceux qui accusent l’existence même  de l’esclavage d’être à l’origine des divisions de la société française . A la ligne 6, l’expression “fermentations incendiaires ” fait clairement référence aux nombreux soulèvements, parfois meurtriers qui font tache d’huile, dans les colonies françaises et en Amérique ;  la métaphore de l’embrasement est ici employée pour montrer  le caractère expansionniste du phénomène comparé à un processus de transformation naturelle : la fermentation, en effet, modifie  la composition de la matière .  Cette réflexion sur l’esclavage  a un caractère universel mais il faudra attendre, officiellement , la fin de la guerre de Sécession en 1865, pour mettre un terme à des siècles d’esclavage en Amérique.  Ce feu qui doit embraser l’Amérique est une nouvelle périphrase qui fait référence aux soulèvements de Saint- Domingue, des Caraïbes et ensuite aux révoltes dans les états du Sud de l’Amérique, par proximité géographique. On peut donc dire ici qu’ODG a une vision assez lucide de l’avenir .Elle évoque également les hommes politiques français  et notamment,par métonymie, les députés ” au sein même de l’Assemblée nationale  ” qui soutiennent l’esclavage pour des raisons philosophiques mais également par intérêt mercantile.

Le second mouvement du texte précise nettement les accusations contre les colons . Elle les juge , en effet, responsables des événements dramatiques dans les colonies et condamne leur attitude ; Ils prétendent “régner en despotes ” : le terme ici désigne un pouvoir abusif et tyrannique tel que celui qu’exerçaient  les tyrans antiques.  Ce pouvoir est abusif car il fait d’un homme le maître d’un autre homme et méconnait ainsi l’égalité naturelle des droits entre tous les hommes qui sont “pères et frères “ . L’argument sur lequel se fonde la critique d’ODG est celui de l’égalité naturelle qui a été formulé dans l’article premier de la DDHC : tous les hommes naissent libres et égaux en droits ” L’esclavage tel qu’il est pratiqué dans les colonies bafoue ainsi les droits naturels des êtres humains . L‘image suivante est une vive  accusation et fait allusion aux mauvais traitements infligés par les maîtres à leurs esclaves ; Leur cruauté apparait implicitement avec la référence au sang versé . Elle développe ensuite un argument encore employé aujourd’hui dans la lutte  contre le racisme : si la couleur de peau des hommes est différente, la couleur de leur sang est partout la même. Ce qui contribue à mettre en évidence ce qui les unit et les rend semblables : leur humanité . De plus, on peut penser également qu’elle évoque les enfants métis nés d’unions entre colons blancs et esclaves noires  En utilisant le pronom personnel “nous ” dans la phrase “nous le répandrons tout” elle semble provisoirement s’associer à ces exactions que l’hyperbole tout ” tend à amplifier. Les explications de ces horreurs sont données par deux subordonnées infinitives qui traduisent le but des colons ” pour assouvir notre cupidité , ou notre aveugle ambition” . Dans le premier cas, comme dans le second, les motifs de leurs actions apparaissent condamnables : ils agissent par appât du gain, soif d’argent ou parce qu’il se sentent supérieurs et cherchent à conquérir le monde .

La périphrase  qui désigne les colonies “ ces lieux les plus près de la nature “ montre que les hommes qui y vivent , respectent justement un mode de vie simple, conforme à ce qu’ offre leur environnement. ODG reprend le mythe du bon sauvage, un concept créé  par Rousseau pour expliquer les méfaits de la civilisation. Il  a développé la théorie selon laquelle les colons seraient responsables des vices qui apparaissent chez certains indigènes qui avant leur arrivée, vivaient en harmonie avec la Nature. La colonisation apporte  donc de nombreux maux et notamment  la violence : c’est cette dernière qu’illustre longuement ODG . La métaphore sourd aux cris du sang” démontre que les colons sont sans pitié . “Il en étouffe tous les charmes ” ; Il s’agit cette fois d’accuser les colons de dénaturer les îles et d’y apporter le malheur. La résistance des populations locales parait bien naturelle aux yeux de l’autrice . Les mots père et fils instaurent un lien de filiation, une parenté entre colons et indigènes, parenté niée par certains  occidentaux . La seule solution parait donc de rendre leurs droits naturels à ces populations injustement  opprimées . Une alternative marque une sorte de dilemme : ” la contraindre avec violence, c’est la rendre terrible, la laisser encore dans fers, c’est acheminer toutes les calamités vers l’Amérique . Aucune de ces deux  attitudes ne parait donc donner  une issue favorable à la situation   dans les colonies . Le risque d’une escalade de la violence semble évident comme le montre l’adjectif “terrible “. La métonymielaisser dans les fers ” qui traduit la situation des esclaves prisonniers et enchainés  , aura selon ODG , des conséquences importantes qu’elle précise avec le mot “calamités “ . Ce terme est surtout utilisé pour dépeindre des malheurs collectifs, des désastres  qui frappent un pays tout entier ;  ODG se montre véhémente et tente d’effrayer ses contemporains en prédisant un désastre s’ils persistent dans leur attitude .

