23. mars 2021 · Commentaires fermés sur Le pin des Landes ou le poète selon Théophile Gautier · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags:
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 Quelle image les poètes cherchent-ils à donner de leur art  ? Beaucoup de poètes ont cherché à dresser de leur travail et de leur vocation un portrait précis , à travers notamment des figures d’animaux et  des allégories ; Le Pin des landes révèle le statut du poète selon le fondateur de l’Art pour l’Art , Théophile Gautier,  auquel Baudelaire dédiera son recueil Les Fleurs du mal. Avant de parvenir à  rédiger  le commentaire littéraire de ce poème, il est nécessaire de partir d’observations et de repérages qui se fondent sur un examen attentif du poème vers par vers ; cette étape constitue la lecture linéaire qui sert de base à l’oral du bac de français;  à l’écrit,  si vous choisissez l’épreuve dite du commentaire littéraire , il faudra déterminer , dès l’introduction, une problématique  ( appelée également axe principal ) et proposer  un plan qui répondra à la question posée; Les explications qui suivent forment une étude linéaire.  A partir de ce document , entrainez-vous , par écrit, à  reconstituer un plan détaillé  en faisant clairement apparaître les titres des parties, des sous-parties, les citations, les figures de style et les interprétations principales .

  Exemple d’introduction :  Le courant romantique apparait au début du dix-neuvième siècle et  se fonde notamment sur  le lyrisme personnel ; Toutefois dès 1840, le Parnasse préconise  de restreindre l’expression des sentiments au profit du culte de la Beauté, et de la forme : le lyrisme tend à s’effacer pour laisser place à davantage d’impassibilité du poète.   Dans la communauté des hommes, l’artiste  occupe souvent une place particulière. Sa vision aiguë et douloureuse de l’humanité en fait  un être à part, parfois marginal et qui se considère le plus souvent comme la victime des autres hommes qui ne le comprennent pas ou se moquent de lui et de sa sensibilité. Dans Le pin des Landes poème  d’inspiration plutôt romantique tiré du recueil « Espana, »  Théophile Gautier tente de définir, au moyen de symboles, la condition du poète. Quelle  est l’image du poète dans ces quatre quatrains d’alexandrins ?

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Comme l’Albatros  de Baudelaire le poème de Gautier est construit à partir d’un réseau de comparaisons et de métaphores qui forment un ensemble analogique; Si le pin, en tant qu’objet apparaît, dès le début du premier quatrain comme ce qui est décrit, ce qui fait l’objet de la vision, “ on ne voit ..”; cette image n’est complétée qu’ au dernier vers du quatrain par le complément de la négation forclusive ” d’autre arbre que le pin avec sa plaie .”  Les propriétés de l’arbre  sont rappelées au vers 10,  mais ce n’est qu’au vers 13 que l’analogie est complète  et compréhensible pour le lecteur . Le pin désigne bien le poète  comme l’indique le vers : «  le poète est ainsi  dans les landes du Monde »  écrit Gautier ; L’expression « Landes du monde » rappelle le premier vers du premier quatrain, ces landes désertes, cette région de France connue pour ses nombreuses forêts de pins . Il faut donc lire poète à la place de pin et France ou pays à la place de Landes.  L’analogie est bien la structure sur laquelle fonctionne le poème.   La dernière strophe fait  ainsi écho à la première. Le poète y établit explicitement  la comparaison comme d’ailleurs Baudelaire dans l’Albatros où il écrit dans le dernier quatrain: le Poète est semblable au Prince des nuées ; Baudelaier a-t-il en tête le souvenir du poème de Gautier lorsqu’il compose l’Albatros 15 ans plus tard ?    L’auteur recourt aussi à une véritable personnification de l’arbre qui s’accentue au fur et à mesure des strophes.
     Il lui donne des attributs humains; physiques d’abord avec « flanc » au vers 4 , puis  lui prête des « larmes de résine », expression qui mêle les caractéristiques propres à l’arbre, la résine, et celle de l’homme, les larmes. Plus loin, la résine sera aussi comparée à du « sang qui coule goutte à goutte ». Théophile Gautier attribue aussi à l’arbre des sentiments tels que le regret « sans regretter », la volonté « qui veut », le courage « Comme un soldat blessé qui veut mourir debout » et des sensations, notamment la douleur « tronc douloureux ». L’arbre est personnifié de bout en bout . D’ailleurs la première image de l’arbre est celle d’un Christ souffrant avec sa plaie au flanc au vers 4;

