Le roman de Sorj Chalandon, Le quatrième mur porte un titre qui d’emblée précise l’un des thèmes majeurs du roman: la vie est-elle un songe ? quelle est la frontière qui sépare nos rêves de la réalité; En effet, le quatrième mur c’est celui qui au départ sépare les comédiens de la salle lors de la représentation théâtrale mais à la fin du récit, c’est celui qui “protège les vivants ” (p 326) et c’est celui que franchit le personnage principal, Georges au moment de choisir de mourir . Ce roman nous emporte , en compagnie de quelques personnages attachants comme Georges, son ami Samuel, son guide Marwan , au coeur d’une guerre terrible qui fait rage au Liban et en Palestine; le romancier nous montre jusqu’où la guerre emporte les hommes et comment elle les transforme : il est alors des régions d’où l’on ne revient jamais ….
Le roman se présente le plus souvent sous la forme d’un récit chronologique : l’histoire de Georges le héros, sa rencontre avec Aurore sa femme, la naissance de sa fille, son projet de mise en scène d’Antigone à Beyrouth pour accomplir les dernières volontés d’un ami gravement malade et son arrivée au Liban , ses découvertes de la réalité de cette guerre , des massacres des camps palestiniens de Sabra et Chatila, de sa blessure, de son retour à Paris et de sa décision de repartir mourir à Tripoli. L’écrivain ménage néanmoins un certain effet en plaçant à l’ouverture du roman le chapitre de la mort du héros qu’il reprend et termine 300 pages plus loin ,au chapitre 24. Lorsqu’il reconstitue le parcours de Georges , l’auteur motive chaque évolution de son personnage , à la manière des écrivains réalistes: il lui confectionne un passé, organise des rencontres décisives dans sa vie et nous place au centre de ses pensées auxquelles il nous donne souvent accès. Le récit des aventures de Georges constitue ,en quelque sorte, un roman d’initiation (Bildungsroman) mais le roman nosu permet aussi de nous interroger sur la place et le rôle de l’art dans le monde et notamment du théâtre;
En effet, le fil conducteur de l’intrigue, c’est avant tout le projet de mettre en scène la pièce de Jean Anouilh Antigone à Beyrouth même, au coeur des combats, avec des acteurs de chaque camp ennemi ; Sorj Chalandon revient à plusieurs reprise sur le projet de Anouilh, sur la réception de la pièce par les différents membres des communautés en présence et sur le sens même de cette tragédie; en tant que journaliste, le romancier décrit souvent les lieux dans lesquels ses personnages se déplacent avec beaucoup d’émotion et le registre patéhqtieu est présent dans de nombreux chapitres. Il sert sans doute à nous sensibiliser sur la tragédie qui es joue au Moyen-orient à cette époque ; l’action du roman se situe dans les années 80 et plus particulièrement en 1982, date de l’escalade de la violence au Liban et des représailles d’ Israël.
En plus de s’attacher à un parcours individuel, l’écrivain retrace des existences croisées qui dressent une sorte de panorama des idéologies qui se combattent en France à partir de Mai 68: de nombreux étudiants voulaient changer le monde et pensaient que l’engagement politique était une voie possible sur le chemin de la transformation de la société. Georges va se retrouver à la croisée des chemins, et il devra choisir entre deux voies, deux directions , deux mondes. La force de ce roman et son caractère atemporel vient des grandes questions existentielles qu’il soulève : jusqu’où l’homme est-il prêt à aller pour défendre ses idéaux et à quel prix ?
Bonne lecture et n’oubliez pas de prendre des notes au fur et à mesure …aidez-vous des titres des chapitres, du diaporama de cours et résumez l’intrigue, étape par étape sur une fiche; Vous pouvez aussi relever des citations que vous trouvez particulièrement intéressantes.
22. janvier 2018 · Commentaires fermés sur Antigone dans le Quatrième Mur : les préparatifs pour la pièce · Catégories: Première · Tags: Antigone, roman
Le roman de Sorj Chalandon raconte l’histoire de deux metteurs en scène qui veulent monter l’Antigone d’Anouilh en plein coeur de Beyrouth en guerre avec des acteurs appartenant à chacune des factions en conflit ; Pari fou, pari osé ou chimère : pourquoi Samuel a-t-il choisi cette dernière volonté avant de mourir et qu’est-ce qui va pousser son jeune ami Georges à relever ce défi ? La pièce est au centre du roman et elle est évoquée sous différents aspects. “J‘ai souffert avec la petite maigre et elle a combattu à mes côtés ” (p 38 ) avoue Samuel à une terrasse de café à son ami Georges en 1974 lorsqu’il évoque pour la première fois son passé douloureux .Il tend alors un exemplaire de la pièce “éditée à la Table ronde en 1945 avec les lithographies terres d’ombres et noires de Jane Pécheur.”
Il est tout d’abord question des souvenirs de lecture de la tragédie d’Anouilh. Cette ouvert a beaucoup marqué Samuel qui en a monté une représentation à l’école polytechnique lors du coup d’Etat des colonels en Grèce en 1973. Il évoque cette expérience alors qu’il est invité au festival de théâtre de Vaison la Romaine pour assister à la représentation d’Antigone mise en scène par Gérard Dournel avec Liliane Sorval dans le rôle d’Antigone, et Jean-Roger Caussimon dans celui de Créon. Samuel raconte la pièce : “Souviens toi des premières secondes. Tous les acteurs sont présents, aucun n’est en coulisse. Il n’y a pas d’arrière scène, pas d’entrée fracassante, de sortie applaudie, pas de claquement de porte. Juste un cercle de lumière où entre celui qui parle. Et l’obscurité qui recueille celui qui vient de parler.Le décor ? Une volée de marches, un drapé de rideau, une colonne antique. c’est le dépouillement,la beauté pure ” (p 39)
Georges a lu Antigone adolescent mais cette pièce ne l’a pas vraiment marqué.Pour Samuel au contraire , elle a guidé sa vie. L’héroïne de Sophocle lui semble prisonnière des dieux et réduite au devoir fraternel alors que la petit maigre chez Anouilh représente , à son sens, “une héroïne du non qui défend sa liberté propre.” ( p 40) Sam offre alors le livre à Georges qui l’accepte comme “une lettre d’adieu“. Au mariage de Georges , Samuel qui est son témoin ajoute que la République, “c’est le respect des différences. ” et plus tard il dira en accueillant Georges blessé que la violence est une faiblesse .(p 67 ) Il lui rappelle à cette occasion qu’ils ne sont pas des résistants, que Giscard n’est pas Pétain et que les jeunes étudiants d’Assas contre lequels il s’est battu , les rats noirs, ne sont pas des nazis, juste des racistes dangereux .” (77)
En 1982, Georges rend visite à Samuel alors très malade et ce dernier lui arrache la promesse de continuer à travailler sur son projet d’Antigone à Beyrouth. “Le drame était un cadeau qu’il emballait de burlesque ” Sam voulait monter la pièce noire d’Anouilh dans une zone de guerre( 87) Faire la paix entre cour et jardin. Et il est question pour lui de terre et de fierté dans Antigone .Il choisit le Liban à cause du massacre palestinien de la Quarantaine suivi des représailles sur le village chrétien de Damour: il venait de trouver les tréteaux d’Antigone. (89) et a entrepris les premières démarches, contacté les acteurs et obtenu des autorisations officielles.
“Antigone était palestinienne et sunnite. Hamon son fiancé, un druze du chou. Créon roi de Thèbes et père d’héron, un maronite de Gemmayzé. Les trois gardes, chiites, pas été messager et Eurydice une vieille chiite; La nourrice une chaldéenne et Ismène, catholique arménienne. (95) ; Sam serait le choeur et Georges s’attaque au projet .
Il relit d’abord la pièce et découvre une Antigone qui refuse de pactiser avec la vie et qui attend la mort; Et il découvre ensuite les notes de mies en scène de Samuel ( p 106) : Pas de costume de scène: le public doit s’attendre à une répétition . Il compare alors avec la représentation de 1944 au théâtre de l’Atelier en février. Antigone était en robe de soirée noire avec une croix au cou et Créon en habit avec gilet et noeud paillon;Les gardes en gabardine et chapeaux mous (gestapo ? ) La pièce doit parler au présent ajoute Samuel.
“Ne pas confondre le Créon brutal de Sophocle et l’homme plein d’amertume dessiné par Anouilh; Chez Sophocle, Créon est le personnage tragique. Chez Anouilh, c’est Antigone qui porte la tragédie” p 107 Il a pensé à la musique de Duruflé et aux symboles : kappa, foulard, keffieh. Georges appelle Iman est constate que les travaux pour la pièce sont au point mort et qu’aucune rencontre n’a pu avoir lieu. Il ment alors à Samuel de plus en plus affaibli et repart avec le sachet de terre de Jaffa. Georges part alors pour Beyrouth. Voilà un extrait d’une mise en scène d’un face à face entre créons et Antigone : entraînez-vous à commenter la mise en scène …
21. janvier 2018 · Commentaires fermés sur La cérémonie des adieux dans le quatrième mur . Le dernier départ de Georges. · Catégories: Première · Tags: guerre, roman
Après son second retour de Beyrouth où il a été gravement blessé dans un bombardement israélien ,et sa découverte du massacre du camp palestinien de Sabra et Chatila dans lequel Imane a trouvé la mort , Georges ne parvient pas à se réadapter à sa vie d’avant la guerre : il cache à sa famille les morts , la guerre et devient dangereux pour lui et pour son entourage. Aurore se met à avoir peur de lui : il se nourrit uniquement de pain et de riz et se met à avoir des accès de colère ; une violence sourde le dévore de l’intérieur et il pense pouvoir mourir de colère. Après l’incident qui a lieu pour les 3 ans de Louise où il agresse la marionnettiste ventriloque , il accepte d’être hospitalisé. Le printemps 1983 se passe : Georges tente de mettre la guerre à distance mais en juillet il reçoit une lettre de Marwan qui lui annonce la mort de Nakad et peu après Sam décède. Georges sait alors qu’il va lui falloir les rejoindre tous . Un dernier incident dans le parc où Louise fait tomber sa boule de glace et où il la bouscule et la blesse, finit par le décider à faire ses adieux ; A sa famille d’abord et à la vie ensuite.
Quelle étape franchit ici le personnage de Georges et comment le romancier justifie-t-il sa décision de repartir à Beyrouth ?
Le passage débute juste après l’évocation par le personnage de ses souvenirs amoureux avec Aurore : ils installaient symboliquement une bougie sur un vieux chandelier qui était leur premier objet achat ensemble et ils l’emmènent partout avec eux; Ce soir là, la bougie s’est éteinte; Or, on sait que la flamme représente symboliquement la vie donc l’obscurité qui apparaît est annonciatrice de mort.
