Lorsqu’on réfléchit aux pouvoirs de la parole, nous sommes amenés ,à nous demander, dans nos prises de parole et nos discours publics, ce qui est important et ce qui l’est moins . Le sujet proposé prenait place dans le cadre fictif suivant ; “Un terrien, pensant sa dernière heure venue et croyant à la destruction de sa planète, adresse, sur son téléphone, un dernier message à ceux qui, un jour, l’écouteront peut être ” . Nul besoin de préciser dans quelles circonstances la catastrophe se produira ou si certains survivront à ce cataclysme présumé. Il importait de savoir ce qu’on avait vraiment envie de dire , de délivrer une forme de parole testamentaire , de bien choisir ses mots, dans ces circonstances pour le moins saisissantes.
Avant d’écouter les enregistrements, la classe fabrique une grille d’évaluation qui recense les différentes compétences attendues pour l’exercice : on y distingue ce qui relève de l’usage et de la maitrise de la voix comme l’articulation, la vitesse du débit , le caractère audible de l’enregistrement , la fluidité de la prise de parole . Un deuxième critère cible la maîtrise de l’expression : le registre de langue est-il adapté ? le vocabulaire est -il précis et adapté ? Les phrases sont-elles construites de manière correcte ? Le dernier critère, qui à lui seul, “pèse ” la moitié des points, évalue le respect des consignes et le cadrage du sujet ; tous les aspects ont -il été abordés ? les propos sont ils pertinents et les circonstances de la prise de parole sont-elles comprises et respectées ? Enfin, une partie de la note dans cette catégorie , ( parfois séparée) , pourrait prendre en compte la capacité à émouvoir, à toucher et à convaincre. Sur 10 points , on peut répartir respectivement 3, 2 et 5 points pour les critères 1, 2 et 3 ; Sur 20 , comme pour le grand oral du bac on pourrait dissocier différentes compétences à l’intérieur de chaque catégorie : 6 pour la voix, 4 pour la qualité de l’expression et 6 / 4 contenu du sujet et qualité de la conviction . Les moments d’échange suivent l’écoute des enregistrements et 3 élèves différents sont choisis pour évaluer chaque catégorie de la prestation .
Quel type de discours pouvait -on composer ?
La rhétorique antique distingue trois types d’éloquence : le genre épidictique s’apparente au registre de l’éloge ou du blâme. Le genre judiciaire présente un fait passé en vue d’accuser celui qu’il souhaite condamner ou d’innocenter celui qu’il défend : procureur ou avocat de la défense emploient des stratégies similaires au service de leurs thèses respectives mais ne s’attachent pas à produire les mêmes effets sur l’auditoire ; Le défenseur cherche à susciter l’empathie alors que le procureur cherche à indigner l’auditoire ne montrant, par exemple , la violence du meurtre ou son caractère gratuit. Le troisième genre est dit délibératif : il porte sur l’avenir et pousse l’auditoire à passer à l’action , à se mobiliser ; On considère alors que la parole est assez puissante pour inciter l’homme à modifier son comportement et à changer de manière de penser et éventuellement à changer le monde autour de lui .
Aristote et Cicéron ont écrit des manuels pour apprendre l’art de bien parler et au Moyen-Age, l’enseignement de la rhétorique fait partie des sept arts libéraux . Platon estimait déjà qu’on devait mettre cette science au service de la vérité . L’orateur se gardera d’adopter un style froid ( qui est le contraire d’un style sublime selon Aristote) On appelle style sublime, le style qui cherche à obtenir le plus d’effets possibles sur les auditeurs . Comment l’obtient -on ? En évitant les mots trop longs, les épithètes inutiles et les mots ‘froids ” , dénués d’affect. On peut recourir aux images sans pour autant en abuser car elles peuvent paraître artificielles .
Dès l’Antiquité se pose également le problème de la sincérité et de l’authenticité de la parole publique : comment convaincre et persuader ? Existe -t-il des moyens pour emporter l’adhésion d’un public ? La frontière avec la manipulation et la démagogie est parfois bien mince et le pouvoir de séduction de la parole peut avoir des conséquences dramatiques comme le rappelle , dans l’Odyssée d’Homère, l’épisode des Sirènes et dans le monde actuel, le langage publicitaire et la communication de masse . Mais si elle peut manipuler et tromper, la parole peut aussi réconcilier : thérapeutique, elle allège le poids des non-dits et nous ibère d’évènements traumatiques; Les grecs employaient le mot pharmakon pour la désigner ici car ce mot signifie soit poison soit remède. Il existe même un genre littéraire qu’on appelle “consolation ” ; Souvent utilisé par les philosophes , il tente d’enseigner aux hommes l’art de la sagesse et la nécessité de maîtriser leurs passions. Il paraît bien adapté pour le traitement du sujet.
