30. janvier 2020 · Commentaires fermés sur La Bruyère et les Caractères : une peinture imaginaire de la Cour et des Grands . · Catégories: Lectures linéaires, Première · Tags:

Jean de La Bruyère est un moraliste français, qui a rédigé une œuvre unique et originale Les Caractères ou les Mœurs de ce siècle ; Ce livre est composé essentiellement de portraits et maximes, regroupés parfois sous forme de chapitres qui présentent une unité thématique . Les “traits” dépeints dans les Caractères révèlent un esprit critique et indépendant, celui d’un homme de la fin du dix-septième siècle . Ses observations, souvent impitoyables envers la nature humaine, conservent une valeur intemporelle. Malgré l’objectif affiché par le titre de l’ouvrage, le moraliste recourt à l’imagination et à la fiction pour permettre l’exercice de la pensée critique . C’est ce que nous voyons à l’oeuvre dans cet extrait où il critique avec férocité les mœurs de la Cour en adoptant une sorte de regard étranger . Nous verrons d’abord le portrait des jeunes gens avant d’évoquer les reproches qu’il adresse aux femmes et celles qui visent l’adoration du Roi

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Portrait-Mme-Montespan-

Le premier procédé utilisé par le moraliste est celui du regard étranger sur une contrée imaginaire . Le narrateur , volontairement dissimulé sous un on global et indéterminé, évoque la Cour comme s’il s’agissait d’un pays éloigné dont il précisera d’ailleurs la position géographique avec les coordonnées de latitude et de longitude, à la fin de sa description, aux  lignes 21 et 22. La  peinture critique débute par une opposition entre les qualités des vieillards et les défauts des jeunes gens qui composent une partie de la population de ce pays imaginaire; Alors que les premiers sont galants, polis et civils, les jeunes ‘au contraire ,marque de l’antithèse, sont qualifiés de “durs, féroces, sans moeurs ni politesse” . Défauts et qualités s’opposent en tous  points et on constate que les défauts l’emportent car ils sont au nombre de quatre. Le moraliste affine sa critique en précisant que ces jeunes gens ne se comportent pas de manière habituelle et il les compare à tous les autres  qui se trouvent “ailleurs” ; Leurs moeurs seraient donc propres à ce pays imaginaire uniquement;  Il leur reproche d'être déjà dégoutés de l'amour des femmes très tôt et cela lui semble une aberration; Il utilise un terme plutôt mélioratif, le verbe s’affranchir qui signifie être capable de se détacher d’une passion, s’en libérer , pour montrer que ces jeunes hommes sont , prématurément, blasés et ne cherchent plus à connaître l’amour; Serait- ce le signe de trop de galanteries à la Cour ? La Bruyère nous renverrait ici une image proche de celle de Madame de La Fayette qui dépeint   les dangers des amours à la Cour et la multiplication des intrigues amoureuses;

Au lieu de se tourner vers les femmes , ces jeunes gens “leur préfèrent des repas ” peut on lire à la ligne 3, ainsi que des viandes; Ce choix peut paraître discutable d'un point de vue moral et il présente la nourriture , la bonne chère comme une alternative préférée à la chair , c'est à dire à l'amour. Néanmoins, à la fin de cette proposition, on découvre la mention d’amours ridicules ; ( ligne 4 ) Que veut indiquer ici le moraliste? Etablit-il , par allusion,  une différence entre amours sérieux et amours ridicules ? Est-ce une critique des nombreuses aventures adultères ou aux amours homosexuelles  qui désigneraient une partie de la Cour, autour de Monsieur, Philippe d'Orléans,frère du roi, réputé pour ses liaisons masculines et son goût de la fête , qui mettait fort en colère la reine . En effet, de nombreux mémorialistes et notamment Saint -Simon, qui était pourtant un ami personnel du frère du roi  , notent son goût immodéré pour le vin et pour la débauche en général . S’agirait-il donc d’une généralisation, dans l’extrait de La Bruyère d’une forme de décadence à la Cour , marquée à cette époque par le faste . En 1682, rappelons que lorsque Louis XIV s’installe à Versailles, il est entouré au quotidien de près de 10000 personnes.

