16. septembre 2018 · Commentaires fermés sur Histoire d’un voyage fait en la terre du Brésil : quelques éléments de contexte historique · Catégories: Spécialité : HLP Première · Tags:
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Jacob Collaert 1598 

Remontons quelques siècles en arrière et figurez-vous que pour les européens , le monde connu se limitait à quelques pays voisins contre lesquels bien souvent on guerroyait pour quelques terres , un duché ou une querelle d”héritage. Alors imaginez un instant la surprise des navigateurs quand ils accostent sur les rives du Nouveau -Monde; Que découvrent-ils? Des hommes qu’ils vont baptiser sauvages et dont il leur faudra très longtemps avant de comprendre que ce sont leurs frères humains. mettons nous quelques instants à la place de ces hommes de la Renaissance et tentons de les comprendre …

 

Si on a retenu la date de 1492 qui symbolise encore pour beaucoup la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, en réalité, cette découverte majeure va mettre du temps à modifier la conception du monde des contemporains du navigateur. Colomb pense d’abord être au Japon et ensuite aux Indes; En 1500 lorsque Cabral découvre le Brésil, il pense avoir ouvert une nouvelle voie maritime vers L’inde et le Brésil va être baptisé Indes Occidentales. En 1507 , ce nouveau continent va finalement porter le nom d’Amerigo Vespucci qui ignore alors qu’il n’est pas le premier navigateur occidental à longer ces côtes . Entre le moment où les premiers colons font la connaissance des Indigènes et le moment où cette découverte va arriver jusqu’en Europe, c’est une espèce de course contre la montre qui se joue entre les différentes puissances. Chaque roi envoie ses marins pour qu’ils prennent possession des terres, des richesses et qu’ ils évangélisent les populations locales qui viendront ainsi grossir les rangs des sujets de sa majesté. Ce qui contribue, à leurs yeux,  à accroître la puissance du royaume. L’ Espagne et le Portugal s’affrontent et les autorités religieuses interviennent pour servir d’arbitre : le Pape en tant que chef de l’ Eglise catholique va même prendre des mesures concrètes pour départager ces deux rivaux;

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allégorie de l’Afrique 

Un traité va alors établir en 1494 un partage du territoire , plaçant le Brésil situé au sud d’une frontière définie par la papauté , sous influence portugaise. De leur côté, Français et Anglais tentent de tirer leur épingle du jeu et de créer des colonies de peuplement . En fait chaque payas européen transpose ses rivalités de l’autre côté de l’Atlantique et on peut déjà penser que leur colonisation sera d’autant plus violente qu’ils pensent en retirer ainsi un bénéfice pour dominer les autres nations européennes.La question religieuse va souvent occuper une place importante au sein des débats: les catholiques , en effet, s’interrogent sur la politique à mener d’autant plus fortement qu’en Europe, ils se sentent menacés par le protestantisme. Et de leur côté certains protestants qui arrivent dans le Nouveau-Monde chassés par l’inquisition catholique, font faire preuve de tolérance et d’ouverture d’esprit face aux coutumes et aux croyances indigènes. La plupart du temps, la colonisation a pour principal objectif les ressources du pays et l’asservissement de ses habitants qui devient ainsi une main d’oeuvre bon marché. 

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S’interroger sur l’autre , revient en fait souvent à s’interroger sur soi-même, à comparer les différents modes de vie, ce que les ethnologues nomment l‘habitus (un ensemble de comportements qu’on reproduit par habitude et qu’on enseigne aux générations suivantes )- Montaigne à la Renaissance propose à ses contemporains une véritable réflexion sur l’altérité à travers ses Essais mais il n’aborde pas directement la question coloniale ; Jean de Léry propose plutôt un récit de voyage, le témoignage d’une expérience personnelle plutôt que le fruit d’une réflexion intellectuelle. Qui est Jean de Léry ? ce n’est ni un intellectuel, ni même un lettré et surtout pas un clerc. Protestant , il entend se  réfugier dans ce nouveau-Monde et   s’embarque en 1556 , à l’âge de 20 ans à bord de la flotte qui rejoint la petite colonie fondée par Villegagnon au Brésil pour servir d’asile à la communauté protestante exilée; Or, ce dernier se convertit au catholicisme et les protestants qui souhaitent demeurer fidèles çà leurs convictions s’enfuient dans la jungle où ils sont recueillis par des sauvages avec lesquels ils vont vivre pendant plus d’un an, loin de  toute civilisation. 

Jean de Léry entreprend alors un récit dans lequel il témoigne de sa propre expérience ; il écrit à la première personne du singulier et il va à l’encontre des jugements savants ; Humaniste par la force des choses, il a appris à regarder les autres autrement que la plupart de ses contemporains, prisonniers de préjugés hérités de certaines croyances en la supériorité de l’homme civilisé sur l’homme sauvage.Léry monter que certains sauvages se comportent avec bonté , sagesse et sont  hospitaliers là où certains Européens se montrent cruels, déraisonnables et parfois insensés.

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Ce n’est que 20 ans après son retour du Brésil que Jean de Léry se décidera à faire part de son expérience : devenu pasteur , il est témoin d’un cas d’anthropophagie parmi des protestants assiégés qui, pour ne pas mourir de faim auraient mangé l’un des leurs, décédés dans le siège de la ville de Sancerre par les troupes catholiques. Cet événement va servir de déclencheur à l’écriture car l‘anthropophagie est souvent évoquée par les Européens comme un indice de barbarie : Léry veut donc rétablir la vérité sur cette pratique dont il a été témoin durant son séjour parmi les Brésiliens vingt ans plus tôt. Il regrette au final de n’être pas resté parmi les Sauvages, ses amis. 

 

 

 

 

13. septembre 2018 · Commentaires fermés sur Le schéma de communication simplifié · Catégories: Seconde
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En français,  il est important quand vous allez devoir rédiger des textes que vous sachiez exactement dans quelle situation de communication vous vous trouvez. Pour comprendre qui parle à qui , de quoi et comment, on a eu l’idée de représenter , sous forme de schéma, les prix,cipaye éléments de la communication.  Attention au vocabulaire qui peut changer; Ainsi quand je parle je suis un locuteur ou un orateur, quand j’écris , un scripteur ou un écrivain et je m’adresse à un public composé d’auditeurs , ou de spectateurs, ou de lecteurs. Pour vous entraîner à maîtriser cette notion, il est recommandé  de bien mémoriser cet article et ensuite de faire lex travaux pratiques proposés . 

1- le Destinateur et le destinataire sont le plus souvent nommés  “emetteur/recepteur :
Dans le cas d’une interaction normale , la communication est bi-directionnelle comme par exemple lorsque vous parlez à quelqu’un qui vous répond.  Lorsque deux personnes interagissent dans un cadre où la communication est institutionnalisée ( c’est à dire dans le cadre d’une situation prédéfinie  comme l’administration publique , la télévision , une université, une salle de classe ) la communication est  parfois unidirectionnelle ; ça veut dire qu’une seule personne produit de la parole alors que l’autre écoute.

2-Le message : c’est l’infomation transmise .
Ce message varie dans sa forme , sa durée et son contenu . Il est l’élément central de toute forme de communication. Attention le mot message ne doit pas être utilisé dans lex explications de texte en français. L’auteur ou l’écrivain transmet des idées ou des sentiments  dans ses livres . Le mot message ne doit pas être employé à la place du mot idées par exemple. 

3-Le  canal ” : canal physique et physiologique reliant l’émetteur et le récepteur . Le canal peut être modifié pour rendre la compréhension du message plus facile. 

4-Le code : un ensemble conventionnel de signes ( écrits , sonore , linguistiques ou non linguistiques , visuel ou autre ) ce code doit être compris par les deux locuteurs , pour permettre la transmission du message . Dans certains cas , le message peut mettre en oeuvre plusieurs codes en même temps ( langue orale , les gestes , l’habillement ) .

