Les fables constituent des lieux de paroles ; les animaux s’y combattent souvent oralement et à ce jeu, le renard fait figure de favori ; Il parvient à tromper le corbeau en usant de son éloquence et en employant la flatterie. Cette stratégie s’avère souvent payante mais encore faut -il en user avec mesure car si le flatteur “vit aux dépens de celui qui l’écoute“, il peut également, avec un éloge un peu trop appuyé, finir chez Pluton comme ce sera le cas du singe dans La Cour du lion . Dans cette fable, le conteur nous prouve que la Cour est un milieu dangereux et que pour espérer y survivre, il faut se comporter, prudemment , en normand, sans dire ni oui ni non. Il faut faire entendre aux puissants ce qu’ils ont envie d’entendre et une fois de plus, maitre renard, en digne héritier de la figure médiévale du Goupil , s’y entend parfaitement.
La parole sincère et raisonnée de l’agneau ne triomphe pas face à celle , abusive et mensongère du loup car comme souhaite le démontrer le fabuliste, avoir raison ne suffit pas . Le plus fort , en force ou en rang,l’emporte et fait valoir sa volonté.La couleuvre en fait la douloureuse expérience car elle perd ce méchant procès que lui intente l’espèce humaine alors que ses arguments sont pertinents. Sa parole authentique se heurte à la mauvaise foi de l’homme et à son désir de l’éliminer. En dépit de l’aide apportée par les discours des animaux qui la soutiennent, la couleuvre périt la tête écrasée , victime de la plus redoutable des espèces : l’homme. Dans cette fable, La Fontaine dénonce les mœurs des courtisans , critique les désirs excessifs du roi et fait l’éloge de l’éloquence du renard . Pourtant cet animal est mis en défaut dans Le Chat et le renard car sa parole est impuissante ici à le sauver . Il lui aurait fallu agir et pouvoir grimper à l’arbre comme son compère le chat pour échapper aux chasseurs. Dans le loup et le renard , il triomphe une fois de plus de son adversaire . Bloqué au fond d’un puits pour avoir voulu croquer la lune , confondue avec un gros fromage, il réussit à convaincre Messire loup que ce fromage est divin et qu’il lui en garde la plus grosse part . Ce n’est pas ici l’éloquence du Renard qui cause la perte du loup mais le désir de ce dernier de croire cette histoire “ajustée ” par le goupil,, de se laisser séduire par ses désirs et de prendre ses rêves pour la réalité. Face au lion cette fois, et accusé par le loup de crime de lèse -majesté,le renard doit se montrer habile flatteur et dire au roi ce qu’il a envie d’entendre.
Le lion , le loup et le renard
Cette fable est la troisième du livre VIII, publiée en 1678 et c’est la première qui met en scène des animaux. La Fontaine traduit le plus souvent d’Esope,fabuliste grec, le bestiaire et les situations principales mais il agrémente ses fables d’éléments satiriques afin de dénoncer les abus de pouvoir du roi Louis XIV.
STRUCTURE DE LA FABLE ( à conserver en tête sans forcément la citer )
v.1 à 34: récit = corps de la fable. / 35 à 40 = morale et âme de la fable
v.1 à 7: présentation des personnages; situation initiale
v.8 à 13: réaction du Loup, qui diffère de celle du Renard vis à vis duLion
v.14 à 30: partie centrale au discours direct; intervention du Renard
v.31 à 34: chute de la fable, le Lion suit les conseils du Renard; la ruse triomphe.
Le premier adjectif décrépit s’utilise pour un bâtiment comme pour un homme et révèle l’usure visible du temps ; le Lion est ici un animal qui représente une personne : le roi. Ce dernier est considéré comme « abîmé » par les années ; Il avait . Le fabuliste décrit les effets redoutables et redoutés de la vieillesse . Le deuxième adjectif «goutteux», atteint , malade de la goutte , aux connotations tout aussi péjoratives ne s’applique qu’à l’homme noble qui mange trop et qui souffre de violents rhumatismes articulaires ; cette maladie qui devient chronique à partir d’un certain âge, provient d’une alimentation trop riche en viande, sucres et alcool. Louis XIV en souffrait déjà en 1678. ( Il était alors âgé de 40 ans .
L’expression familière «n’en pouvant plus» continue à dégrader l’image du Lion.
Au vers 2, La Fontaine utilise le champs lexical de la maladie trouver un remède… pour critiquer l’éternelle illusion de l’homme au sujet de son immortalité. Le roi demande ici l’impossible et l’exige de ceux qui l’entourent ; Ce on désigne l’ensemble de la Cour:l’effort doit être collectif ; Tous doivent se mettre au service du monarque mais le lecteur se doute déjà qu il sera impossible de le satisfaire.
