Un mythe possède est un peu comme une matière vivante qui évolue et que les artistes s’approprient au fil du temps pour y englober leurs préoccupations majeures . Chaque adaptation devient ainsi une nouvelle création et permet aux lecteurs ou aux spectateurs de réfléchir à des questions existentielles.
A l’origine, un mythe est un récit véhiculé oralement qui se présente comme une sorte de vérité, une parabole à décoder qui fait intervenir des éléments divins ou surnaturels et propose un sens caché. De la découverte de ce sens découle une vision de l’homme et de la société. Un mythe peut par exemple expliquer la création du monde (mythe des origines) et évoque l’irruption du divin dans les résolutions des conflit humains (mythe de Prométhée, mythe de Narcisse, Orphie et Eurydice, Pandore) . Ces récits contiennent une fable centrale qui peut faire l’objet d’ajouts et présente souvent un nombre considérable de variantes : c’est donc une matière malléable qui peut servir de support à des fictions dont elle constitue la matrice.
Le mythe d’Oedipe avant Sophocle raconte l’histoire d’un enfant abandonné puis recueilli qui tue son père (le parricide est toujours cité en premier ) et couche avec sa mère en ignorant ce qu’il a fait ; Homère , par exemple, insiste sur le fait que la mère d’Oedipe , Jocaste (appelée alors Epicaste la belle ) : ” commit une action monstrueuse sans le savoir ” Le poètes grecs mettent en évidence le fait qu’oedipe agit en “parricide involontaire ” ; agent d’un Destin qui a déclaré la perte de sa lignée, il accomplit ainsi l’oracle d’Apollon. Les Dieux interviennent d’abord en amont (ils décident de punir la faute originelle de l’aïeul Labdacos) , ensuite au cours de l’action (ils multiplient les avertissements donnés par leurs représentants , prêtres et oracles) et enfin lors du dénouement en rappelant que nul ne peut échapper à son destin et que le sort de l’homme peut subir des variations brutales : “gardons nous jamais d’appeler un homme heureux avant qu’il ait franchi le terme de sa vie sans avoir subi un chagrin ” . Le mythe permet ainsi le rappel des lois divines : tout contrevenant s’expose à une fin horrible.
Le mythe originel se fonde sur différentes étapes : le roi de Thèbes ne peut avoir d’héritier et l’oracle l’informe que son fils le tuera et épousera sa mère ; le schéma du mythe peut se décomposer en étapes mais il ne faut pas oublier de le relier à la faute originelle de l’aïeul. Enfant abandonné, père tué, inceste après la victoire sur la sphinge, punition sont les phases du récit mythique. Chacune sera plus ou moins développée par les repreneurs.
Laïos ; pourtant informé de ce qu’il l’attend s’il a un descendant, décide néanmoins de concevoir un enfant (première transgression ) et ensuite de le faire périr (seconde faute ). Il mourra symboliquement de la main même de celui qu’il a sacrifié dans une sorte de vengeance : il paye en partie ses fautes en expirant . L’enfant recueilli et élevé à Corinthe est l’objet de rumeurs qui font état d’une origine douteuse (enfant supposé ) et ce dernier part alors consulter les Dieux (oracle ). Lorsque la prédiction lui révèle son destin funeste (meurtre du père et inceste) , il s’enfuit pour déjouer les projet divins et en chemin, accomplit la première partie de son destin en tuant son géniteur au hasard d’un carrefour. Il obtient le trône de Thèbes pour avoir déjoué l’énigme meurtrière du monstre et ce faisant, reçoit la main de la reine; Il n’est nullement question, dans le récit mythique , d’une quelconque attirance coupable entre Jocaste et Oedipe; Le couple est formé pour des raisons politiques comme on le voit d’ailleurs dans la tragédie de Sophocle.