Quel sont les sentiments du personnage ? Georges se présente à nous comme une sort d’enveloppe vide : “je ne
ressentais rien ” (l 1 ) et il précise ensuite : “ni tristesse ni amertume ” ; Ce qui peut paraître étonnant car Georgse bouillonne d’une colère intérieure qui est bien plus que de l’amertume mais ici il évoque plutôt les sentiments liés à sa décision de partir et de quitter sa famille. L’énumération ” ni froid, ni chaud, ni faim, ni sommeil” tend à montrer qu’aucun de ses besoins essentiels n’a plus d’importance comme si la vie le quittait et cet assèchement du personnage se manifeste ensuite par l’image : “je n’entendais plus mon coeur ” à la fois symptôme de son arrêt du coeur et de la volonté de vivre qui le quitte progressivement. L’oxymore “le tumulte que fait le silence ” montre que le personnage se vide peu à peu de ses pensées comme s’il se répartissait de son humanité. D’ailleurs mon coeur est juxtaposé avec mes pensées comme pour attester qu’il ne s’agit pas seulement d’une mort physique mais également d’une mort sur le plan moral; Gerges est comme mort pour le monde qui l’entoure ce qui peut se traduire par un retrait complet des marques sensorielles ; Au sens propre, il ne ressent plus aucune émotion.
La fin du paragraphe évoque les causes de cette évolution tragique du personnage : sa fréquentation de la guerre. L’auteur rend en effet ici la guerre responsable de ces changements; d’abord il emploie le verbe décimer (11) qui littéralement signifie tuer un homme sur 10 et qui connote l’ampleur du massacre . Ensuite , Aurore est présentée comme “veuve ” alors que Georges est encore vivant : ce paradoxe révèle qu’il se considère déjà comme ne faisant plus partie des vivants. Ensuite la guerre est présentée comme une sorte de monstre qui dévore les hommes ; L’expression avoir faim l’animalise et indique la force de son désir ; La gradation “me réclamait”m’exigeait “avait vraiment faim de moi ” (traduit ce besoin irrépressible que ressent le personnage de repartir sur la zone de guerre ) Pour terminer , le romancier montre une sorte de relation d’égal à égal en rappelant que Georges effraie désormais sa famille : la guerre est la seule à pouvoir le comprendre ” elle ,’avait pas perdre mes cris, de mes coups ni même du mon regard ” ; En fait, la guerre semble offrir au personnage des conditions dans lesquelles il peut se laisser aller à déverser sa colère sa violence car les circonstances le justifient. Cette théorie selon laquelle le combat serait un exutoire à la violence existe depuis l’Antiquité; la guerre offre ainsi aux hommes un espace où il peuvent faire ressortir ce que Chalandon nomme “leur monstre intérieur “, tout simplement laisser libre cours à leurs pulsions meurtrières et à leurs bas instincts, toutes les émotions et les gestes qu’ils doivent réprimer tant bien que mal pour pouvoir vivre en société au milieu de autres hommes. L’homme dans la guerre se transforme et ici l romancier monter que son personnage a atteint une zone de non retour.
La mise en scène du départ
Le personnage a préparé son départ et effectué des opérations indispensables comme ” virer mon argent sur le compte de ma femme ” et “retirer du liquide ” mais il ne les prévient pas et les laisse partir le matin sans rien leur dire. Il évoque d’ailleurs ce que sera la première soirée sans lui au conditionnel “ce soir il y aurait pizza pour tout le monde ” comme s’il avait du mal à quitter cette scène, comme s’il faisait encore partie de la distribution; Dans l’expression “tout le monde ” ( 19 ) on peut penser qu’il s’est inclus et qu’ils forment encore à ce moment là, en pensée, un trio. Chaque geste quotidien accompli par le personnage résonne alors de manière symbolique …
21. janvier 2018 · Commentaires fermés sur Le parcours de Georges dans le Quatrième Mur : il devient un assassin ! · Catégories: Première
Certains aspects du roman de Chalandon l’apparentent à un roman initiatique; En effet, le héros Georges est d'abord adolescent et révolté avant de découvrir l'amitié, l'amour , de devenir père et de rencontrer la guerre qui va le transformer. Plusieurs des lectures choisies témoignent de l'évolution du héros. Notamment celle où il tue pour la première fois. (introduction ) Ecrit par un journaliste qui a couvert la guerre au Moyen-Orient pour le journal Libération pendant plus de 10 ans, ce récit fictif nous permet de réfléchir aux conséquences de la guerre sur les hommes qui en sont les témoins et les acteurs. Cette scène est située à la fin du roman, lorsque Georges , incapable de se réadapter à sa vie familiale à cause des horreurs qu'il a découvertes, décide de repartir à Beyrouth pour y mourir.Ce passage constitue un épisode déterminant pour le personnage;
Lorsque Georges décide de venir en aide à son ami Samuel Akounis et de mettre en scène Antigone d’Anouilh au Liban, il se doit qu’il va rencontrer certaines difficultés à cause de la guerre qui s’y déroule mais il n’a jamais vu son véritable visage de près; Dès son arrivée à Beyrouth, il se retrouve confronté à des paysages marquants . Meurtri dans son esprit et dans sa chair, il ne parvient pas à chasser les images du massacre dans les camps de Sabra et Chatila, images qui le hantent et l’empêchent de reprendre le cours de sa vie passée. Lorsqu’il revient à Beyrouth, les circonstances sont dramatiques; Nakad, le fils de son mentor Marwan, qui jouait le rôle de Hémon, a été tué par des milices chrétiennes commandées par le frère d’un autre acteur de la pièce : Charbel qui, lui, interprétait le rôle de Créon. Marwan va alors demander à Georges de “prendre sa part de guerre ” et de tuer à son tour. En quoi cet épisode est-il déterminant pour le personnage ? Nous verrons tout d’abord qu’il le place face à un dilemme; qu’ensuite il le montre en action et qu’enfin il le transforme et prépare le dénouement tragique.
Voyons tout d’abord ce qui se passe avant que Georges appuie sur la détente : l 5 il demeure tétanisé “ je n’ai pas bougé ” et les actions semblent se ralentir ; il se met à observer de menus détails comme la main de Marwan qui lui tend l’arme : “ses mains de paysans, ses doigts abîmés, ses ongles brisés un à un par la vie ” Ce détail semble nous montrer que les mains de Marwan ne sont pas faites pou tuer au départ; Georges finit par prendre l’arme tendue et continue à observer la scène : “j’étais jambes ouvertes, serrant son corps entre mes pieds ” Aucun détail ne nous est épargné de la position des personnages durant cette scène comme pour que nous puissions mieux la visualiser de manière réaliste; En effet, ce sont les petits détails vrais qui donnent au roman sa dimension réaliste et qui font oublier qu’il s’agit d’une fiction.
Le romancier semble étirer le temps avant le passage à l’action avec des périphrases verbales qui traduisent un futur proche comme “ j’allais tuer un homme ” l 32 ou la répétition de “Allons -y” aux lignes 18 et 22 comme pour se motiver. Ces effets produisent une dramatisation de l’action avec notamment une description choquante de la victime; Le milicien chrétien est présenté d’abord au moyen d’une comparaison l 30 comme un animal blessé qui convulse et la comparaison le déshumanise tout comme l’expression à la ligne 28 “quelque chose coulait sur sa joue qui ressemblait à un oeil ” Les détails crus ont à la fois pour fonction de confirmer le registre pathétique employé pour dénoncer les horreurs de la guerre mais également de montrer à quel point ce meurtre était quasi inutile car le milicien n’avait aucune chance de survivre à ses blessures .
Dès le début du passage, on a en fait l’impression que c’est la guerre elle -même qui est rendue responsable du cette violence des hommes : un long passage du premier paragraphe nous fait entrevoir, au style indirect libre, les pensées des miliciens : ils sont venus en l’absence des hommes palestiniens pour tuer les femmes et “les enfants, qui seront nos ennemis demain disent-ils; ” Les chrétiens ont agi par représailles , après le massacre de Damour ; Leur adage “sang pour sang ” est un appel à la vengeance ; dans la Bible, la loi du talion est construite sur ce même modèle: oeil pour oeil, dent pour dent. L’auteur semble montrer ici que cette guerre ne finira jamais car chaque action déclenche la vengeance dans un camp opposé.
Combattants du FATAH
Une fois que Georges décide de tirer, le texte mentionne ses réactions de manière très détaillée : le fait de tirer tout d’abord est assimilé à quelque chose de mécanique comme le révèle la phrase nominale : “choc dans l’épaule, bruit qui roule, éclat d’écorce” l 40. Ici l’action de tirer est sortie du contexte guerrier : il s’agit de rappeler que Georges possède les compétences nécessaires afin d’effectuer un tir de pistolet; Le narrateur reste stupéfait par les conséquences de son geste ; Il constate dans un premier temps qu’il est devenu un assassin et de nombreux paradoxes traduisent ses pensées confuses . Au moyen de ces paradoxes, l’écrivain révèle toutes les ambiguïtés de la guerre;
“Je venais de tuer un assassin; J’étais un assassin.” La juxtaposition simple des deux phrases montre toute l’ambiguïté de la situation ; la guerre transforme les hommes et il est très difficile de reconnaître alors la ligne qui sépare le Bien du Mal. La victime est passée du statut de bourreau à celui de “supplicié” ligne 52. Le texte a montré ses souffrances et la crudité de la mort avec des mentions telles que ” la chair coulant sur mon pantalon” l 46 qui contraste avec la fumée légère qui sort de l’arme (l 48 ) . Le romancier s’efforce de montrer à la fois l’aspect facile de ce geste de tirer sur un homme et les conséquences terribles que cela provoque dans l’esprit même du tireur qui , lui aussi, perd une partie du son humanité. “j’avais rejoint la guerre ” précise Georges l 50.
Désormais rien ne sera plus comme avant pour le personnage : cette exécution le perturbe physiquement et il donne des signes de malaise : “je tremblais, j’avais froid ” est-il écrit ligne 59 ; Une énumération marque l’ampleur de ce qui vient de se passer dans la tête de Georges qui semble désorienté : ” Il me fallait marcher, m’asseoir, réfléchir ” ( l 61) . Il envisage la portée de ce geste dans son avenir : “mes jours seraient de suie “mes rêves allaient devenir des cauchemars . ” La première image fait référence au cendres soit des morts , soit celles qui marquent le deuil dans les civilisations antiques ; quant à la seconde, elle montre la disparition de l’espoir et de la croyance en un avenir meilleur . Un nouveau paradoxe parvient à nous convaincre du caractère irrémédiable de ce qui vient de se produire sous les yeux du lecteur. ” Je venais de tuer c’est à dire de mourir ”
Voilà le personnage de Georges condamné par son meurtre à devenir autre; Il pense tout d’abord qu’il est un monstre et que les enfants vont voir en lui un ogre ( l 66), figure effrayante qui suscite la peur ; quant à sa femme, il représentera désormais pour elle une menace ” l 67 ; Le romancier renoue ici les fils de son intrigue et prépare l’arrivée du dénouement fatal pour le personnage qui avait été amorcé au premier chapitre . Il envisage à la fin de cet extrait les raisons au moyen desquelles les combattants tentent de justifier leur passage à l’acte : ils s’inventent des prétextes et maquillent leurs crimes en pseudo- délivrances : “je l’avais sauvéde l’agonie” pense Georges . pas tué mais libéré , se dit-il ligne 74.