-Le référent : ” qu’on appelle aussi le contexte ” la situation à laquelle renvoie le message  . Ce point n’est pas à retenir 

Après avoir écouté attentivement la vidéo suivante, complète le QCM de ton espace pronote intitulé : schéma de la communication …

 

12. septembre 2018 · Commentaires fermés sur Fiche mémorisation : apprendre à apprendre un cours · Catégories: Fiches méthode · Tags:
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Que retenir d’un cours ? quels sont les points les plus  importants ? que vais-je devoir apprendre ? est-ce que je  suis obligé d’apprendre le cours par coeur ? Si ces questions méritent d’être posées dans toutes les matières, en français, il est possible d’y répondre dès le début de l’année. En effet, la plupart des cours ont pour but de vous faire acquérir à la fois des connaissances (une culture littéraire  par exemple ) et des savoir-faire ( rédiger une dissertation, un commentaire littéraire, une question de corpus ou un sujet d’invention pour le bac de Françai s) Plus généralement , il est recommandé de savoir nommer avec précision ce qu’on cherche à retenir et à apprendre . Prenons ensemble l’exemple du premier cours qui s’intitule Indignez-vous … suivez le guide ! 

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Le cours commence par une réflexion collective autour de sujets d’indignation . Au tableau sont listés des points qui suscitent l’indignation d’un certain nombre d’élèves . Ensuite le professeur donne comme consigne de relier ces mot selon des critères communs. Ainsi le sexisme et le racisme seront rassemblés dans la catégorie discriminations alors que le harcèlement et la dictature seront rassemblés dans une catégorie qui fait état de l’usage de la violence pour soumettre des individus. Un diaporama complète les notions envisagées : écart entre riches et pauvres, discriminations de toutes sortes . Il est l’occasion de revoir des notions importantes comme caricature, ironie, parodie, humour . Le cours se poursuit avec une prise de notes de mots définis par des élèves de la classe et l’analyse d’un texte de Stéphane Hessel . Le principales idées de ce texte sont notées au tableau et les élèves doivent pouvoir identifier les lignes où apparaissent ces idées reformulées. Le cours se termine  par la réalisation de travaux d’écriture  en groupe après avoir fait noter au tableau ce qu’est un schéma de communication . Chaque groupe choisit d’illustrer une situation de communication qui traduit une forme d’indignation. L’objectif de ce travail est d’apprendre à réutiliser dans l’expression écrite une situation de communication (qui parle à qui, sur quel ton et de quoi ) et de produire un texte argumentatif efficace (compétence en cours d’acquisition et travaillée  )  , dans une langue maîtrisée (compétence requise)  .  Ces productions écrites feront l’objet au cours suivants d’un travail d’évaluation . 4 à 6 heures de français ont été attribuées à cette première séquence de français. Que doit -on en retenir ? 

Ce cours comporte des connaissances à acquérir et des compétences (savoir-faire ) ; il peut être enregistré dans vos lutins (classeurs ) sous la forme d’une fiche mémorisation qui peut être réalisée soit à la maison soit en Travail autonome. Ci -dessous , en pièce jointe , une fiche mémorisation à imprimer ou à recopier . Vous trouverez également en pièce jointe (il suffit de cliquer sur la clé USB rouge située à la fin du billet )  des conseils pratiques et une carte qui résume les différentes manières d’apprendre . Bon courage …et bons apprentissages ! 

09. septembre 2018 · Commentaires fermés sur Sorj Chalandon se confie à un journaliste : genèse d’un roman · Catégories: Première
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Par Benjamin Eskinazi, publié le 14/03/2012

En écrivant Mon traître (Grasset, 2008), Sorj Chalandon pensait pouvoir exorciser un démon qui le hantait : la trahison de son ami Denis Donaldson, membre éminent de l’IRA qui a avoué en décembre 2005 avoir été, pendant plus de vingt ans, un espion à la solde des Britanniques. Mais Mon traître, roman raconté par le Français trahi, ne permettra pas à l’auteur de tourner définitivement la page sur cette blessure. Avec un second livre sur le même sujet, Retour à Killybegs, Grand Prix du roman de l’Académie française 2011, où Denis Donaldson apparaît sous les traits du fictionnel Tyrone Meehan, Sorj Chalandon aborde cette histoire du point de vue du traître.

Pourquoi être revenu sur cette histoire, que vous abordiez déjà dans Mon traître?
J’ai écrit Mon traître en pensant que ça suffirait. J’ai choisi le mode romanesque pour me détacher de la vérité. Ce que je voulais, c’était ne pas trahir mon traître : sa mémoire, ses amis, ses proches. Ce n’était pas une histoire sur lui, mais une histoire à cause de lui. J’ai été trahi, et je vous demande de partager avec moi cette trahison, et donc cette douleur, cette blessure. 

 

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Je pensais qu’en sortant cette histoire, un deuil serait fait. Un deuil de l’amitié, de la tristesse, de l’orgueil peut-être aussi. Un orgueil de ne rien avoir vu, de ne rien avoir senti, d’être resté pendant vingt ans à côté d’un homme qui n’était pas celui qu’on pensait.

J’ai écrit ce livre-là dans l’idée de faire une tombe à un ami, un tombeau littéraire et réel. Mais ça n’a pas suffi. Je me suis retrouvé avec la douleur du trahi, mais les gens me demandaient : « Qui est le traître? Pourquoi a-t-il trahi? » J’ai trouvé pratiquement injuste de n’être que le trahi. Pour finir le deuil, il fallait que je devienne le traître. 

Je suis entré deux ans dans la peau de celui qui m’a fait du mal, ce qui m’a permis de ne pas le juger, ne pas le pardonner —ce n’était pas le but — mais de raconter son histoire, en pensant qu’un traître, ça peut être quelqu’un de bien qui a baissé les bras. 

Le premier livre était un livre accidentel, dû à cette trahison. Le second livre était impératif, car le premier ne suffisait pas à ce qu’on comprenne, il ne suffisait pas à mon deuil. Ayant été à la fois le trahi et le traître, j’ai eu l’impression que cette fois-ci le deuil était fait.

Pourquoi avoir écrit un roman, et pas la véritable histoire de Denis? 
Je ne me suis pas senti le courage, la force et l’envie de travailler sur l’histoire de Denis Donaldson. Tyrone Meehan est né en 1925 à Killybegs. Denis Donaldson est né en 1950 à Belfast. Ils n’ont pas le même âge, ce n’est pas le même homme. En revanche, beaucoup de choses dans le roman sont vraies. 
Je voulais que Tyrone Meehan soit la fusion de deux personnages, lui et moi. J’ai voulu prendre du champ par rapport à cette histoire, pour me regarder : je voulais voir le Français avec les yeux de l’Irlandais. Non seulement je voulais voir la traîtrise par ses yeux, mais je voulais me voir par ses yeux, et ça m’a fait un bien fou. 

J’ai choisi le roman et la fiction pour m’éloigner de la réalité, mais en même temps pour être sûr que je pourrais dire des choses que je ne pourrais pas dire dans la réalité. Comment aurais-je pu expliquer que moi, Français, j’ai été appelé à aider, à donner un coup de main. Je ne peux pas le faire. Le roman me masque. Le roman me cache. 

Tyrone pose sur Antoine, le luthier français qui est votre alter-ego dans le roman, un regard de père, de mentor. Il y a beaucoup de douceur et de tendresse dans sa façon de vous voir.
Il faut maintenant que vous renversiez la phrase. Je me regarde avec beaucoup de tendresse, de douceur et avec un regard de père. Il m’appelait « son »— fils —ce qui m’a poussé à le vieillir. Volontairement je me fais presque enfant, dans ses yeux, entre ses mains.

La scène de la rencontre entre Antoine et Tyrone est particulièrement émouvante. Antoine est devant le traître, un traître à sa cause, à son pays, et on réalise que la question qui importe à ses yeux est : est-ce que notre amitié était vraie?
La seule scène commune entre les deux livres, c’est quand le Français rencontre l’Irlandais. Je n’ai pas vécu cette scène, mais elle se serait probablement passée comme ça. Le roman m’a permis de le revoir. 
Je suis le petit Français qui espère qu’on n’est pas traître tout le temps, qui espère que chez un traître, il y a du temps pour l’amitié, pour l’amour, et qui espère qu’on va le lui dire et que ça va l’aider à grandir et à faire son deuil. Mais je n’aurais pas eu la réponse. 