 La suite présente un autre argument qui peut sembler quelque peu étrange dans ce contexte révolutionnaire , c’est celui de la main divine ” . L’autrice mentionne, en effet, une volonté divine qui soutiendrait les actions révolutionnaires et notamment le rétablissement de la fraternité entre les hommes. Cette idée de fraternité est également l’alibi qui sert à l’évangélisation des populations colonisées: parfois on leur impose de nouvelles croyances et on  évoque la fraternité tout en les maintenant dans un état d’esclavage, qui contredit justement les paroles de Dieu ; Il s’agit d’un des  paradoxes de la colonisation et du christianisme. 

Ce dernier mouvement du texte fait l’éloge de la nécessaire liberté, qui est le maître mot de la DDHC  et de notre devise républicaine comme nous pouvons le rappeler “Liberté, égalité, fraternité ” .  Le terme apanage employé pour la qualifier, désigne un bien exclusif dont on a l’usage.  Dieu est ici celui qui accorde aux hommes le privilège d’user de leur liberté et seule la loi peut la restreindre. L’auteure se place dans un cadre religieux mais maintient le cadre juridique des institutions comme le seul apte à faire régner cette liberté et éventuellement , apte à la corriger si elle devient abusive.  La répression est donc du ressort non plus d’une justice divine mais bel et bien de réglementations humaines qui placent les individus face à leurs devoirs envers leurs congénères. La formule emphatiquela loi seule “ marque bien le caractère souverain de la loi dans l’exercice des libertés . La fin du passage est l’occasion de rappeler que la loi doit être égale pour tous comme il est écrit dans l’article 6 de la DDFC et de la DDHC.  Les représentants des institutions françaises chargés de faire respecter la loi, donc ici l’Assemblée nationale, ont en effet pour but de garantir  cette liberté .  L’alliance des mots ” prudence ” et  justice ” marque doublement le caractère raisonnable d’accorder la liberté à tous les hommes : c’est en effet leur état de nature et l’article 2 mentionne que le but de toute association politique est justement la conservation des droits naturels des individus et le caractère imprescriptible de ces droits naturels légitime toutes les formes de résistance à l’oppression qui est, de fait, une forme d’injustice et d’iniquité.  La formule finale comporte une modalité exclamative qui s’apparente à une forme de prière avec ce subjonctif qui exprime le  souhait “puisse-t-elle ” . 

Si, en 1791, les révoltes d’esclaves  dans les colonies française sont  une  véritable source d’inquiétude   , l’état de la France est également préoccupant et les acquis de la Révolution ne doivent pas faire oublier ce qu’ODG nomme les “nouveaux abus “; Il s’agit sans doute de critiquer l’action des tribunaux révolutionnaires et la politique répressive que  commence à mener la frange la plus radicale des députés républicains notamment les Montagnards. La comparaison établit un lien entre les deux formes d’abus : ceux que la Révolution tente de corriger et d’éradiquer et ceux qu’elle génère.  Le mot effroyables connote une certaine gravité et une forme d’urgence à agir. C’est une raison supplémentaire de soutenir ceux qui combattent pour obtenir leur liberté: comment les révolutionnaires qui combattent en France  pour obtenir de nouvelles libertés  et l’abolition de certains privilèges pourraient -ils ne pas être solidaires de hommes de couleur qui combattent pour retrouver leur liberté naturelle ? 

Pour conclure , il s’agit d’une virulente dénonciation de l’esclavage fondée sur des arguments rationnels et logiques .  L’auteure se montre scandalisée par le fait que les colons prétendent détenir des droits supérieurs à ceux de la Nature ; Elle prédit des violences qui  dureront plus d’un siècle  et ne cesseront pas même une fois que l’esclavage aura définitivement été aboli partout. D’autres formes de domination ou d’aliénation verront  le jour comme la ségrégation aux Etats-Unis ou l’apartheid en Afrique du Sud. ODG imaginait que les changements positifs en France s’étendraient un peu partout dans le Monde et que l’esprit de la Révolution continuerait de souffler au loin, sur les Océans . Cette défense des hommes de couleur ce combat contre l’esclavage, poursuit les idéaux des Lumières et entend ,cette fois, avoir l’appui de la loi qui doit devenir , à la fois la garantie des libertés et la gardienne des droits des individus. Mais dénoncer des abus et mentionner des injustices ne suffit pas toujours à changer les mentalités .Parfois les lois évoluent et les textes législatifs garantissent une égalité de droits des citoyens . Dans les mentalités de certains, cette égalité  est loin d’être acquise. 

 

Rappel d’un plan possible de commentaire ( qui suit les mouvements du texte ) 

I   De vives accusations : le rappel des faits                                                              II La  virulente critique des colons                                                               III  L’application des idées des Lumières : voter l’abolition

1/ Un décret qui met le feu aux poudres                                      1/ Le registre pathétique décrit des souffrances                                                                      1/ Une rhétorique de la persuasion : effrayer et faire réfléchir

2/ Des tensions qui peuvent virer au drame                                 2/ L’absence de fraternité   critiquée  :  le blâme                                                                      2/ Le rôle de la Raison : la Liberté nécessaire

3/ Les difficultés qui risquent de se présenter                              3/ Les véritables causes des agissements des colons  sont dénoncées                                 3/ Le rôle de la Loi garante de l’égalité