Chalandon termine par l’évocation d’Antigone comme une sorte de mise en abîme, de résonance des événements au Moyen-Orient: les éléments de la pièce se mêlent alors à la situation qui vient d’être évoquée; en tuant le frère de Charbel, Georges devient Créon et Antigone à la fois; Il s’imagine alors “drapé dans une toge blanche ” en proférant l’interdiction d’inhumer le corps . On peut même dire que son geste le gonfle provisoirement d’un orgueil démesuré , une sorte d’hybris tragique ; Il se voit “superbe ” et “immense ” comme un souverain tout puissant de tragédie. L’univers de la tragédie est explicitementt mentionné avec “le roi de ce monde “ et le dénouement de ce passage est construit sur une ambigüité entre la peur de mourir et la peur de ne plus être capable de pleurer.
Un passage déterminant donc pour le destin du personnage qui s’approche inexorablement du quatrième mur qu’il s’apprête à franchir de manière défintive.
20. janvier 2018 · Commentaires fermés sur Antigone à Beyrouth : du projet aux répétitions . · Catégories: Première · Tags: Antigone
La première représentation d’Anouilh
Antigone , version de Jean Anouilh, propose en 1944 , à sa création, une vision du monde sur laquelle il faut s’interroger . La jeune fille incarne plusieurs formes de révolte: à la fois celle des minorités contre l’ordre établi mais égalementt celle des faibles contre les forts, des sentimentaux contre la loi , des intérêts privés et familiaux contre l’Etat et sa toute puissance; Pour le personnage de Samuel, Antigone est une compagne de lutte, un témoin de ses souffrances passées et de ses combats et elle joue un rôle central dans le roman car elle va devenir l’objet d’un passage de relais entre le vieux metteur en scène juif et le jeune Georges qui ne rêve que d’en découdre avec la terre entière.
Comment Antigone fait-elle son apparition dans le roman ?
Samuel est invité, en tant que metteur en scène, a un festival de théâtre à Vaisonla Romaine ( p 37 ) et on y représente Antigone d’Anouilh mis en scène par gérard Dournel; A cette occasion, Samuel montre à Georges ses propres indications de mise en scène car il envisage de remonter Antigone et il brandit le live comme un poing levé.(p 38 ) Il commente le prologue ed’Anoulh qu’il trouve très beau ” c’est le dépouillement, la beauté pure ” Les acteurs sont déjà en scène protégés par le quatrième mur : ” une façade imaginaire que les acteurs construisent en bord de scène pour renforcer l’illusion. Une muraille qui protège leur personnage. Pour certains un remède contre le trac. Pour d’autres , la frontière du réel. “
Au fur et à mesure de leurs discussions, Samuel tente à plusieurs reprises de convaincre Georges que la violence est une faiblesse mais ce dernier charrie de la fureur et il y a tellement de colère en lui qu’il l’expulse par les combats physiques ; Un soir après une violente altercation, il se réfugie chez Sam qui écoute le requiem de Durufle accompagné par les paroles d’Antigone à la fin de la pièce : je ne sais plus pourquoi je meurs. ” ( p 74 ) Georges réalise alors que le théâtre a permis à son ami de répondre à la guerre : au lieu de continuer à se battre, il a transformé ses résistances en gestes artistiques sur scène. Depuis 1979 il travaille à son projet de monter Antigone à Beyrouth pour donner deux heures de paix à la guerre mais en janvier 1982, le cancer le bloque à l’hôpital et il place tous ses espoirs en Georges ; “Depuis toujours Sam voulait monter la pièce noire d’Anouilh dans une zone de guerre; Offrir un rôle à chacun des belligérants.” Il choisit finalement Beyrouth après un premier massacre dans le bidonville palestinien de la Quarantaine, suivi de représailles sur un village chrétien de Damour (p 89 )Il multiplie les contacts et finit par recruter des acteurs qui acceptent tous de le recevoir en 1976. “le casting a duré 2 ans ; Antigone était palestinienne et sunnite; démon son fiancé un Druez du chouf. Créon un maronite de Gemmayzé.” (95) Sam ne souhaite qu’un seule représentation dans un “lieu qui parle de guerre, labouré de balles et d’éclats.” Samuel Akounis luttait pour la vie d’Antigone.Georges accepte immédiatement et affronte la peur de sa femme Aurore qui juge sévèrement leur projet : “aller dans un pays de mort avec un nez de clown” s’exclame-t-elle , furieuse . ( 100 )
Créon et Antigone
Dans le chapitre 9, Georges note ses commentaires après une lecture de la pièce qui le bouleverse. Il note que Créon est ému et tente d’épargner la vie de sa nièce mais la jeune fille refuse, souhaite la mort et l’attend. Après sa lecture, Georges es sent prêt à “accueillir en moi cette victime choisie par le destin.” “je ne connaissais d’elle que son refus de vivre; Je ne savais de moi qu mon envie de vivre . ” (105) Le personnage est encore loin de se douter que leurs trajectoires , la sienne et celle de la petite maigre, vont tragiquement se rejoindre .
Samuel a indiqué ses souhaits de mise en scène ; Pour les costumes: “la pièce doit parler au présent” ; Les acteurs devront donc porter des tenues de leur époque; Georges découvre peu à peu leurs lettres de motivation, leurs photos et entre en contact d'abord avec Imane, sa future héroïne.Mais il ment à Samuel à l'hôpital en lui laissant croire que les répétitions se déroulent parfaitement alors qu'en réalité, il ne sait même pas si les acteurs vont accepter de venir répéter. Arrivé à Beyrouth, la guerre semble à Georges la plus forte et au milieu des salves qui claquent, il imagine "Antigone était dos au mur,fusillée par la ville entière.” ( p 128 ) Il rencontre Imane et elle le fait assister à une répétition d’un poème de Mahmoud Darwich, Identité qu’elle a fait apprendre à ses élèves et dont les paroles font référence à l’identité palestinienne : “pas de haine pour les hommes, que je n’assaille personne mais si j’ai faim je mange la chair de mon usurpateur , gare à ma fureur ” Le lendemain , Georges et Imane se rencontrent dans un café de Beyrouth: il va ensuite trouver un phalangiste chrétien, frère de Charbel alias Créon, afin d’obtenir un cessez-le feu de deux heures. Durant cette nuit, en compagnie des snipers, Georges sent une peur qui monte en lui et qui n’est pas celle de la mort mais celle de la fascination de la guerre (160) Georges assiste ensuite chez Marwan à la répétition de Hémon ; pour son père il a “le plus beau rôle, le plus grand de tous. qu’il incarnait l’exemple, l’espoir, la vie. Que dans cette pièce il mourrait par amour de la liberté et de la justice. Et aussi par amour d’un femme belle comme celles de leur montagnes.” (176)
Un face à face tendu
La répétition a lieu le 24 février 1982 dans un théâtre en ruines qui a également servi de salle de cinéma: un reste du décor antique est éparpillé à terre et les obus ont troué les murs . Georges note des indications qu’il destine à Sam : “ une tenture rouge. Un voile qui draperait tout l’arrière…Ce lieu serait celui du pouvoir.” Simone arrive la première et évoque le massacre de Damour durant lequel son petit fils de 18 mois a été égorgé: Charbel arrive à son tour suivi par Imane accompagnée des femmes qui jouent Ismène et la nourrice. Avant même de jouer, les acteurs cherchent leur personnage en eux : “Deux acteurs se mesuraient. Des personnages de théâtre; Antigone te Créon. Elle le narguait. Il la défiait. Elle irait jusqu’à mourir. Il irait jusqu’à la tuer. “‘ ( 188)
Georges commence à diriger la répétition: il place sur scène une photo de la générale de la pièce en 1944, 38 ans ans plus tôt et installe les acteurs sur scène; il évoque ensuite les conditions difficiles de la représentation en France à cause de la guerre et demande aux acteurs d’oublier leurs religions et le conflit mais la chiite qui joue Eurydice ne souhaite pas mourir car “elle disait que jouer une femme qui se suicide c’était devenir cette femme ” . Georges cède à sa requête ; Charbel poursuit en expliquant comment il a compris le personnage de Créon avec ses deux neveux morts pour rien dans une bataille absurde et son mensonge pour préserver l’honneur de la famille. Imane rompt l’accord en se présentant d’abord comme une palestinienne et seulement ensuite elle reprend ce qu’elle a conservé dans le personnage d’Antigone : ” celle qui dit non. Qui refuse les ordres, les consignes, les conseils. Celle qui ne met pas sa couverture comme les autres.; qui va hurler que c’est elle. Qui va refuser le bonheur avec Hémon. Et qui va choisir la mort pour ne pas se trahir. ” (197)
Le soir de la générale à Paris en février 1944
Le narrateur raconte l’ambiance en février 44 pour la première de la pièce d’Anobli qui fut un triomphe; Anouilh a eu l’idée de cette pièce en 41 après avoir vu les affichettes rouges placardées par les nazis sur lesquelles ils affichaient le nom des terroristes -résistants qui commettaient des attentats contre des collaborateurs ; En représailles les allemands fusillaient des otages ; Le 27 août 1941 un jeune ouvrier de 21 Paul Collette a ouvert le feu contre Pierre Laval ; il avait agi seul de son plein gré ; Torturé, il n’a pu avouer que son propre nom à la gestapo. Ce jeune résistant lui a fait penser à Antigone . Les réactions de la critique sont pourtant partagées ; Pour la presse clandestine, cette pièce encourage la collaboration en tuant ceux qui s’y opposent ; Pour d’autres , au contraire “Antigone était une incarnation du refus. Offrant sa vie, elle condamnait Créon à la solitude des hommes perdus. Sa mort à elle serait sa chute à lui. Elle faisait de son royaume le lit de la colère. elle décimait la famille du bourreau, le laissait seul,avec trois gardes qui le tueraient bientôt après avoir acclamé la première poigne venue. ” ( 199) Le public se lève bouleversé pour acclamer les acteurs et 17 jours plus tard seront fusillés les compagnons de Missak Manoukian, rassemblés sur l’Affiche rouge des allemands et qui diront face à leurs bourreaux : “je meurs en soldat régulier de l’armée française de la libération” . Quant à Antigone, dans la pièce, elle dit qu’elle ne sait plus pourquoi elle meurt.