Dans Mon traître, la vie d’Antoine c’est Tyrone Meehan. Mais dans la vie de Meehan, Antoine n’occupe qu’une toute petite place. Je tenais à me remettre en place. Dans sa vie, ma place est minuscule, misérable. Je suis un trahi périphérique. 

Il y a un côté très naïf à Antoine…
Cette naïveté là, je l’assume. Je ne sais pas si naïveté est le mot qui convient, mais la trahison est un chagrin d’amour. Tout l’aveuglement amoureux, grâce au roman, je l’assume. 

Des gens m’ont dit « on ne le supporte pas le petit Français ». Tant pis. Moi non plus je ne me supporte pas quand je réfléchis à cette époque. En même temps, je ne regrette rien. Grâce à ce livre, je ne regrette même pas l’amitié. 

Parce qu’à une époque vous l’avez regrettée?
Bien sûr. Il me disait : « Si tu as des doutes sur notre combat, pense à moi! Viens me voir, que l’on en parle. » Quand j’ai terminé l’écriture de Mon traître, j’étais dans la colère de moi-même. Maintenant, je suis apaisé, parce que j’ai trahi en écrivant Retour à Killybegs. Je suis Tyrone Meehan. J’ai accepté d’endosser l’habit du traître pour être à ses côtés. 

C’est une trahison en temps de guerre. Il a trahi sa communauté, son combat, ses proches, ses frères, ses sœurs, sa culture, sa lutte. Je déteste cette image du traître, un homme qui trahit la communauté qui l’aime et qui le protège. C’est quelque chose d’hallucinant. 

Moi, je ne suis qu’un passant, un touriste, un Français. Et je me suis arrogé — parce que je ne suis pas au cœur de la souffrance de ceux qui ont été trahis, je suis en périphérie de la trahison —le droit, pour ma propre guérison, de prendre sa place. 

Je n’ai pas eu le choix. Si pour m’en sortir il avait fallu boire de l’eau de Javel, je l’aurais fait. Maintenant, il faut que je réapprenne tout, que je réapprenne la confiance. C’était le plus proche, l’insoupçonnable, c’est celui à qui les yeux fermés j’ai confié mes doutes, mes envies, mes joies. C’est mon frère qui m’a trahi. Comment fait-on après? Si mon frère m’a trahi, qu’en est-il de mes cousins, de mes oncles et des gens qui passent dans la rue?

Quand quelqu’un me donne un rendez-vous et ne vient pas, je trouve ça normal. Ce qui est étonnant, c’est quand il vient. 

Si vous aviez pu choisir, auriez-vous préféré ne jamais savoir la vérité sur Denis? 
Je préfère la savoir. L’idée de fêter un jour l’indépendance de la république irlandaise avec un traître à mes côtés me fait horreur. 

Je veux savoir. C’est comme un cancer : si un jour je l’ai, je veux qu’on me le dise, je vais vivre avec, je vais me battre contre, je vais lutter.

Votre processus de deuil est-il terminé?
Il est en cours. Je suis beaucoup plus apaisé. Maintenant, j’ai une sorte de distance, j’ai des images de lui souriant, chose que je n’avais plus du tout. Je réentends sa voix, et pas juste à la conférence de presse où il a dit : « Hello, my name is Denis Donaldson. I am a british agent. I was paid for my information » [Bonjour, mon nom est Denis Donaldson. Je suis un agent britannique. J’ai été payé pour mes informations]. Je réentends des choses d’avant. 

La trahison est un sac de pierres. Chaque fois que quelqu’un a lu mon livre et m’en parle, j’ai l’impression que je lui donne une pierre. Ça allège le sac. 

Ces livres auront pour moi servi à ça et à rappeler ce qu’a été cette guerre, parce qu’on l’a oubliée. À 1h30 de nos portes, Maggie Thatcher a laissé mourir dix jeunes hommes les uns après les autres, et on a détourné les yeux. 

Je me souviens : les grévistes de la faim mourraient les uns après les autres et pendant ce temps les jeunes défilaient contre l’apartheid en Afrique du Sud. C’était tellement plus simple : les noirs/les blancs, les gentils/les méchants. 

Vous avez sur vous des objets irlandais qu’Antoine porte dans le roman : sa bague, sa casquette, son badge. Est-ce que l’Irlande est toujours avec vous?
Antoine m’a emprunté ces objets. Plus jamais je n’écrirai sur l’Irlande, c’est retourné à ma sphère privée. 
On me propose d’écrire sur le sujet, mais je dis : laissons les tranquilles. Ce n’est pas un journaliste, c’est un homme blessé qui a écrit ce livre. La blessure est en train de cicatriser doucement. Cette blessure est à la taille de cet ami, et cet amour est à la taille de ce pays. 

Je n’ai pas du tout une vision romantique, idéalisée du conflit irlandais. J’ai une image violemment pragmatique. C’est une armée de gueux qui se sont levés et battus pour la dignité. Je pense qu’il fallait faire la guerre pour avoir la paix. Ça, l’écrivain peut l’écrire, le journaliste ne le peut pas. Un roman c’est pratique. On se cache bien derrière un roman.

Mais on se dévoile aussi.
Bien sûr. Un jour, un journaliste irlandais m’a demandé : « Quelle est la différence entre Antoine et vous? » J’ai répondu : « Je ne suis pas luthier ». 

Vous avez déclaré au sujet de votre premier roman, Le petit Bonzi, « je ne voulais pas écrire, je voulais écrire ce livre-là. »
Oui, je voulais écrire pour raconter la douleur du bègue. Je voulais écrire ce livre-là. Et puis, j’ai écrit Une promesse, qui a remporté le prix Médicis. Mais depuis Killybegs, je n’ai pas écrit une seule ligne. 

Est-ce dans vos plans?
Pour l’instant, non. Le titre du livre serait Bloqué à Killybegs

Vous avez remporté le Grand Prix du roman de l’Académie française pour Retour à Killybegs. Qu’est-ce ça représente pour vous? 
C’est le prix de la langue, et je trouve formidable pour un ancien bègue de remporter le prix de la langue. On m’a dit : « Désormais, vos grévistes de la faim sont immortels ». Accueillir cette violence-là dans cette institution, c’est aussi ça le processus de paix. Je trouve ça formidable. Surtout quand on est accueilli par Hélène Carrère d’Encausse qui me dit « Ce n’est pas moi qui vous accueille, c’est Victor Hugo dont j’occupe le fauteuil. » Mes amis méritaient ça. 

 

CRÉDITS PHOTO: Photo Sylvain Veyrié/CC-BY-SA (photo originale: https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Sorj_Chalandon_salon_radio_france_2011.jpg

09. septembre 2018 · Commentaires fermés sur Clémenceau contre Jules Ferry : propos d’un député contre la colonisation en 1885 · Catégories: Première · Tags:
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“Ce qui manque de plus en plus à notre grande industrie, ce sont les débouchés. Il n’y a rien de plus sérieux. Or ce programme est intimement lié à la politique coloniale. Il faut chercher des débouchés.Il y a un second point que je dois aborder : c’est le côté humanitaire et civilisateur de la question. Les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. Je dis qu’il y a pour elles un droit parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le droit de civiliser les races inférieures.Enfin, si la France veut rester un grand pays, qu’elle porte partout où elle le peut sa langue, ses mœurs, son drapeau, ses armes et son génie. Rayonner sans agir, c’est abdiquer, et, dans un temps plus court que vous ne pouvez le croire, c’est descendre du premier rang au troisième ou au quatrième.”  Le discours de Clémenceau va donc reprendre les arguments de Jules Ferry pour parfois les contredire . 