La critique de l’alcoolisme outrancier des jeunes gens à la cours fait l’objet de plusieurs remarques sous la forme de notations paradoxales : ne boire que du vin est ainsi assimilé, chez eux , à de la sobriété car ils ont besoin d’alcools de plus en plus forts comme le traduit le superlatif de la ligne 6 “liqueurs plus violentes ” pour terminer par l’eau- forte associé à la débauche, lignes 6 et 7 . L’eau -forte désigne l’acide nitrique dont se servent les graveurs pour dessiner dans le cuivre ; mélangé à de l’eau, l’acide nitrique est un puissant décapant corrosif, mortel s’il est ingéré et La Bruyère fait- il référence aux nombreuse tentatives d’empoisonnement à la Cour en nommant un poison toxique capable de tuer l’homme. Il joue avec la parenté du mot eau de vie qui renvoie à des alcools très forts .

La seconde partie de la critique s’adresse particulièrement aux femmes de la Cour accusées d’être trop artificielles : Ces dernières , en effet, “précipitent le déclin de leur beauté “paradoxe pour signaler que leur maquillage excessif les enlaidit au lieu de les embellir. La Bruyère goûtait sans doute peu, les évolutions de la mode à la Cour qui avaient imposé ,des transformations dans les tenues féminines. Sous l’influence d’Anne d’Autriche, régente de son fils Louis XIV, la mode à la Cour était plutôt austère mais , dans la seconde moitié du règne du roi Soleil, les costumes avaient changé : les manches étaient devenues plus courtes, les coiffures plus travaillées et le maquillage avait fait son apparition ; La Bruyère note surtout le manque de pudeur de certaines tenues : le verbe étaler à la ligne 9 est péjoratif et reflète le comportement amoral des femmes de la Cour ; une fois de plus, le moraliste recourt à un paradoxe pour souligner sa critique de l’impudeur “comme si elles craignaient de cacher l’endroit par où elles pourraient plaire “ ; il monter qu'elles sont très dénudées et que leurs tenues sont impudiques. En révélant publiquement , par leurs toilettes, les parties jusque là cachées de leur corps notamment les bras, le haut de la poitrine et le cou;

L’évolution de la mode masculine est également fustigée avec une nouvelle coutune qui choque la Bruyère: il s’agit du port de la perruque alors en vogue; cette dernière est qualifiée, à juste titre de “cheveux étrangers “ à la ligne 12; En effet, les perruques sont composées de cheveux qui n’appartiennent pas, en propre, à ceux qui les portent et le terme étrangers peut ainsi renvoyer au contexte imaginaire de cette “région “étrange et lointaine. Le moraliste reproche au port de la perruque de rendre la physionomie “confuse ”  ligne 11 ce qui est présenté comme un défaut contraire à la netteté et au naturel ( ligne 12) ; De plus, la perruque est également accusée de modifier l’aspect de la personne qui la porte d’en “changer les traits ” ; Les apparences prennent ainsi le dessus sur le naturel ce qui est quelque peu contraire à l’esprit de l’honnête homme , le modèle que défendent les moralistes . De plus, les perruques brouillent les repères et semblent empêcher “qu’on connaisse les hommes à leur visage” ; Est-ce ici une référence à l’expression montrer son vrai visage qui signifie être franc , ne rien dissimuler. On retrouve ainsi les mêmes reproches que ceux formulés à l’encontre des courtisans par l’auteure de La  princesse de Clèves: des hommes et des femmes qui dissimulent leurs véritables sentiments.