La première rencontre des acteurs et du metteur en scène est terminée et il leur donne rendez-vous le 4 juin pour la répétition dans un lieu plus facile d’accès ; Imane a finalement accepté de n’être plus qu’Antigone et de renoncer à se présenter comme une palestinienne “nous portons des masques de tragédie, dit Hussein, et ils nous permettent d’être ensemble; Si nous les enlevons , nous remettons aussi nos brassards est c’est la guerre. ” (201)
Georges regrette alors de rentrer en France : il ne comprend pas pourquoi il ne reste pas là et il songe dans l’avion, en regardant sa photo entouré de sa femme et de sa fille, aux changements opérés en lui: ” Après avoir lutté en compagnie des autres, après avoir espéré avec eux, souffert avec eux, il avait quitté le combat sans un mot. Il ne se doutait pas que le monde continuait sans lui. Il avait oublié sa propre colère. Son poing était devenu main ouverte. “ Une fois à Paris, il se rend à l’hôpital et raconte à Sam la rencontre des acteurs.
La seconde rencontre a bien lieu le 04 juin 1982 au centre culturel grec et chaque acteur a apporté un accessoire : Imane un foulard le keffieh noir et blanc , Charbel une canne à pommeau d’argent qui fait office d’épée : “la faiblesse la toute-puissance ” Ils vont lire la pièce durant 3 jours et prévoient de se retrouver mi-septembre afin de préparer l’unique représentation fixée le 1 octobre 1982. Les acteurs ne sont pas d’accord sur le sens de la pièce ; Pour Hussein, “Antigoneest une gamine sans autre cause qu’elle même ” alors que pour Imane c’est un appel à la rébellion et pour Nakad une preuve d’amour. Georges leur rappelle que le texte a été écrit pendant une période noire de l’histoire et que chacun peut y puiser des forces . Il leur précise comment il entend jouer son rôle ” Je suis le Choeur. Je viens de Grèce antique. Je suis ce qu’Anouilh a conservé de Sophocle; Je suis en marge. Je suis le narrateur. Je présente les personnages, je raconte, j’anticipe. Je suis à la fois le messager de la mort et la voix de la raison. Je vais tournoyer au milieu de vous mais vous n’y prêterez aucune attention. Vous parlez aux autres personages alors que je m’adresse au public. Je suis le seul à briser le quatrième mur. Le seul à accepter le caractère fictionnel de mon rôle….” (219) Sur scène, explique Georges, le public doit voir les personnages se déplacer comme des pièces d’échiquier. A la demande des acteurs, Georges tente de leur faire saisir leurs personnages; “Le garde n’est pas idiot juste totalement investi dans sa fonction. C’est le théâtre de boulevard qui cogne contre la tragédie.” La force de ton personnage c’est que rien ne l’atteint. Boulot-boulot ajoute le metteur en scène à l’intention de Nabil le jeune chiite qui interprète l’un des gardes. Pour Imane, Georges tente de définir Antigone “ Elle est jeune, exaltée, ébouriffée mais pas folle: elle est forte; c’est celle qui dit non. Son refus du bonheur doit paraître incompréhensible et séduisant; Elle veut tout, tout de suite ou rien, jamais plus. Antigone c’est à la fois notre courage, notre obstination et notre perte. ” Georges termine par le personnage de Créon : personne n’a jamais su si c’était un salaud ou un héros; Chacun se débrouillait avec le Créon qui régnait à sa porte. Charbel décide alors qu’Antigone mourra malgré lui et pas à cause de lui et Imane lui dit qu’il a le beau rôle. C’est à ce moment que le premier avion israélien se fait entendre à 15 h 11 et bombarde Beyrouth…la répétition est terminée . Chacun se met à hurler en arabe et s’enfuit.. Le livre d’Anouilh comme les acteurs, se retrouve éparpillé sur le sol .Vous pouvez lire la suite dans l’étude de l’extrait n° 2 …
20. janvier 2018 · Commentaires fermés sur La répétition inachevée : extrait n° 2 Le quatrième Mur · Catégories: Première · Tags: guerre, roman
De retour à Beyrouth pour continuer à diriger le projet de son ami mourant : faire jouer une représentation de la tragédie d’Anouilh, Antigone, avec des acteurs de chaque faction en guerre , Georges réunit pour la seconde fois sa troupe au centre culturel grec dans le quartier Bir Hassan, le 4 juin 1982; Il a demandé à chaque acteur d’apporter un objet symbolique qui définit son personnage et il entend bien, au cours de leurs lectures, leur indiquer comment jouer au mieux leurs rôles et diriger la répétition. Les acteurs échangent leurs points de vue sur le sens de la pièce et Georges leur rappelle les circonstances de sa création par le dramaturge français; Il en a eu l’idée après avoir lu une affiche de la gestapo qui présentait l’attentat d’un ouvrier français torturé et exécuté pour avoir tiré sur le ministre du gouvernement de Vichy, Pierre Laval. Anouilh a alors pensé à Antigone et à son face à face avec Créon . Image voit en l’héroïne qu’elle incarne l’image de la rébellion et Charbel demande des précisions pour jouer le roi Créon. Georges le laisse libre d’en faire un salaud ou un héros . A ce moment là, un avion israélien bombarde la ville . C’est la panique …
Quel rôle joue ce passage dans le parcours et l’évolution du personnage de Georges ? quelles est sa fonction dramatique? symbolique ? comment la guerre fait-elle irruption ici au coeur du théâtre et de la représentation ? Tout d’abord ce passage représente la véritable découverte de la guerre par Georges, leur premier véritable contact ; Le passage décrit d’abord les réactions des acteurs avant d’analyser ce que ressent Georges à ce moment précis ;
La guerre prend ici la forme de violentes explosions et se caractérise tout d’abord par un mouvement de panique : “ils hurlaient en arabe” : confrontés au danger à la mort, les hommes reviennent immédiatement à leurs langues natales. D’emblée le lecteur est plongé dans la mêlée par une successions de phrases courtes comme des notations des positions de chacun. Chaque prénom est associé à une position : George est “allongé” Yevkinée “blottie ” contre lui et “sanglotait”. Madeleine “pleurait” et Nabil “priait à genoux”; Le roman dresse une sorte de tableau où les corps se dessinent et se transforment sous l’effet du bombardement. Après avoir saisi les positions des acteurs ” mains sur la tête” “ tenant son nez à deux mains ” “dos tourné à la fenêtre ” “mains offertes au ciel “ , l’écrivain va brusquement animer ce tableau en y associant des sensations auditives notamment, qui tentent de rendre compte du fracas des bombes et de la violence de ce qui est subi ici ; “juste le choc terrible, répété, le fracas immense, la violence brute, pure, l’acier en tout sens, le feu, la fumée, les sirènes réveillées les unes après les autres, les klaxons de voitures folles les hurlements de la rue, les explosions encore encore encore ” ( l 14 à 20 ) Sous la forme ici d’une longue énumération, le romancier transcrit les différents bruits qui se succèdent avec d’abord des adjectifs hyperboliques comme “immense ” ou “ terrible ” ; Ensuite en utilisant simplement la juxtaposition des différents sons comme s’ils se déclenchaient les uns à la suite des autres ou quasiment en même temps; l‘allitération en f avec fracas folles, feu, fumée fait presque entendre le souffle de l’explosion. Et la répétition de encore à la fin de la période semble justement la rendre infinie.
Non seulement il nous fait entendre la guerre mais il tente de nous la faire visualiser avec les indications visuelles qui bouleversent nos repères habituels comme “acier en tout sens “(16) ; On peut imaginer ici à la fois les avions mais surtout les dégâts causés par les bombes au sol qui pulvérisent tous les objets qu’elles rencontrent
Georges vit son premier véritable contact direct avec la guerre à laquelle jusque là, il a pourtant beaucoup pensé et il va pouvoir confronter les images qui étaient les siennes à ce qu’il est en train de vivre. “j’étais en guerre ” dit-il (l 12 ) Cette fois vraiment.” Le passage ici se fait par cette formule: passage entre sa représentation de la guerre et son vécu sur le terrain . Ce n’est pas exactement son baptême du feu car il déjà eu une première approche de la guerre à Beyrouth en compagnie de Jospeh-Boutros durant une nuit. C’est d’abord son corps qui parle : ” Mon âmeétait entrée en collision avec le béton déchiré” Cette image traduit l’idée d’un terrible choc contre quelque chose qui nous dépasse ; Les murs sont ici personnifiés avec l’adjectifs déchirés qu’on emploie plutôt pour des corps ( l 20) C’est comme si une partie de lui demeurerait à jamais dans cet endroit: comme s’il venait de perdre un morceau de lui qui restera définitivement accroché à Beyrouth. “ Ma peau, mes os, ma vie , violemment soudés à la ville” L’énumération met sur le même plan le corps : l’enveloppe extérieure, et le squelette caché dessous et le verbe souder marque ici la force de ce lien qui désormais l’unit à cette ville et à son peuple. En même temps le terme souder rappelle l’acier utilisé comme métonymie pour illustrer la guerre.
A ce moment là, le personnage a une réaction paradoxale : il se met à sourire ( l 22) et il associe ce qu’il est en train de vivre à ses souvenirs récents ; Ses pensées sont traduites par l’anaphore du verbe pensais (l 23,24 27 ); L’écrivain superpose différentes images comme pour montrer que la guerre réussit à s’infiltrer partout et notamment rayonne de ce théâtre à Beyrouth toute entière représentée par différents lieux symboliques “ les snipers du Ring, de la tour Risk” ; La parenté des deux mots nous rappelle que même ennemis , ils sont touchés de la même manière ; La ville est remplie de tireurs qui sont “jetés sur les murs ” comme pour souligner la violence qui passe ici directement par les hommes en armes comme Joseph Boutros, le frère de Charbel qui se bat dans le camp chrétien ; Son arme est comparée à un “fusil d’enfant” et le bruit des coups de feu du snipper à “un couinement de souris grise ” (l 23 ) alors que quelques semaines auparavant les mêmes coups de feu semblaient à Georges d’une violence follle ” et il déclarait qu’à ce moment là il n’avait jamais vu la bataille d’aussi près.
Le personnage a donc franchi une étape supplémentaire dans son approche de la guerre et alors qu’au chapitre 10 lorsque Joseph-Boutros lui avait ordonné de rester auprès de lui, il se sentait à ce moment là déjà “au profond de la guerre” et ressentait quelque chose d’à la fois “terrible et vertigineux ” (p 159) . Cette sensation va être décuplée lors de ce bombardement. Car jusque là le personnage conservait la conscience de ne pas être venu pour cela, pour la guerre “ ce n’était pas le mandat queSam m’avait confié “dit-il (p 159) . Avec l’épisode du bombardement, nous voyons le personange de Georges entrer de tout son être dans la guerre; Il ne peut plus demeurer spectateur des événements mais devient l'un des acteurs du conflit. Déjà lorsqu'il avait passé la nuit avec le frère de Charbel, il avait été assailli par un sentiment de honte “j’ai eu honte ” et il secoue la tête pour chasser ce qu’elle contient car pour la première il a peur de lui-même; cette fois la honte demeure présente : l’expression “j’ai eu honte “revient trois fois en trois lignes ( 39 à 42 )et à chaque fois accompagnée par un sentiment paradoxal.