La technique qui consiste à réemployer les arguments de son adversaire pour mieux les réfuter est très souvent utilisée pour obtenir un effet sur l’auditoire. Clémenceau emploie ce procédé afin de décrédibiliser son adversaire en montrant à la fois son racisme et son parti-pris. La Fance et le gouvernement sont alors, à cette époque, divisés en matière de politique coloniale car certains préfèreraient que l’Etat investisse sur le territoire national .On retrouve bien dans le discours de Ferry l’idée selon laquelle les colonie sont avant tout une valeur économique dans la mesure où elles vont créer de nouveaux marchés pour les produits industriels de métropole. Clémenceau rappelle alors au public la défaite de Sedan en 1871 et invente un argument  selon lequel les allemands auraient gagné la guerre parce qu’ils avaient un plus gros cerveau. Il ridiculise ainsi certains points de vue racistes qui relient la taille du cerveau comme étant un critère justifiant à lui seul la domination, d’un peuple ou d’une ethnie sur une autre . De plus, il rappelle  avec ce souvenir de défaite que la France est sortie fragilisée de ce conflit et qu’elle n’a pas les moyens de poursuivre une politique d’expansion coûteuse en dehors de ses frontières . ” Mais nous disons, nous, que lorsqu’une nation a éprouvé de graves, très graves revers en Europe, lorsque sa frontière a été entamée, il convient peut-être avant de la lancer dans les conquêtes lointaines, fussent-elles utiles — et, j’ai démontré le contraire —, de bien s’assurer que l’on a le pied solide chez soi et que le sol national ne tremble pas. ” Voilà le devoir qui s’impose. Mais quand un pays est placé dans ces conditions, aller s’affaiblir en hommes et en argent, et aller chercher au bout du monde, au Tonkin, à Madagascar, une force pour réagir sur le pays d’origine et lui communiquer une puissance nouvelle, je dis que c’est une politique absurde, une politique coupable, une politique folle… (Applaudissements à gauche et à droite.) On voit ici que Clémenceau critique de manière explicite la politique soutenue par  M Jules Ferry . 

[…]

Pendant que vous êtes perdus dans votre rêve colonial, il y a à vos pieds des hommes, des Français, qui demandent des dépenses utiles, fructueuses au développement du génie français et qui vous aideront, en augmentant la production, en la faisant à meilleur compte, à trouver ces fameux débouchés que vous fermez par vos expéditions guerrières. (Applaudissements sur divers bancs.)

Ci-dessous la carte de l’empire colonial français en 1911. 

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b530636240/f1.item …

06. juin 2018 · Commentaires fermés sur Un discours contre la guerre : Hector face aux soldat morts · Catégories: Première · Tags:

 Alerté par la dégradation des relations diplomatiques internationale et notamment franco-allemandes, Jean  Giraudoux  compose une  pièce en quelques semaines. Il s’inspire d’un mythe et imagine les quelques heures qui précèdent le déclenchement de la Guerre de Troie . Après l’échec des négociations , la pièce se termine avec l’ouverture sur scène des portes de al guerre. L’extrait que nous étudions se situe au moment où le roi Priam, plutôt favorable à un nouveau conflit, demande à son fils de prononcer un discours d’hommage à ses soldats morts au combat.  Hector , général  tout juste rentré vainqueur d’une guerre récente , accepte de prononcer cet hommage , comme le veut la coutume troyenne, . Il entend alors ,du côté du port les clameurs suscitées par l’arrivée des navires grecs et il vient prendre place solennellement “au pied des portes”  . Mais Hector n’est pas décidé à prononcer le discours qu tout le monde attend avec les compliments habituels et l’hommage aux disparus; Sa prise de parole prend rapidement un ton irrévérencieux et il montre avec ce discours iconoclaste que  seuls les survivants d’une guerre  sont les véritables vainqueurs . 

 Nous pouvons montrer , tout d’abord  que ce discours est éloquent : il s’inspire , en effet, de l’art oratoire . Hector, d exprime abord, respecte  la tradition théorique de l’art oratoire ;Il s'adresse au morts en employant des apostrophes pathétiques : “O vous ..qui ne nous entendez pas ” et il les fait revivre par ses multiples invocations, un peu à la manière des anciennes incantations qu’on adressait aux esprits dans les cérémonies antiques;  il leur pose même des questions rhétoriquescela vous est bien égal n’est-ce pas ? ‘ et fait comme s’ils allaient pouvoir lui répondre; les nombreux paradoxes de ce discours résultent  notamment  de la présence d’antithèses comme par exemple ” vous qui ne sentez pas, respirez ” ou “vous qui ne voyez pas, voyez;.”  Hector semble ici montrer le caractère absurde de sa situation d’énonciation: à quoi cela sert-il de s’adresser à des soldats disparus ” Le discours aux  morts de la guerre est en fait un plaidoyer hypocrite pour les vivants ” a-t-il admis quelques instant plus tôt . Hector cherche à créer un contact non seulement avec ses auditeurs supposés, les morts , mais également avec les auditeurs qui sont autour de lui; On peut ainsi parler de double énonciation ou de double destinataire . Les apostrophes  sont fréquentes te rythment l’hommage : vous qui ne sentez pas , qui ne touchez pas ..” En les appelant, Hector rappelle en même temps tout ce qu’ils ne peuvent plus faire. Et à la fin du discours, on retrouve notamment l’idée de leur inexistence avec une série d’adjectifs et de noms : ” vous absents, vous inexistants, vous oubliés, vous sans occupation, sans repos, sans être “, Non seulement les morts ne peuvent plus jouir des plaisir sue la vie car ils n’ont plus d’existence, de corps, de sens comme la vue, l’ouie  et le toucher ou l’odorat mais le fait même de les oublier semble les priver définitivement du moindre statut et les rendre “‘sans être”, comme s’ils étaient condamnés à errer .  

 Un discours décalé :  En plus de ces nombreuses oppositions , les détails intimes que révèle le général dans cette circonstance officielle, peuvent paraître choquants; En effet, Hector fait allusion , tout d’abord à des actions banales et quotidiennes comme manger, boire et faire l’amour et ensuite, il ajoute un détail qui peut paraître trivial ,  que les soldats survivants vont coucher avec les femmes des disparus  “Nous couchons avec nos femmes..avec les vôtres aussi. ” Hector montre ainsi que la  vie continue après leur mort et que leurs veuves devront se consoler de leur mort dans les bras d’autres guerriers.  Demokos, le poète belliciste s’empresse de crier ici au scandale mais Hector n’a nullement l’intention d’insulter les morts; il constate ce que la mort leur a fait perdre car il veut montrer toutes les choses simples auxquelles   les morts n’ont plus accès: au lieu d’imiter les éloges funèbres au cours desquels on célèbre la gloire, la bravoure des soldats tombés au champ d’honneur, Giraudoux ici, fait prononcer à son personnage de soldat dégoûté de la guerre, un sort d’hymne à la vie et à ses plaisirs.  En effet, le général rappelle la douceur de vivre avec des éléments comme le “clair de lune ” qui évoque poétiquement les joies nocturnes qui viennent prolonger les plaisirs diurnes : manger, boire te faire l’amour.  Cette dimension hédoniste  rend hommage à la vie. Ainsi , à côté de ces joies simples ,les décorations militaires à titre posthume, les cocardes ne valent rien ; seule compte “la vraie cocarde” c’est à dire le privilège d’être demeuré en vie et d’avoir gardé ses deux yeux pour voir ; Hector es réjouit tout simplement de voir encore  le soleil . 

Le discours d’Hector s’éloigne donc des poncifs habituels et dans sa seconde période, Hector fait preuve de sincérité , qui contraste donc avec les éloges officiels plus ou moins hypocrites; Ce dernier refuse , en effet, de glorifier la mémoire des disparus car  “tout morts que vous êtes, il y’a chez vous la même proportion de  braves et de peureux que chez nous qui avons survécu” . Le fils de Priam se démarque ainsi de l’idéologie officielle et fait preuve d’une certaine lucidité dans l’examen de la nature humaine;  il se met alors à vivement critiquer la guerre en employant une métaphore culinaire dépréciative :   “la recette la plus sordide  et la plus hypocrite pour égaliser les humains” ;  D’ailleurs les survivants sont même qualifiés de  déserteurs ; en employant ce mot qui crique habituellement les combattants qui fuient le champ de bataille, le dramaturge semble inverser les valeurs habituelles . Pour Giraudoux, tous les hommes ne se valent pas et certaines vies sont plus précieuses que d'autres , ce sont celles des hommes de bien; en les faisant mourir en grand nombre, la guerre tend à effacer la valeur des hommes et à les confondre tous dans le même lot de victimes: c'est ainsi oublier que certains furent des hommes dont la vie avait du prix, ils seront regrettés par beaucoup de gens qui les aimaient  alors que d'autres ne seront guère pleurés par leurs proches.