Quelle rhétorique alors fallait -il employer pour cette allocution ? Comment toucher le coeur de son interlocuteur ? Pour Quintilien, d’ailleurs , le bon orateur est précisément celui qui sait faire naître l’émotion . Platon connaissait déjà le pouvoir de séduction des figures et des images notamment dans certains domaines comme celui du destin de l’âme après la mort.
En préambule …. on pouvait dresser un rapide état des lieux du monde au moment où il s’apprête à disparaître . Peu d’entre vous ont échappé à la tentation de décrire le passé : on pouvait dépeindre le monde avec ses multiples excès et imaginer ce qui a causé notre perte . On utilise alors le registre du blâme ; On pouvait , par exemple , condamner les dérives de notre société : pollution, consommation de masse , destruction des espaces naturels, déforestation, agriculture intensive, pillage des ressources de la planète, ethnocentrisme , instinct belliqueux qui pousse les hommes à s’entretuer encore et toujours . On pouvait aussi mettre en exergue l’agressivité de l’homme en tant que super -prédateur : en haut de la chaine alimentaire et prêt à tout pout étendre son territoire et sa zone d’influence. Mais après avoir fustigé les excès en tous genres , un grand nombre d’entre vous ont voulu délivrer quelques paroles apaisantes ; Vous avez alors recommandé, à vos auditeurs de s’aimer, de partager ses derniers moments avec ceux qui leur sont chers . Profiter du moment présent , de la vie et de ses bonheurs petits et grands, relève d’une philosophie hédoniste dont la devise carpe diem souligne la nécessité de profiter du présent et de ce qu’il nous offre. Vivre au jour le jour sans songer à l’avenir n’est pas donné à tout le monde mais les circonstances ici pouvaient vosu conduire à ce type d’exorde.
La vérité n’est pas toujours bonne à dire : à méditer .. voyez pourquoi dans certains cas, des orateurs sont amenés à “jouer ” avec la vérité , à la travestir, à l’enjoliver, à mentir même ?
Patchwork de vos réussites :
1 Des adresses variées : Mes amis , qui que vous soyez , mes frères humains ou d’ailleurs , mes congénères
2 Personnaliser son énoncé : Je me tiens ici devant vous ce soir, je me présente à vous ne ce dernier jour de l’Humanité afin de vous dire ce que j’ai sur le coeur
3 Ne pas se plaindre : il n’est plus temps de gémir. Le temps des pleurs est révolu . Ne soyez pas triste. Il est temps maintenant de se dire adieu ou au revoir .
4 Série de questions rhétoriques : Qu’avons nous -fait ? Que pouvons nous désormais changer ? Y a t-il encore quelque chose à tenter ?
5 Appel à la dignité ( pathos ) : Nous pouvons encore partir la tête haute : notre espèce va sans doute s’éteindre mais nos pensées survivront, sous de multiples formes . Jusqu’à notre dernier souffle, nous aurons tenté de rendre ce monde meilleur. J’aimerais m’adresser à chacun d’entre vous pour lui dire qu’aucune vie na été inutile : vous avez tous apporté votre pierre à l’édifice de la pensée humaine.
6 Du bon usage de l’impératif d’exhortation : Sachons partir main dans la main : jamais nos liens n’ont été aussi forts ; Ne nous retournons pas sur ce passé délétère .
7. La puissance des images : nous redeviendrons des poussières dans l’univers
Qu’est ce qui favorise l’efficacité d’un discours ? citons en vrac
- la posture de l’orateur
- la qualité de la voix et l’expressivité
- la composition du texte
- l’usage des figures de style
- les formules choc
- le charisme
- l’engagement personnel
- la qualité de l’écoute
- la sensibilité de l’auditeur




Les dramaturges exploitent sur scène des procédés d’écriture afin de provoquer des situations inattendues. Comme le disait un philosophe et dramaturge français des années 1950, Jean- Paul Sartre , écrire au théâtre consiste à fabriquer des situations et à placer les acteurs et personnages face à des choix qui vont . ” Pour remplacer le théâtre de caractères nous voulons un théâtre de situations ; notre but est d’explorer toutes les situations qui sont les plus communes à l’expérience humaine, celles qui se présentent au moins une fois dans la plupart des vies. Les personnages de nos pièces différeront les uns des autres non pas comme un lâche diffère d’un avare ou un avare d’un homme courageux, mais plutôt comme les actes divergent ou se heurtent, comme le droit peut entrer en conflit avec le droit. En cela on dira à juste titre que nous nous rattachons à la tradition cornélienne.” 