La critique devient plus précise au vers suivant : elle prend la forme du mot « abus » . La Fontaine souligne ainsi la nature despotique du pouvoir exercé par le roi et la mégalomanie de ce dernier qui prétend échapper à sa condition mortelle.
Le roi s’entoure de médecins qu’il fait quérir parmi toutes les espèces animales ( toute espèce au vers 4 ) : ce qui confirme cette idée d’effort de toute une nation .
La rime en fin d’alexandrin « tous arts » et « toutes parts »reprend cette idée d’union sacrée : la Nation toute entière s’efforce de satisfaire aux exigences du monarque.
Le fabuliste critique l’art de la médecine en qualifiant les médecins de « donneurs de recettes » au vers 7. Le mot recette a alors le sens de composition d’un produit en médecine mais également de composition magique et mystérieuse. Personne au juste ne sait comment ralentir le vieillissement et chacun propose ses inventions
Les courtisans apparaissent alors dans la fable avec deux attitudes différentes : le renard ne semble pas prendre part à cet effort et demeure « clos et coi » : l’allitération en c traduit ici l’isolement du personnage ; le jugement paraît négatif car le verbe se dispense, au vers 9 sous- entend qu’il n’obéit pas , de sa propre initiative ,à la demande royale et qu’il a pris cette décision de son plein gré . Cette attitude peut intriguer le lecteur et elle contraste manifestement avec l’implication demandée par le roi .
Le loup, lui , est présenté comme un courtisan prompt à dénoncer le renard : l’expression « en fait sa cour » au vers 10 , signifie qu’il le répète en permanence ; Il s’acharne contre le renard et fustige son « absence »:le verbe dauber signifie dire du mal de quelqu’un, le dénoncer ; La position centrale du verbe juste après la césure , traduit son importance
L’ironie de La Fontaine est perceptible avec le mot «camarade» qui est ici une antiphrase; on sait très bien qu’il n’y a aucune solidarité entre le Loup et le Renard, cet adjectif préfigure la moralité: aucune camaraderie n’est possible entre les courtisans. Le mot «absent» met en relief la lâcheté du Loup qui profite de l’absence du Renard pour le calomnier. «le Prince» est mis pour le Loup qui devient ainsi le personnage le plus important à la Cour, juste en dessous-du roi ; le verbe «veut» au vers 12 témoigne de sa puissance car il faut respecter sa volonté comme celle du roi qui s’était manifestée au vers 2. Pour faire sortir les renards de leur trou et pouvoir les tuer , on enfumait leur tanière et La Fontaine reprend cette notation réaliste car il a pu maintes fois observer des chasses au renard. v.13: l’accumulation des verbes d’action souligne le souci d’aller vite . Tout à l’heure a le sens à cette époque d’immédiatement , sur le champ . Le lecteur s’attend donc à voir le renard en mauvaise posture ; Le fabuliste prépare le morceau d’éloquence du renard : il le met en scène et ce dernier fait une arrivée théâtrale. Au vers 13 « il vient » « et connaît les intentions du loup « sachant que le loup lui faisait cette affaire » .
Le discours du Renard est une véritable plaidoirie ; Il utilise une stratégie particulièrement efficace :-Le verbe introducteur : je crains , au vers 15, participe de la captatio benevolentiae ; D’emblée , il se présente comme une victime accusée à tort. Il accuse le loup indirectement de manquer de sincérité et d’avoir suggéré que le sort du roi lui importait peu . Le terme « mépris » relaye les accusations mensongères du loup qui a cherché à lui nuire. Maître Renard se prétend donc victime des médisances du Loup .