labru7.jpgLa dernière partie de notre texte est consacrée à la critique du culte personnel rendu au roi. A la ligne 14, La Bruyère met d’ailleurs sur le même plan les deux entités  associées par la coordination : “leur Dieu et leur roi “; Il décrit ensuite le culte catholique et le rituel des célébrations religieuses comme s’il s’agissait d’étranges cérémonies païennes; Le vocabulaire qui est employé rappelle celui de la Grèce antique avec la mention à la ligne 15 du temple, devenu “église” et de la liturgie qui  est désignée au moyen de l’expression “ célébration des mystères” ; La religion catholique est définie au moyen de trois adjectifs : “saints, sacrés et redoutables ” : si les deux premiers d’ailleurs qeulque peu  redondants, sont laudatifs et rappellent la dimension sacrée des rites;   le dernier ferait plutôt référence à la peur qui animerait certains fidèles ; En effet, à la cour il est plus prudent d’assister aux offices et de ne pas être accusé d’hérésie comme le furent les Protestants; La période , en effet, est agitée et de vives tensions sont perceptibles dans l’entourage même du roi : en 1685 ce dernier, sous la pression de la reine, révoque l’Edit de Nantes et interdit ainsi aux protestants, de plus en plus nombreux à la cour, d’afficher et de pratiquer leur religion . Notons que La Bruyère est proche de la famille du Prince de Condé, cosuin du roi et  qui fut l’un des principaux opposants politiques de Louis XIV; il fut lle précepteur et ensuite le secrétaire de Louis III de Bourbon -Condé, petit-fils du grand Condé ; il donna également des leçons à l’épouse de ce dernier (le mariage eut lieu alors qu’elle n’était âgée que de 11 ans ) Mademoiselle de Nantes , qui était la fille de Louis XIV et de Madame de Montespan. ) A la ligne 19,l e narrateur met en doute la sincérité de la foi de certains courtisans qui “semblent avoir tout l’esprit et tout le coeur appliqués ” Il leur reproche de ne pas s’intéresser au déroulement même de l’office mais de préférer regarder le roi alors qu’ils tournent le dos au prêtre . Son dernier commentaire évoque une “espèce de subordination ” qu’il juge déplacée ; N’étant pas lui-même d’une grande noblesse, La Bruyère épingle la morgue de certains grands du royaume qu’il fréquentait mais en tant que subalterne ; Il dénonce ici l’affectation de leur piété: leur dévotion semble se tourner davantage vers la figure du roi que vers Dieu ; la construction de la phrase de la ligne 20, avec ses parallélismes,  traduit cet état de fait ” ce peuple paraît adorer  le Prince et le prince adorer Dieu “. La révélation de la localisation de cet étrange pays est donnée sous forme de devinette à la fin du texte et rappelle que La Bruyère enseignait l’histoire et la géographie; La référence aux Iroquois et aux Hurons fait passer les courtisans pour d’étranges personnages aux moeurs tout aussi étranges que celles des peuples cités qui font l’objet de la curiosité des Français .

 En conclusion de ce court extrait , on peut voir que La Bruyère aime le juste milieu et refuse tous les excès. La dimension morale des Caractères repose sur cette invitation au lecteur à ne pas imiter ses personnages décrits dans leur démesure. Il critique également les dangers de vivre dans les apparences et les fausses valeurs, comme c’était le cas à la cour de Louis XIV. Les courtisans se souciaient plus de leur apparence que de ce qu’ils étaient réellement, prêts à tout pour se faire une place dans la société, quitte à passer à côté de la morale. Il prône l’idéal de l’honnête homme, qui sait rester fidèle à ses principes sans tourner le dos à son prochain, qui est cultivé mais ne tombe pas dans le pédantisme, qui représente un idéal social d’équilibre, en somme. Du point de vue politique, La Bruyère dénonce tous les excès de la monarchie absolue, qu’il s’agisse de l’exaltation de la grandeur et de l’argent ou de la tyrannie hiérarchique exercée sur les classes sociales inférieures telles que celle des paysans. Les Caractères parurent de manière anonyme et l’écrivain a utilisé le pouvoir de l’imagination pour permettre, aux aristocrates, public lecteur ,  de réfléchir aux moeurs de leur temps ; Lorsque la critique est virulente et touche de près les lecteurs, le détour par l’imagination permet de mettre la distance nécessaire à la réflexion.