La matière originelle mentionne que 20 années environ s’écoulent lorsque Oedipe est au pouvoir avant que la peste se déclare; les Grecs considéraient les épidémies comme des fléaux divins et adoptaient alors une démarche de sacrifice ; on recherchait le coupable , celui qui avait provoqué la colère des Dieux et on l’ostracisait (bannissement et peut des droit civiques) ou on le mettait à mort (théorie du bouc émissaire : une société charge un individu d’une faute souvent collective et l’offre en pâture aux Dieux; cette victime sacrificielle offerte en holocauste aurait le pouvoir de calmer la colère des buveurs de sang, périphrase qui désigne souvent les dieux courroucés ) . Pour comprendre l’origine de la peste, le roi , chez Sophocle, envoie Créon , le frère de sa femme , consulter les Dieux et au retour de ce dernier mène l’enquête sur le meurtre de LaIos. A noter que dans le mythe ancestral, c’est Oedipe en personne qui consulte l’oracle et découvre l’horrible vérité. Le châtiment dans le mythe est introduit tardivement , avec les versions des tragiques grecs. Il varie selon les versions mais il présente néanmoins des constantes : Oedipe se crève les yeux soit avec les agrafes du vêtement de sa mère qui vient de se pendre ou avec l’épée de son père ou avec ses propres mains; Le fait de s’arracher les yeux signifie symboliquement que le héros est demeuré aveugle aux paroles divines et c’est ce qu’il finit par admettre; Sophocle choisit de cacher Oedipe dans le palais et Pasoloni de le faire devenir mendiant dans les rues de Bologne. Selon les différentes versions, Oedipe devient un apatride, un exilé et il prend le chemin d’Athènes guidé soit par Antigone soit par un messager comme dans la version de Pasolini .
Le mythe repris par Sophocle devient l’ingrédient essentiel de la tragédie . Le dramaturge effectue des choix et recentre l’action tragique autour de l’enquête sur le meurtre de Laïos : l’épidémie de peste sert d’élément déclencheur à la découverte de la vérité cachée des origines de la faute; La pièce est un retour sur le passé, une sorte de machine à remonter le temps et le destin d’Oedipe s’est accompli sans qu’il en mesure la dimension funeste et criminelle; la tragédie se concentre sur l’élucidation des fautes et l’impiété de Jocaste ainsi que les doutes du roi sur la vérité de la parole divine sont souvent mises en évidence. Le personnage d’Oedipe chez Sophocle se caractérise par un questionnement sans fin : sa quête de vérité est entravée par le silence ou le refus de parler des principaux protagonistes : l’envoyé, le corinthien, Tiresias, Jocaste elle-même. L’action tragique se resserre autour des étapes de l’élucidation du meurtre : Oedipe découvre sa vérité et se véritables origines en découvrant son histoire; Paroles des Dieux et paroles des hommes sont désormais unies pour lui révéler ce qu’il n’aurait jamais du ignorer . Néanmoins, cette quête des origines bien qu’importante, semble moins développée que la dimension politique de la tragédie: l’histoire d’Oedipe peut se prêter à une lecture politique : la best est un signe divin qui menace l’ordre social et le coupable doit être démasqué et chassé pour que l’équilibre revienne. Le Choeur souligne constamment cette réflexion politique en montrant la menace que le mauvais roi représente pour son peuple . En bouleversant la généalogie , Oedipe s’est rendu coupable d ‘un désordre grave et a bouleversé l’équilibre social qui repose sur la transmission générationnelle . Sophocle insiste sur ces manquements à l’ordre : “ce père, mes enfants qui, sans avoir rien vu, rien su,s’est révélé soudain comme vous ayant engendrées dans le sein où lui-même avait été formé” (exodos) . Le dramaturge grec donne comme dernière image au spectateur celle de la chute du roi, du passage de la grandeur à la déchéance .
Qu’en est-il ensuite sur la scène française avec Corneille et Voltaire ? Corneille incite sur la culpabilité du roi maudit en montrant un monarque coléreux, tyrannique et violent et Pasolini reprendra dans son film cet héritage classique . Le dramaturge y pose la question de la légitimité du pouvoir tees risques de l’usurpation . Lorsque Oedipe se sait de sang royal , son rang ne fait plus aucun doute. Voltaire quant à lui, insiste sur le parricide et la culpabilité du personnage en mettant en scène le fantôme de Laïos et une rivalité avec Philoctète, l’amant de Jocaste; les enfants de l’inceste n’apparaissent pas plus que dans la version de Pasolini . C’est surtout le thème de la haine du père qui alimente cette tragédie voltairienne et cette image sera encore nettement présente avec Pasolini.
Comment Pasolini travaille -t-il à partir de ces différentes versions ? Lire et résumer les pages 215 à 230 de l’édition folio-classiques .