Des paradoxes : le discours officiel d’Hector est construit à partir de répétitions pour le moins étranges qui forment de véritables antithèses  : en s’adressant aux morts, Hector rappelle leur absence et l’apostrophe “vous qui ne nous entendez-pas se transforme en invocation : “écoutez ces paroles ” . Cette formulation marque ici clairement l’impossibilité pour les auditeurs de prêter attention à l’hommage qui leur est rendu. Leur disparition  est ainsi réaffirmée et rend le discours pathétique. “vainqueurs vivants s’oppose ainsi à vainqueurs morts  
 Un discours provocateur ? Cette position défendue par le dramaturge peut paraître polémique car elle fait de la mort une sorte de dénominateur commun à l’existence des hommes ; c’est pourquoi Hector précise , à la fin de son intervention : ” je n’admets pas plus la mort comme expiation au lâche que comme récompense aux héros pour bien montrer que la perte de la vie constitue le véritable scandale causé par la guerre ; il ne faudrait pas en effet, que le mort soit considérée comme quelque chose de banal tout simplement parce que les hommes meurent en grand nombre durant les guerres;  ses dernières paroles s’adressent à tous les “absents, inexistants, oubliés, sans occupation, sans repos, sans être” ; ces images volontairement provocatrices dénoncent en fait la banalisation de ces disparitions de masse; chaque disparu doit compter et chaque survivant doit être capable d’apprécier la vie et de “ressentir comme un privilège et un vol , la chaleur et le ciel ” . Ici le soleil et la lumière représentent la vie par opposition au froid et à l’ombre qui traduisent le vide et l’absence .

Ce discours d’Hector est donc pour le moins étonnant car il ne correspond pas au discours attendu dans une circonstance semblable , qui est un hommage officiel aux soldats victorieux de son armée et il rappelle l’opinion de Giraudoux : les vainqueurs morts ne sont pas les véritables vainqueurs des guerres car  ils ont perdu leur bien le plus précieux que chaque homme devrait s’efforcer de conserver à tout prix:  la vie .  Le général avoue d’ailleurs avoir “honte “ d’être resté en vie alors que tant des siens ont donné la leur pour une victoire dont ils ne profiteront pas .

Avec beaucoup de finesse et de subtilité, Giraudoux, ici par l’intermédiaire du discours d’Hector, nous amène à réfléchir sur la guerre, la victoire, la valeur de la vie et celle des hommes.  Le discours est à la fois éloquent (art du bien parler ) et lyrique (expression de sentiments personnels) : il exprime de manière touchante les convictions d’un ancien soldat qui fait preuve d’une sincérité inhabituelle en de telles circonstances ; A la fois insolite et poignant, ce moment solennel peut se lire comme un réquisitoire contre la guerre ; la mort ne peut en aucun cas être considérée comme une consolation ou une consécration: elle doit être montrée dans sa brutalité et ses conséquences irrémédiables.

Ce thème a été repris par un romancier contemporain Pierre Lemaître qui dans son récit Au revoir là haut, met en scène deux anciens combattants de 14/18 qui ont survécu, profondément blessés dans leur chair (l’un est mutilé au visage ) et qui ont décidé de vendre de faux monuments au morts dont ils envoient les dessins aux mairies désireuses d’honorer la mémoire de leurs disparus. Cette notion de devoir de mémoire n’existe pas encore à l’époque de Giraudoux et le discours d’Hector peut paraître choquant mais il nous fait réfléchir à l place de la mort et de la vie qui est la seule véritable victoire pour le dramaturge. Peut être peut -on également penser que les nombreux hommages rendus aux disparus de 14/18 sont ici évoqués indirectement . 

Quelques axes possibles pour répondre à des questions de bac …

Un discours éloquent ?

les apostrophes, les invocations, la situation d’énonciation 

Une parodie des discours d’hommage officiels aux disparus? 

la trivialité , le rappel des plaisirs de la vie , la critique des usages et le rappel de 14/18, les paradoxes 

Un hymne à la vie ? 

la critique de la guerre et de ses conséquences , les morts décrits par ce qu’ils ont perdu ,les antithèses , une réflexion sur la mort comme valeur 

04. juin 2018 · Commentaires fermés sur Les derniers Cris des soldats dans Cris : texte 4. · Catégories: Seconde · Tags: ,
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 De nombreux romans ont pris comm sujet la première Guere Mondiale et particulièrement au moment du centenaire de sa commémoration.  Le roman de Laurent Gaudé intitulé Cris  est construit sur un dispositif narratif particulier : chaque personnage du récit nous fait partager sa vision de l’événement et le lecteur doit ainsi, en permanence, recomposer , une vision d’ensemble à partir des pensées des soldats sous le feu ;  L’intrigue se résume à quelques actions: on relève la première ligne; certains soldats partent en permission ou se reposent à l’arrière alors que d’autres vont devoir prendre d’assaut les positions ennemies. Le passage que nous étudions se situe au début de la seconde partie du récit. Le bataillon formé notamment  de Messard, Dermoncourt, Ripoll, Castellac, vient de monter une première ligne et l’assaut a été donné . un groupe d’hommes se retrouve séparés de ses positions, seuls, détachés dans le camp allemand sans espoir de repli ni de retour. Conscients du caractère espéré de leur situation , les hommes veulent mourir dignement . Quelle vision de l’homme dans la guerre nous offre ce passage ? Nous verrons tout d’abord le cadre de la guerre avant d’évoquer les réactions des hommes face à la mort . 

 

 

 

I Le cadre de la guerre 

Comme dans la plupart des récits, la guerre est présentée sous un aspect destructeur . 

1 Un décor de fin du monde 

La boue est un élément qui revient très souvent ( l 2 ) et le romancier utilise la métaphore de la fournaise ( l 3 ) pour montrer le caractère infernal des souffrances des soldats; Souffrances physiques : épuisement ( l 1) et souffrances morales évoquées par une série de transformations : “pour ce qu’ils nous ont obligés à devenir ” ils auront à nous rendre des comptes ” . Les champs de bataille font également souffrir la terre qui tout au long du roman,  est personnifiée et crie sa douleur : il ne reste que des ruines “baraque en ruine l 10 ” “carcasses méconnaissables de lit mais plus de toit ” l 11 . L’auteur évoque également les corps des soldats avec le terme boucherie l 11. 

L’ampleur des dégâts est suggérée par divers moyens et s’entend particulièrement par les sonorités des participes  passés qui forment une harmonie imitative  : trébuché, plongé, giclé, essoufflé , tiré, éclaté , fermé…. peu de termes militaires dans ce passage avec simplement l’indication du pilonnage immense qui inaugura la boucherie; Le caractère meurtrier de l’opération est traduit ici par l’adverbe immense à valeur hyperbolique . 

 

II . Les souffrances des hommes 

1 Ils deviennent  des animaux pour survivre

2. ils tentent de rester humains face à la mort 

3. la dimension tragique : solitude et perte d’espoir 

09. mai 2018 · Commentaires fermés sur Braves petits soldats ? question de synthèse · Catégories: Seconde · Tags:
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Notre corpus couvre une période de 8 siècles et chaque héros se retrouve confronté à la mort  : le chevalier Yvain défie en combat singulier le chevalier Esclados; Fabrice Del Dongo héros de Stendhal  vit son baptême du feu à Waterloo; Walter Schnaffs, le soldat imaginé par Maupassant  est un prussien qui combat les français et le personnage de Claude Simon affronte la débâcle de 1940 dans les rangs français. Ces quatre combattants se comportent -ils avec autant de bravoure ? Nous verrons tout d’abord un regard admiratif du narrateur avant de montrer que la bataille est un moment bouleversant et révélateur.