La Bruyère s’inscrit dans la lignée des moraliste, tout comme Jean de La Fontaine ou François de La Rochefoucauld car si son écriture vise à plaire, elle vise avant tout à instruire son lecteur, à lui délivrer une morale. C’est en cela qu’il s’inscrit aussi pleinement dans le classicisme, prisant la mesure et refusant les excès. De plus, il défend la théorie des « Anciens » et se méfie de la nouveauté  car il pense que la littérature de l’Antiquité a atteint la perfection ; Dans la querelle des Anciens et des Modernes qui divise les Académiciens, , il prendra le parti de Racine, de Boileau et de La Fontaine contre Perrault et Fontenelle dont il fera le portrait à charge dans l’un de ses caractères.

A titre de complément, voilà un autre extrait qui dépeint la Cour comme un pays imaginaire

ll y a un pays où les joies sont visibles, mais fausses, et les chagrins cachés, mais réels.
La vie de la cour est un jeu sérieux, mélancolique, qui applique : il faut arranger ses pièces et ses batteries, avoir un dessein, le suivre, parer celui de son adversaire, hasarder quelquefois, et jouer de caprice ; et après toutes ses rêveries et toutes ses mesures on est échec, quelquefois mat. Souvent avec des passions qu’on ménage bien, on va à dame, et l’on gagne la partie : le plus habile l’emporte, ou le plus heureux.
Les roues, les ressorts, les mouvements, sont cachés ; rien ne paraît d’une montre que son aiguille, qui insensiblement s’avance et achève son tour : image du courtisan d’autant plus parfaite, qu’après avoir fait assez de chemin, il revient souvent au même point d’où il est parti.

 Un exemple maintenant, pour préparer l’écrit du bac, de plan de commentaire littéraire donné sur ce site  https://francaiscourbac.skyrock.com/2835430708-DE-LA-COUR-74-LECTURE-ANALYTIQUE.html
1. Un narrateur étranger. les indices de l’énonciation
Plusieurs formulations laissent penser que celui qui parle rapporte des paroles entendues et décrit ce qu’on lui a présenté mais qu’il n’a pas vu lui-même.
A. L’utilisation du « on ».
Ce pronom ouvre le texte sans que le lecteur puisse savoir si le narrateur s’inclut ou non dans le groupe. Ce n’est donc pas un indice révélateur à lui seul.
On remarque la présence d’un deuxième « on », « où l’on commence ailleurs à la sentir », qui peut poser le même problème, mais de l’un à l’autre, certains éléments laissent penser que cet emploi fait du narrateur le rapporteur d’un message relatif à des lieux qu’il ne connaît pas.
B. les références à une région étrange.
Le mot « région », caractérisé par la présentation de ceux qui y vivent, est repris par l’expression « cette contrée », puis par « pays ».
Le terme « peuple » (au singulier ou au pluriel), ou la périphrase « Ceux qui habitent » font également penser à un pays étranger dont la population aurait des comportements inattendus.La localisation géographique qui termine le texte, par rapport au pôle d’une part, de l’autre à des tribus indiennes, termine sur une note exotique qui accentue l’aspect « pays lointain » et inconnu de la région décrite.Le texte se trouve ainsi ouvert et fermé par l’évocation d’un pays original, dans lequel les comportements sont constamment dépaysants.
C. Les périphrases et l’insistance sur l’apparence.
Le pays n’étant pas nommé, on ne peut appeler ses habitants par leur nom.La périphrase « Ceux qui habitent cette contrée » permet de les désigner en jouant sur l’ignorance.D’autres expressions vont dans le même sens : « les cheveux étrangers » désignent les perruques.Par ailleurs la formulation « qu’ils nomment », « qu’ils appellent » insiste sur le fait qu’il s’agit de pratiques et de terminologies peu connues.La récurrence des verbes soulignant l’apparence joue le même rôle : « semblent », « paraît ».Ces différentes formulations se combinent pour brouiller l’énonciation : le lecteur ne sait pas de quoi il est question, ni dans quelles circonstances celui qui parle émet son message.Il ne sait pas non plus comment ce dernier se situe par rapport à ce qu’il rapporte des éléments de présentation entendus à propos d’un pays lointain dont les coutumes, présentées un peu approximativement, ne sont pas clairement élucidées : utilisation de « comme si » à propos des femmes (« comme si elles craignaient de cacher l’endroit par où elles pourraient plaire »), interprétation erronée de l’emploi des perruques (« (…) empêche qu’on ne connaisse les hommes à leurs visages »).L’emploi de ce procédé est de nature à créer l’étonnement du lecteur et sa curiosité : il devient de ce fait plus réceptif à un message qui présente l’intérêt de l’exotique ou de l’insolite.