Ce que ressent,en effet, Georges à cet instant peut encore paraître confus : un mélange de joie et d’horreur qui le fait à l fois se sentir en enfer et se sentir terriblement bien ; Que se passe-t-il en lui ? Son esprit voyage et repart à Paris porté par les bruits qui lui rappellent d’autres bruits comme ceux qui célèbrent la victoire du 14 juillet et ceux de la nature “l’orage et la foudre ” l 29 qui sont qualifiés de “trop humains ” comme pour montrer que ceux qu’il entend durant les explosions ne le sont plus. En réalité, c’est plutôt l’inverse car les bruits de l’orage et de la foudre ne sont pas humains alors que ce sont des hommes qui larguent les bombe qui détruisent d’autre hommes.
Son corps parle pour lui : “je mâchais mes joues, j’ouvrais la bouche en grand, je la claquais comme on déchire ” ;( 30) Ce déchirement rappelle celui des murs autour de lui et du béton (l 20 ) et les tireurs de la ville jetés contre les murs sont les échos des avions qui se jetaient sur Beyrouth( l 9 ) ; L’emploi des mêmes verbes pour désigner à la fois l’action des hommes et les conséquences de ces actions renforce le caractère doublement destructeur de la guerre : elle détruit à la fois les hommes qu’on combat et les homme qui combattent. Nul n’en ressort indemne : vivant ou mort . Le corp sue Georges est lui aussi en panique et comme transformé sous l’effet des sensations : “mon ventre était remonté, il était blotti dans ma gorge.” Et pour amplifier la confusion : “ma jambe lançait des cris de rage de dents “ L’image ici de la jambe blessée du personnage mise en relation avec des douleurs dentaires peut faire penser notamment aux représentations picturales cubistes de la guerre qui montrent les corps disloqués et comme enchevêtrés: Guernica de Picasso par exemple offre un saisissant tableau des massacres de la guerre d’Espagne avec des morceaux de corps mêlés qui suggèrent la barbarie . En même temps ces images que le romancier emploie pour décrire les conséquences physiques de la guerre sur les corps ont été utilisées maintes fois dans les récits des guerres relatées notamment par les combattants : ces sensations violentes que leurs ventres et leurs estomacs remontent sont la manifestation de leur peur et provoquent de violentes nausées ; nausée dont est victime Nimer dans l’extrait : Nimer a vomi à la ligne 45 et cela ne surprend personne car tous ressentent les mêmes sensations physiques. Pourtant durant ces quelques secondes , chacun demeure concentré sur lui même : “Personne n’est allé à son secours. personne n’est venu au mien. ” Le parallélisme ici de la construction des deux phrases révèle, dans un premier temps, le temps de l’hébétement ” le tragique isolement des victimes. Cet hébétement est bien l’état qui laisse le personnage bouche ouverte, bouche bée, grande ouverte , c’est à dire sans que les mot puissent être utilisés, juste le silence ou les hurlements.
Mai d’où vient alors la joie féroce que ressent le personnage ? Il tente de préciser ce qu’est pour lui la guerre à ce moment précis : “un vacarme à briser les crânes, à écraser les yeux, à serrer les gorges jusqu’à ce que l’air renonce . ” (39 ) On retrouve bien l’idée d’un mélange de sensations et de fonctions vitales endommagées avec l’ouïe qui est touchée(le sang dans les oreilles est fréquent après les explosions ), la vue (Georges sera blessé au yeux ) et la respiration qui devient impossible (gorge serrée) . En dépit de cette souffrance multiple , le personnage est labouré par une “joie féroce “(40 ) . On note d’abord l’emploi au sens figuré du verbe labourer qui signifie remué en profondeur jusqu’au tréfonds de son être et l‘alliance de mots paradoxale : la joie est qualifiée de féroce alors qu’habituellement l’adjectif féroce qualifie plutôt la méchanceté ou la douleur ; On peut comprendre ici que féroce désigne peut être la dimension sauvage de cette joie incontrôlable qui, en même temps qu’elle surgit , fait mal. Parce qu’il s’agit bien d’ effroi et cet état le fait se sentir terriblement bien ; une des explications possible et que le personnage entre dans la tragédie où tout devient simple. Comment expliquer autrement cette transformation que par la sensation d’atteindre une dimension tragique celle qui fait que “toux ceux qui avaient à mourir sont morts ” comme le dit simplement le Prologue à la fin d’Antigone. On peut ici faire le lien avec la pièce et la définition que le dramaturge propose de l’univers tragique.
A la manière de la tragédie d’Anouilh, le romancier emploie des formules présentations simples : “La guerre c’était ça ” ( 34 ) et il fait entrer Georges dans un univers de tragédie , celui que dépeint justement Anouilh : ” J’étais tragique, grisé de froid, de poudre, ,transi de douleur ” Le personnage ressemble ici à un héros tragique : il a entamé la métamorphose qui le conduira au dénouement où il deviendra cette fois totalement le héros de la tragédie en mourant de manière théâtrale.
En conclusion, ce passage a une double fonction: tout d’abord il nous présente la formation d’un lien ambigu et de plus en plus étroit entre le personnage de Georges qui entame ici une sorte de transformation tragique; ce passage nous montre également les différentes perceptions des stades de la guerre :la brutalité de l’attaque et des sensations qui semblent d’abord pétrifier les hommes, les transformant en statues de sel mais aussi les étapes successives de la guerre avec les hurlements , la panique , le bruit et leurs conséquences immédiates ” le cri des hommes, le sang versé, les tombes..” pour finir par la douleur des vivantssous une forme métonymique avec “les larmes infinies qui suintent des villes ” et le constat global des destructions : “les maisons détruites, les hordes apeurées ” (37) ; cette formule généralisante présente d’ailleurs les survivants comme des animaux redevenus sauvages et se rassemblant en troupeaux comme pour mieux se protéger . Quant à Georges il a fait un pas de plus vers son destin de personnage tragique : la guerre a commencé à s’ emparer de lui et elle ne relâchera pas son étreinte mortelle.
18. janvier 2018 · Commentaires fermés sur La construction du personnage de Georges dans Le quatrième Mur · Catégories: Première · Tags: Chalandon
Roman sur la guerre et sur la manière dont elle bouleverse le destin des hommes, Le Quatrième Mur est aussi un roman d’ apprentissage pour son protagoniste principal: le personnage de Georges, qui par certains traits , peut ressembler à son créateur . L’ouverture tragique du récit quelques heures avant sa mort le 27 octobre 1983 à Tripoli, en pleine zone de guerre semble en fait constituer le point de départ d’une réflexion sur le destin du personnage qui va s’écrire à rebours, au moyen d’une séries de retours en arrière ; Nous allons d’abord découvrir Georges étudiant (il a passé son bac en Mai 68) , militant d’extrême gauche avant de le voir devenir père, au début du chapitre 5 , le 9 janvier 1980, quelques années après sa rencontre avec Samuel Akounis et son mariage avec Aurore . La naissance de sa fille réactives souvenirs de sa propre naissance et l’écrivain fabrique pour nous un tableau de l’enfance de Georges. C’est ce passage que nous allons découvrir à partir de la page 61 du roman.
Comment le romancier construit-il le passé de Georges et quel rôle joue ce passage dans le parcours du personnage ? Commençons tout d’abord par les éléments inspirés de la biographie de Sorj Chalandon . Sorj, de son vrai prénom Georges est né à Tunis le 16 mai 1952 : il a choisi de faire naître son héros le 16 mai 1950 ; Elevé dans une famille qui craignait énormément la folie de son père , atteint de paranoïa, le petit garçon connaît une enfance difficile et souffre de ce qu’il nomme un enfermement familial ; Quitter sa famille et partir sur les zones de guerre en tant que journaliste a été pour lui une sorte de délivrance en même temps qu’une thérapie pour soigner ses propres blessures intérieures. Cependant de ses contacts prolongés avec la violence de la guerre, il va rapporter une sorte de violence intérieure dont il bien du mal à se départir; L’anecdote de la glace renversée par sa fille au parc est inspirée d’un souvenir personnel ; Cependant le romancier refuse qu’on réduise ses livres à des autobiographies car même s’il utilise des expériences personnelles, il construit un univers de fiction et lui donne un sens qui dépasse les limites de sa biographie.
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Voyons comment apparait l’enfance de Georges dans Le Quatrième Mur :
Premier axe de lecture : la relation parent/enfant
La relation entre le personnage et son père est définie à l’aide d”images marquantes : l’ouverture sous la forme d’un présentatif “C’était ainsi” marque une sorte de fatalité un peu à la manière du prologue d’Anouilh qui démarre Antigone; D’emblée, nous sommes dans un registre tragique.Les images se succèdent et elles sont construites sur des chiasmes, figure qui permet de visualiser les oppositions et de les rendre paradoxales ; “Nous avions l’Histoire en commun mais pas d’histoire commune”. La construction de la phrase sépare et rend même antagonistes les parcours des deux personnages en dépit de leur goût commun pour l’Histoire; Le père de Georges est professeur d’histoire alors que ce dernier échoue par deux fois au concours de l’enseignement ; cependant , il reproche à son père de ne pas avoir participé aux événements historiques de son époque, d’ “avoir regardé ailleurs” durant la seconde guerre mondiale (p 59 ) et il se sent en quelque sort investi d’une mission: réparer l’indifférence paternelle en s’engageant pleinement das les causes qui lui semblent importantes ; cette position paternelle qu’il critique explicitement dans le roman , explique en partie, par réaction, les luttes politiques du personnage .
“De mon père je n’ai rien conservé parce que rien n’a été ” : nous retrouvons ici le chiasme qui est basé sur la répétition
de la négation; Le fils définit sa relation avec son père comme une sorte de néant ; pour lui , l'absence de souvenirs est la garantie en quelque sorte logique que cette relation se fonde sur une absence; En réalité, on sait que les souvenirs douloureux sont souvent refoulés par la conscience et qu'il est impossible que le père et l'enfant n'aient pas partagé durant toutes ces années, quelques souvenirs ; Simplement le mot rien montre de la part du personnage une sorte de volonté d'effacer jusqu'à l'existence même de cette relation , réduite à rien . Les phrases commencent elles aussi par des formules négatives : “je ne me souviens pas ..l 6; pas même l 7 pas non plus l 2 je n’ai rien conservé l 5 ..qui attestent de la disparition totale des souvenirs pour signifier la vacuité et l’absence de liens . Les énumérations ont le même but : l’auteur mentionne tout ce qu’il n’a pas eu comme pour mieux en révéler le manque : il ne se souvient ni de la colère, ni des cris, ni de la joie, ni de la voix . La synesthésie“je revois le silence ” quand je pense à lui (l 10) traduit ici de manière paradoxale la sensation de vide affectif: en mêlant deux sensations , l’une visuelle et l’autre auditive, le romancier nous fait partager une sorte d’étonnement . La modalité du regret est présentée avec la comparaison des enfants battus: l’expression “je suis resté intact” (l 13) peut être interprétée comme une sorte de reproche; En réalité, elle dénonce l’incapacité à nouer des liens : l’enfant apparaît ici comme quelqu’un que rien ne peut émouvoir, une sorte de bloc d’indifférence et le romancier y voit ce qui a poussé l’enfant à faire du théâtre car , il éprouvait le besoin de reproduire des gestes dont il n’avait pas été le témoin : il se met ainsi, à “mimer le baiser paternel ” (14) : la fiction rétablissant une sorte d’équilibre voir une compensation, au vide affectif de sa vie.