 

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Le combat singulier des deux chevaliers est décrit comme admirable: le narrateur souligne à la fois la beauté de l’épreuve ( l 20 )  et la noblesse d’âme des chevaliers qui n’oublient pas de préserver leurs montures  (l 18 ) . A forces égales, le combat dure longtemps et le romancier loue la vaillance et l’engagement des adversaires ; “la durée de cette bataille si violente et si difficile est incroyable ” (l 16); De la même manière , le jeune Fabrice admire Napoléon et ses soldats “d’une admiration enfantine ” (l 26 )  ; Cependant lorsqu’il croise le célèbre Maréchal Ney, surnommé “le prince de la Moskova, le brave des braves”, il  ne le reconnaît pas et ne voit que son autorité son air de réprimande et son embonpoint. Stendhal confronte ainsi le regard naïf de l’enfant avec la réalité de la guerre; perdu au milieu de l’assaut, Fabrice “n’y comprenait rien du tout” (l 45 ) . Il fait des efforts pour se comporter comme ce qu’il imagine être le devoir d’un soldat mais un conflit a lieu en lui entre songer “à la gloire du maréchal ” et le “frisson d’horreur” qu’il éprouve ( l 7 )  face au champ jonché de cadavres; C’est donc un héros “fort peu héros ” qui tente d’imiter des modèles héroïques mais qui est rattrapé par la réalité de la bataille .

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Nulle trace d’admiration dans la nouvelle de Maupassant : Walter Schnaffs représente le déserteur : couard, il se cache pour échapper à la bataille “un désir fou de détaler le saisit ”  et se réfugie comme un animal , au fond d’un trou. Il est d’ailleurs comparé à un lièvre ( l 17 ) . Terrifié , il a même peur d’un oiseau sur une branche et Maupassant s’amuse à  montrer cette peur décuplée par les circonstances ” pendant près d’une heure , le coeur de Walter Schnaffs battit à grands coups pressés;”  (l 24 ) . Pas d’admiration non plus chez le soldat de Claude Simon où on retrouve un regard critique sur la guerre : ce soldat , mu par son instinct de survie se transforme lui aussi  en un véritable animal : il est présenté comme à demi -conscient , agit comme un somnambule(l 7 ), avec des réflexes d’automate (l 7 ) , privé d’une partie de ses facultés et en quelque sorte déshumanisé”. Il devient une bête, se transforme en chien et se laisse gouverner par son instinct animal qui lui permet de se mouvoir et de devenir indifférent à la mort de ses compagnons.

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Chaque combattant a une sorte de révélation et se transforme sous l’effet des événements : les chevaliers de Chrétien de Troyes trouvent des ressources physiques pour continuer à se frapper violemment : Esclados se met à avoir peur uniquement  car il n’avait jamais reçu un coup aussi violent et ” sous son casque ,il a la tête fendue jusqu’à la cervelle ” ( l 22) ; Yvain se transforme alors en gerfaut ( l 27 ) , véritable  oiseau de proie qui cherche à rattraper son adversaire en fuite  et lui aussi a peur “d’avoir perdu sa peine ” c’est à dire d’avoir combattu en vain , sans avoir réussi à ramener  Esclados au roi Arthur. Quant à Fabrice, il perd une partie de sa candeur face au spectacle horrible mais il reste “fort humain” et s’efforce par exemple de ne pas piétiner les cadavres ennemis avec son cheval . Précaution inutile qui trahit sa noblesse d’âme mais également son inaptitude à devenir “un vrai militaire ” ; Stendhal démythifie la guerre en la montant avec le regard ‘décalé ” de Fabrice au final fort peu “héros “. Quant à Walter Schnaffs et au personnage de Claude Simon, ils ne présentent aucune caractéristique du brave soldat et sont montrés sans courage ; Le premier rêve même d’être fait prisonnier pour ne plus avoir à affronter cette “horrible vie d’angoisse d’épouvantes de fatigue et de souffrances ” (l 26) que représente pour lui la vie militaire ; Et le dernier semble totalement dépassé par les événements et incapable d’obéir à sa volonté, il ne réussit qu’à courir par instinct pour survivre et échapper au bombardement.

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Face à la mort , le héros fait l’expérience de ses limites : les chevaliers indomptables du Moyen-Age combattent sans peur jusqu’à l’issue fatale , par amour pour leur roi ou pour leur propre gloire;ils représentent dans notre imaginaire  un modèle idéal de force et de bravoure; l’époque moderne renie cet idéal en montrant le combattant démuni face au déchainement de la violence : il peine à trouver un sens à cette “boucherie héroïque”et parfois cherche à fuir pour survivre dominé par son instinct animal. En dévalorisant et en modifiant le modèle du héros épique, certains romanciers s’attaquent ainsi à la guerre en la montrant, non pas sous un jour glorieux mais comme un “affreux carnage “

07. mai 2018 · Commentaires fermés sur Comment décrire un combat ? éléments de topographie d’un champ de bataille … · Catégories: Fiches méthode · Tags:
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Les hommes plongés au coeur de la mêlée sont pris dans un tourbillon de sensations parfois paradoxales . La plupart des écrivains qui cherchent à montrer le soldat en action mettent en évidence différents points ; tout d’abord le soldat est frappé par l’ambiance sonore autour de lui . En effet, les champs de bataille sont le plus souvent bruyants : cri des hommes, cri des mourants, hennissements des chevaux quand il s’agit de la cavalerie, tonnerre des canons lors des assauts ou crépitements des fusils d’assaut, tirs de grenade, de mortier; les détonations se succèdent et forment un vacarme infernal au milieu duquel les voix humaines semblent bien ténues. Pensez à décrire ces notations auditives car elles font partie de l’imagerie de la guerre . Mais les soldats  sont également le centre d’émotions très violentes…

L’assaut peut les galvaniser et ils agissent presque de manière mécanique comme des sortes de machines ou de bêtes sauvages : ils tuent sans avoir le temps de réfléchir l’ennemi qui se met en travers de leur route ou qui menace leurs compagnons d’armes et agissent parfois même en se fiant à une forme d’instinct animal. En effet, de nombreux témoignages de soldats survivants mentionnent la rapidité avec laquelle les actions sont menées et une sorte de force animale qui les pousse à frapper, courir, escalader les tranchées , partir à l’assaut, faire des choses dont ils ne se seraient jamais crus capables . Evidemment la conscience du soldat est la proie d’un combat intérieur entre la peur de mourir , le désir de fuir le plus loin possible ces atrocités et l’envie de tuer, d’anéantir l’Ennemi qui à ce moment représente le Mal absolu . Des soldats ont fait état d’une  forte montée d’adrénaline qui les pousse à commettre des actions incroyables . Certains se sentent à l’égal des Dieux , invincibles , surhumains. D’autres voient surgir leur animalité et décrivent la monstruosité des actes commis : monstrueux , bestial, animal sont des qualificatifs fréquemment utilisés pour décrire certaines scènes d’affrontement .

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Certains rescapés évoquent justement au coeur des combats, ces moments de flottement de l’esprit où tout peut basculer ..et où tout se joue; Ils apparaissent déchirés entre l’envie d’échapper à cette tuerie et l’idée de mourir en héros..ou tout simplement de tuer et de se battre pour ne pas mourir. Le roman de Laurent Gaudé “Cris  ” décrit bien tous ces moments à travers les pensées des différents personnages.

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Mais plongé au coeur de la bataille le soldat enregistre les moindres détails : il contemple la mort de très près et doit être spectateur de celle de ses proches; la vue des cadavres, des mutilations, des corps démembrés..blessures difformes, carnage affreux ..membres encore palpitants, femmes éventrées ..tout ce lexique du corps, ces notations parfois hyper- réalistes , font partie des récits de batailles à tous les siècles. Le soldat devient une sorte de réceptacle de sensations et comme dans le roman de Gaudé, il enregistre les moindres sensations; Tout semble s’imprimer, se graver dans sa mémoire qu’il nous fait ensuite partager . Le sang coule parfois à flots et certains romanciers montrent les conséquences des affrontements à trappes des tableaux apocalyptiques  : destructions en tous genres , sols jonchés de morts, évacuation des corps, identification des cadavres. La Nature n’est pas épargnée et apparaît elle aussi comme une victime : cratères des obus, arbres calcinés, terre ravagée, dégâts des blindés, récoltes détruites; les soldats peuvent être décrits comme des insectes : termites, taupes dans les tranchées , fourmis . 