2. Une présentation organisée et structurée. la structure du texte
Malgré l’absence de mots de liaison, on peut observer une organisation de la présentation, qui va de la « région » au « pays », en passant en revue les habitants à travers leurs façons de vivre, puis le roi et les relations qu’ils entretiennent avec lui.Cette structure se met en place par simple juxtaposition.
On observe successivement :* La présentation des jeunes gens, avec leur manière d’être en général, leur manière de manger puis de boire.
Cette présentation se fait par comparaison de ce groupe avec celui des vieillards (« L’on parle… de l’eau-forte »).* La présentation (« Les femmes… à leur visage ») des apparences vestimentaires des femmes d’abord (maquillage, vêtements) puis des hommes en général, avec une insistance sur les perruques et sur leur utilité (ici, empêcher que l’on reconnaisse ceux qui les portent, ce qui est une interprétation volontairement erronée).* L’existence de « grands », d’un prince, d’un dieu : c’est l’occasion de rapporter un rituel en le déformant et en le représentant sous un jour volontairement naïf . L’exposé est précis, relevant de ce qui est visuel, avec des notations brèves et simples qui traduisent un peu naïvement des cérémonies empreintes de toute la pompe versaillaise.
La progression qui suit le texte est donc perceptible :Le présentateur commence par des catégories d’âge et par ceux qui sont le plus éloignés du roi, pour aborder ensuite les courtisans plus proches, puis le roi lui-même.Cette hiérarchie inversée se retrouve dans l’analyse de la subordination : « ce peuple paraît adorer le prince, et le prince adorer Dieu ».Or, c’est précisément l’ordre suivi par le présentateur de cette « faune » insolite : peuple, femmes, grands, prince, Dieu.Cette classification permet à celui qui parle de mettre en relief de nombreux éléments critiques.