 

Mais cet arbre n’est pas le seul élément de décor ; en effet, il est placé à l’intérieur du désert et  sa présence peut sembler incongrue , insolite; On note tout d’abord qu’il a surgi , au vers 3 : il est le seul arbre à pouvoir apparaître dans de telles conditions; Son unicité et son caractère exceptionnel sont marqués par  la séparation entre le verbe et ses compléments  : dans la phrase, le complément d’objet  est séparé du  verbe voir par presque 3 vers ; cette séparation syntaxique confère un caractère d’apparition encore plus net à l’arbre miraculeux. 

             Examinons un peu l’environnement du pin :  les Landes  sont présentées comme un endroit désert et aride : le nom « Sahara » renvoie explicitement au caractère désertique et menaçant  tandis qu’« herbe sèche »  possède plutôt des connotations négatives; Rien ne semble pouvoir pousser dans un tel milieu aride . Gautier utilise une allitération  en « s » pour matérialiser cette sècheresse ambiante synonyme de stérilité pour toute forme de vie . Ainsi présenté ,le pin acquiert un statut d’exception et surtout il connote la force, la résistance puisque sa naissance et sa vitalité démontrent qu’il  a su triompher du désert. 

     « On ne voit, en passant par les Landes désertes,
     Vrai Sahara français, poudré de sable blanc,
     Surgir de l’herbe sèche et des flaques d’eaux vertes »

      Le poète campe un cadre pittoresque et fait appel à  nos sens. La vue tout d’abord  grâce à l’évocation des couleurs « sable blanc » ou « eaux vertes » et à l’expression « On ne voit ». Les sensations tactiles sont également présentes  avec  cette « poudre » et l’adjectif « sèche » qui qualifie l’herbe.     Dans la deuxième strophe, il nous fait même  entendre le bruit de la scie contre l’arbre « Dans son tronc douloureux ouvre un large sillon » avec une allitération  en « r ».
« Car pour lui dérober ses larmes de résine,
L’homme, avare bourreau de la création,
Qui ne vit qu’aux dépens de ceux qu’il assassine,
Dans son tronc douloureux ouvre un large sillon
! »

     Pour suggérer le « sang qui coule goutte à goutte », le poète utilise une répétition de sonorité ce qui rythme le vers. On entend alors le rythme régulier du liquide qui tombe. « Le pin verse son baume et sa sève qui bout » De plus, toute la strophe est parcourue par une allitération en « s » qui rappelle le sang. Les harmonies imitatives sont très répandues dans la construction rythmique et phonétique du poème ; Les parnassiens, en effet, vouaient un culte à la beauté et à la musique des mots car ils se considèrent comme des sculpteurs de mots et de rêves.
     « Sans regretter son sang qui coule goutte à goutte,
     Le pin verse son baume et sa sève qui bout,
     Et se tient toujours droit sur le bord de la route,
     Comme un soldat blessé qui veut mourir debout. »

         Le paysage met en valeur la majesté de cet arbre soufrant: ce pin symbolise le poète qui reste debout en dépit des blessures qu’il a reçues.

   L’arbre- poète nous est tout de suite présenté avec comme un être souffrant : il porte en effet, à la manière du Christ ,  « une plaie au flanc ». Sa souffrance est mise en lumière par un fort champ lexical de la douleur « blessé, entaille profonde, douloureux, larmes, mourir… » et son caractère de résistance héroïque l’assimile à un soldat courageux.

     Cette souffrance n’est pas le fait de la nature mais plutôt de l’homme. L’homme , en effet, est considéré comme un « avare bourreau de la création »: c’est lui qui agresse l’arbre pour le voler ; il « dérobe » et « assassine ». Ces mots aux connotations violentes  et fortement négatives ,brossent le portrait d’une humanité brutale et cruelle et nous rappellent  les marins de Baudelaire, cet équipage cruel qui martyrise l’oiseau -poète sur le pont du navire . Le poète est donc, une fois de plus , présenté comme une victime :  en butte aux malversations des hommes qui s’attaquent à lui . Gautier met en scène, avec cet arbre blessé, la figure du poète martyr . Les images révèlent la brutalité du monde et des hommes  à l’égard des poètes. C’est au poète que l’humanité est accusée de « dérober ses larmes » « dans son tronc douloureux » comme en atteste ici les adjectifs possessifs. Le poète se sacrifie car il donne son sang pour sauver les hommes en quelque sorte ; L’image du poète en Christ mis à mort et salvateur est un cliché de la poésie romantique . Par exemple, le poète Alfred de Musset  l’a utilisée dans Le Pélican, cet oiseau qui nourrit ses petit savec son corps et verse des larmes de sang.