La peur est l’une des constantes et nombreux sont les témoignages des transformations qu’elle fait subir à l’homme : paralysie, tremblements, cris , désir de mourir, suicide parfois, perte du contrôle de son corps; les récits décrivent avec beaucoup de précisions les ravages de la peur et la menace de la folie n’est jamais très loin.Sous l’effet de la peur, les soldats peuvent perdre leurs moyens, décider de s’enfuir ou se mettre à courir en hurlant . La peur est d ‘ailleurs considérée comme l’ennemi principal du soldat, à toutes les époques. Elle est particulièrement marquée dans l’attente des assauts , du choc , des corps à corps; On devine la présence de l’ennemi, on la redoute: on l’imagine plus grand, plus fort, sauvage, cruel et on se retrouve parfois face à des hommes désarmés, des enfants, des femmes… le soldat peut alors être pris de court et refuser de tuer. 

Qui dit combat dit bien sûr armes et chocs: pensez à utiliser un vocabulaire précis et en relation avec l’époque choisie; armes de jet, armes à feu, armes blanches; ne vous trompez pas  et donnez des références si vous en connaissez..pensez aussi à décrire les uniformes car la guerre est également vue comme un spectacle. Employez là encore un vocabulaire spécialisé : képi, galons, barrettes, casques, bottes, vareuse, barda, cantine en fer blanc,gabardine, bleu horizon, tuniques rouges, sabre prussien … la description de la bataille n’en paraîtra que plus réaliste. N’oubliez pas non plus le vocabulaire de la stratégie militaire : flanc,  front, avant, arrière, colonnes, blindés, artillerie, aviation, infanterie, régiment , bataillon, escouade, formation en ligne… en effet, une bataille est orchestrée par des stratèges et se base le plus souvent sur des déplacements de troupes. 

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Enfin choisissez un point de vue ou alternez les angles de description : l’attaque ne sera pas décrite de la même façon par un général de loin qui observe les mouvements de troupes avec sa longue -vue , les lignes arrières qui s’organisent et es préparent à recevoir les blessés et à fournir la relève, le poste médical, les soldats au front , le camp ennemi. La subjectivité d’un personnage peut également aller à l’encontre de la vérité  historique . Waterloo en 1815 fut une très lourde défaite française mais un spectateur ignorant , héros naïf  comme le construit Stendhal dans son roman, le jeune Fabrice del Dongo, pourrait y voir une victoire pour Napoléon. Le romancier montre par ce procédé, l’ignorance de son héros incapable de reconnaître, par exemple, les officiers ; Avec le regard de Fabrice , cette bataille semble incompréhensible. Hugo poète et grand admirateur de Napoléon la montre dans toute sa tragédie et illustre le sacrifice héroïque de la garde de l’Empereur ainsi que la panique qui s’empare ensuite des hommes et fait s’évanouir la grande armée . Céline montre l’absurdité des ordres donnés en 14/18 et le sentiment de révolte qui s’empare de certains hommes de troupe alors que Laurent Gaudé adopte différents points de vue pour décrire cette première guerre mondiale. 

Héros ou martyr, déserteur ou brute sanguinaire, la guerre fait ressortir ce que l’homme a déjà en lui : le pire comme le meilleur ; elle le pousse au delà de ses limites et lui fait entrevoir en même temps sa part d’immortalité et sa condition humaine de simple mortel. Elle peut transformer le destin d’un homme et le traumatiser durablement. Elle marque  aussi durablement la mémoire d’un pays et fédère tout autant qu’elle peut diviser . Objet de vénération et de répulsion, elle ne cessera de diviser les hommes .

03. mai 2018 · Commentaires fermés sur Expiation : la bataille de Waterloo vue par Hugo · Catégories: Première · Tags:
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 Waterloo, morne plaine  ..ce vers célèbre l’un des plus hauts faits d’arme de l’armée française sous la conduite du général Bonaparte …  Dans le cadre de cette séquence qui évoque l’image des hommes confrontés à la guerre ,nous verrons comment  Hugo retrace, à sa manière, épique et hyperbolique, le récit d’une des plus cuisantes défaites de la France : la déroute de Waterloo . Comment le poète matérialise-t-il le combat et de quelle manière représente-il ces soldats de la vieille garde napoléonienne dont , dans la légende,  le nom suffisait à faire trembler leurs ennemis? Quelques précisions d’abord sur le cadre historique des événements et le contexte d’écriture des Châtiments .   Napoléon revient  au pouvoir le 1er mars 1815 après une marche à travers la France qui s’acheva triomphalement à Paris. Aussitôt, Louis XVIII s’étant enfui à Gand, les puissances européennes, Angleterre, Prusse, Autriche, relancèrent la guerre contre l’Empereur, considéré comme un usurpateur. Napoléon rassembla une nouvelle armée et gagne la Belgique.
Après quelques succès – à Ligny où il parvint à vaincre les Prussiens, aux Quatre-Bras où Ney remporta une demi-victoire contre les Anglais (16 juin) –, il affronta les Britanniques du duc de Wellington à Waterloo le 18 juin 1815. C’était la première fois qu’il se trouvait en face de son grand adversaire : jamais encore il n’avait combattu directement les Anglais.
 

Reprenant sa tactique habituelle, Napoléon confie une partie des troupes au général Grouchy, créé maréchal pour l’occasion, afin d’empêcher le feld-maréchal Blücher de rallier le champ de bataille. Il espérait ainsi remporter une victoire décisive face aux Anglais. En effet, la bataille ayant commencé à 11 heures en raison du terrain détrempé par les pluies, il eut l’initiative toute la journée malgré la belle résistance britannique.
Malheureusement, Grouchy ne rallia pas le lieu du combat comme il l’aurait dû pour prendre les Anglais en tenaille, bien que poussé par le général Vandamme, jaloux de son maréchalat. Ce furent les Prussiens qui arrivèrent sur la droite française. La jeune garde fit des prouesses pour les contenir pendant que Ney cherchait à percer les lignes anglaises au centre. À 7 heures, Napoléon envoya sa vieille garde dans un suprême sursaut. Mais Blücher et Wellington firent leur jonction. La bataille était perdue. Avec elle s’envolait l’espoir d’une restauration impériale durable.

 

Le poète montre d’emblée le champ de bataille comme un véritable enfer à travers notamment les transformations du cadre naturel . 

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I Un décor apocalyptique 

a) un cadre infernal 

La plaine du vers 1 se transforme en un gouffre qui s’apprête à engloutir les hommes à  l’image de la terre qui s’ouvre sous les pieds des pêcheurs pour leur infliger un châtiment divin; Le poète présente d’emblée cette défaite comme une sorte de punition divine ; c’est pourquoi il utilise des références bibliques comme le gouffre flamboyant au  vers 3 ou l’horrible gouffre au vers 27 dans lequel vont fondre les régiments . Le poète se sert également des images de lieux souterrains souvent associés à l’enfer : la comparaison du vers 3 rouge comme une forge peut évoquer la demeure du Dieu vulcain, le forgeron auquel les Dieux commandaient leurs armes ; Située sous un volcan, sa forge est associée à un contexte épique; Les notations auditives rappellent au lecteur le bruit des armes et ces bruits sont évidemment amplifiés : ils deviennent des  tonnerres et se mêlent aux cris des mourants ; ce qui forme ainsi un vacarme infernal . 

b) Un cataclysme “naturel “

Le poète utilise également des références aux éléments naturels : la guerre est ainsi vu comme un cataclysme ;  les canons sont comparés au tonnerre qui gronde au vers 15; L’empereur lui-même veille à rester debout dans la “tempête” au vers 19 .Et les hommes fauchés par les boulets de canons sont comparés à des épis mûrs au vers 5 qui se couchent sous l’effet d’un vent violent. L’épi symbolise peut être ici la mort comme une sorte de moisson funèbre ; Pour évoquer l’ampleur de la catastrophe le poète utilise la force des éléments déchaînés ; Hugo compare aussi les soldats qui tombent à la chute de véritables pans de mur au vers 4 . Cette image donne une idée du bruit de leur effondrement.  Ces références font partie des clichés qui servent à peindre la guerre . Nombreux sont les auteurs à insister sur le bruit infernal qui provient du champ de bataille : cri des mourants, des blessés, chocs des corps , crépitement des armes, hurlements  des troupes qui donnent l’assaut . 