La relation avec la mère est également évoquée à partir de la ligne 15 : en raison de sa disparition prématurée, la relation avec la mère se caractérise également par une forme d’ absence ; L’écrivain reprend ici les images traditionnelles (les clichés ) de la tendresse maternelle; Sont ainsi évoquées les images de la mère nourricière avec la métonymie du sein offert ( l 15 ) ; les bras ouverts qui contrastent à la fois avec les bras croisés de Georges et les mains jointes du père dans son cercueil ; La posture de la mère est synonyme d’ouverture, de caresse enveloppante alors que les hommes sont ici fermés aux autres et au contact. La dernière image peut également être considérée comme un paradoxe “les yeux brillants de ventre ” : on y retrouve l’image de la mère qui porte l’enfant dans son ventre ici métonymie du corps maternel ; Quant au regard, il est brillant sans doute à cause d l’émotion que suscitait chez la mère la vue de l’enfant ; On évoque parfois, dans le langage courant, la reconnaissance du ventre pour désigner le lien charnel , antenatal qui unit une mère et son enfant ; on dit que l’allaitement maternel peut encore renforcer ce lien ; Le narrateur mentionne ainsi la différence entre ses deux parents : à l’indifférence supposée de son père, il oppose l’existence de ce qui fut la tendresse maternelle mais il ne lui en reste plus de souvenirs ; cette fois c’est l’absence de souvenirs , d’images et non l’absence de lien qu’il déplore . ‘ Je n’ai rien gardé de ma mère: aucune trace de lèvres aucune caresse aucun regard ” Il rappelle ici qu’il fut orphelin de mère très tôt : ce qui rend encore plus pathétique l’absence de tendresse de son père . De cette façon, les deux emplois de rien ne désignent pas la même chose : l’ absence de souvenirs du côté maternel et l’absence de relation du côté paternel. Les verbes garder et conserver s’opposent ainsi : le jeune enfant du fait de son très jeune âge n’a pu garder : c’est une action involontaire alors qu’on peut supposer que dans le verbe conserver émane une sorte de volonté de nier l’existence même d’une relation avec son père. La formule finale du premier paragraphe suggère le manque affectif que le personnage va chercher à combler ; On va donc suivre le personnage de Georges à travers le roman dans ses relations amicales et amoureuses ; “J’étais une bouche en trop, je suis devenu un coeur en plus ” ( l 19) Cette double image combine deux métonymies ; la bouche pour désigner celui qu'on doit nourrir et le coeur pour désigner le siège de l'amour; L'enfant se décrit ici par le biais d'un parallélisme de construction comme une bouche à nourrir, une sorte de fardeau pour son père et un coeur vide qui ne trouve personne à aimer . Il est surnuméraire : en trop..c'est une perception extrêmement négative de son existence.
Ces images expliquent l’évolution de Georges dans le roman et les liens qui vont l’unir à d’autres personnages. On peut par exemple opposer l’attitude chaleureuse et protectrice de Marwan, père de substitution, à celle de son propre père; on notera que Marwan est un père très aimant avec son fils Nakad et que cet amour ira jusqu’au meurtre. Lorsqu’il quitte Beyrouth , après les massacres de Sabra et Chatila et la mort d’image, Marwan organise le départ de Georges et le serre dans ses bras : ” Jamais personne ne m’avait vraiment serré dans ses bras “note le personnage.( p 273 ) Georges va donc logiquement chercher à retrouver cette tendresse qui lui fait défaut et cela peut expliquer, pour le lecteur, la force de son engagement auprès de son ami Samuel , autre figure du père idéal; En effet, Samuel représente tout ce que le propre père de Georges n'a pas fait; ce dernier étudiait l'Histoire sans y avoir participé du point de vue de son fils, alors que Samuel s'engage au péril de sa vie dans les événements historiques de son temps comme la révolte des colonels en Grèce qui lui vaudra son douloureux exil en France en 1974.
Cette absence de lien avec le père apparait également dans cet extrait sous la forme de l’impossibilité de se toucher la main et les images employées lors du récit de l’anecdote de l’enterrement de son père, vont dans ce sens; Georges devient orphelin de mère à 5 ans et de père à 20 ans;
Deuxième axe possible : Que nous apprend ici la scène de l’enterrement ? l’impossibilité d’abord de renouer le contact: Georges se décrit debout, juste en observateur “à le regarder ” : il ne décrit pas de sentiment simplement des sensations physiques : cuissesdouloureuses ” parce que collées au cercueil (l 26 ) et il a tenu à rester dans cette position inconfortable “comme ça la nuit entière ” en s’infligeant une sorte de punition ; d ‘ailleurs cette idée réapparaît à travers la comparaison “comme puni dans mon coin ” (30) Georges a l’occasion de tenir la main vers son père, de le toucher mais il s’en montre incapable ; “je n’ai pas bougé ” La dernière image de son père restera celle de ses mains “piquetées de mort noire “ et les images de contact charnel se dessinent autour de cette main , métonymique de l’individu tout entier : “glisser mes doigts” ” agripper sa manche pour le garder ” Vient alors la sensation d’être seul au monde relayée dans le texte par une image qu’on trouve sur les champs de bataille lorsqu’on décrit une guerre et les soldats qui risquent leur vie parce qu’ils sont exposés ” devant en première ligne ” (41) On retrouvera beaucoup d’autres mains amies et ennemies dans le roman: la main de Yassine le frère d’imane qui se pose sur lui , la tant d’Image bien sûr et ensuite celles de Nakad “Après lesmains d’Imane , Nakad m’a offert les siennes” (p 245) : mains qui soignent , qui lavent et qui apaisent mais lorque Nakad lui avoue qu’il l’aime , Georges se sent incapable de “mettre une main sur son épaule ” et de lui parler.
Après avoir fait le récit de l’enterrement de son père , moment clé dans le parcours du personnage , l’écrivain tire les conséquences de cet événement sur le parcours de Georges et donne ainsi au lecteur des informations qui lui permettent d’appréhender différemment l’une des sources de violence qu’il a entrevue chez le personnage; L‘écrivain fabrique ainsi une figure de personnage doté d’une épaisseur psychologique et dont les actions sont en relation avec un passé et des blessures d’enfance .
Troisième axe : La métaphore de la peau et de la lutte est très importance dans le roman; A la lumière de ce passage, nous comprenons donc mieux le fait que Georges se sente “une peau à défendre” Dans un entretien avec un journaliste en 2015, Sorj Chalandon explique qu’il n’existait dans sa famille aucun contact peau à peau et qu’adulte, il s’est lancé dans l’amour et l’amitié à coeur perdu. Il cherche avant tout à défendre sa peau et les dangers lui semblent doubles : d’abord contre d’éventuels ennemis qualifiés par l’expression démonstrative “ceux qui lui voudraient du mal ” mis en opposition avec des dangers différents qui viendraient des femmes “celles qui lui voudraient du bien ” On retrouve dans cette construction à la fois le parallélisme et l’ antithèse ; Georges se lance dans des combats politiques et craint d'être vulnérable sur le plan affectif , notamment dans ses rencontres avec les femmes . Les dernières lignes du troisième paragraphe préparent dans l'esprit du lecteur , toujours au moyen d'images saisissantes , la suite logique des aventures du personnage : devenu une peau à défendre,(l 45) la violence physique va faire partie de son quotidien et on le retrouvera, sans grande surprise, militant d’extrême -gauche, et engagé dans des combats de rue , importants à ses yeux mais qui cachent un combat intérieur plus profond “quand je tombais sous les coups, je revoyais le cadavre de mon père; ses mains jointes me faisaient honte “; Les mains jointes du gisant symbolisent ici l’absence de résistance et c’est tout naturellement que le fils va s’incarner en résistant , devant ainsi l’inverse du père. “Enfant , adulte, j’ai résisté “ (52) La juxtaposition des deux états du personnage, enfant, adulte est déjà comme un véritable trait d’union pour l’évolution du héros. Georges cherche , en quelque sorte à expier cette mauvaise conscience à travers des combats politiques mais Samuel lui fera remarquer qu’il se trompe de guerre et que les fascistes ne sont pas des nazis et que 1979 ne peut être comparé à 1939. La dernière image “des doigts tachés d’encre aux phalanges écorchées ” peut s’interpréter de différentes manières; On peut d’abord y voir une représentation de l’évolution de l’enfant écolier à l’adulte combattant et révolté ; mais on y retrouve également l’image de la colère qui nous fait tout briser parce qu’elle émane de nos blessures personnelles et trouve simplement à s’incarner dans le cadre de combats que notre époque nous fait traverser. Sait-on vraiment pourquoi on se bat et au nom de quoi ? telle pourrait être l’une des questions à laquelle le parcours de Georges nous aide à répondre dans ce qui peut s’apparenter , vu sous cet angle, à un roman initiatique.Les phalanges écorchées symbolisent à la fois la violence et la souffrance qui en découle: coups qu’on donne aux autres pour attaquer ou se défendre et blessures qu’on reçoit; Blessures morales et blessures physiques sont ici étroitement associées.
( à ajouter selon le temps qui vous reste …peut être très intéressant en conclusion ) …Les images qui apparaissent dans ce passage seront reprises dans la suite du roman ; Le personnage de Georges se construit donc sur une double blessure : à celle de l’enfance s’ajoute sa découverte de la guerre et de ses horreurs qui vient réactiver les blessures originelles. D’ailleurs brisé par la guerre et ses visions , il refusera, à son retour, tout contact avec la main de sa fille et le corps de sa femme : “Mon corps se dérobait lorsqu’elle avançait la main vers ma peau” ( p 283) Il ne parvient plus à recréer de liens avec sa famille et ses amis . Dans son lit, il est comme dans une tranchée ; signe que c’est la guerre qui a pris le dessus sur la vie . D’ailleurs la guerre s’empare peu à peu du personnage et le transforme; elle lui fait commettre des actions qui effraient son entourage comme lorsqu’il frappe la porte de la cuisine : ” La main saignait, les phalanges avaient été écorchées; Ce n’était pas ma main . Ni mon bras. Ni rien de moi. Une autre violence que la mienne.” (285)
Ce passage qui retrace les blessures d’enfance et l’enterrement du père , représente une étape déterminante et fondatrice dans le parcours du personnage romanesque et pour le lecteur , c’est également un moment crucial pour sa reconstruction ultérieure du personnage qui fabrique de l’empathie. Lorsqu’il devient père le personnage remarque “je n’avais pour exemple de père que l’absence du mien ” ( p 58 ) et avant la naissance de Louise il évoque les “dernières heures sans liens ‘( 57)- et lorsqu’il est de retour de Beyrouth pour la première fois, il regarde la photo de sa femme et de sa fille pour se souvenir pourquoi il rentre : “le monde s’arrêtait aux frontières de leur peau ” pense alors Georges ( p 204) ;
En conclusion ,grâce à ce passage, situé au début du roman, avant le départ de Georges , le lecteur construit une image cohérente du personnage et les éléments qui seront disséminés au fil du roman, viendront subitement enrichir ce premier portrait des blessures originelles , comme une sorte de terreau du personnage, de substrat à partir duquel le romancier va élever une figure . Peu à peu, grâce à l’intercession de Samuel, Georges substituera l’Art à la violence physique en allant apporter la parole de la révoltée en zone de guerre, mais la guerre sera la plus forte et il y laissera sa peau, On peut noter que Sorj Chalandon, en devant écrivain, a réussi à échapper à cette emprise de la guerre et a effectué, par le biais de la fiction et de l’écriture, comme une sorte du parcours inverse de celui de son héros, Lui est revenu et a décidé de ne plus y retourner alors que Georges y est reparti et y est définitivement resté. “il a traversé le quartrième mur, celui qui protège les vivants. ”
La scène d’exposition au théâtre a une triple fonction : elle présente le cadre spatio-temporel , les personnages ainsi que leurs relations et l’intrigue de la pièce. Quel type d’exposition Giraudoux a-t-il choisi comme ouverture de La Guerre de Troie n’aura pas lieu ?