Corneille revient sur scène avec Horace , une tragédie qu’il dédie à Richelieu. Tiré de l’histoire romaine, la tragédie évoque le combat fratricide entre un soldat de Rome et son beau-frère qui combat pour Albe, la ville ennemie. La tragédie place le héros face à un choix à effectuer mais quel que soit le côté où il se tourne, aucune issue ne peut lui être totalement favorable. Le dilemme est forcément douloureux et il implique un renoncement à une valeur essentielle : l’amour, l’honneur, la fidélité à sa patrie, ou le devoir ;Investi d’une mission, le héros doit la remplir coûte que coûte. Les pièces comportent alors de longues tirades ou des stances durant lesquelles les personnages , déchirés , débattent en alexandrins.
Dans l’Antiquité, les Muses étaient au nombre de neuf : filles de Zeus et de Mnémosyne, la déesse de la mémoire , elles ont chacune la responsabilité d’une branche artistique et sont fréquemment accompagnées, dans la plupart des représentations, d’Apollon, le Dieu des arts . Calliope est la muse de la poésie épique, Erato veille sur les poètes lyriques, Melpomène règne sur la tragédie, Clio sur l’histoire. La statuaire grecque les représente sous la forme de gracieuses jeunes filles et l’Art leur confère des symboles qui permettent de les différencier.
Aujourd’hui, on dit d’un femme qui inspire un artiste qu’elle est sa muse ou son égérie. 
L’épilogue de Bel-Ami : un mariage triomphal
C’est dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle que se constitue le réalisme en réaction contre le romantisme qui accordait beaucoup d’importance à l’expression des sentiments . Les écrivains réalistes et notamment Maupassant, s’efforcent de donner l’illusion de la réalité dans leurs romans; Bel-Ami, roman qui paraît en 1880, retrace l’ascension d’un héros ambitieux sans scrupules, Georges Duroy , qui se sert de son pouvoir de séduction pour gravir les échelons de la société. L‘épilogue étale sa réussite et dépeint son mariage prestigieux avec Suzanne Walter, la fille de son patron . Comment l’écrivain présente-t-il ici le personnage ? Dans un premier temps, nous montrerons sa réussite sociale avant d’envisager sa réussite personnelle et pour terminer, nous montrerons la dimension critique de ce dénouement.
A cette réussite sociale il faut ajouter , avec ce mariage, une forme de réussite personnelle . En effet, ce mariage prestigieux lui garantit une position sociale enviable et ne met pas un terme à ses désirs amoureux et à son appétit des femmes; Maupassant précise bien que sa relation avec Clotilde de Marelle va pouvoir continuer et le jour même de son mariage, au sein de l’église , il repense à sa liaison avec sa maîtresse ; L’évocation de leur intimité ” lui fit passer dans le sang le désir brusque de la reprendre” montre à quel point le héros est resté centré sur ses désirs égoïstes et on retrouve ici une forme de violence du personnage . Il semble faire peu de cas de sa jeune épouse dont on devine simplement l’ombre à ses côtés. On mesure donc une forme de critique des agissements de Georges et le roman qui s’ouvrait sur le regard admiratif des femmes croisées dans la rue sur le héros, se termine ici, avec l’évocation des cheveux de Madame de Marelle: “toujours défaits au sortir du lit ” La dernière image de Bel-Ami est bien celle d’un séducteur, d’un homme à femmes et l’auteur rappelle ainsi que sa réussite est justement fondée sur les sentiments qu’il parvient à déclencher chez les femmes.
Le héros a changé d’allure : alors qu’il défiait la foule en jouant des épaules comme pour se frayer un chemin dans la vie, désormais il paraît apaisé : “il allait lentement, d’un pas calme, la tête haute” ( l 21) . Il a une allure impériale mais continue à prendre la pose. Un peu plus loin, “il descendit avec lenteur” : il a l’allure d’un conquérant . Le cadre accompagne cette réussite : les spectateurs forment deux haies ( l 29) comme pour l’acclamer et le soleil semble rayonner rien que pour célébrer l’événement . C’est ici l’apogée de l’ascension du personnage: une réussite totalement amorale qui laisse penser qu’un arriviste peu scrupuleux peut parvenir à se faire un nom dans une société pervertie par l’ambition et l’argent . On retrouve l’objectif réaliste de l’auteur qui entend bien donner à la fiction le rôle d’un miroir de la société et de ses travers.
Toutefois , cet épisode consacre la défaite de certaines valeurs morales . ( à rédiger… )