c) la souffrance 

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Beaucoup d’écrivains cherchent aussi à montrer les souffrances des hommes sur le champ de bataille et le poète insiste particulièrement sur l’atmosphère de désolation qui règne: au vers 1, les drapeaux déchirés sont la métonymie qui marque la violence des affrontements et elle suggère les blessures des hommes aussitôt attestées par le vers suivant : “les cris des mourants qu’on égorge ” Les notations se font réalistes avec , par exemple, les blessures difformes du vers 7 ; la bataille dans son ensemble est désignée comme un affreux carnage et un moment fatal; Le terme carnage connote les dégâts physiques , les blessures mortelles de la chair alors que le second groupe nominal marque davantage l’approche de la mort ; en effet, l’adjectif fatal a le sens ici de qui est mortel et le champ lexical de la mort est extrêmement présent dans le poème tout entier . Cependant , pour dire la mort, Hugo a recours  à différents procédés qui tendent parfois à la rendre plus acceptable . Le lecteur ne peut que partager les souffrances de ces soldats qu’ils soient héroïques ou de simples hommes désireux de sauver leur vie et  le poète nous présente la situation sous un aspect pathétique 

II Dire la mort et la tragédie

a) le registre pathétique 

La bataille est une catastrophe sur le plan humain et les nombreuses précisions nous font vivre les événements avec beaucoup d’émotion. Hugo montre d’abord les soldats prêts à se sacrifier, dignes et fiers: “comprenant qu’il allaient mourir dans cette fête /saluèrent leur Dieu debout dans la tempête . ” Le terme fête peut sembler ici inapproprié pour désigner le combat mais il peut traduire une sorte de célébration de la guerre comme une divinité à laquelle on offre des vies humaines . De même l’adjectif tranquille  au vers 22 et la précision sans fureur accentuent la dimension pathétique de la mort de ces soldats, victimes consentantes, expiatoires. Le poète nous fait partager sa tristesse avec hélas au vers 24 qui est placé , en tête de vers. Le poète prend fait et cause pour les soldats et les transforme en héros  Le second hémistiche du vers 31 illustre leur mort glorieuse : “Dormez ,morts héroïques “ et la présente comme une sorte d’accomplissement naturel . La souffrance du combat est ici remplacée par l’apaisement du trépas. Mais le tournant de la bataille marque véritablement le moment le plus pathétique : en effet, le sacrifice de la garde aura été totalement inutile dans la mesure où derrière eux, les soldats sont pris de panique et s’enfuient 

b) un retournement de situation tragique : l’apparition de la Déroute 

Le poète construit un retournement de situation qui correspond à l‘arrivée de l’allégorie de la Déroute; telle une femme fatale, elle fait son apparition au vers 40 comme un spectre effrayant ; Le terme spectre au vers 38 marque sa dimension surnaturelle;elle est décrite comme une créature infernale qui terrorise les soldats et les rend fous de peur; elle les épouvante littéralement comme le précise le poète au vers 36 ; Il la décrit également sous les traits d’une “géante à la face effarée ”  et montre les fumées qui l’entourent et rendent  son surgissement évanescent  ; On retrouve, très présentes à cet endroit du poème , les allitérations en f qui marquaient le caractère infernal de ce spectacle terrible. L’harmonie imitative se poursuivra avec des mots tels que affront vers 42, farouche 43, souffle 44 fourgons 45 , fossé 46 , fusils 47.  Le poète tente de restituer la panique qui s’empare des bataillons dont on peut suivre l’éparpillement ;

c) une fuite éperdue 

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Le passage que nous étudions se clôt sur des images de fuite éperdue : les soldats cèdent à la panique et ne pensent plus qu’égoïstement , à sauver leur vie; D’ailleurs la formule Sauve qui peut qui traduit ce branle- bas de combat est répétée aux vers 41 et 42 ; Le rythme du poème s’accélère avec de nombreuses énumérations qui produisent un effet saccadé comme aux vers 42, 47 et 50 avec la litanie des verbes d’action: “tremblaient,hurlaient,pleuraient, couraient ” ! Le bel ordonnancement des troupes est brisé et  le spectacle n’en est que plus effrayant ;  Les hommes sont comparés à de vulgaires fétus de paille pour montrer ici leur fragilité et l’expression du vers 50 ” en un clin d’oeil ” traduit la rapidité avec laquelle se déroule cette fulgurante catastrophe . Au vers 52, le verbe s’évanouit atteste de la disparition brutale de la grande armée et le chiasme achève le tableau : “vit fuir ceux devant qui l’univers avait fui.” On revient alors à la plaine nue désormais caractérisée par l’adjectif “funèbre ” au vers 55 qui rappelle les nombreuses pertes humaines. 

III Célébrer la guerre ? 

a) le grandissement épique 

Hugo ne fait jamais dans la demi-mesure et avec lui,nous passons souvent instantanément de l’ombre à la lumière ; Poète animé par un souffle épique, il transforme ce combat en affrontement mythologique . Les comparaisons et les métaphores donnent à cet affrontement historique devenu légendaire, l’image d’une sorte de choc des titans avec des forces surhumaines qui s’affrontent : tout est plus grand que nature dans la description ; Les panaches des tambours-majors sont énormes au vers 6; les soldats semblent tout droit sortis des légions de Rome au vers 14; Tout est amplifié : le bruit des canons est semblable aux tonnerres; ici le pluriel poétique leur confère une force supplémentaire; Napoléon lui-même est devenu un Dieu cruel au vers 19 et la garde est avalée par une fournaise qui rappelle l'Enfer , au vers 23. Les régiments fondent, tombent mais ne reculent pas . Du moins une partie d'entre eux: les plus braves.

b) des braves ou des lâches ? 

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Hugo admirait Napoléon et écrit ici une partie de la légende de ce chef de guerre en montrant notamment à quel point ses hommes sont déterminés à mourir pour lui. Ces braves sont présentés comme ne formant plus qu’un seul corps, parlant d’une seule et même voix ; Le vers 20 évoque leur cri à l’unisson et ils meurent sachant ce qui les attend avec le sourire aux lèvres. Leur bravoure contraste avec l’épouvante qui règne ensuite et qui souffle un vent de panique sur le reste des soldats ; ces derniers tentent de fuir et même de se cacher, de se jeter dans les fossés; Leur défaite tourne à l’humiliation ; elle est également marquée de manière symbolique au vers 48 par la chute des aigles, symboles des légions romaines et emblème repris par Napoléon qui périssent sous les sabres prussiens. Ce n’est pas tant la défaite en elle même qui semble faire souffrir le poète mais plutôt l’humiliation subie avec cette débandade des “vétérans ”  Ainsi le poème se conclut par la terrible image de la fuite des géants . et cette défaite semble orchestrée par une intervention divine comme le suggère le vers 56 : Dieu mêla tant de néants ; On peut rapprocher cette mention du titre même Expiation qui désignerait une forme de vengeance divine pour punir l’orgueil de l’Aiglon. 

Erreur de stratégie pour les historiens, punition divine pour le poète, la défaite de Waterloo restera un événement marquant au siècle suivant . Elle aurait du servir le dessein de l’empereur de reconquérir durablement son pouvoir et son prestige, et elle se transformera en camouflet qui mènera à l’abdication de l’Empereur désormais déchu; Hugo reconstitue d’abord l’ambiance du champ de bataille et le déroulement précis des événements historiques avant de montrer le sacrifice des braves et la panique qui s’empare du reste des troupes ; Il fait ressortir son admiration pour ces nobles soldats et sa tristesse devant les dégâts provoqués ; La bataille est aussi l’occasion d’un grandissement épique qui montre l’énormité des forces en présence . Le poète y célèbre  à la fois la grandeur des héros et la petitesse des hommes quand la peur s’empare d’eux et les rend pathétiques . 

Vous trouverez en pièce jointe un commentaire composé rédigé de cet extrait d’Expiation …