Il s’agit tout d’abord d’un dialogue entre deux femmes qui sont parentes et troyennes : Andromaque est la femme d’Hector, prince héritier de Troie, fils de Priam le roi et Cassandre est la soeur d’Hector et de Paris, la belle-soeur donc d’Andromaque. Les deux femmes sont en opposition sur pas mal de points ; une ambassade grecque vient d’être mandatée afin de déterminer si la guerre doit avoir lieu ; Andromaque optimiste pense pouvoir l’éviter alors que Cassandre, qui a un don de prophétie mais que personne croit jamais, paraît sûre qu’elle aura bien lieu . Se propos ont des allures catégoriques: ” Et la guerre de Troie aura lieu” Cette réplique fait suite à celle d ‘Andromque, à l’inverse ; Le ton de cette dernière peut s’apparenter à de la colère et une pointe d’inquiétude comme pourrait l’indiquer le point d’exclamation: ” la guerre de Troie n’aura pas lieu, Cassandre ! , ” Ce premier dialogue nous plonge au coeur du problème et de l’action ; L’arrivée d’Hector semble un point déterminant et on retrouve, au coeur de cette scène d’exposition, la plupart des éléments du théâtre classique tels que les définit Boileau dans son Art Poétique en 1674 : “Que dés les premier vers, l’action préparée,/ Sans peine du sujet aplanisse l’entrée.” et la règle des trois unités , résumée avec ces deux alexandrins : “Qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli/ Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli. Par bien des aspects en effet, le théâtre de Giraudoux s’inspire de la tragédie classique mais le dramaturge y ajoute un mélange des tons et une verve comique, qui caractérise le mélange des genres , pratiqué par de nombreux dramaturges en ce début du vingtième siècle . La première scène de la pièce révèle un thème tragique : l’imminence d’un conflit mais le sujet est traité sous une forme parfois comique avec notamment la familiarité de certains répliques et les arguments ad hominem utilisés par les deux femmes . Voyons comment nous passons en quelques lignes d’une dispute amicale à un conflit dramatique. Tout d’abord, le début de la pièce peut paraître quelque peu déroutant pour le spectateur qui connait l’histoire de la Guerre de Troie et le destin tragique de la plupart des protagonistes.Les principaux acteurs de ce conflit, même ceux qui ne sont pas sur scène, sont nommés par les deux femmes; ces dernières se tutoient mais leurs liens familiaux n’effacent pas leur désaccord qui se manifeste clairement par la reprise , en version négative, de ce que l’une des deux ,affirme. Ce procédé met en valeur la radicalité de leur antagonisme : ” On la lui rendra ” affirme Andromaque, en parlant d’ Hélène, et Cassandre réplique immédiatement: ” On ne la lui rendra pas” . Ce procédé est utilisé à plusieurs reprises au cours de cette scène et lui confère ainsi un aspect comique et tragique à la fois .
Le différend entre les deux femmes semble également se prolonger lorsqu’elles évoquent leur vision des choses : l’une se veut optimiste et reproche à l’autre son pessimisme , sur un ton parfois agacé : ” Cela ne te fatigue pas de ne voir et de ne prévoir que l’effroyable ? ” Cette interrogation d’Andromaque est une critique de Cassandre et l’adjectif effroyable marque bien ce que représenterait une nouvelle guerre pour les Troyens: une catastrophe. Face aux sinistres prédictions de sa belle-soeur, Andromaque tend à se fermer de plus en plus et à refuser l’échange comme le montre cette évolution de ses répliques : elle commence par dire ” je ne sais pas ce qu’est le destin,” sorte de refus de la notion même de fatalité, avant d’enchaîner, quelques phrases plus loin avec ” je ne comprends pas les abstractions” pour bien montrer qu’elle n’entend pas se laisser convaincre; Cassandre emploie alors une image concrète “une métaphore pour jeunes filles ” . Elle sous- entend ici, non sans ironie, que tout le monde est capable de comprendre ce qu’est le destin et qu’Andromaque n’a ainsi plus d’excuse valable pour faire la sourde oreille . La métaphore du tigre illustre en effet, assez bien ; la cruauté du destin, et l’idée qu’il frappe sans bruit, sans forcément un signe annonciateur . Andromaque, à court d’arguments logiques s’en prendra alors directement à la personne de sa belle- soeur en multipliant les attaques personnelles : “je ne te comprends pas ” et ensuite “”le destin s’agite dans les filles qui n’ont pas de mari“, attaque à peine voilée au célibat de Cassandre qui pourrait susciter sa jalousie envers les femmes heureuses en ménage , et les futures mères . Andromaque souhaiterait que sa belle -soeur cesse de parler et elle entend la faire taire : ce que reflète, en outre, la modalité injonctive de l’impératif dans “laisse-le dormir ” , à propos du tigre-destin . On note toutefois une évolution tragique car l’ incompréhension de la femme d’Hector finit par se transformer en une sorte d’angoisse qui se manifeste dans la réplique, qui est cette fois davantage une supplique : “Ne me fais pas peur Cassandre” On peut donc en déduire que Cassandre a pris l’ascendant sur la femme d’Hector et que c’est sa vision pessimiste qui pourrait l’emporter, à la fin de cette première scène, dans l’esprit du spectateur . Cette scène d’exposition remplit bien les fonctions traditionnelles : elle indique le cadre dans lequel va se dérouler l’action et présente les liens entre les différents personnages . Elle introduit le spectateur in medias res : au milieu d’une histoire en cours
Le dramaturge donne également des indications sur le hors-scène : on apprend ainsi, en leur absence que le couple formé par Hélène et Paris ne s’aime plus guère ; ” Paris ne tient plus à Hélène ” ce qui pourrait constituer un argument pour les défenseurs de la paix ; Mais suffit-il de rendre à Mélénas sa femme pour que ce dernier considère que l’offense qui lui a été faite , est réparée ; Les Grecs qui ont fait le déplacement vont-ils accepter la restitution d’Hélène ? ne vont-ils pas réclamer des dédommagements pour le préjudice subi ? De plus ,Hector est présenté comme un guerrier victorieux : va-t-il renoncer à faire la guerre ? L’action se place au printemps et symboliquement “le plus beau jour de printemps” comme pour signifier que ce jour est propice à la paix; L’absence de didascalies peut nous faire hésiter sur la manière d’interpréter certaines répliques ironiques de Cassandre et il faut alors se référer au contexte mythologique pour comprendre les caractères inventés par le dramaturge . Cassandre dit, en effet, toujours la vérité, et elle connaît le futur : “la guerre de Troie aura lieu” affirme- t-elle ici en employant un futur . Cette affirmation plonge le spectateur dans une attente tragique car il connaît l’issue inéluctable et les conséquences terribles de cette guerre qui va se déclencher . Toute l’habileté de Giraudoux consiste à différer le dénouement tragique en nous donnant de faux espoirs tout au long de la pièce. Andromaque compte sur Hector pour faire pencher la balance et le destin du côté de la paix et le spectateur est lui aussi dans l’attente de l’arrivée sur scène du personnage, arrivée imminente annoncée par les “trompettes” de la victoire .
Un début traditionnel donc mais qui peut néanmoins surprendre le spectateur par les libertés prises par rapport aux personnages de la mythologie ; les noms sont respectés et correspondent essentiellement à la version d’Homère mais avec quelques variations; ainsi Andromaque est seulement enceinte alors qu’Astyanax est déjà né quand la guerre éclat dans l’iliade. De plus , Homère se place dans le camp grec pour raconter l’histoire de la guerre alors que Giraudoux situe l’action de sa pièce à l’intérieur de Troie, avant que la guerre éclate. Le dramaturge es sert de matière antique comme d’une source d’inspiration afin de faire réfléchir ses spectateurs à la situation actuelle de la France en 1935, confrontée au péril d’une nouvelle confrontation avec l’Allemagne. La culture antique sert ici de paravent pour masquer l’actualité d’un questionnement ; Giraudoux utilise également les symboles comme le lavoir, qui dans l’Iliade représente la paix ou les remparts qui représentent le futur siège de Troie. Le spectateur peut davantage s’identifier au personnage d’Andromaque car elle relaie les craintes de la population à propos d’un nouveau conflit alors que les propos de Cassandre demeurent plus mystérieux . Les personnages eux-mêmes peuvent apparaître , par l’effet de la mise en abyme, comme les spectateurs de leur propre destin qu’il se contentent d’observer , en haut des remparts, sans pouvoir changer le cours des choses. Tout au long de la pièce, le dramaturge va exploiter la dimension poétique et la dimension symbolique des objets comme par exemple avec des répliques comme ” quand il est parti voilà trois mois, il m’a juré que cette guerre était la dernière.” qui fait référence à la guerre 14/18, surnommée par les anciens combattants “la der des der.” Le problème politique déplacé dans un contexte antique permet ainsi la mise distance et suscite davantage la réflexion. De plus , la légèreté du ton de certaines réparties contribue à rendre l’atmosphère moins pesante.
En conclusion, ce début de pièce annonce bien au spectateur ce qu’il découvrira par la suite. Il présente les personnages et leurs relations, il fixe le cadre spatio-temporel et il indique le sujet de l’histoire. Il donne également le ton de l’œuvre avec un renouvellement du genre théâtral de la tragédie, autant sur le fond que sur la forme. Après cette entrée en matière, le public souhaite évidemment en savoir plus. Il se demande si le titre sera réalisé, c’est-à-dire si Jean Giraudoux propose réellement une réécriture de l’histoire d’Homère avec une guerre de Troie qui n’aura finalement pas lieu. Il a hâte aussi de découvrir physiquement les autres personnages dont on lui a parlé dans cette scène d’exposition, notamment Hélène et Hector, personnages assurément clefs pour la suite de la pièce.