     Mais pour Théophile Gautier,  comme pour la plupart des poètes romantiques ,la souffrance du poète est cependant  un Mal nécessaire car elle permet l’accomplissement de son destin ;  sans souffrance , pas d’alchimie poétique, pas de partage d’émotion car « Lorsqu’il est sans blessure, il garde son trésor.      Il faut qu’il ait au cœur une entaille profonde      Pour épancher ses vers, divines larmes d’or ! »La poésie permettrait ainsi de transformer la souffrance contenue en chacun de nous en « divines larmes d’or « ; La métaphore montre comment la poésie transforme la douleur en beauté. Cette alchimie de l’opération poétique est formulée différemment selon les poètes. Baudelaire, par exemple, se sert de l’image de la boue qui devient de l’or . Ici Gautier montre que les larmes de souffrance se transforment à la fois en quelque chose de divin et de précieux.

 Gautier mentionne l’origine de cette blessure : une entaille profonde ; cette plaie est mortelle et le pin devient une sorte de martyr des hommes ce qui est fortement suggéré par la comparaison au vers 12 « comme un soldat blessé qui veut mourir debout . »    Le poète utilise l’image du sang versé et l’agonie de l’arbre est dépeinte en termes réalistes et suggestifs  « Sans regretter son sang qui coule goutte à goutte ». Les larmes  renvoient bien sûr à la tristesse « larmes de résine » mais le poète demeure un créateur comme l’indique la présence de la « sève qui bout » pour symboliser son œuvre ; le verbe bouillir  indique ici l’énergie de la création et la sève , c’est aussi le liquide de vie pour l‘arbre , qui irrigue le tronc et les branches un peu comme le sang de l’arbre.   L’intensité de la souffrance serait ainsi un gage de beauté: Gautier reprend ici le credo romantique du poète pour lequel les chants les plus beaux sont aussi les plus douloureux si l’on en croit Alfred de Musset.
    Mais  Théophile Gautier souligne également à quel point la poésie est nécessaire à l’humanité. Ce sang, ces larmes que verse le poète composent le baume dont les hommes ont besoin pour survivre à la brutalité de leur société. Et c’est donc volontiers qu’il consent à souffrir pour apaiser la douleur du monde. Un baume , en effet, c’est ce qu’on répand sur les blessures pour les soigner. On comprend que le chant du poète a pour effet d’apaiser la douleur de ses contemporains.    Le cruel destin du poète qui finit exsangue  s’explique par la dépendance des hommes aux bienfaits qu’il leur prodigue. L’œuvre du poète répond donc à des besoins humains qui donnent en retour un sens à sa souffrance et la rendent acceptable.

     Le poète est donc décrit comme une victime sacrificielle mais consentante de l’humanité. Il accepte sa douleur et la supporte avec vaillance.      « Et se tient toujours droit sur le bord de la route,      Comme un soldat blessé qui veut mourir debout. » : « droit » et « debout »  ont des connotations nettement valorisantes et font référence à sa volonté de faire face sans fléchir malgré les blessures. Il veut garder force et courage dans ce combat, cette guerre  qu’évoque l’image du soldat qui symbolise aussi le devoir de résistance. 

En conclusion , Gautier fait ici un réel éloge de la condition de poète, revendiquant son utilité  face au monde et son caractère exceptionnel.  Il se sert de la transformation symbolique du poète en pin. La condition de l’artiste est mise en valeur par le contraste entre la violence de l’humanité et la générosité de sa victime.   Homme seul, différent des autres  hommes et mal intégré, le poète doit souffrir pour s’adonner à la création poétique. Présenté comme indispensable à l’humanité et courageux, Théophile Gautier fait du Pin des Landes un éloge de tous les poètes. Il est rejoint en cela par Baudelaire qui choisira lui un autre animal, l’Albatros pour dépeindre le statut de poète victime de la  brutalité des hommes et tellement plus heureux dans le monde de l’idéal que dans la dure réalité.