Il apporte ensuite d’habiles explications pour justifier son absence et utilise le terme hommage pour qualifier sa visite alors qu’on vient de l’amener de force . La politesse du renard n’est pas trop obséquieuse car , en habile courtisan, il sait doser les compliments et la flatterie. ( CF La Cour du lion et la mort du singe et de l’ours )
Renard prend bien soin de faire allusion au pouvoir de la religion: il fait mention d’un soi-disant pèlerinage durant lequel il aurait prié pour la guérison royale ; L’argument religieux est souvent utilisé au dix-septième siècle comme particulièrement efficace et beaucoup croient aux miracles. Alors que les médecins sont incapables de garantir au roi la vie éternelle au moyen de leur science, Renard prétend détenir une solution « miracle » soufflée par « experts et savants » rencontrés durant son voyage. Le remède serait donc garanti et sauverait le roi de sa « langueur » . Au passage , il flatte le monarque en considérant sa peur de vieillir comme légitime comme on le voit grâce à l’expression « à bon droit » du vers 22. Il se montre compatissant et rassurant , à la fois
. Le mot «chaleur» est ici polémique, le roi a besoin de chaleur au sens propre pour avoir moins froid mais aussi au sens figuré. La chaleur qui lui fait défaut, c’est l’affection sincère de ses courtisans , le fait de se sentir aimé. Le Renard, grâce à son éloquence , parvient à retourner la situation à son avantage ; De victime désignée, il devient accusateur mais sans paraître « méchant » et sans jamais désigner lui-même sa future victime .Le vers 25 signe la condamnation du loup sous la forme d’un impératif qui pourrait passer ici pour une recommandation, un conseil : « d’un loup écorché vif, appliquez-vous la peau » : la précision « toute chaude et toute fumante » révèle la cruauté de la sentence mais non sans humour car la chaleur rappelle qu’il s’agit bien du remède miracle ;
Le lecteur se réjouit de voir le loup puni . L’astuce ultime du renard consiste à avoir réussi à éliminer son rival alors que ce dernier l’avait mis dans une posture délicate. On peut supposer que le renard qui sait que rien ne pourra empêcher le roi de ressentir le poids des années, avait justement préféré garder ses distances afin de ne pas se retrouver aux prises avec la royale colère. La mort du loup est présentée comme un sacrifice qui est décrit de manière grandiose. Non sans finesse, le renard présente son martyre comme un dévouement héroïque: «Messire Loup vous servira». On peut évoquer, dans le même ordre d’idées, la mort de l’âne qui lui aussi s’était dévoué pour sauver les animaux atteints par la peste. Et le loup était justement celui qui s’est le plus acharné pour le faire pendre. Mais Renard tourne le tout en dérision: on sert son suzerain comme on servirait un plat. La peau du loup finira par faire une robe de chambre.
Adepte des bons mots et des jeux de mots,le fabuliste nous en donne un nouvel exemple avec le double sens de «goûte» : il signifie, à la fois que le roi apprécie l’action du renard et se délecte en mangeant le loup . En donnant à manger du loup à un lion goutteux, on aggrave sa maladie et donc on précipite sa mort : ce qui va à l’encontre même du but du souverain Cette chute est à la fois burlesque et tragique. L’accumulation des verbes apposés hache le texte tout comme le loup que l’on démembre : c’est un principe d’harmonie imitative . L’habileté du renard lui permet à la fois de se débarrasser d’un ennemi et de s’attirer les bonnes grâces du roi.
La morale : L’utilisation du discours direct sert à apostropher les courtisans et fait entendre la voix du moraliste.Le vers 36 est une reformulation du vers 35 : détruire et nuire à la rime donnent au conseil du fabuliste la fermeté d’une harangue. «Si vous pouvez» est une hypothèse qui souligne le caractère aléatoire de cette position . Implicitement , pour La Fontaine, les courtisans sont incapables de se comporter avec empathie : comment des courtisans qui veulent gagner la première place pourraient-ils être loyaux entre eux ? Le vers suivant est une parodie du souhait biblique qui consiste à «rendre le bien au centuple» ou alors à rendre «au quadruple en bien» le mal qu’on a fait . En inversant les recommandations bibliques , La Fontaine montre la perversité de la vie à la Cou., dans la tradition des moralistes de cette époque. Le dernier alexandrin apparaît comme une condamnation des mœurs des courtisans et plus particulièrement, la condamnation de la manœuvre diffamante du loup qui a tenté d’écarter le renard en le faisant condamner par le roi au prétexte qu’il ne se mobilisait pas assez vite afin de venir en aide au monarque souffrant.
Sous les apparences d’une anecdote, La Fontaine poursuit trois buts:il évoque le pouvoir de la parole et sa capacité de nuisance ne se servant du personnage du loup, toujours prompt à médire. Il nous rappelle également le pouvoir du langage, car c’est celui qui parle le mieux qui emporte l’adhésion .Sous couvert d’une une critique des mœurs courtisanes, le fabuliste ne se prive pas de critiquer subtilement le despotisme. C’est la peur de déplaire qui souvent conduit les animaux à opter pour des stratégies de malveillance , pour faire « carrière » ; Le mot souligne jusqu’à quel point ils sont prêts à tout pour réussir même au risque d’y perdre la vie .