05. janvier 2018 · Commentaires fermés sur Le prologue d’Antigone : commentaire du commentaire · Catégories: Première · Tags: Antigone
Commenter un texte consiste surtout à proposer à partir d’observations et de citations, des interprétations sur le sens de ce qui est écrit ; pour que l’exercice soit réussi, plusieurs facteurs entrent en compte dans des proportions variables. Le barème d’évaluation le jour de l’examen sanctionne essentiellement les erreurs de compréhension du texte appelées contresens . Sur les 16 points à attribuer, 3 ou 4 sont consacrés traditionnellement à la construction du devoir et 3 environ à l’expression ; Les 9 ou 10 points qui restent sont répartis entre qualité et variété des observations, utilisation des citations et surtout présence d’interprétations.
la qualité des observations est primordiale
le choix des citations et leur insertion dans les phrases est un point important
la profondeur des interprétations (qui sont des hypothèses de lecture, des suppositions ) fait la différence entre les copies
la rigueur et l’efficacité de la démonstration est un atout non négligeable mais attention un plan vide ou un commentaire qui n’est composé que d’une grosse introduction et d’une conclusion ne vous rapportera guère plus de 6/7 points sur 20; chacune des 2 ou 3 parties doit comporter au moins deux sous-parties et leur longueur doit largement dépasser la taille d’une introduction !
Les erreurs les plus fréquentes
consulter un corrigé et vouloir le résumer en ôtant soit les passages essentiels soit les éléments de construction du commentaire : c’est un signe que l’exercice n’est pas maitrisé ; Tous les corrigés ont une logique et si vous mixez des corrigés, vous devez en tenir compte dans l’architecture de votre devoir.
annoncer un plan et ne pas le suivre
se focaliser sur des détails sans grand intérêt
commenter un texte qui n’est pas celui qui a été donné sous prétexte que les corrigés étudient l’intégralité du prologue 🙂
dire qu’on va comparer deux textes : un commentaire ne prend appui que sur un texte et éventuellement des connaissances générales du théâtre par exemple mais on ne pouvait pas dire qu’on allait dans une troisième partie comparer ce prologue avec celui de Sophocle
se méfier de la notion d’originalité; en effet prétendre qu'un texte est original nécessite qu’on soit capable de dire ce qu’il a de différent par rapport aux autres manières de commencer une pièce de théâtre ; autrement dit cela revient à connaître les grands principes de l’exposition au théâtre et à expliquer pourquoi effectivement cette scène est différente de la plupart des autres expositions
Essayons d’y voir plus clair : il fallait commenter un prologue au théâtre ;
D’abord partir de ses connaissances …..
ce que je sais : je connais la pièce , je sais que cette tragédie est une réécriture d’un mythe antique , je sais qu’au théâtre l’exposition a trois fonctionsessentielles : présenter les personnages, le cadre et l’action c’est à dire permettre au public de comprendre ce qui va se passer (lire par exemple l’article consacré à l’analyse de l’exposition d’une pièce de Giraudoux , elle aussi réécriture d’un mythe antique )
Ensuite :penser que c’est un texte de théâtre donc consacrer une partie de ses explications à la représentation ; Pour cela , un truc simple consiste à se mettre à la place d’un spectateur ; quel effet éprouve un spectateur qui entend parler d’un personnage qu’il voit en même temps? les acteurs tous présents sur scène vont-ils exécuter les gestes que récite le prologue?
La question essentielle qui est aussi la meilleur problématique parce qu’elle permet de cerner tous les enjeux du texte : comment Anouilh met- il en scène cette réécriture d’une tragédie antique ? Un peu mieux que : quel est le rôle de ce prologue ? mais on pouvait parvenir au même résultat en faisant attention à ne pas oublier la dimension scénique du texte ; Aujourd’hui, on exige d’un élève qu’il envisage le texte de théâtre en vue de sa représentation; C’est pourquoi l’objet d’étude du bac de français a changé et s’intitule désormais texte de théâtre et représentation; La plupart des corrigés proposés sur internet ne tiennent pas compte de cette obligation et sont donc incomplets de ce point de vue. Du coup, rares sont les élèves qui y ont pensé 🙂
Un plans possible assez complet … du moins intéressant au plus intéressant , du plus évident au plus subtil
1 Le prologue joue un rôle informatif
a) expose pour le spectateur les liens entre les personnages qui par nature ne vont pas évoluer
b) expose le cadre de la pièce
c) expose les enjeux
2. Un prologue sous le signe de la fatalité : comment Anouilh réécrit et modernise une tragédie antique
a) les indices de la tragédie antique
b) la mort annoncée
c) la reprise du prologue antique
3. Un prologue qui modernise le théâtre :
a) la mise en abîme : la création d’un nouveau personnage
b) une mise en scène qui fait des spectateurs des cibles : destruction du quatrième mur ?
c) les références à l’actualité brûlante
CCL :la première partie d’une conclusion reprend les conclusions de chaque partie du plan
Anouilh réinvestit les codes du théâtre antique et classique une fabriquant une exposition conforme par certains points à ce qu’on exige d’une première scène au théâtre, c’est à dire la délivrances des informations essentielles (ma partie 1 ) mais il fait preuve d’une réelle originalité à la fois par sa mise en scène très surprenante et ses adresses au spectateur par l’intermédiaire du personnage du prologue; En jouant avec la reprise des poncifs de la tragédie antique (ma partie 2) , le dramaturge redonne au mythe une force qui tient à ses liens avec l’actualité douloureuse de la première représentation au théâtre de l’Atelier en 1944. (ma partie 3) ; D’ailleurs le public, touché par cette héroïne et son parcours, réserva un très bon accueil à cette pièce .
Idée d’ouverture thématique : A cette époque, Jean-Paul Sartre avec Les Mouches et Jean Giraudoux avec La guerre de Troie n’aura pas lieu reprennent eux aussi, sur scène, les mythes antiques en leur injectant la part de tragédie liée à la nouvelle guerre mondiale qui se joue sous les yeux des spectateurs ; Le public est ainsi amené à devenir lui aussi acteur de sa propre vie et la guerre fait résonner étrangement les combats de la révolte face la loi, du pacifisme et du bellicisme et nous amène à nous interroger sur la notion même de fatalité.
Je vous joins des commentaires trouvés sur internet et commentés par mes soins …
Pour progresser : réfléchir à la nature du texte et à ses enjeux ; soyez plus curieux, plus observateurs et utilisez des termes techniques précis ; Ne vous focalisez par sur un plan avant 1 h 30 de travail d’observations …ayez en tête des plans possibles pour des types de textes (un combat, une exposition, une rencontre, un dénouement, des aveux ) Posez -vous des questions et votre plan tentera d’y répondre ! qu’apprend-t-on dans cet extrait ? ; quels sont les registres dominants? que voit-on ? que cherche-t-on à nous montrer ? Partez de vos connaissances sur des objets d’étude : l’histoire de la poésie, l’évolution de la figure du héros, l’évolution du théâtre …
Une devise qui vous aidera : ramenez l’étranger à ce qui vous est familier et l’inconnu à ce que vous connaissez déjà
16. décembre 2017 · Commentaires fermés sur Antigone 82 : quelques pistes à explorer pour évoquer la pièce de Jean-Paul Wenzel · Catégories: Première · Tags: Antigone
le metteur en scène
Christophe Cardoni, journaliste, est revenu nous aider à évoquer quelques pistes d’interprétation pour travailler à la rédaction des articles de presse qui feront écho à la représentation d’Antigone 82 de Jean-Paul Wenzel à l’ Orange Bleue, théâtre d’Eaubonne . Tout d’abord , le scénographe et metteur en scène a choisi de ne pas reprendre le titre du roman de Sorj Chalandon :Le quatrième Mur; Une partie de son geste artistique consiste, en effet, à abolir ce mur imaginaire, cette frontière théorisée par Diderot , entre le public et l’espace scénique. Cette abolition tente de faire du théâtre un véritable lieu de rassemblement qui permet de se retrouver ensemble et d’échanger librement.
Tout d’abord la disposition trifrontale peut marquer l’absence de frontière justement comme pour suggérer que les échanges se font librement, Dans le roman comme dans la pièce , le héros passe d’un espace à un autre avec beaucoup de difficultés et l’un des enjeux de la scénographie consisterait à abolir symboliquement ces barrières , ces séparations ; C’est pourquoi les musiciens jouent à vue, les acteurs se changent à vue également et la caméra restitue une direct les images tournées derrière le rideau de cinéma qui matérialise le fond de scène; Le geste artistique du metteur en scène consiste à faire du théâtre ce lieu de rassemblement qui force les personnages à sortir de leur enfermement; une tentative de rétablir la communication entre les différents protagonistes de la pièce.
Le rideau de scène a retenu notre attention: d’abord les élèves ont remarqué qu’il portait les stigmates de la guerre ;Il est brûlé à certains endroits et semble déchiré ; Ensuite il peut évoquer le lieu de répétition du roman: cet ancien cinéma abandonné au coeur de Beyrouth. Un lieu de passage et de transmission au coeur d’un espace en guerre et que la guerre justement va finir par détruire.
Imane tout en rouge
La musique peut également être considérée comme un lien entre les cultures ; d’abord la cultureorientale : le oud étant un instrument traditionnel de la musique folklorique arabe et la guitare électrique qui représente l’occident et les années 80; les deux mini- scènes musicales sont installées de part et d’autre de la scène et les musiciens font également partie des acteurs ; Ils interprètent chacun différents personnages et ne sont pas simplement des musiciens.
Tous les acteurs endossent plusieurs rôles et parlent plusieurs langues; Il est intéressant de voir notamment combien de personnages peut interpréter un même acteur ; il devient tour à tour figurant et personnage principal dans d’autres scènes;
Le mélange des genres est également bien respecté : certains passages comiques, comme dans le roman d’ailleurs, atténuent la portée dramatique de la pièce; On peut citer les barbes postiches des chiites lors des représentations, les concessions faites par Georges aux impératifs religieux pour pouvoir maintenir la représentation de la pièce; Le geste de théâtre montre la dimension confessionnelle du conflit en la rendant ostensible comme le tatouage de la croix sur le bras de Joseph-Boutres, sniper phalangiste, qui fait écho à la kippa de Samuel et au keffieh porté par Imane et son frère , symbole des combattants palestiniens.
Avec une certaine économie de moyens, Jean-Paul Wenzel a réussi à faire naître l’émotion du public: la distribution est réussie et lui-même, qui a du s’improviser acteur, fait un Marwan convaincant, vibrant d’humanité lors la scène très touchante de l’accolade avec Georges.
Au final, on peut se demander si le théâtre atténue la représentation des réalités de la guerre ou les amplifie par rapport au roman ?