3. Les éléments de la critique.
La présentation de chaque catégorie est caractérisée par l’utilisation d’un vocabulaire très nettement dépréciatif : adjectifs connotés négativement, insistance sur les défauts, mise en relief des contradictions ridicules.
A. Les caractérisations négatives.
On observe l’emploi d’adjectifs comme « durs », « féroces », eux-mêmes hyperboliques, ou comme « pas nette », « confuse », « embarrassée ».
L’expression « sans mœurs ni politesse » marque également l’absence.Tout le comportement alimentaire et amoureux des jeunes gens souligne qu’ils sont blasés, excessifs, comme s’ils avaient déjà tout connu. Le narrateur fait ici le portrait rapide de libertins, comme le souligne le terme « débauche ».
B. L’expression des comportements outrés ou contradictoires.
L’utilisation de verbes d’action met en relief des gestes et des actions présentées sous une forme critique.
Toute l’attitude des femmes est rendue par l’activité (présentée comme néfaste) du maquillage. La première phrase qui leur est consacrée met en relief, par l’opposition « déclin de leur « beauté » / « servir à les rendre belles », les contradictions de choix qui conduisent à l’opposé des effets cherchés, sous l’influence de la mode, la « coutume ».
Les attitudes contradictoires et étonnantes, pour cette raison, sont aussi celles des courtisans qui sont avec le roi à l’Église : « les grands forment un vaste cercle… et tout le cœur appliqués » : au lieu de se tourner vers l’autel et vers le prêtre, ils regardent le prince dans une attitude d’idolâtrie.
C. Le ton naïf de certaines formulations.
La présentation du roi dans un rituel religieux est faite dans une tonalité presque naïve que l’on perçoit d’une part à la simplicité du vocabulaire, d’autre part au souci de précision :« les grands de la nation… faces élevées vers le roi ».
La simple juxtaposition des remarques, l’insistance sur les apparences donnent une apparente importance feinte à des comportements qui sont ceux, habituels, des courtisans.En affectant de faire passer pour insolite ce qui est usuel, La Bruyère en souligne les ridicules et les outrances.
D. La présence de critères, d’éléments de comparaison présents ou sous-jacents.
En utilisant constamment la référence au « pays » à la « contrée » particulière dont il est question, le narrateur attire l’attention sur le fait que tout ce qui est décrit pourrait être autre, ou autrement, ailleurs.Les démonstratifs font référence à une région précise, ce qui n’exclut pas d’autres pays et d’autres modes de comportement.Ainsi, ailleurs, les jeunes gens pourraient être polis, les femmes simplement belles, sans « étalage » inutile, les hommes pourraient ne pas se cacher derrière des perruques et le roi ne pas se faire adorer par des courtisans.
La dénonciation de ce qui se passe à un endroit précis, identifiable comme étant Versailles, laisse imaginer ce qui pourrait exister à la place.
La manière de procéder de La Bruyère est donc à double effet.
Parmi les critiques énoncées, beaucoup relèvent de la vie de cour et sont donc historiques (ce qui touche au roi et à ses relations avec ses courtisans).
Il en est de même pour la mode féminine ou celle des perruques. Parallèlement, on peut considérer que certains comportements stigmatisés sont simplement humains : le goût de l’excès chez les jeunes libertins se retrouve à diverses époques, l’hypocrisie des courtisans avides de montrer leur adoration du roi appartient à toutes les hiérarchies sociales, la coquetterie féminine et le goût du maquillage ne sont pas typiques de la cour de Louis XIV.
En ce sens, on peut dire que le texte, au-delà d’une critique de la vie de cour, et plus précisément de Versailles, s’applique à de nombreux comportements sociaux de tous les âges et de toutes les époques.Il est alors intéressant de faire le bilan des effets nés du « regard étranger » dans ce texte : le mélange d’insolite (dans la formulation) et de familier (dans la réalité réellement présentée) crée une distorsion entre l’apparence (ce qui est supposé vu par le regard inhabitué) et la réalité (connue des lecteurs).La non – coïncidence exacte attire l’attention sur ce qui est montré sous un jour nouveau, et qui est alors vu différemment.Le ridicule ainsi perçu devrait conduire à regarder Versailles comme une sorte de « zoo » monstrueux : peuplades bizarres, comportements incompréhensibles, décalages et contradictions.
CONCLUSION.
Par le biais d’une présentation insolite et dépaysante, La Bruyère dénonce dans ce texte les comportements des courtisans. Le tableau, d’un réalisme caricatural, passe par un regard qui dit ce que les courtisans ne voient plus à force d’habitude. Il est intéressant de remarquer que La Bruyère utilise, pour rendre sa critique plus mordante, et plus efficace, un procédé qui sera largement repris après lui, avec l’objectif de souligner le poids des traditions et des préjugés, par les partisans des modernes, les philosophes. Il est  paradoxal que ce soit un partisan des « Anciens » qui en ait donné le modèle.